Portraits d’une dizaine d’éditorialistes français⋅e⋅s (Natacha Polony, Plantu, Jacques Julliard…) pour montrer leurs obsessions et leur alignement sur l’islam et le néolibéralisme (scoop, ils n’ont pas le même point de vue sur les deux thèmes). C’est intéressant dans l’absolu mais je n’ai pas été très convaincu par la forme, des portraits et des citations des éditorialistes en question. C’est intéressant par effet d’accumulation, mais j’aurais préféré une analyse plus en profondeur, comme par exemple dans Les Nouveaux Chiens de Garde.
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L’établi, de Robert Linhart
Après mai 68, pour favoriser la convergence des luttes entre étudiants et ouvriers et pour participer à l’organisation du mouvement ouvrier, plusieurs intellectuels/étudiants/militants de gauche des classes moyennes décident de se faire embaucher en usine pour partager le quotidien des ouvrièr·e·s. Robert Linhart a été un de ces intellectuels établis. Il raconte ici son passage dans l’usine Citroën de Choisy, comment il a participé à l’organisation d’une grève de débrayage, comment il a vécu le travail à la chaîne, les solidarités ouvrières, la répression par l’encadrement. Ça se lit vite et c’est super intéressant, grosse recommandation.
Le Mythe de Sisyphe, d’Albert Camus
Dans cet essai, Camus tente de répondre à la question « si la vie, l’univers et le reste n’ont aucun sens, pourquoi vivre ? »
Déjà il pose le fait que la vie n’a effectivement pas de sens, s’il n’y a pas de puissance supérieure, de plan divin ou de vie après la mort. On ne vit pas pour se comporter suffisamment bien pour accéder au niveau suivant ou en suivant une morale extérieure ou de façon à remplir tels ou tels objectifs, juste on vit, et au bout d’un moment on arrête de vivre, merci au revoir. Mais on voudrait perpétuellement trouver un sens aux choses. Camus appelle ça l’absurde, et note que c’est suffisamment gênant et angoissant pour que la plupart des gens décident de ne juste pas regarder en face l’idée de la mort, et vivent comme si ça devait durer toujours, en accumulant du capital, des expériences, en planifiant pour plus tard… Il y a des stratégies d’évitement par les loisirs, pour éviter la dissonance cognitive. On peut aussi croire en des trucs plus grands que l’individu (religion, descendance, société (même si à part pour la religion, en considérant que l’espèce est mortelle aussi c’est juste repousser le problème). On peut aussi décider que c’est trop compliqué, inappréhendable et que l’on vit tant qu’on peut et qu’on verra quand ça viendra pour la mort.
Bref, si on regarde le fait de la mortalité en face, si on fait doit faire des sacrifices, gérer des trucs, s’emmerder avec de la logistique pour juste mourir à la fin, pourquoi ne pas sauter les péripéties et directement mourir ? Est-ce que philosophiquement ce ne serait pas plus cohérent ? « La vie n’a pas de sens donc merci mais non merci. » Bah après avoir quand même pas mal orienté la discussion vers là rhétoriquement, Camus nous dit « Eh bah non, pas du tout les gars ! »
Au contraire, c’est précisément parce que la vie n’a pas de sens préétabli qu’elle vaut le coup d’être vécu. Elle échappe à toute logique qui la transcenderait, c’est une occasion unique de faire absolument ce qu’on veut en suivant sa propre boussole interne (ie pas « Absolument tout est permis et personne peut rien te reprocher », mais « Tu juges en ton âme et conscience ce que tu veux faire et ce que tu es prêt à accepter comme conséquence de la société/du monde physique. »)
En résumé :
Bref, ok, mais je trouve pas que Camus fasse l’argumentaire le plus convaincant en faveur de ce point de vue (typiquement le tumblr post plus haut y réussit vachement mieux à mon sens).
La suite de la thèse de Camus c’est qu’il faut tendre à optimiser la durée de vie consciente, ie où l’on sait que l’on est vivant mais qu’on mourra un jour et que chaque instant est unique et précieux (YOLO Camus, I guess), et être sans cesse dans cette tension plutôt que vivre dans la routine. Ok mais ça doit être épuisant à faire. Et est-ce que ça justifie pas de tout faire pour faire advenir le transhumanisme pour étirer encore sa durée de vie et donc sa durée de vie consciente ?
Ensuite Camus analyse deux-trois modes de vie qui illustrent cette vie consciente : l’acteur, le conquérant et le séducteur. Et là je dois dire que ça devient juste du bullshit.
Puis ça finit sur une comparaison de l’absurde de la vie au châtiment de Sisyphe (d’où le titre du bouquin) : la vie n’a pas plus de sens que monter un rocher en haut d’une montagne pour le voir redescendre aussitôt, mais il faut considérer que Sisyphe est heureux pendant qu’il redescend chercher son rocher… Well… OK ? Désolé mais je vois pas ce que tout le monde trouve à cette comparaison, ça pue le faussement profond pour moi : Sisyphe il n’est pas là sans contrainte, il est précisément soumis à une volonté divine et c’est un châtiment. Et il est là pour l’éternité, il ne se débat pas avec le concept de faire ça sur une courte période de temps avant de disparaître pour toujours. Il ne choisit pas en son âme et conscience le chemin qu’il veut prendre et les actions qu’il exécute, il est le jouet du destin. Bref, il faut imaginer Sisyphe heureux, et sans dieux, et volontaire, et mortel. On peut pas juste imaginer un autre gars du coup ? Ce sera plus simple.
Mes Cahiers Rouges, de Maxime Vuillaume
Le récit partiel par un des participants de la Commune de ce qu’il a vu et connu pendant la fin de la Commune et la Semaine Sanglante, puis l’exil subséquent. Un gros travail de reconstitution des événements, avec des entretiens avec de nombreux autres protagonistes côté Communard.
C’est assez étonnant comme document, notamment parce que personnellement je n’avait pas idée que Paris était déjà si proche de sa configuration actuelle (mais c’est logique, c’est post-Haussmann et il y a 150 ans seulement). Notamment tout le premier cahier est le récit de comment l’auteur échappe à la Semaine Sanglante, et se déroule dans les quartiers où j’ai fait mes études. Le début est très intéressant, la fin se perd un peu dans des détails ou précisions sur telle ou telle personne. Après ce n’est pas une histoire de la Commune, du coup sans avoir une idée de ce qui s’est passé ça reste un peu obscur, ça vaut le coup d’aller lire la page wikipédia de la Commune avant. Et y’a aussi des trucs et personnes de la Commune qu’il n’évoque pas du tout, je pense parce qu’effectivement il n’a pas interagi avec, notamment Louise Michel.
Smart, de Frédéric Martel
Essai sur l’usage d’Internet à travers le monde, dont la thèse est que ces usages varient considérablement en terme de censure, de services utilisés, de sites consultés, en fonction des différents territoires géographiques, linguistiques, communautaires, au point qu’il faudrait parler des internets plutôt que de l’Internet unique. Intéressant mais inégal, il y a des moments où Martel est trop dans le descriptif (voire dans le narratif, à la Robert Fisk (paie ta comparaison compréhensible par quatre personnes) et pas assez dans l’analyse. « Là y’a ça ». Eh bah c’est super.
Plus pertinent quand il parle spécifiquement des modifications de la façon dont on consomme la culture avec Internet, ce qui à l’air d’être plus son turf.
Shop Class as Soul Craft de Matthew B. Crawford
Un essai d’un mec qui a bossé dans un think tank avant de dire « Fuck it » et de partir ouvrir un atelier de réparation de motos. Des réflexions sur l’intérêt du travail manuel, sa place dans la société, la question des professions automatisables ou non, ce que le travail manuel permet comme réflexion sur soi et comme rapport au monde. C’est intéressant, j’ai surtout apprécié le début, après j’ai trouvé que ça partait un peu plus dans tous les sens mais globalement c’est une lecture que je recommande et dans laquelle je me reconnais.
The Smart Girl’s Guide to Privacy, de Violet Blue
Un bouquin sur comment protéger sa vie privée tout en continuant à utiliser les technologies numériques, avec un focus spécifique sur les problèmes que l’on rencontre quand on est une femme en terme de harcèlement, revenge porn et autres joyeusetés du même genre. C’est accessible à tou.te.s, bien écrit, avec différents niveaux de techniques à mettre en œuvre selon son niveau en informatique.
Démocratie Antique et Démocratie Moderne
Le texte d’une conférence de Moses Finley parlant des différences entre les deux systèmes que l’on met derrière le même mot. Parce que la démocratie athénienne, notre modèle applaudi, se passe au sein d’une plus petite société, dont le système économique repose sur l’esclavage, ou seul les hommes votent, ou les mandats sont tirés au sort, ou la justice est rendue par les mêmes personnes que l’assemblée législative et où tous les procès sont intentés par des citoyens privés en leur nom propre. Pas tant un modèle que quelque chose de complètement différent, donc.
Révolution, d’Emmanuel Macron
Je le lis pour me faire une idée sur ses positions, même si je me doute qu’il est bien trop à droite pour moi.
Globalement c’est juste décevant en fait. C’est pas original, y’a de grosses ficelles rhétoriques, et c’est très largement à quelques mesures près un programme de droite, favorisant celles et ceux avec du pouvoir et du capital. Beaucoup de lyrisme, de références littéraires, de storytelling, mais peu de chiffres, zéro budgétisation. C’est sûr que c’est plus facile de présenter une « vision » qu’un projet détaillé. Pas mal des trucs présentés ne dépendent pas du tout du président ou du gouvernement (mais plutôt de l’UE, de la société civile, des élus locaux…). Malgré le titre, rien de révolutionnaire. Que des propositions vues ailleurs, même le positionnement politique est préexistant (chez NKM notamment). Grosse déception sur l’écologie, que du greenwashing. Déception sur le revenu de base aussi, totalement évacué comme opposé à l’idée même de travail. Sur entreprise/emploi, sans surprise en faveur de dérégulations massives. Ça va profiter aux patrons, peu de chances que bénéficie à l’emploi et aux employé⋅e⋅s par contre. Sur le sécuritaire, moins pire que d’autres, il est notamment pour la fin de l’État d’urgence [EDIT 07/2017 on voit ce que ça a donné].Ça reste pas folichon, pas de compréhension des causes du terrorisme.
Sur l’éducation et la politique de la ville/des territoires, des propositions intéressantes, mais seront-elles vraiment appliquées ? Globalement, beaucoup de communication et peu de fond. Somme toute, un candidat de centre-droit classique, clamant être atypique pour des raisons purement marketing.
Le Capital, version manga
Une forme plus légère à lire que le texte original de Marx.
Globalement je connaissais déjà pas mal des concepts exposés dedans. J’avais tenté de lire Le Capital à une époque mais c’est assez largement imbuvable, je dois dire. Le livre 1 tel que présenté dans cette version ne m’a pas apporté grand chose, le second était plus intéressant, mais je suis perplexe sur la notion que la plus-value ne peut venir que de la variable d’ajustement salaire. C’est peut-être juste une différence d’époque, mais pour moi si le travail est bien à l’origine de la création de valeur, ce travail peut être effectué par des machines (voire des robots), c’est bien toute la question de la robotisation actuelle de la société.