We Have Always Lived in the Castle, de Shirley Jackson

Roman états-unien de 1962. L’histoire est racontée du point de vue interne de Mary Katherine « Merricat » Blackwood. Celle-ci vit dans une maison de maître isolée sur un domaine, avec son oncle et sa soeur. Merricat est la seule à jamais quitter le domaine, pour aller faire des courses au village le plus proche, où tout le monde semble détester sa famille. On découvre peu à peu les tenants et aboutissants de cette détestation et du passé de la famille, alors que des éléments extérieurs viennent perturber le quotidien des Blackwoods.

J’ai beaucoup aimé, c’est assez différent de mes lectures classiques. On comprend rapidement que Merricat est une narratrice non-fiable, avec tout un système de croyances et rituels qui organisent sa vie et sa perception du monde. Le roman met en scène la crainte de l’autre de façon originale : on n’est pas sur de la xénophobie, antisémitisme ou autre à la Lovecraft, mais on a cependant une peur et une détestation de gens qui n’appartiennent pas à notre communauté qui est mise en scène dans le roman. Dans le cas des villageois, les Blackwoods sont isolé physiquement et moralement d’eux, mais dans le cas des Blackwoods on a aussi une crainte de tout ce qui est extérieur à leur communauté de trois personnes. Si au début j’ai cru que le texte allait vers une révélation de la nature surnaturelle des Blackwoods (vampires, monstres quelconques ?) ce n’est finalement pas ce type d’étrangeté qu’ils possèdent, mais ils sont bien marqués par une étrangeté radicale, avec une vision de la morale qui semble totalement détachée de celle du reste du monde, et hautement questionnable (les villageois semblent être des personnes détestables indépendamment, mais les immoralités ne s’annulent pas mutuellement). J’ai beaucoup aimé comment montre le début de la mise en place d’une légende locale, avec les offrandes rituelles des villageois, la comptine inquiétante et la maison hantée (on retombe sur les schémas de l’horreur classique plutôt que de l’horreur lovecraftienne).

Les Promesses, de Thomas Kruithof

Film français de 2022. Isabelle Huppert joue la maire en fin de second mandat d’une commune de Seine Saint-Denis. Elle se bat depuis le début de son engagement politique pour la rénovation d’une cité, et espère décrocher un financement dans le cadre des appels à projets du Grand Paris. Elle est épaulée par son directeur de cabinet qui a grandi dans ladite cité et a employé la politique comme ascenseur social (un rôle que j’ai trouvé malheureusement très cliché). Se laissant attirer par le prestige d’un poste de ministre, Isabelle Huppert va perdre de vue ses convictions, puis les retrouver.

J’ai bien aimé le début du film, qui installe bien la situation, les rapports entre les personnages, les enjeux. La scène où Isabelle Huppert négocie avec le directeur de l’établissement du Grand Paris marche très bien, montre efficacement comment la politique peut être une histoire d’affects, d’insistance, d’irrationalité. Malheureusement je trouve que le film se perd assez rapidement après ça : on voit une maire qui fonctionne en totale autonomie, sans s’appuyer sur une équipe, avec zéro relation émotionnelle à sa première adjointe, soudain prête à envoyer balader tout ce qu’elle a construit du jour au lendemain. Les arbitrages politiques semblent se faire dans le vide, sans dossier ni critères, juste à la tête du client. Ça présente bien trop à mon goût une vision individualiste de la politique, là où il serait beaucoup plus pertinent de montrer le travail d’équipe, les relations multiples et complexes entre niveaux administratifs, entités et personnes. On a aussi l’impression que le dossier de la cité des Bernardins est le seul dossier que la mairie a à traiter, tout le reste est inexistant.

Bref, pas convaincu du tout par le portrait qui est fait de la politique locale. C’est bien filmé par contre, quelques jolis plans, et une bande son discrète mais originale, à base d’orchestre qui s’accorde.

Station Eleven, de Patrick Somerville

I remember damage, then escape.

Série télévisée de 2022, adaptée librement du roman éponyme.

Pour re-résumer brièvement l’histoire : en 2020, une pandémie (pas la notre, une autre) balaye la planète et tue 99% des gens. On suit en parallèle la vie de plusieurs personnes avant la pandémie et celle de Kirsten, actrice dans une troupe de théâtre itinérante, 20 ans après la pandémie. J’avais beaucoup aimé le livre, je trouve que la série vaut le visionnage aussi, sans néanmoins arriver au niveau du matériau-source (mais je pense que c’est pas vraiment possible avec un médium non-textuel d’avoir la même qualité d’allers-retours temporels et digressions de l’histoire). Les variations par rapport à l’histoire originelle sont intéressantes, mais elle accentuent encore un peu plus le côté « tout est connecté » que j’avais trouvé dommage dans le livre. Par ailleurs, il y a un peu trop une tendance à laisser sans conséquences certains événements qui me laisse incrédule : « oh tu m’as poignardé ? C’est pas grave soyons potes. Et puis cet usage d’enfants-soldats pour tuer ton mentor ? Allez on fait tou.tes des erreurs. » Le comic est aussi un peu trop central, je trouve. Là où le roman appuie plus sur le côté « des coïncidences et des trajectoires inattendues », la série est plus en mode « il y a un sens caché à tout cela ».

Pour les points positifs par contre, j’ai trouvé que les décors étaient superbes, et reflètent très bien, et avec des variations, le côté « 20 ans après l’apocalypse ». Les costumes aussi d’ailleurs, dans le côté mix and match des vêtements que tout le monde porte dans le monde 20 ans après. Les acteurs jouent très bien aussi, notamment Matilda Lawler. L’histoire qui s’étale sur 20 ans et les révélations progressives sur 10 épisodes permettent d’avoir un impact émotionnel fort. La série met d’ailleurs bien en scène le traumatisme et les différentes façons de le gérer.
L’histoire de Miranda et celle d’Arthur ont beaucoup moins d’impact que dans le roman, mais celle de Jeevan en gagne. La scène de théâtre dans l’épisode final est fort réussie, alors que j’aurai pas trop parié là dessus dans le cadre d’une série post-apo.

There is no antimemetics division, de qntm

Fiction paranormale, publiée en 2021. Le livre consiste en une collection de nouvelles mettant en scène la division antimémétique de la Fondation SCP. Quelques précisions sont d’entrée nécessaire : la « Fondation SCP » est une organisation fictionnelle au coeur d’un projet d’écriture collaboratif. Cette organisation gère des objets, des entités et des événements paranormaux, pour préserver les apparences de normalité de notre monde. Le projet collaboratif consiste (pour son émanation principale) en un wiki recensant les rapports rédigés par les agents de la Fondation, détaillant dans un style bureaucratiques les différents items ou incidents gérés par la Fondation. Le tout forme un lore détaillé et entremêlé, dans un style d’univers que j’aime beaucoup. Cet univers à notamment inspiré le jeu vidéo Control, qui met en scène le même type d’organisation occulte.

Pour en revenir à There is no antimemetics division, l’œuvre met en scène une division particulière de la Fondation : celle qui gère les artefacts avec des propriétés antimémétiques, ie les artefacts qui empêchent la transmission d’information à propos d’eux-mêmes ou sont capables de supprimer de l’information. Les différentes nouvelles qui composent l’œuvre imaginent comment il est possible d’étudier ou de combattre de tels objets et entités, comment la division travaille, comment ses membres sont affectés par leur travail quotidien. D’autres textes existent qui parlent de la Fondation et de sa division antimémétique, mais ceux rassemblés dans cet ouvrage émanent d’un·e seul·e aut[rice|eur], qntm, et sont connectés entre eux pour raconter principalement l’histoire de Marion Wheeler, une des directrices de la Division. Globalement j’ai beaucoup aimé, le postulat et l’univers sont originaux. La forme de l’écriture – par fragments agrégés, se référant à un univers plus large, m’a fait penser à certaines fanfictions que j’ai pu lire, on est vraiment sur un style d’écriture et un format d’œuvre pour lequel on voit la différence avec un roman « classique ». Il y a quelques faiblesses dans l’écriture qui découlent du format cependant, avec des répétitions entre fragments qu’un meilleur travail d’édition aurait pu effacer. Le texte est en deux parties, et si je suis enthousiaste sans réserve sur la première, la seconde me semble plus faible. Si certains passages horrifiques de cette seconde partie sont très réussis et exploitent à fond l’aspect antimémétique (selon le même type de mécanisme que le Silence et les Anges dans Doctor Who), d’autres me semblent plus de la boilerplate horror, avec un côté « mélangeons fascisme/bad trip/eldritch, ça ne peut pas rater ». Mais globalement le livre vaut largement le détour si vous n’avez rien contre l’horreur, les nouvelles et les concepts originaux. Merci à Ted pour la recommandation !

Randonnée à la chapelle de Las Planques

Petite randonnée sur le samedi après-midi. Il faisait grand soleil mais tout restait gelé dès qu’on était à l’ombre (la randonnée se faisait autour du Viaur, rivière bien encaissée). Pour une rando pas en montagne ça monte et descend beaucoup. De belles vues sur le viaduc routier du Viaur, par contre le viaduc ferroviaire, qui vaut le coup d’œil aussi, était proche mais totalement invisible depuis la randonnée.

J’ai assez peu de bonnes photos (beaucoup de photos floues, où l’appareil donne l’impression de n’avoir fait le point sur rien), et je me demande depuis quelques temps si c’est juste que je ne prends pas assez le temps de me poser pour photographier, où s’il y a un problème avec mon appareil photo. Dans ce second cas je ne sais pas trop ce que je peux faire pour le diagnostiquer (avant de racheter, vu le coup des deux éléments), pour voir si c’est le boîtier ou l’objectif qui est en cause… Mais bon ça commence à être un peu relou.

Intérieur de la chapelle
Sentier le long du Viaur
Pont sur le Viaur
Hameau au pont de Tanus

Chronique du Pays des Mères, d’Elisabeth Vonarburg

Roman francophone de science-fiction de 1992. L’histoire se passe dans l’Europe d’un lointain futur. Après des catastrophes liées au changement climatique, et un effondrement des sociétés, celles ci se sont reconstruites en le Pays des Mères, une matriarchie où les hommes, en nombre très largement inférieur aux femmes sont des citoyens de seconde classe. On suit le point de vue de Lisbeï, une chercheuse qui va découvrir un carnet remettant en cause le dogme religieux du pays des Mères. Le roman va présenter la vie de Lisbeï, l’organisation du Pays des Mères, ses débats internes, son Histoire, et les controverses théologiques soulevées par la découverte de Lisbeï.

C’était très bien. La société présentée est super intéressante, montrée avec suffisamment de détails pour se rapprocher des Dépossédés, mais avec une ligne narrative plus appuyée avec les recherches en théologie de Lisbeï et sa relation aux autres personnages. Le livre met en scène une société où l’homosexualité est la norme, où le féminin l’emporte sur le masculin dans le langage. Je ne suis pas entièrement convaincu par la fin, mais sinon le roman vaut le coup.

Heaven’s Vault, du studio Inkle

All of this has happened before and all of this will happen again

Jeu vidéo sorti en 2019. L’histoire se passe dans la Nébula, un ensemble de petites lunes reliées par des courants d’eau passant d’une planête à l’autre. On suit le point de vue d’Aliya, une chercheuse en archéologie, envoyée par sa directrice à la recherche d’un collègue disparu lors d’une campagne de fouille. Notre quête va nous faire découvrir progressivement l’Histoire de la Nébula, dont les traces abondent mais qui n’intéresse personne, la religion dominante stipulant que le temps est cyclique et que les choses finiront par revenir.

J’ai beaucoup aimé l’ambiance du jeu. L’univers de la Nebula est orientalisant et sur le Déclin : on découvre partout des endroits qui ont connu leur heure de gloire bien des années auparavant. Ça donne de très beaux décors, dans lesquels on se déplace pour trouver des fragments de texte que l’on essaye de déchiffrer pour comprendre le passé (la compréhension du langage Ancien est une des mécaniques centrales du jeu). Les personnages sont réussis, l’histoire et l’Histoire présentées riches en rebondissements, la bande-son discrète mais belle. Et surtout une narration très réussie, avec différents arcs que l’on peut découvrir ou non, certains choix mutuellement exclusifs, le tout réalisé d’une façon très fluide (à l’inverse, il y a quelques moments où l’envers du décor se voit un peu, avec des interactions où tu comprends pas comment ton personnage comprend ou affirme certains trucs, mais c’est assez mineur. Dans le même style, certains éléments apparaissent un peu trop tôt sur la carte je trouve. Je regrette aussi l’impossibilité d’explorer plus avant certains aspects, comme le passé commun d’Aliya avec ses amis, mais de ce que j’ai compris le studio a manqué de fonds pour finir de développer le jeu autant qu’iels l’auraient voulu).

Bref, je recommande chaudement. Dans le pitch il y a des similitudes avec Outer Wilds, mais dans les mécaniques de jeu, dans l’esthétique et dans l’histoire assez peu.