Dieu, le temps, les hommes et les anges, d’Olga Tokarczuk

Roman polonais de 1996. On suit sur un demi-siècle la vie dans le petit village polonais d’Antan. Il s’avère qu’Antan est l’axe du monde, et que tout ce qui s’y passe est d’une importance cruciale. Le livre est composé de court chapitres, variant à chaque fois le point de vue. Certains reviennent et sont des fils conducteurs, d’autres ne sont présentés qu’une fois. La majorité sont des points de vue d’humains, mais on a aussi ceux d’objets, d’animaux ou d’anges gardiens. On voit l’influence des deux guerres mondiales sur Antan ainsi que les évolutions propres au village, les mariages, les enfants. Deux éléments de fantastiques parcourent le roman sans être approfondis plus que ça : un des personnages explique à un moment que rien n’existe hors d’Antan et que les gens qui pensent en sortir restent paralysés à la frontière du village et forment de faux souvenirs ; un autre personnage reçoit un jeu qui est supposé représenter la totalité de l’univers et est composé de huit mondes enchâssés successivement créés par Dieu, avec Antan au centre.

C’était sympa à lire, sans être la révélation de l’année.

Un Air de Famille, de Cédric Klapisch

Film français adapté d’une pièce de théâtre du duo Jaoui/Bacri, dans lesquels ils jouent tous les deux. Vendredi soir, petite ville indéterminée du Sud de la France. Comme chaque vendredi Henri accueille son frère, sa sœur et sa mère dans son bar avant qu’ils aillent au restaurant tous ensemble. Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de Yolande, la femme de son frère Philippe, le frère en question est passé à la télé, sa sœur à dit ses 4 vérités à son patron insupportable, et la femme d’Henri a décidé de prendre une semaine « pour réfléchir ».

Ça crie beaucoup. Le film met en scène une famille dysfonctionnelle et ça s’entend. Henri a repris le bar que son père tenait, sa mère voit ça comme un échec, et ne se prive pas de lui faire savoir. Bacri campe un personnage de râleur (surprise) un peu réac mais qui devient attachant quand on voit ses faiblesses : son attachement à son chien paralysé, son désarroi devant le départ de sa femme, sa relation tout en coup de gueule mais néanmoins attachée à son employé (Denis, joué par Darroussin). Le film est un presque huis-clos, logique vu qu’il est adapté d’une pièce de théâtre. Quelques longueurs mais de belles scènes : Bacri qui tente de voir sa femme partie chez une amie, avec tout les gamins qui zonent en bas de l’immeuble qui l’encouragent ; Darroussin et Frot qui dansent ensemble. D’ailleurs le personnage de Catherine Frot est très réussi et très bien joué, j’ai l’impression qu’elle est toujours un peu castée dans le même rôle, mais là elle y ajoute une certaine subtilité – en comparaison avec Cuisine et Dépendances, son personnage de bourgeoise un peu cruche est quand même mieux réussi que celui de Zabou.

Je recommande, si vous n’avez rien contre les gens qui s’engueulent en criant.

Cuisine et Dépendances, de Philippe Muyl

Film adapté d’une pièce d’Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri, où les deux jouent. Un couple tombe par hasard sur un de leurs anciens amis devenu célèbre et l’invite à dîner. On ne voit rien du dîner lui-même, mais tout le contrechamp de la cuisine, où les personnages se croisent et viennent faire des apartés, les relations entre les différents participants étant houleuses. C’était sympa mais de facture très classique, avec des ressorts qui reposent sur le ressentiment et les divergences de vue entre des personnages plutôt à l’aise dans la vie (je ne me remets pas de l’appartement parisien immense), un peu de sexisme gratuit par moment. Une très bonne scène où Bacri tente par téléphone de savoir si un hôtel dispose de chambres libres. Pour un Jaoui Bacri, je recommande plutôt Le Goût des Autres.

Disco Elysium, de ZA/UM

RPG vidéo sorti en 2019. On incarne un détective amnésique qui doit enquêter sur la mort d’un homme retrouvé pendu dans une arrière cour, dans une cité en déliquescence, sur fond de négociations entre une entreprise transnationale et un syndicat de dockers. Le jeu propose pas mal de miniquêtes annexes, et surtout un système de compétences et d’objets équipables permettant de façonner la personnalité et les capacités du héros, modifiant les interactions que l’on peut avoir avec l’environnement et les PNJ.

J’ai beaucoup aimé. L’environnement est original (des années 70’s alternatives dans une cité anciennement impériale, désormais sur le retour et victime d’un néocolonialisme déguisé, avec des aspirations à l’autogestion contrecarrée), avec un arrière plan ultra riche et travaillé dont on voit finalement très peu par rapport à toutes les pistes qui sont données. Le narrateur est en sale état, et les différentes compétences que l’on développe prennent la forme de voix intérieures qui nous donnent des indications sur comment gérer nos interactions avec les autres persos, et donnent des bonus sur les lancers de dés qui gouvernent toute la mécanique du jeu. Mais ces voix intérieures ne sont pas toujours fiables, les suivre aveuglément n’est pas toujours idéal. De même, épuiser toutes les options de dialogue n’est pas toujours une bonne idée, de la même façon que dire tout ce qui nous passe par la tête dans la vie réelle n’est pas idéal. On peut modifier l’alignement politique du personnage (et même si ce n’est pas dit comme ça, il y a aussi une grille lawful/chaotic|good/bad). En terme de graphismes l’environnement est très beau dans le genre ruines réaménagées, avec plein de petits détails.

Grosse recommandation.

Exit le fantôme, de Philip Roth

Roman américain de 2007. Philip Roth reprend pour un dernier roman le personnage de Nathan Zuckerman, son alter ego fictif. Après 11 ans de retraite dans la campagne américaine, Zuckerman revient à New York pour une opération de la prostate. Se replongeant d’un coup dans l’agitation urbaine dans les jours qui entourent la réélection de Bush, il va renouer avec une vieille connaissance, se prendre le bec avec un jeune écrivain ambitieux, et être bien libidineux et craignos avec une jeune écrivaine.

C’était assez malaisant. On a un narrateur de 71 ans qui passe son temps à parler de son désir pour une femme de 28, et de sa volonté qu’on n’aille pas déterrer la relation incestueuse entre un écrivain qu’il admirait et mort depuis 30 ans et sa sœur. C’est dommage que ces thèmes principaux soient aussi craignos (mais je crois qu’il faut que je me résolve à ce que j’apprécie les livres de jeunesse de Roth mais qu’il a salement dérivé avec l’âge), parce qu’il y avait des éléments intéressants : le narrateur sent le poids des années et de sa condition physique qui se délabre, aussi bien en terme de trous de mémoire que de façon plus prosaïque par le fait de devoir gérer une incontinence. Deuxième point intéressant, le texte alterne entre des segments écrits à la façon d’un roman et d’autres à la façon d’une pièce de théâtre, qui sont des conversation imaginaires écrites par le narrateur pour remplacer ce qu’il n’a pas osé dire ou demander à des gens. Mais de façon générale, je ne recommande pas ce livre, lisez plutôt Le Complot contre l’Amérique ou Pastorale américaine du même auteur.

The Wicked + The Divine, de Kieron Gillen et Jamie McKelvie

Série de comics. Tous les 90 ans, 12 dieux se réincarnent pour deux ans dans des adolescents, qui se retrouvent soudain munis de capacité à générer des miracles et parler le langage des dieux. On suit le destin des 12 membres de la résurgence de 2013, qui deviennent des stars adulées mondialement dans le Londres moderne, et qui tentent de comprendre les tenants et aboutissants de leur espérance de vie raccourcie à deux ans, l’origine de cette Résurgence, et pourquoi quelqu’un semble tenter de tuer certain.e.s d’entre elleux.

J’ai été un peu déçu par rapport à mes attentes. La série commence très bien, propose un univers riche et original, mais la résolution des mystères et la conclusion de l’histoire laissent un peu à désirer, j’ai trouvé. Le dessin est beau mais assez lisse, le design des personnages est très réussi par contre.

Vita Nostra, de Marina et Sergey Dyachenko

Roman fantastique ukrainien. Une adolescente est admise dans une école de magie. Trope usé jusqu’à la corde ? Dans la fantaisie anglo-saxonne peut-être, mais là on en est loin. L’héroïne ne veut pas du tout aller dans cette école, on l’oblige à s’y inscrire et à être assidue en cours sous peine de voir sa famille être gravement blessée. L’enseignement est fastidieux, l’internat hors d’âge, tous les élèves terrifiés. Et pourtant Sacha va peu à peu aimer l’enseignement qu’on lui prodigue, trouver sa place et tout faire pour dissimuler la vérité à sa famille.

J’ai bien aimé. C’est assez perché, une description détaillée d’études ésotériques mais austères, consistant essentiellement à apprendre par cœur des textes incompréhensibles sous menace permanente. Les élèves sont tous traumatisés à des degrés divers par leur enseignement, personne n’est épanoui ou heureux, mais ça reste étrangement plaisant à lire et prenant.

Pic Lavigne par Bious-Artigues

Randonnée en raquettes avec G pour profiter du beau temps annoncé. On a monté bien raide, vu très peu de monde. On a un peu abrégé notre parcours prévu suite à une légère blessure, et j’ai laissé un bâton dans la rando. Mais c’était très bien et très reposant néanmoins.

Jean Pierre depuis Bious-Artigues
Pic Lavigne
Isards sur la neige
La crête et le pic du midi
Vue d’ensemble
Le Pic du Midi d’Ossau depuis la crête

Le Triangle et l’Hexagone, de Maboula Soumahoro

Essai par une chercheuse noire sur le rapport de la France aux personnes noires et des personnes noires à la France. Elle se base sur sa propre expérience de femme dont la famille a des origines ivoiriennes, mais qui est elle-même née en France, et sur son parcours entre la France et les États-Unis. Le Triangle du titre est l’Océan Atlantique du commerce triangulaire.

Maboula Soumahoro parle de la plus grande facilité qu’il y a à ne pas être la personne noire « locale » : en tant que Française aux US elle n’était pas prise dans la question raciale spécifique aux US et avait un vécu très différent de celui des Afro-Américains (dans des situations de conversation : dans la rue, les gens la considèrent juste comme noire sans plus de nuances). En miroir les Afro-Américain·e·s qui viennent vivre en France n’y éprouvent ni le racisme qu’ils connaissaient aux US ni celui que les Français·e·s noir·e·s vivent.

Elle détaille aussi le concept d’identité diasporique : elle n’est pas ivoirienne même si sa famille en vient, elle ne parle pas dioula comme sa mère mais français et anglais. Elle a un rapport complexe à l’Afrique et à la France par conséquent.

Maboula Soumahoro parle aussi de comment la recherche française est largement en retard sur les US sur les black studies, avec l’exemple de son sujet de mémoire de master qui a été retoqué par une prof qui considérait qu’elle était totalement en dehors de tout sujet et toute démarche scientifique en voulant travailler sur les nationalismes noirs.

Bref, c’était court mais intéressant.

Projet Orloff, de Tanguy Blum, Antoine Piombino et Christian Brugerolle

Fiction radiophonique de France Culture. On suit une histoire au sein des services d’espionnage français au lendemain de la victoire de Mitterrand à la présidentielle, avec le contexte de la guerre froide et de l’intelligence économique et industrielle. C’était sympa, mais sans plus. Le feuilleton ne s’attarde pas sur ce qu’entraîne une présidence socialiste pour la politique fr à cette époque, il y a un personnage de journaliste à l’Humanité avec des origines kabyles mais sa ligne narrative se termine en eau de boudin.

Dans le même style, privilégiez 57, rue de Varenne.