Archives par mot-clé : uchronie

Célestopol, d’Emmanuel Chastellière

Recueil de nouvelles où la Russie tsariste a implanté une cité sur la Lune à la fin du XIXe siècle, visiblement à l’aide de canons tels que celui de De la Terre à la Lune.

Le pitch est alléchant, mais les nouvelles en soi ont franchement peu d’intérêt, ne développant pas un univers complet qui ne sert que de toile de fond, ne faisant même pas vraiment usage du contexte lunaire, et n’arrivant pas à choisir entre le fantastique, le steampunk, la SF, sans faire non plus un mélange réussi entre les genres. De plus tout est focalisé sur le dirigeant de la cité et plus généralement les élites, et leur terrible décadence, mais plus pour les détailler avec gourmandise que vraiment les dénoncer.

Bref, déception.

La Porte des Mondes, de Robert Silverberg

Uchronie écrite en 1967. Un jeune anglais, Dan Beauchamp, quitte son pays récemment indépendant et appauvri, et part tenter sa chance dans les Nouvelles-Hespérides, où les empires Incas et Aztèques sont les puissances dominantes du monde. Il vivra plusieurs aventures à travers l’empire Aztèque, ses colonies et les territoires indépendants des Hespérides du Nord, avant de finalement embarquer pour l’Afrique, le continent prédit comme le prochain centre de pouvoir.

C’était sympa à lire. C’est un roman d’aventures assez classique dans sa facture, assez court, qui parle de colonialisme et de contingence de l’histoire. Le héros est un peu naïf, il a des rêves de grandeur et de conquête qui résistent mal au contact du réel. Pas beaucoup de personnages féminins, mais celui qui est développé est réussi et indépendant (et est assez affligé par les rêves de conquête du héros).

Une lecture courte mais efficace, qui réussit à bien développer son contexte uchronique pour y placer une aventure très classique mais plaisante à lire.

J’ai aussi lu récemment Hors Sol de Pierre Alféri et The Beautiful Land d’Alan Averill, mais les deux n’étaient pas très bien du coup je ne vais pas prendre le temps de les chroniquer. Dans les deux cas c’était de la SF, mais ça manquait de profondeur et de style d’écriture.

The Haunting of Tram Car 15, de P. Djèlí Clark

Novella située dans des années 1910 alternatives. 40 ans plus tôt, un scientifique soudanais hétérodoxe a libéré des djinns dans le monde humain. Avec ces alliés surnaturels, l’Égypte a repoussé les Anglais. Le Caire est devenu une ville-monde aussi importante que Paris et Londres. On suit deux employés du Ministère du Surnaturel, qui enquêtent sur une cabine du tram cairote hantée par une entité inconnue, à la veille du vote du Parlement sur le droit de vote des femmes.

J’ai énormément aimé. L’univers est super cool, j’espère que l’auteur reprendra cet univers pour écrire des trucs plus longs. C’est rétro, y’a du féminisme, y’a des personnages attachants, que demande le peuple ?

Divergences 001, anthologie dirigée par Alain Grousset

Anthologie de nouvelles uchroniques écrites par des auteurs français (+ une republication d’une nouvelle d’un auteur britannique) pour une publication à destination d’un public jeunesse en 2008. C’est – comme souvent pour les recueils de nouvelles – assez inégal. Pas mal de nouvelles n’échappent pas à l’écueil de la surexposition ; les premières du recueil ont des points de divergence trop anciens pour être vraiment intéressant à mes yeux.

Le petit coup d’épée de Maurevert (Michel Pagel) était la meilleure pour moi, avec une narration dynamique et une divergence originale. Reich Zone (Xavier Mauméjean) réussit à être originale en partant de la divergence la plus classique possible, et rappelle un peu Ruled Britannia de Turtledove dans son idée. De la part de Staline (Roland C. Wagner) est sympa pour la divergence mais très anecdotique dans la narration. La divergence dieselpunk de L’affaire Marie Curie est sympa, la narration est dynamique, mais la nouvelle devient de moins en moins vraisemblable, hélas.

Globalement le recueil se lit vite et permet de balayer largement une variété d’uchronies, en montrant des réussites et les défauts classiques du genre ; ça en fait une excellent introduction.

Century Rain, d’Alastair Reynolds

200 ans dans le futur, les humains sont divisés en deux factions, les Treshers qui limitent leur usage de la technologie, et les Slashers, qui l’embrassent sans restriction. Les premiers contrôlent le voisinage de la Terre inhabitable, les seconds un réseau de trous de vers à travers la galaxie. Alors que les relations entre les deux factions se tendent de plus en plus, promettant une nouvelle guerre dans un futur proche, les autorités Treshers recrutent une archéologue : une réplique de la Terre des années 50s – dont l’Histoire aurait divergé dans les années 30 – a été découverte dans un artefact alien gigantesque. Une planète entière déjà habitable, une découverte majeure qui pourrait changer le cours de la guerre à venir.
On suit en parallèle l’Histoire de cette archéologue envoyée infiltrer Terre-2, et celle d’un natif de ce monde, un détective privé franco-américain. Évidemment les deux vont se rencontrer et s’épauler.

J’ai bien aimé. Les codes du polar noir mis en œuvre sont intéressant, avec de brusques changements de tons suite à l’irruption de partie SF. Ca donne parfois un peu trop dans le cliché du détective dur à cuire qui tombe amoureuse de clientes mystérieuses et dangereuses mais ok. J’aurai bien voulu plus de détails sur ce monde au développement arrêté (la prémice fait un peu penser à celle de Burning Paradise, de RC Wilson). Sans être le roman de la décennie, on passe un très bon moment avec.

East of West, de Jonathan Hickman et Nick Dragotta

Série de comics en 10 tomes (et terminée). Dans un univers alternatif, la guerre de Sécession américaine a pris un tour différent avant d’être brutalement interrompue par la chute d’une météorite sur le continent américain. Ce qui dans notre réalité correspond aux USA est divisé en 7 pays différents. Durant la seconde moitié du XXIe siècle, la réapparition des cavaliers de l’Apocalypse sur ce territoire va conduire à la mise en branle des événements conduisant à l’Armageddon tel que décrit dans Le Message, un livre sacré écrit sur le territoire américain.

L’univers est intéressant, c’est un mélange de SF et de western dans un univers uchronique. On suit plusieurs factions : La Mort qui a fait sécession des trois autres Cavaliers, les 3 cavaliers, et différentes dirigeants des Nations d’Amérique, croyant au Message et déterminé à le faire advenir. Ça fait parfois dans le gore un peu gratuit, avec des démons plein de pustules, mais l’univers est très original et le dessin est beau. L’histoire oscille entre mysticisme, manipulations politiques, surnaturel et donc western et SF.

Le Dernier Atlas, de Fabien Vehlmann, Gwen de Bonneval, Hervé Tanquerelle et Fred Blanchard

Une uchronie française avec des robots géants et une guerre d’Algérie qui a eu lieu 10 ans plus tard. Mais ça reste un fond assez lointain pendant une bonne part de la BD, qui parle de gangs mafieux et de phénomènes physiques inexplicables.

Le scénario est dense et intéressant, j’aime beaucoup le dessin, l’uchronie est à la fois discrète et originale (la divergence et la chronologie de la France sont détaillée à la fin du 1er tome), grosse recommandation. Le tome 2 sortira normalement en mars 2020.

Couverture du tome 1

EDIT 10/2020 : Le tome 2 était très bien aussi, l’histoire continue à se développer, l’Atlas a un équipage au complet, et on commence à se demander si la construction des Atlas ne va pas être relancée, avec un scénario qui fait légèrement penser à Neon Genesis Evangelion sur certains points qui font vraiment Mecha vs Aliens. On a aussi la backstory de pourquoi le George Sand était un Atlas particulier. Vivement le tome 3.

Pour une Histoire des Possibles, de Quentin Deluermoz et Pierre Singaravélou

Essai sur l’intérêt des raisonnements contrefactuels en Histoire. Les auteurs balayent large et discutent aussi de l’uchronie en littérature et de l’intérêt des raisonnements contrefactuels dans d’autres disciplines. J’ai trouvé ça intéressant, après je pense que je manque de base en méthodologie de la recherche en Histoire pour bénéficier pleinement du livre.

En gros, les auteurs retracent l’histoire du concept, depuis ses occurrences chez Thucydide jusqu’à son explosion dans l’Histoire conservatrice anglosaxonne. Ils montrent que même si souvent le concept est présenté comme non-sérieux, il est en fait inhérent à la démarche historique, sous forme de micro-occurrences au cours de raisonnements (dès qu’on considère qu’un.e acteurice historique fait une erreur par exemple, on considère un scénario alternatif où les choses se seraient mieux déroulées pour ellui). Il permet de plus de restituer l’état des réflexions chez les contemporain.e.s de la période où des événements étudiés : pour elleux il s’agissait des futurs possibles, de potentialités à mettre en balance, et cela pouvait donc influencer leurs comportements. Dès lors il n’est pas absurde de s’y intéresser dans le cadre d’une démarche historique.

Les auteurs font aussi remarquer que le raisonnement contrefactuel est une des modalités de raisonnement très couramment utilisé pour mettre en balance des options, au point d’être étudié par la psychologie. Il peut être utilisé pour mettre en balance des options futures, et c’est aussi la base du sentiment de regret. Là aussi, l’ubiquité de la démarche pousse à ne pas laisser cet outil de côté dans le cadre d’une démarche historique.

Par contre il convient de bien délimiter dans les ouvrages d’Histoire ce qui relève des faits, des suppositions de l’historien.ne et ce qui relève du contrefactuel pur, pour ne pas mélanger les genres. Mais c’est déjà ce qui est fait actuellement, avec des phrases d’introduction du contrefactuel, généralement sa poursuite sur quelques phrases (sachant que dans une démarche historique il n’est pas pertinent de s’éloigner du point de divergence) et sa fermeture, avant de revenir au texte historique.

Le jour où Kennedy n’est pas mort, de R. J. Ellory

Uchronie sans grand intérêt.

Kennedy ne meurt pas à Dallas. À la veille de la convention démocrate à Atlantic City en 64, un ancien journaliste reprend l’enquête que menait son amour d’enfance, morte d’une overdose, sur le truquage de l’élection de 1960. Sauf qu’il n’y a aucune analyse ou même indication de ce que change la poursuite de la présidence Kennedy pour les US. On sait juste que Kennedy est pas mal décrédibilisé par ses frasques aux yeux de son équipe, pas grand chose de plus. Le monologue intérieur du héros éploré de la mort de la femme de sa vie est sans grand intérêt et assez réac, l’enquête qu’il mène n’est pas passionnante, et le style du livre (lu en VF) assez pauvre. Je ne recommande pas.

The Plot Against America, de David Simon

Série uchronique adaptée du roman éponyme de Philip Roth. En 1940, l’aviateur-star Charles Lindbergh se présente à l’élection présidentielle US en tant que républicain et bat Roosevelt. Pro-isolationniste et surtout pro-nazi, Lindbergh signe un pacte de non-agression avec l’Allemagne et refuse toute interférence dans la « guerre européenne ».
Mais le but ici n’est pas de montrer une uchronie à grande échelle avec le basculement du monde dans une autre direction. Le focus est placé sur la famille Levin, une famille juive du New Jersey qui se sentait parfaitement à l’aise aux États-Unis. La série comme le livre montre comment la famille est affectée par l’accession au pouvoir de Lindbergh, la mise en place de politiques discrètement antisémites et surtout le blanc-seing qui est donné à l’antisémitisme de la société de s’exprimer.
La série fait 6 épisodes d’une heure, elle est super bien jouée, décorée et filmée. Les parallèles avec l’Amérique de Trump ne sont pas toujours subtils, mais le bouquin de Roth avait été écrit en 2004, c’est la réalité qui s’est alignée sur la fiction hélas. L’Amérique des années 40 est très bien rendue, la série joue sur une tension grandissante, le dogwhistling des supporters de Lindbergh et le sentiment d’impuissance des personnages à faire qq chose à leur niveau. La tension reste à bas bruit sur toute la série sauf le dernier épisode où tout monte d’un cran d’un coup. La performance d’acteur d’Azhy Robertson, qui joue Philip Levin (le fils de 10 ans de la famille, et dans le roman le point de vue principal, qui s’appelle alors Philip Roth) est impressionnante, et illustre très bien comment la tension de la série a un impact sur tous les personnages.