Archives par mot-clé : roman français

W ou le souvenir d’enfance, de Georges Perec

Roman français de 1975. Le livre alterne entre deux narrations. D’une part, des chapitres décrivant les fragments de souvenirs que Perec a de son enfance, les quelques souvenirs de ses parents et ceux de ses familles et lieux d’accueil pendant la guerre, en mettant en avant les contradictions et les possibles reconstitutions a posteriori. D’autre part, des chapitres écrits en italiques racontant deux histoires. D’abord la mission confiée à un déserteur de retrouver l’enfant dont l’identité a servi de base pour créer les faux papiers qu’il utilise. Puis la description en suivant les codes de l’utopie d’une île au large de l’Amérique du Sud, qui abrite une société autarcique tout entière consacrée à l’organisation permanente de compétitions sportives. Sauf qu’il s’avère assez rapidement que les compétitions sont truquées, les athlètes tenus en esclavage, et que le tout tient plus des Hunger Games que des Jeux Olympiques. W s’avère une métaphore de l’idéologie nazie et des camps.

J’ai bien aimé, la structure est intéressante, le sujet aussi, avec la mise en parallèle de la mémoire personnelle (ou de son absence) et du système responsable de la disparition de ses parents. J’ai vu des parallèles avec Les Vestiges du jour à la fois dans l’arrière plan de la seconde guerre mondiale et dans le narrateur non-fiable qui petit à petit en revenant sur ce qu’il dit introduit de nouveaux éléments qui font reconsidérer ce qui avait été affirmé à la base.

La Familia Grande, de Camille Kouchner

Autofiction française de 2021. Camille Kouchner retrace le fonctionnement de sa famille, et notamment des vacances à Sanary-sur-mer organisées par son beau-père Olivier Duhamel, fonctionnant comme une sorte de cour, rassemblant autour de lui des personnes in de la gauche française dans une atmosphère très libérée et exigeante intellectuellement. Sauf que ce milieu permissif sert notamment à tolérer un certain nombre d’agressions sexuelles, au premier lieu desquelles l’inceste commis par Olivier Duhamel sur son beau-fils.

Je comprends évidemment l’intérêt de dénoncer ce qui s’est passé et le fonctionnement plus général qui a permis que ça arrive et que le secret (partagé) soit gardé pendant aussi longtemps, mais je suis perplexe sur l’intérêt de faire ça sous la forme d’un livre. L’intérêt littéraire de l’objet me semble assez inexistant, avec des personnages qui sont tous des représentants d’une gauche caviar assez insupportables.

Connemara, de Nicolas Mathieu

Roman français paru en 2021. On suit en parallèle et dans le désordre la vie de deux Lorrain.es : Hélène, transfuge de classe qui est devenue cadre dans des cabinets de conseil et qui est revenue dans la région avec mari et enfants ; et Christophe, ancienne gloire de l’équipe de hockey qui est resté toute sa vie sur place, est commercial pour une boîte de nourriture pour animaux et se remet au hockey pour retrouver les sensations de liberté de son adolescence. Nicolas Mathieu déroule leurs enfances et adolescences parallèles, comment leurs trajectoires se croise avant de se perdre de vue, les choix, joies et renoncements qu’on vécu les deux. Puis à l’âge adulte ils se recroisent, et commencent une liaison, pendant que le récit dépeint leurs vies, le sens qu’ils y mettent, de quoi est fait leurs quotidiens.

J’y ai trouvé quelques longueurs et par moment des tournures de phrase un peu trop « oulala j’écris en mélangeant les registres de langue ». Ça ne m’avait pas du tout dérangé dans Leurs Enfants Après Eux, mais là c’est un peu trop flagrant par moment. Un peu trop de scènes de sexe à mon goût aussi.

Mais globalement le roman est réussi, la conclusion notamment rattrape beaucoup, il y a a de très bons passages. Ça tombe pile au bon moment dans toute la description des cabinets de conseil qui vendent du vent réorganisationnel aux administrations publiques, avec le scandale sur les milliards que leur a filé l’État dans la vraie vie. Les passages sur l’envie de retrouver des moments où le temps s’écoule lentement comme durant l’enfance ça me parle beaucoup aussi.

Je recommande.

La Modification, de Michel Butor

Roman français publié en 1957. On suit un homme lors d’un voyage en train de Paris à Rome. Le roman est narré à la seconde personne du pluriel, et au cours du voyage le flux de conscience du personnage principal ne va pas cesser d’osciller entre les différentes fois où il a fait ce trajet, ses différents séjours à Rome et sa vie à Paris. Le trajet va aussi progressivement modifier son état d’esprit et il va arriver à Rome en ayant décidé de prendre la décision inverse de celle qui l’avait motivé à entreprendre le trajet.

C’était bien. Je l’ai commencé dans un train pour ajouter une petite couche de méta, mais clairement le rapport au voyage en train des années 50 n’est pas le même que celui qu’on a en 2021. Le Paris-Rome dure pas loin de 24h, le narrateur est dans un wagon de 3e classe, il prend des tickets repas pour aller au premier ou au second service du wagon restaurant. L’intérêt principal du récit se situe dans les sauts temporels de la narration qui collent au plus près au flux de conscience du protagoniste, et qui se font sans être annoncés, avec juste des juxtapositions indiquées par des variations de la météo, de la luminosité, de l’horaire de passage dans une gare (quand c’est un voyage différent qui est évoqué, c’est plus apparent quand on passe à un séjour à Rome). On a même des fragments de rêve du personnage qui viennent s’intégrer au récit quand il somnole, qui se distinguent du reste de la narration par l’usage d’une narration à la troisième personne plutôt qu’à la seconde.

Plutôt que d’autres roman, la façon dont les lieux convoquent différentes couches de souvenirs ou d’époques m’a évoqué le jeu vidéo Return of the Obra Dinn. On retrouve ce même mécanisme de navigation entre plusieurs époques, et la façon dont l’histoire nous est dévoilée progressivement au cours du roman fonctionne de façon similaire au déverrouillage de nouvelles zones dans le jeu vidéo.

La Place, d’Annie Ernaux

Court texte de 1982 qui revient sur la vie du père d’Annie Ernaux. L’autrice raconte la jeunesse de son père dans la campagne normande, sa vie sous l’Occupation, les magasins successifs qu’il tiendra avec sa femme. Elle raconte le rapport de ses parents à la réussite sociale, à son éducation à elle, la distance qui se creuse avec son père quand elle devient enseignante.

C’était court, j’ai l’impression que le livre gagne à être lu une fois qu’on a lu d’autres textes autobiographiques d’Ernaux (je recommande toujours Les Années) qui donnent du contexte à celui-ci, sinon c’est un peu trop fragmentaire. Mais il est intéressant à lire, je le rapproche de Qui a tué mon père ? d’Édouard Louis pour le côté biographie du père + réflexion transclasse

La Maison, d’Emma Becker

Roman français de 2019, autobiographique (ou autofictionnel). La narratrice relate ses deux ans à travailler en tant que prostituée dans une maison close berlinoise, expérience qu’elle a apprécié (dans le second bordel qu’elle a fréquenté, le premier étant plus glauque et sans solidarité féminine). Il y a quelques passages intéressant du point de vue du fond et de la forme, mais sur l’ensemble du roman je n’ai pas été passionné, ça se regarde un peu trop le nombril et ça parle un peu trop de sexe (ça se regarde un peu trop la vulve, quoi). Pour le second point ça pourrait sembler obligé vu le sujet, mais au contraire, ce sont les passages qui ne parlent pas de sexe mais de relation humaine autour, avec les clients ou avec les autres prostituées ou autres employées du bordel qui sont les plus intéressants.

Quinzinzinzili, de Régis Messac

Nouvelle de post-apo française de 1935. Régis Messac imagine en 1935 une seconde guerre mondiale qui éclate l’année même, opposant Allemagne, Japon et Angleterre à la France, l’URSS et les USA. Peu importent les détails du conflit, l’usage d’une arme secrète vient bientôt éradiquer les deux camps entièrement, en répandant du gaz hilarant en quantité mortelle sur tous le globe.

Le narrateur survit parce qu’il était en train de faire de la spéléo dans une grotte en tant que moniteur d’une sortie d’un sanatorium pour enfants. De ce qu’il en sait, l’Humanité se réduit désormais à lui et une demi-douzaine d’enfants, qui régresse à un stade d’intelligence inférieur, s’inventent une espèce de patois pour communiquer et s’encombrent de toute une superstition qui prend de plus en plus de place.

C’est un texte assez misanthrope, avec un narrateur sévèrement déprimé qui méprise totalement les gamins qui constituent les derniers représentants de l’Humanité. La nouvelle décrit leur vie dans ce monde bouleversé, et les relations violentes entre les membres de la communauté, jusqu’à la mort du narrateur. C’était intéressant comme exemple d’une SF post apocalyptique d’époque, mais c’était pas un texte incroyable en soi.

Les enfants sont rois, de Delphine de Vigan

Roman français de 2021. On suit l’histoire de la disparition de Kimmy, enfant-star d’une chaîne Youtube familiale, où la mise en scène de Kimmy et de son frère dans des vidéos d’unboxing et de Buy everything challenge assure un revenu confortable à l’ensemble de la famille. L’enquête sur la disparition permet à l’auteure de détailler le fonctionnement de cette économie des chaînes youTube mettant en scène des enfants pour un public lui aussi composé d’enfants.

Je n’ai pas été convaincu par le roman. Le sujet est intéressant, mais la mise en scène dans cette forme fictionnelle, et encore plus la conclusion dix ans dans le futur ne m’ont pas du tout embarqué. Le passage sur le passé de la mère de famille était intéressant, celui de la policière par contre était totalement anecdotique. Je pense que de façon générale, un texte purement documentaire sur le sujet aurait été plus intéressant.

Leurs enfants après eux, de Nicolas Mathieu

Le récit des trajectoires de plusieurs familles d’une vallée minière de la Lorraine, qui s’entremêlent durant 4 étés, en 1992, 1994, 1996 et 1998. On suit surtout les péripéties quotidiennes de trois adolescents du coin, Anthony, Hiacine et Steph’, alors qu’ils grandissent dans le désœuvrement qui caractérise la région. Anthony et Hiacine sont deux fils de familles pauvres, l’un blanc l’autre maghrébin. Steph’ est la fille d’une famille riche. On voit la reproduction sociale s’opérer sur eux, on voit les galères de leurs familles, l’emprise de l’alcool et des jobs de merde, la facilité du trafic de drogues et la galère qu’est la vie dans une région désinsdustrialisée pour les familles ouvrières, les petits arrangements quotidiens.

L’écriture en quatre partie étalées sur 6 ans permet de montrer les évolutions de trajectoire, les déviations puis retour dans la norme. Au delà des ados que l’on voit évoluer de leur 14 à 20 ans, on voit aussi les trajectoires de leurs parents, surtout la famille d’Anthony et un peu le père de Hiacine. On voit aussi le cercle social des trois personnages les plus mis en avant, qui ont des destins similaires à eux mais avec leurs idiosyncrasies. A lire en venant d’un milieu plus favorisé et urbain, y’a un petit côté mauvaise conscience du style « purée j’ai bien de la chance d’avoir échappé à ça ». Le fait de focaliser la narration sur les étés, les moments ou l’ordinaire de la vie de l’année est suspendue est intéressant, ça permet d’en faire des sortes de parenthèses ou le champ des possibles s’ouvre, ou celles et ceux qui sont partis faire des études ou travailler loin de la vallée y reviennent ponctuellement et croisent ceux qui ne sont jamais partis.

Je recommande si vous aimez le réalisme social.

Né d’aucune femme, de Franck Bouysse

Roman français. Dans une époque indéterminée, Rose, fille de paysan, est vendue par son père à un châtelain local pour devenir sa domestique, dans une atmosphère hostile et violente. On suit principalement le point de vue de Rose mais aussi ponctuellement celui de quelques personnages secondaires.

Je n’ai pas aimé. L’histoire est assez glauque et sans grand intérêt, avec des révélations qui tombent pas mal à plat. Et j’ai trouvé le style d’écriture très artificiel.