Archives par mot-clé : science-fiction

The Ministry for the Future, de Kim Stanley Robinson

Roman de science-fiction paru en 2020. Dans les années 30, suite au constat de l’irrespect des Accords de Paris par leurs signataires et le déclenchement de canicules meurtrières en Inde, une nouvelle agence de l’ONU en charge du suivi et de l’application des accords de Paris est mis en place, et rapidement surnommé « le Ministère du Futur », vu qu’il travaille pour les générations futures. Parallèlement, l’Inde devient le fer de lance de la transition écologique, se lançant dans des projets de géoingénierie et de réforme agraire à grande échelle. Petit à petit, l’ensemble du monde va s’aligner, jusqu’à arriver à une baisse de la quantité de carbone dans l’atmosphère. En plus des initiatives officielles, deux éléments vont permettre ce changement : l’émergence de groupe écoterroristes (notamment les Enfants de Kali, déterminés à mettre tout en œuvre pour que jamais une telle canicule ne se reproduise) et une branche secrète du Ministère pour le Futur en charge de l’action directe, qui n’hésite pas à hacker les centrales à charbon ou les comptes des paradis fiscaux. Les Enfants de Kali vont aller encore plus loin, relâchant une nouvelle encéphalite spongiforme bovine pour faire baisser d’un seul coup la consommation de viande rouge ou visant les jets privés avec des drones pour faire chuter le trafic aérien.

Le sujet est cool, mais le style est très aride. On ne saura jamais exactement ce que font les black ops du Ministère pour le Futur, et on constate quand même un alignement de planètes en faveur de la transition (même si bien sur la menace terroriste aide un peu). Sur la fin j’en avais un peu marre, dommage parce que ça aurait pu être vraiment cool mais ça manque de travail éditorial (en plus du style aride en général, il y a aussi des répétitions d’un chapitre à l’autre voir d’un paragraphe à l’autre). Bon et puis la blockchain comme outil de transition, désolé mais absolument jamais.

Night Sky, de Holden Miller

Série télé de 2022, annulée après une saison. Les York, septuagénaires vivant dans l’Illinois, ont dans leur jardin un secret : un téléporteur qui les amène dans un poste d’observation sur une autre planète. Ils n’ont jamais osé sortir du poste d’observation, n’ayant pas de garanties que l’air extérieur est respirable. Mais un jour, Irène trouve un homme blessé dans le poste d’observation…

J’aime beaucoup les deux acteurs principaux et je trouve que faire une série de science fiction avec des personnages principaux âgés est bienvenu, mais bon il se passe quand même pas grand chose, la série passe son temps à donner des indices sur de plus grands mystères qu’on ne verra finalement jamais puisqu’elle a été annulée. Sympa pour les performances d’acteurs et ce qu’on devine des mystères généraux, mais ignorable dans l’ensemble.

Last Sentinel, de Tanel Toom

A force de faire n’importe quoi avec le climat, l’Humanité a déclenché une montée massive du niveau des eaux. On est pas encore dans Waterworld, mais quelques décennies avant : il reste deux « continents » au milieu d’un océan mondial parcouru par des tempêtes. à mi-chemin entre ces deux continents, le continent du Sud a installé une base militaire, une plateforme perdue au milieu de l’océan avec quatre militaires qui y sont pour deux ans, à surveiller une hypothétique invasion pour déclencher une arme qui finirait d’engloutir les dernières terres. A mi-chemin entre Le Désert des Tartares et Huis Clos, on suit la vie des quatre militaires trois mois après la date où ils auraient dû théoriquement être remplacés. Y a-t-il encore des gens en dehors de la base ? Sont-ils les derniers humains au monde ? Doivent-ils partir par leurs propres moyens ?

Le setup est assez réussi, l’ambiance de la plate-forme en déréliction et isolée de tout est bien rendue. Par contre l’intrigue et la montée de la tension qui est censé faire le scénario du film marche assez mal : le plan qui est mis en avant aurait pu être lancé plus facilement à n’importe quel autre moment qu’à l’approche de la relève, les personnages sont un peu trop stéréotypés. Mais l’ambiance générale est cool.

La Nuit du faune, de Romain Lucazeau

Novella de SF française, par l’auteur de Latium. Sur la Terre, des millions d’années dans le futur, Polémas, un représentant d’une espèce qui sort de sa préhistoire entre en contact avec Astrée, la dernière représentante sur Terre d’une espèce qui a dominé la planète des ères géologiques plus tôt. Désireux de comprendre le sens de la vie pour guider les siens, il va lui demander de lui donner la connaissance du fonctionnement de l’univers. En s’appuyant sur une technologie indiscernable de la magie (et d’une bonne dose de handwaving de la part du scénario), elle va l’emmener en voyage à travers l’univers pour lui faire rencontrer différentes espèces et leurs stratégies d’adaptation, en présentant le « Cycle du carbone », celui du silicium, puis des cycles de matières plus exotiques : la vie biologique est créée sur des planètes, donne naissance à intervalles réguliers à des espèces intelligentes qui épuisent leur habitat mais réussissent occasionnellement à sortir de leur puit de gravité, puis créent des civilisations robotiques, qui à leur tour créent des civilisations baryoniques, la complexité allant toujours augmentant…

J’ai bien aimé certains aspects, mais le côté « je viens poser une réflexion métaphysique et révéler les secrets de l’univers » avec en prime un côté « éternel retour cyclique » ça me saoule toujours un peu. Je suis quand même fermement partisan d’un nihilisme camusien, et les quêtes sur le sens de vie ça me semble très creux. On est beaucoup sur des archétypes (pour les persos, pour les civilisations) et vu que le livre est relativement court pour introduire 10 000 concepts, on survole tout super vite. J’ai été beaucoup moins convaincu que par Latium.

One day all this will be yours, d’Adrian Tchaikovsky

This is how you actually lose the time war.

Novella de SF qui parle de voyage temporel. Le narrateur dispose d’une machine à voyager dans le temps, et est vétéran de la Guerre Temporelle : un conflit entre deux factions disposant de machines temporelles, qui ont fini par casser la causalité à force d’interventionnisme pour prendre l’avantage sur l’autre. Retiré dans une époque déserte, le narrateur empêche tout humain de voyager plus loin dans le futur, pour préserver l’écoulement du temps sur une Terre sans humains après lui. Donc il occupe ses journées à surveiller sa ferme, réparer son tracteur, et tuer des voyageurs temporels, avec son dinosaure domestique.

C’est une take rigolote sur le voyage temporel. Globalement le narrateur est nihiliste, vivant dans un univers où la causalité est cassée, il peut traiter l’Histoire humaine comme un grand coffre à jouet et ne s’en prive pas. C’est globalement Doctor Who mais avec un Docteur qui s’amuse à troller tout ce qu’il peut. Comme toujours avec le voyage temporel il ne faut pas regarder de trop près la logique du fonctionnement, mais ça fait une novella rigolote et plaisante à lire.

Eutopia, de Camille Leboulanger

Roman de science-fiction français paru en 2022, inspiré des travaux de Bernard Friot sur le salaire à vie. Dans un futur indéterminé, le capitalisme (et plus généralement le propriétarisme) a été abattu (au moins à l’échelle d’un pays). Les gens vivent selon les principes de la Déclaration d’Antonia, un texte énumérant un certain nombre de droits pour les humains mais aussi pour le reste de la biosphère. On va suivre dans ce monde la vie d’Umo, de son enfance dans un petit village jusqu’à sa vieillesse dans un autre village qu’il a contribué à fonder. Entre temps Umo aura vécu dans différentes ville du pays, dont Antonia, fait des études à différentes périodes de sa vie, été électricien pour une entreprises qui construit des lampes, technicien son pour une troupe de musiciens, électricien pour une commune, professeur, tiré au sort pour l’assemblée générale d’Antonia, préparateur de commandes pour la logistique d’une commune, balayeur dans un cinéma. Il aura aimé et vécu avec une petite dizaine de personnes, dans diverses configurations.

Globalement, c’est sans surprise un roman à thèse, comme Ecotopia ou Les Dépossédés. La vie d’Umo nous permet de voir les différents aspects du fonctionnement d’Antonia, en parcourant un peu le pays. C’était sympa à lire, le côté utopie est cool, et la vie sentimentale d’Umo fait un fil conducteur intéressant (l’auteur.e insiste pas mal sur ce point, avec la formule « l’amour c’est du travail, le travail c’est de l’amour » qui revient comme un leitmotiv).

Quelques points négatifs cependant : le premier, c’est de la faute de la maison d’édition, il reste des coquilles dans le bouquin, et franchement ça sort de la lecture. Pas cool. Le second, plus de fond, c’est que cette utopie… fonctionne trop bien. Dans Les Dépossédés, ce qui marche particulièrement bien c’est que Le Guin creuse quand même pas mal les cas limite et comment les bonnes intentions de la révolution initiale peuvent quand même se fossiliser et recréer des structures de pouvoir. Ici, même s’il y a la question de la proposition Amistad, ça reste quand même assez léger, tout fonctionne très bien. Peut-être aurait-il plus fallu creuser aussi la question des infrastructures : y’a des trains, des ordiphones personnels (et un réseau qui les sous-tend), même avec une population fortement réduite ça demande quand même des chaînes logistiques à grande échelle qui paraissent peu compatibles avec le reste de l’idée de la déclaration d’Antonia. Enfin beaucoup de conso d’alcool et de cannabis. Pas un souci en soi mais un petit focus sur la gestion des addictions aurait été bienvenu.

Overall ça reste quand même une lecture intéressante, toute la partie sur le salaire à vie, le logement et la nourriture conventionné fonctionnent bien.

Project Hail Mary, d’Andy Weir

I spend a lot of time un-suiciding this suicide mission.

Roman de hard SF étatsunien, sorti en 2021. Un astronaute américain se réveille amnésique dans un vaisseau spatial avec deux cadavres. Il va progressivement se rappeler sa vie menant jusqu’à ce point : Il fait partie du projet Dernière Chance, une mission visant à établir pourquoi une étoile proche de la Terre est la seule qui n’est pas affectée par les astrophages, une forme de vie mystérieuse qui fait rapidement baisser l’énergie émise par le soleil et menace la vie sur Terre.

On suit en parallèle la vie de l’astronaute avant l’embarquement et sa vie à bord du vaisseau, où basiquement il utilise ses connaissances scientifiques extensives pour plein de trucs, de comprendre où il est à macGyverer des solutions aux problèmes techniques qui se posent l’un après l’autre.

Globalement, j’ai bien aimé l’histoire. L’idée des astrophages et le fait de tirer toutes les implications de leur existence est assez cool, ça fait très SF à la Arthur C. Clarke. Les problèmes techniques pour permettre l’existence du projet Dernière Chance (même si « le vote secret unanime de l’ONU fait vraiment « ta gueule c’est magique » pour permettre à l’auteur d’étaler les aspects techniques sans avoir à se préoccuper de tout le social et politique ») puis le déroulé de la mission après le réveil de Grace sont de bons rebondissements, intéressant à lire. La vision du premier contact est cool aussi même si c’est pas tant « deux espèces radicalement différents se rencontrent » que « deux nerds accessoirement d’espèces radicalement différentes se rencontrent ». Par contre, à part Rocky, tous les personnages sont assez faibles – le perso principal inclus. On sent que l’écriture de personnages et de relations c’est pas ce qui fait tripper Andy Weir. Un peu dommage que Grace retrouve la mémoire parfaitement séquentiellement aussi, ça fait un peu forcé.

Malgré ces quelques points négatifs, c’est un fort bon roman de hard SF, je recommande.

Transperceneige : Extinctions, de Rochette

Bande dessinée en deux tomes, parus en 2019 et 2020, préquelle du Transperceneige. La BD détaille les événements qui ont menés à la Terre gelée sur laquelle se déroule l’histoire du Transperceneige, et l’embarquement dans le train. On découvre deux groupes d’éco-activistes, les Wrathers qui tuent les dirigeants de multinationales climaticides et écocides, et les Apocalypsters, carrément accélérationnistes, qui décident de déclencher une apocalypse à grande échelle pour que l’Humanité cesse de flinguer la planète. Si j’ai trouvé les Wrathers crédibles, les Apocalypsters font quand même méchants de carton-pâte. En parallèle, on voit le milliardaire bénévolent et inventeur de génie Zheng mettre la dernière main à son train équipé d’un moteur perpétuel, persuadé que l’apocalypse est proche (il a quand même visé bien juste en devinant qu’il faudrait affronter des températures subpolaires) et que la survie résidera dans l’adaptation à tout ce qui peut arriver (et pour ça, dans une capacité préservée à se déplacer sur toute la planète). Les événements étant précipité par le plan des Apocalypsters, l’embarquement dans le train se fait dans la précipitation, expliquant la surpopulation du train que l’on retrouvera dans Le Transperceneige.

J’ai bien aimé le dessin de Rochette, mais bon, le fond de l’histoire n’est pas passionnant. Les écoterroristes accélérationnistes sont très méchant, le milliardaire est très gentil, c’est quand même un peu court comme récit de l’apocalypse climatique. La nuance qu’on avait dans les premières pages avec les Wrathers qui utilisent la violence pour protéger les écosystèmes disparait très vite.

Apocalypse blanche, de Jacques Amblard

Roman de science-fiction français paru en 2022 chez La Volte. En 2050, deux énormes secousses sismiques ont anéanti la majeure partie de l’Humanité, désormais réduite à quelques millions de personnes. Les secousses ont aussi rehaussé des montagnes de part le globe, notamment le mont McKinley en Alaska, nouveau toit du monde culminant à au moins 16 000 mètres. Le narrateur, alpiniste de Chamonix, va à plusieurs reprises mener des expéditions pour atteindre son sommet, mais des phénomènes mystérieux vont à chaque fois l’empêcher de dépasser le camp 4, et ceux alors qu’il se murmure qu’une nouvelle secousse sismique pourrait bien une bonne fois pour toute faire disparaître l’Humanité…

J’ai bien aimé, mais c’est de la SF pour une acceptation assez lâche du mot. Y’a plein d’éléments qui sont poétiques ou oniriques, on n’est pas du tout sur du post-apo classique (j’aurai bien aimé aussi un traitement plus classique du sujet, mais le roman tel qu’il est écrit fonctionne tout à fait), on se rapproche un peu de ce que propose Sabrina Calvo. Il y a toute une technologie développé sur le végétal (avec des tentes en feuilles de hêtre et des xylocoptères), une apocalypse qui a été curieusement sélective, une recherche sur la forme du texte (et un gros trip sur les notes de bas de page).

La Pierre Jaune, de Geoffrey Le Guilcher

Roman d’anticipation français paru en 2021. Le livre imagine les conséquences d’un attentat sur l’usine de retraitement des déchets radioactifs de La Hague : un accident nucléaire rendant toute une partie de l’Europe de l’Ouest inhabitable. Mais au lieu de suivre sur le long terme les changements géopolitiques que ça impliquerait, la narration se focalise sur une communauté autonome vivant sur une presqu’île bretonne, dans les mois suivants l’accident. La narration est portée par Jack, un policier anglais qui s’était infiltré dans la communauté dans les jours précédant l’accident pour confirmer la présence de deux militants anglais. D’une position d’outsider, il va progressivement s’intégrer à la communauté, alors que la chute des réseaux de communication le coupe de tout contact avec sa hiérarchie policière.

J’ai bien aimé. Le côté « deux minutes dans le futur » avec un faux discours de Macron fonctionne bien. Les articles de blog publiés par le collectif et repris par lundi.matin et al sont franchement crédibles. On sent que l’auteur a bossé le sujet de l’accident nucléaire (le point de départ du roman, expliqué dans la préface est un rapport scientifique sur les conséquences d’un tel accident ou attentat). Le roman est relativement court (je l’ai lu en une nuit) mais campe bien ses personnages et leurs nuances de gauchisme. Jack et son passé de flic tourmenté sont finalement les moins crédibles. Les évolutions géopolitiques transmises par bribes via les rares moments où la communauté réussit à avoir des nouvelles du monde extérieur sont tristement crédibles (une gestion du problème qui fait penser à celle du covid…), et la façon dont le livre plonge le lecteur dans le point de vue de Jack pour l’en arracher sur le dernier court chapitre fonctionne assez bien.

Je recommande.