L’Ours et le Rossignol, de Katherine Arden

Roman de fantasy inspiré sur le folklore russe. Au XIVe siècle, la fille d’un seigneur du Nord découvre qu’elle a le don de double-vue : elle peut voir les créatures folkloriques, et les esprits domestiques. Au moment où un ancien esprit maléfique se réveille, le nouveau prêtre du village travaille à détourner les habitants des esprits familiers au profit de la foi chrétienne, affaiblissant leurs défenses.

Des éléments de folklore et de narration qui rappellent les romans de Naomi Novik. On a la même focale sur une héroïne qui se débat avec les conventions genrées de son époque (mais ici elle ne finit pas par tomber amoureuse, c’est bienvenu). Pas beaucoup d’action par contre, le roman est essentiellement l’établissement progressifs des termes de la situation, mais tout se résout très vite, avec une héroïne qui ne fait finalement pas grand chose d’héroïque. Un peu dommage de ce point de vue là. Du coup sentiment un peu mêlé : c’était sympa à lire sur le coup, pas de défauts majeurs, une héroïne attachante, mais on ne retire pas grand chose du roman non plus.

Génération Collapsonautes, d’Yves Citton et Jacopo Rasmi

Essai de 2018 sur la collapsologie. Je n’ai pas été convaincu par tout. Il y a des chapitres que j’ai trouvé très pertinents, et au milieu un ventre mou où j’étais moins convaincu par les concepts mobilisés et le fait qu’ils aient un intérêt au delà du jeu sur les mots.

Pour les parties que j’ai appréciée :

Le livre ouvre sur la remarque que le fait de parler de collapse ou d’effondrement oriente fortement les représentations : un effondrement c’est soudain. Dans Comment tout peut s’effondrer, y’a pas mal de précautions pour dire que les auteurs ne parlent pas forcément de phénomènes soudain, mais de fait avec ce terme c’est forcément ce à quoi on pense. Du coup fantasme de grand renouveau, de tabula rasa, etc. Pour les auteurs, d’autres termes auraient pu être mobilisés, comme « affaissement » ou « délitement ». On est dans des représentations plus exactes. C’est progressif, ça ne touche pas tout le monde, ça peut arriver sur des morceaux de la structure en en laissant d’autres intacts. Ça peut faciliter le fait de proposer des luttes locales contre, pour s’opposer à un effet local du délitement. C’est plus facile de dire qu’on est déjà dans le délitement de nos sociétés que dans leur effondrement, que ce délitement passe par le démantèlement des protections sociales et des services publics. Bref, ça permet d’articuler plus facilement les discours collapso avec les luttes de gauche.

Les acteurs parlent aussi de l’occidentalocentrisme du concept. L’effondrement/délitement de nos sociétés de pays du Nord est le quotidien depuis bien longtemps des pays moins dominants. Faut-il vraiment un nouveau concept pour en parler juste parce que ça nous touche nous ? Parle aussi du concept d’Anthropocène, qu’ils considèrent plus pertinent, en reprenant l’approche d’Anna Tsing et Donna Haraway, de nommer Plantacionocène : les impacts sur la planète ne sont pas dus à tou.te.s les humain.e.s de façon indifférenciée mais au système d’exploitation de l’espace, des humain.e.s, du vivant qu’est celui de la plantation : mettre en coupe réglée un milieu, pour le rendre productif, maximiser son rendement aux dépens de tous les phénomènes complexes qui s’y jouaient et de sa survie sur le long terme.
Détour aussi par l’extraction des savoirs : les luttes indigènes et locales, les savoirs produits par les marges sont récupérés par les grandes université du Nord, pour redynamiser leur cursus et leurs sujets d’études. Dans le savoir comme partout dans le libéralisme, les acteurs dominants bénéficient plus que les autres des productions de tou.te.s, même de leurs opposants (les auteurs remarquent qu’ils sont dans un tel cas avec leurs positions universitaires et l’écriture de ce bouquin).

Autre point d’intérêt : la remarque que l’Effondrement comme horizon inexorable de nos sociétés, en s’appuyant sur les courbes de l’exploitation des richesses, est un retournement du discours sur le Progrès : ce sont les mêmes chiffres qui sont mobilisés dans les deux cas mais pour appuyer un discours différent. L’Effondrement comme point de bascule serait le négatif de la Singularité dans les discours technosolutionnistes et transhumanistes. Les thèses collapso ont aussi un rapport avec la religion, dans leur façon de proposer une vérité révélée suivi par un nombre d’adeptes (ok, après c’est vrai de beaucoup de discours humains, d’avoir des points de comparaison avec un discours religieux).

Les auteurs soulèvent que parler d’Effondrement (plutôt que de Délitement) conduit à se focaliser sur des symptômes ponctuels : une sécheresse, une famine… Et à traiter ces symptômes. On est dans la réponse aux urgences, sans remettre en cause les problèmes systémiques qui les créent.

Enfin, reviennent sur le côté « les courbes montrent que l’on va dans le mur, c’est inéluctable ». Mettre en avant un côté inéluctable de l’Effondrement, c’est dire qu’il n’y a pas besoin de faire la Révolution en quelque sorte : le système s’effondrera de lui-même. On revient un peu aux thèses du jeune Marx sur le Capitalisme qui s’auto-dévore. L’Histoire a montré que c’était pas trop ça. Du coup mieux vaut lutter contre cette vision, ainsi que celle d’un Effondrement qui serait un grand Reset ponctuel qui permettrait de revenir à de meilleures valeurs précapitalisme : déjà parce que la vision d’un Âge d’Or post effondrement ça peut être affreusement réac (cf la fin de Ravage, de Barjavel), et aussi parce qu’on a un bon exemple d’effondrement dans le passé proche : l’URSS. Son délitement n’est pas allé avec la chute de l’État, au contraire c’est bien le truc qui a résisté et le délitement a touché le social. Il est donc important de lutter contre ce Délitement avec un point de vue et les outils de la Gauche, pour limiter la casse.

The Haunting of Tram Car 15, de P. Djèlí Clark

Novella située dans des années 1910 alternatives. 40 ans plus tôt, un scientifique soudanais hétérodoxe a libéré des djinns dans le monde humain. Avec ces alliés surnaturels, l’Égypte a repoussé les Anglais. Le Caire est devenu une ville-monde aussi importante que Paris et Londres. On suit deux employés du Ministère du Surnaturel, qui enquêtent sur une cabine du tram cairote hantée par une entité inconnue, à la veille du vote du Parlement sur le droit de vote des femmes.

J’ai énormément aimé. L’univers est super cool, j’espère que l’auteur reprendra cet univers pour écrire des trucs plus longs. C’est rétro, y’a du féminisme, y’a des personnages attachants, que demande le peuple ?

Krampus, de Michael Dougherty

Film US de 2015, avec Adam Scott et Toni Colette. Les disputes perpétuelles d’une famille durant la période de Noël conduisent le plus jeune membre à souhaiter que sa famille disparaisse. Cet anti souhait de Noël invoque le Krampus, l’équivalent du Père Fouettard dans la mythologie austrobavaroise. Le Krampus va s’emparer des membres de la famille l’un après l’autre, les poussant à s’unir par delà leurs désaccords.

J’ai bien aimé perso. C’est de l’horreur grandguignolesque, le Krampus utilisant des tropes de Noël détournés : il descend par la cheminée, il a des petits lutins maléfiques et des jouets psychopathes qui l’aident. Les acteurs jouent tous bien et y’a des moyens sur les effets spéciaux. Les rôles sont très traditionnels avec les pères qui protègent la famille et se sacrifient ; les femmes se défendent aussi mais sont beaucoup plus dans la réaction. Après bon les films d’horreur sont souvent conservateurs. De la même façon quand la famille parle de s’unir, c’est la famille libérale qui fait un pas vers leurs cousins républicains pour accepter de manier des armes à feu et déclamer « Qu’un berger protège son troupeau ». Meh.

J’ai bien aimé que la fin reste ambiguë, et la séquence de flashback en animation était cool. Par contre dissensus parmi les personnes avec qui je l’ai regardé, certain.e.s ont trouvé que l’humour et l’horreur se neutralisaient l’un l’autre et que ça marchait pas du tout.

The Great Eastern, d’Howard Rodman

Bouquin de 2019 qui pastiche les livres de la fin du XIXe. L’auteur imagine l’affrontement entre le capitaine Nemo et le capitaine Ahab autour de l’enjeu de la pose d’un câble télégraphique transatlantique, et en présentant la carrière d’un bateau réel et emblématique de l’époque, le Great Eastern du titre…

Dit comme ça, ça semble assez alléchant, mais j’ai été assez déçu par l’exécution. L’auteur écrit dans un style d’époque, mais du coup ça donne beaucoup de répétition de tournures de phrases typiques, qui alourdissent la lecture. Le point de vue de la narration bouge beaucoup, avec un narrateur omniscient, un narrateur qui suit un personnage, de la narration à la première personne alternant entre différents personnages, des extraits de journaux intimes et des coupures de presse. Ça fait plus fouillis que dispositif intéressant.

Par ailleurs la narration est incohérente sur certains points – bon déjà elle ne respecte pas le canon alors qu’il y avait clairement moyen de le faire (à mon sens, présenter les événement relatés comme des passages inconnus dans la vie des personnages telle que relatée dans Moby Dick et les œuvres de Verne aurait été plus intéressant, faisant de l’œuvre une insertion dans le canon reliant les deux romans) mais ça c’est un choix, même si l’auteur ne fait pas grand chose de ces divergences. Mais de plus, on comprend assez mal quelles ont été les actions de Nemo par rapport au câble transatlantique : il semble ne s’y attaquer qu’une seule fois, mais en même temps il est sous-entendu que c’est ses attaques précédentes qui ont poussé Field à engager Ahab. Le retournement de situation de la bataille navale semble très gratuit, la fin avec Nemo lors de la Commune de Paris aussi.

Bref, globalement déçu, un gros potentiel gâché par l’exécution.

Patria, d’Aitor Gabilondo

Série espagnole de 2020. La série suit deux époques en parallèle : les semaines qui suivent l’annonce de 2011 de l’ETA de leur renoncement à la lutte armée, et les événements menant à et suivant le meurtre d’un petit patron et père de famille basque, Txato, 20 (checker) ans plus tôt.

J’ai été assez déçu. J’avais été alléché par le pitch, et le premier épisode posait plein de pistes intéressantes, avec la focalisation sur Bittori, la veuve obstinée de Txato qui décide d’obtenir la vérité sur le meurtre de son mari 20 ans plus tard. Avoir une femme de 70 ans comme personnage principal c’était intéressant, la faire enquêter sur un sujet politique sensible c’était super.

Mais en fait, Bittori n’enquête sur rien. La série montre les événements selon une narration non linéaire, mais l’histoire est très manichéenne. Bittori finira par avoir l’info qu’elle veut, mais après avoir écrit deux lettres. Quant à l’exposition d’une situation politique complexe, comment dire.

Je ne demandais pas à la série d’être une grande fresque pédagogique sur l’indépendantisme basque, mais là on n’a aucune idée de pourquoi l’ETA a pris les armes ni des enjeux du mouvement indépendantiste. Le mouvement est présenté surtout via des cellules d’actions composées de jeunes adultes un peu idiots. Il a du soutien dans la population, mais on sait pas trop pourquoi : visiblement les gens trouvent que la lutte armée c’est un peu abusée, mais quand même iels soutiennent. La violence de l’État espagnol n’est pas totalement occultée, mais elle est complètement disjointe de la question de l’indépendance : on a une scène où le GAL arrête la voiture de trois jeunes filles et où ils profitent de la fouille pour les agresser sexuellement, une autre scène de violence policières interminables quand un des ettara est arrêté. En fait on a l’impression que la situation politique est prise comme un état de fait et une toile de fond pour dérouler l’histoire. La série est clairement contre l’indépendantisme, mais je trouve que même dans cette optique elle dessert son propos : ne pas montrer pourquoi certaines personnes se retrouvent à considérer la lutte armée comme acceptable tout en les montrant comme insérées dans leur communauté, ça crée juste une dissonance, le terrorisme devient juste une tradition comme une autre.

Autre problème, les personnages sont pour la plupart totalement unidimensionnels. La famille de Txato ne se définit que par rapport à son meurtre, et Txato lui-même est un saint : après la présentation par les yeux de sa famille je m’attendais à un twist où on montrait que sur d’autres aspects il était moins parfait et que ça expliquait pourquoi il y avait du ressentiment contre lui, mais non, il est désigné comme cible de l’ETA juste parce que les gens sont jaloux et l’imaginent ultra-riche.

Bon qu’est-ce qu’il reste de positif, quand même ? Une série avec des moyens, qui montre des gens avec des têtes qui ne sont pas celles d’acteurs hollywoodiens. De beaux paysages du Pays Basque, on reconnaît les Pyrénées, on voit la côte. Un bon premier épisode, deux actrices principales âgées intéressantes qui jouent bien leurs rôles de mères de famille inflexibles (Bittori et Miren). Une caméra qui fait des plans intéressants (le recul progressif dans le train quand Nerea part pour l’Allemagne), le cadre qui se resserre progressivement sur Miren en excluant Joxian quand ils rendent visite à Joxe Mari en prison pour la première fois). Mais c’est assez frustrant de voir le potentiel qu’avait cette série et qui a été gâché.

Ring Shout, de P. Djèlí Clark

Court roman fantastique. En 1922 aux États-Unis, une organisation clandestine mène la lutte contre un Ku Klux Klan qui s’est allié à des monstres surnaturels. On suit une cellule de combattantes, Maryse, Chef et Sadie, alors qu’elles tentent d’empêcher une projection de Birth of a Nation au sommet d’une montagne avec des propriétés magiques…

C’était très bien. C’est une bonne histoire d’horreur cosmique, on trouve des thèmes lovecraftiens, mais traités du point de vue de l’antiracisme plutôt qu’avec la vision xénophobe de Lovecraft lui-même. Y’a une cohérence stylistique qui était ce qui m’avait manqué dans Lovecraft Country. La description des monstres, axée sur le body horror, est très réussie, surtout celle de la Grande Cyclope. Quelques répétitions dans les passages qui décrivent les moment où Maryse invoque son épée, mais c’est un défaut assez mineur.

Ecotopia, d’Ernest Callenbach

Roman états-unien de 1975. Les trois États de la cote pacifique ont fait sécession 20 auparavant, rompant tout contact avec les États-Unis. Un journaliste new-yorkais est invité à franchir la frontière pour voir comment ce nouvel État, Ecotopia, a évolué durant l’intervalle. Le roman consiste en ses articles très factuels envoyés à son journal aux USA, le Times-Post, et ses notes dans son journal personnel, racontant son histoire plus personnelle.

Ecotopia est un État qui a mis l’écologie au centre de ses préoccupations (avec un débat interne persistant sur la question de savoir s’il est possible de réaliser l' »écologie dans un seul pays »). Le pays a radicalement modifié son fonctionnement, ses taxes, ses rapports sociaux, ses infrastructures pour atteindre un « état stable » de consommation et régénération des ressources naturelles. Au passage, la semaine de 20h a été institué, ainsi qu’un revenu de subsistance universel. Les rapports sociaux se sont apaisés, la production a été socialisée, le parti au pouvoir – le Parti Survivaliste – est dirigé par des femmes.

Ecotopia est une utopie, à laquelle le narrateur va peu à peu se rallier. Les idées écolos présentées sont intéressantes (surtout pour un roman de 75), mais en terme de narration, Ecotopia est trop parfaite pour être intéressante. Certains aspects de la société font penser aux Dépossédés, mais sans la réflexion critique que présente Le Guin. Par ailleurs, en dehors de l’écologie, certains aspects ont mal vieillis : les trips sur la sexualité (notamment le point de vue du narrateur dessus), le passage « ah oui les populations noires ont décidées de se ségréger en cités-États indépendantes », tout n’est pas parfait dans les thèses présentées. Le principe de la double voix du narrateur entre ce qu’il écrit officiellement et son journal intime, et comment les deux se répondent est intéressant par contre.

The Rider, de Chloe Zhao

Film étatsunien de 2017. Brady est un jeune cowboy qui vit au Dakota. Toute son identité et sa sociabilité sont ancrées dans le milieu du rodéo. Au début du film, il se remet d’un accident de rodéo qui lui a causé une fracture du crâne. Il est supposé se reposer et prendre le temps de se rétablir, mais il n’arrive pas du tout à rester éloigné du rodéo : il prend un petit boulot en supermarché, il s’occupe de sa sœur, mais son père qui a quitté le milieu du rodéo est un contre-exemple pour lui, et tous ses amis lui demandent quand est-ce qu’il va se remettre en selle. Il temporise, s’occupe de dresser des chevaux, rachète un cheval pour lui-même, mais même ces activités sont trop intenses physiquement et lui font avoir une nouvelle attaque. Coupé du monde du rodéo, il devient profondément déprimé, et se réinscrit à un rodéo, malgré les risques. Il décide au dernier moment de ne pas concourir en voyant son père et sa sœur dans le public.

C’était assez peu joyeux, mais c’était assez beau. Les personnages sont complexes, ils viennent d’une culture très particulière, sont globalement tous pauvres et pratiquent une activité à risque (le meilleur ami de Brady, Lane, était un des espoirs du rodéo de taureau et est paralysé depuis un accident), qu’ils savent qu’ils devront laisser derrière eux tôt ou tard, mais qui est centrale dans leur vie. La tension que représente pour Brady le fait de devoir l’abandonner est bien retranscrite : on voit que son accident l’a secoué, mais en même temps, il y a jusqu’à des gamins qui viennent lui dire qu’ils sont fans de lui au supermarché, en plus de tous ses amis qui l’encouragent à revenir au rodéo, lui-même aime faire ça, aime les chevaux, s’est construit là dessus. Laisser ça derrière lui est très dur.

Globalement bon film, un côté Ken Loach dans les situations dures montrées, à regarder quand on est plutôt en forme psychique.