Shingeki no Kyogin, d’Hajime Isayama

Manga paru entre 2009 et 2021. Dans un univers début de Révolution industrielle, l’Humanité vit derrière trois murs concentriques, le reste de la Terre ayant été abandonné aux Titans, des créatures humanoïdes de plusieurs mètres de haut et anthropophages. Au début de l’histoire, un Titan beaucoup plus grand que les autres brise le mur extérieur, forçant l’Humanité à abandonner la majeure partie de son territoire et déclenchant chez le héros la volonté d’intégrer le bataillon d’exploration, unité de l’armée qui tente d’explorer le monde extérieur et de comprendre l’origine des Titans.

J’ai bien aimé. L’univers est assez sombre, très clairement militariste, avec des personnages principaux qui adoptent des postures fascistes par moment, mais l’histoire remet clairement leurs choix en question. L’histoire elle-même avance vite, avec des révélations et des péripéties qui s’enchainent sans temps morts ni combats qui s’éternisent.

(paragraphes qui divulgâchent en dessous du séparateur)

Même si tout n’est pas parfaitement réussi, je trouve que la façon dont l’œuvre prend ce qui pourrait être un héros de shonen tout à fait classique pour le mettre dans un univers plus complexe marche assez bien. Si à la base on peut adopter le point de vue d’Eren (les titans sont tous des monstres, l’armée est notre seul rempart et il faut que les forts défendent les faibles et que les faibles facilitent la tâche aux forts pour que l’Humanité survive), l’extension des thèmes du manga (et l’évolution des autres personnages autour) montre bien que cette posture fasciste n’est pas tenable. Même avant les révélations sur le reste du monde, on a déjà le coup d’état de l’armée, qui met pas mal mal à l’aise : l’histoire file suffisamment d’éléments pour qu’on se détache du point de vue de la narration à ce moment là (est-ce que c’est un truc, la narration non-incarnée mais non-fiable ? Parce que c’est un peu l’impression que j’avais à ce moment : un des personnages fait remarquer que les vainqueurs réécrivent toujours l’histoire, et quelques pages après on a son camp qui réussit son coup d’état et explique que tout le camp adverse était corrompu sans exception, le nouveau dirigeant de fait est un sadique qui torture l’ancienne aristocratie mais bon il faut bien composer avec, et on garde une monarque fantoche après avoir expliqué que c’était un problème que le précédent l’ait été). Ensuite on a l’ouverture du manga à la révélation que le reste du monde vit très bien de son côté et sans avoir des titans en liberté partout.

Bon, les parallèles entre les Eldiens du manga et le peuple juif dans la réalité sont assez ratés je trouve : on a à la fois des éléments réalistes avec les ghettos, les brassards d’identification, mais par contre le côté « mais ils l’ont cherché, ils ont dominé le monde entier pendant 1000 ans et représentent une menace réelle » et « et en fait, c’est une famille eldienne qui contrôle l’empire Mahr en secret » puent un peu. Au passage, l’Île du Paradis où les Eldiens sont exilés est clairement Madagascar sur les cartes du monde. Ça fait écho à un plan réel de déportation nazi des juifs d’Europe, je pense pas que ce soit volontaire de la part du mangaka mais c’est pas fou non plus. Les éléments de comparaisons entre l’Île du paradis et le Japon sont plus intéressants : une nation insulaire qui a autrefois exercé sa domination sur le reste du continent, avec un population relativement ethniquement homogène, et dont le monde craint le retour au pouvoir (ce qui dans le contexte de remilitarisation du Japon lors de la décennie d’écriture du manga, fait un peu sens).

Globalement dans le manga, aucun des camps en présence (empire Mahr, résistance eldienne, Île du Paradis) et aucune des solutions proposées n’est pertinente. Tout le monde veut en passer par une domination ou une extermination des autres (ou de soi-même), mais personne ne propose un désarmement et une coopération. Le monde dans lequel ils vivent les pousse vers ça, mais le fait que certains personnages proposent de la coopération et de la discussion (même si leurs solution ne sont pas retenues) montre que d’autres voies sont possibles. Mais tous les persos en position d’agir sont pas mal endoctrinés (et Eren encore plus que les autres, puisque son pouvoir de vision de l’avenir le persuade qu’il n’a pas de libre arbitre, il ne peut qu’exécuter le chemin sur lequel il est engagé de toute éternité). Gaby et Falco représentent peut-être les personnages qui sont encore suffisamment jeune pour pouvoir être sortis de la vision binaire du conditionnement militariste eux contre nous qui afflige les autres personnages.

Bref, je recommande, si vous aimés les histoires de kaijus qui sont en fait des méchas qui sont en fait à propos des pilotes et les univers militaristes où les héros sont de mauvaises personnes.

Par ailleurs, il y a deux vidéos de la chaîne YouTube Patchwork qui parle du rapport entre SnK et le fascisme, qui sont intéressantes : ici et .

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