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Le Propre et le Sale, de Georges Vigarello

Essai sur l’évolution de l’hygiène corporelle depuis le Moyen-Âge.
C’est assez intéressant, ça montre comment il y a toute une construction sociale de l’hygiène et de la notion de propreté qui varie avec le temps et qui est essentiellement basée sur des normes sociales.
La propreté est d’abord associé aux habits visibles, avec une notion de maintien de la tenue : il faut des étoffes de bonne qualité et en bon état, avec des notions de richesse qui viennent s’en mêler.
Puis il y a un déplacement sur le linge de corps et sur sa blancheur apparente, là aussi qui est mêlée à la qualité du tissu. Ce linge qui était avant une sous couche des vêtements devient visible (chemise qui dépasse des habits la recouvrant aux poignets et au col, notamment, avec éventuellement de fausses manchettes amovibles, il y a vraiment une notion d’apparence). Pendant tout ce temps la propreté du corps lui même n’est pas un sujet, il s’agit de changer de linge quand il est sale, parce qu’il absorbe la saleté. l’eau est mal vue, comme un élément qui affaiblit les barrières cutanées.
Passage à une hygiène du corps et à une vision positive de l’eau, avec une méfiance quand même qui reste sur l’eau chaude qui amollirait les esprits/aurait un caractère sensuel qui corromprait.
Introduction d’une vision d’ingénieurs urbanistes vers les années 1830-50 en France avec la création de circuits de canalisations pour apporter l’eau jusqu’aux maisons de façon systématiques (par opposition aux bains apportés par baquets). Introduction aussi d’une éducation des dominés à une hygiène imposée d’en haut : relayé par l’éducation dans les école, par des manuel d’hygiène. Apparition d’une opposition entre la pratique du bain dans une salle de bain privative, moment d’intimité, au niveau des classes bourgeoises, et d’une pratique de la douche, d’abord dans des établissements collectifs (prisons, casernes, internats, puis bains-douches), avec des cabines alignées, une eau et un temps rationnés, du côté des classes populaires.

Le livre ne parle pas de la réappropriation des douches par la bourgeoisie avec des douches plus luxueuses, parce qu’il s’arrête avant, mais ce serait dans la droite ligne.

Globalement c’était fort intéressant, un peu aride à lire cependant.

La Communication non-violente, de Marshall D. Rosenberg

Court livre sur les principes de la communication non-violente. Pas convaincu par la forme du livre, et ça mériterait plus de contexte sur quand il est pertinent ou non d’utiliser ce type de communication spécifiquement (typiquement, ça suppose de la bonne volonté de la part des deux interlocuteurs et des intérêts de long terme convergent, c’est pour améliorer la communication avec vos proches, pas dans les négociations salariales. En gros si tu précises pas les limites d’applicabilité ça devient un concept fortement centriste où le seul problème c’est de mettre tous les éléments sur la table et ensuite un compromis entre gens raisonnables et une solution optimale pour tou.te.s peuvent toujours être trouvés).

Cela dit, les principes présentés sont intéressants :
– Bien distinguer l’énonciation de faits de l’énonciation d’opinions sur ces faits, pour séparer le subjectif de l’objectif dans le discours.
– Expliciter son ressenti sous forme de sentiments précis (et qui soient des sentiments, pas une interprétation du comportement des autres : « je me sens incompris » ça marche pas, « je me sens en colère/triste parce que j’ai l’impression de ne pas être compris » oui), et en exposant ce qui a provoqué ce sentiment (la partie « parce que je ». L’auteur insiste sur le fait que le « parce que » doit être suivi de « je » : on est dans les opinions, on reste à parler de son ressenti.)
– Expliciter ce qu’on demande aux autres/ce qu’on attend d’eux, en étant le plus précis possible (ne pas dire « je voudrais que tu passes moins de temps au boulot » pour « je voudrais qu’on passe plus de temps ensemble »). Après je suis d’accord que c’est bien d’expliciter et d’être clair, mais c’est volontairement ignorer qu’il y a plein de motifs de communication qui par politesse/convention passent par de l’implicite et du sous-entendu.
– Enfin, accepter que les gens puissent ne pas répondre positivement à notre demande parce qu’ils ne sont pas en état de le faire (et c’est là où pour moi du coup ça limite vachement le contexte dans lequel c’est applicable en nécessitant que les deux interlocuteurs soient de bonne foi à la base).

La Révolte des Premiers de la Classe, de Jean-Laurent Cassely

Livre analysant le phénomène des personnes qui après avoir fait des études (et souvent quelques années de travail) orientées vers des parcours de cadres d’entreprise, décident de se réorienter vers des métiers plus manuels type garagiste, patissièr.e, vendeu/se/r en commerce de détail.

Le livre regarde quelle proportion des promotions de cadres font cette réorientation (une fraction, mais la France étant massivement cadrifiée, ça fait quand même des contingents non-négligeables), les raisons qui les ont poussés à (volonté de retrouver du sens dans le travail, sens perdu dans les métiers de cadre en raison de la bureaucratisation/mondialisation/financiarisation de l’économie), et quels nouveaux profils ça donne. Les deux points les plus intéressants sont pour moi que si ce mouvement est rapproché de celui du retour à la terre des années 60, d’une part il est fortement urbain contrairement au Retour à la Terre, et d’autre part il ne conteste pas le système : les « révoltés » veulent plus de sens dans leur travail personnel mais ils s’insèrent très bien dans une économie capitaliste, souvent même elle est assez indispensable à leurs nouvelles carrières, où ils vont se poser en curateurs et curatrices éclairé.e.s de produits, qu’iels vont proposer à la vente à leurs pairs CSP+, en jouant sur le côté « produit de qualité et d’exception, distinction de la masse, storytelling de la marchandise ». Ça nécessite donc une « élite éclairée » à qui vendre ces produits, avec un bon pouvoir d’achat. Ça n’est pas le cas de toutes ces reconversions (on peut aussi devenir garagiste avec des tarifs sociaux), mais c’est très facile d’introduire ces trajectoires dans la gentrification. Pour moi qui correspond pas mal à ce modèle, se pose donc la question de comment, si j’ai envie de me lancer dans ce genre de reconversion, le faire en promouvant plutôt des valeurs de gauche.

Le second point intéressant, lié au premier, est que ces « nouveaux manuels » intègrent toutes les compétences de leur parcours CSP+ dans leur nouveau métier ; des compétences de marketing, business plan, graphisme, mais aussi l’ethos des CSP+. Ils font donc advenir une montée en gamme des métiers manuels, et les CSP+ qui vont devenir leurs clients vont en général avoir plus envie de parlers aux « manuels CSP+ » qu’aux gens qui font un métier manuel après un parcours classique, pour des questions de proximité. Du coup, il y a un risque (sur le long terme, certes) de « gentrification des métiers », où pour investir ces métiers il faudra la double compétence grandes études/qualifications manuelles.

Politiques de l’extrême-centre, d’Alain Deneault

Court livre d’une soixantaine de pages qui met en lumière le paradoxe qui voudrait que les positions centristes soient raisonnables et modérées parce qu’une synthèse ou un compromis entre deux positions opposées. Sauf que dire que puisque c’est au milieu c’est bien, dire que ne pas prendre de positions fortes pour faire changer les choses dans une direction est en fait une position politique très forte, et s’y tenir à tous prix est en fait un extrême aussi.
Intéressant, après le texte un peu court.

Gentrifications, de Marie Chabrol, Anaïs Collet, Matthieu Giroud, Lydie Launay, Max Rousseau et Hovig Ter Minassian.

Ouvrage collectif analysant les processus de gentrification à l’oeuvre dans différents quartiers en Europe. L’ouvrage mélange des analyses sociologiques et géographiques, pour défendre la thèse qu’on peut difficilement parler de LA gentrification : le processus, même s’il garde sa caractéristique centrale de l’installation dans un quartier de population avec un capital (financier, culturel) plus important que les populations déjà en place, est très divers.
Il peut être initié par des politiques publiques (qui le voient comme un instrument de renouvellement urbain), par différents acteurs privés (cadres sup, artistes, agents immobiliers), être encouragé ou rejeté par les populations déjà présente, aller jusqu’à son terme ou s’arrêter en chemin… Il touche différemment les îlots d’un même quartier, les immeubles d’un îlot selon leur position, les appartements d’un immeuble selon leur hauteur.
Un peu frustrant dans la diversité qu’il propose et l’exposition de situations locales par rapport à un ouvrage qui proposerait des lois générales applicables partout, mais c’est précisément sa thèse…

Sorcières, la puissance invaincue des femmes, de Mona Chollet.

Essai qui parle des chasses aux sorcières de la Renaissance, de la figure de la sorcière dans la culture générale, et partant de là explore les questions de la place des femmes âgées dans la société et des médias, des femmes indépendantes, du mariage et de la maternité comme institution, et globalement de la place laissée aux femmes dans la société et de la pression mise sur elles pour qu’elles soient dépendantes de pouvoirs extérieurs plutôt que de pouvoir décider de leurs vies par elles-mêmes.

Comme toujours chez Mona Chollet c’est fort intéressant même si parfois j’aimerai une structure d’essai plus classique avec des thèses bien énoncées et des petites conclusions partielles, c’est mon côté scolaire.

Boulots de merde !, d’Olivier Cyran et Julien Brygo

La thèse du livre est une extension du concept de bullshit jobs de David Graeber. Pour les auteurs, d’une part Graeber se focalise trop sur la catégorie des emplois de bureau, et d’autre part, à l’importation de sa pensée en France, ce qui a été mis en avant c’est le côté « boulot vide de sens au quotidien dans lequel son porteur se fait chier ». Du coup on parle d’employé.e.s de bureau avec rien à faire de leurs journées : certes c’est triste pour elleux, mais s’els le font avec un salaire décent et dans des conditions qui n’attente pas à leur santé, y’a pire, c’est limite un problème de riches. Boulots de merde ! recentre donc la réflexion sur deux points différents : les boulots merdiques à vivre parce qu’ils se font dans des conditions atroces (femmes de ménage, hotesse d’accueil…) et les boulots avec une utilité sociale nulle voire négative (expert en optimisation fiscale), voire les deux (sous-traitants privés chargés de chasser les migrants à la frontière franco-anglaise). Ils détaillent le précariat, les joies de l’auto-entreprenariat, la dégradation des conditions via les sous-traitances en cascade, le délabrement progressif de certains secteurs (les postiers notamment) avec l’imposition du lean management.

Les témoignages sont intéressants et globalement je suis content d’avoir lu le livre, mais une approche un peu plus sociologique aurait été bienvenue. Et je suis pas ultra fan du style d’écriture des auteurs, mais ça c’est assez disjoint du propos.

Manifeste Négawatt, de l’association éponyme.

Essai sur une trajectoire potentielle de transition énergétique pour la France à l’échelle 2050, visant à sortir conjointement du nucléaire et très largement des énergies fossiles, avec pour axe principal une réduction de la consommation d’énergie. Le livre balaie tous les domaines de consommation et de production d’énergie, en mettant en avant des principes de sobriété, décarbonation, subsidiarité de la décision. Le manifeste s’appuie à un scénario simulant la consommation énergétique française heure par heure jusqu’en 2050, considère les différents types d’énergie et leurs usages, les questions de perte en ligne, de fiscalité et taxation incitative, d’indépendance énergétique…

C’est intéressant, fort complet, et une excellente base de réflexion. Je vais essayer de lire ausi le scénario Afterres 2050, sur l’usage des sols en France en 2050, construit avec le même genre de démarche.

Ne suis-je pas une femme ?, de bell hooks

Essai afro-féministe de 1981. bell hooks analyse comment le racisme et le sexisme s’entrecroisent dans la vie des femmes noires aux États-Unis, pour générer une forme d’oppression spécifique aux femmes noires : elles ne subissent pas les mêmes oppressions racistes que les hommes noirs d’un côté et les mêmes oppressions sexistes que les femmes blanches de l’autre : elles sont en prise avec des stéréotypes, des violences qui leur sont propres. Par exemple pendant la période de l’esclavage, il y avait des violences sexuelles envers les femmes noires qui étaient considérées comme des corps à disposition des hommes blancs (amplifié par le fait que leurs enfants naissant esclaves, c’était avantageux pour les propriétaires…), leur valant l’hostilité des femmes blanches, les considérant comme sexuellement permissives, plutôt que de faire preuve de solidarité féminine.
bell hooks montre aussi que la prétention à l’universalisme des mouvements féministes initiés par des femmes blanches et bourgeoises qui prétendent parler au nom de toutes les femmes masque en fait un discours très situé socialement, et qui refuse (dans la plupart des cas) de prendre en compte d’autres problèmes que ceux de ces initiatrices (tout en se lamentant de ne pas réussir à intéresser d’autres groupes sociaux). Par exemple, la réclamation à l’accès au travail à certaines époques était en fait une réclamation de l’accès pour les femmes bourgeoises aux postes de direction : ça faisait longtemps que les femmes noires et des classes populaires travaillaient en usine sans se sentir particulièrement libérées par cet accès égalitaire aux emplois du bas de l’échelle sociale (par contre on retrouvait en plus du racisme dnas ces emplois, avec des vestiaires réservés aux blanches par exemple).

Un peu daté par certains aspects et focalisé sur les USA, mais très intéressant et très accessible, je recommande.