Archives de catégorie : Culture/Procrastination

Ce Sentiment de l’été, de Mikhael Hers

Film franco-allemand de 2015. Un été à Berlin, Sasha meurt. Pendant plusieurs années, l’été va rappeler à sa famille cette tragédie. On suit plus particulièrement Lawrence, son petit ami, et Zoé, la sœur de Sasha. Le film se déroule à Paris, Annecy Berlin et New York, toujours en été. On voit leurs vies qui se déroulent, avec le poids de leur relation à Sasha qui s’impose (ou se rappelle) à eux par moment, et en même temps le reste du monde qui continue d’exister.

J’ai bien aimé. Dans la façon dont c’est filmé, ces paysages urbains, cette caméra à côté des personnages, je trouve que ça rappelle beaucoup la trilogie Before Sunrise de Richard Linklater. Y’a ces déambulations dans la ville, ces personnes qui vivent entre plusieurs villes, pays, continents. Il y a des échos entre les différentes villes, liés au fait qu’on les voit toujours en été : c’est facile d’être dehors, les gens vont dans des bars, des soirées, des parcs, montent sur les toits, les tenues sont les mêmes (la seule différence c’est peut-être qu’en Amérique les gens se déplacent en pickup là où ils sont en vélo ou à pied en Europe).

Recommandé.

Article invité : Wolfwalkers

Film d’animation (Irlande, Luxembourg, France) de 2020.
1650 à Kilkenny, en Irlande. Le père de Robyn est engagé par le Lord Protector comme chasseur de loups, afin de protéger la ville de leur menace, mais surtout d’en débarrasser la forêt pour déforester tranquillement et ainsi de pouvoir augmenter les surfaces agricoles (spoiler : Lord Protector n’est pas le gentil du film). Jeune fille indépendante et audacieuse, Robyn ne tarde pas à se retrouver dans la forêt, malgré l’interdiction, et à découvrir les créatures qui y vivent et la protègent : les wolfwalkers.
L’histoire est un mélange réussi entre Mononoke Hime et Brave. Pas d’immense originalité narrative mais c’est vraiment efficace et attrayant, il y a des personnages chouettes, de la tension, des rebondissements, des course-poursuites et de l’émotion.
J’ai surtout adoré l’animation, magnifique, entre dessins au crayon, effets de lithogravure, split-screens ornementaux, représentation graphique des odeurs et du son.
Et la musique est très chouette aussi.
Je recommande :)

Bad Sisters, de Sharon Horgan

Série télé paru en 2022 et se déroulant en Irlande. On suit en parallèle les évènements ayant menés à la mort de John Paul Williams, personnage éminemment antipathique, et l’enquête mené par deux agents d’assurance après sa mort. John Paul est marié à Grace Garvey, que ses sœurs voient décliner de jour en jour. Elle décident donc, en toute logique, d’éliminer JP. Malheureusement, elles ne sont pas très douées pour le meurtre, et il va y avoir une série de tentatives ratées… La série montre l’ensemble de ces tentatives, ainsi que les raisons spécifiques que chacune a d’en vouloir à John Paul. C’est bien réalisé, super bande-son, des relations humaines globalement crédible (petit bémol sur la relation Becka/Matt qui est là je trouve surtout pour faire avancer l’intrigue). Excellente bande-son, avec une très bonne reprise de Who by fire par PJ Harvey en générique.

Une seule saison qui fait une histoire complète, recommandée si vous aimez bien les histoires de sœurs, les whodunnit, les mecs absolument atroce et l’accent irlandais.

L’année sans été, de Gillen D’Arcy Wood

Essai d’histoire mondiale qui s’intéresse aux conséquences de l’éruption du volcan Tambora en 1816. L’éruption du volcan, en plus de faire perdre un kilomètre de haut à l’île et d’en dévaster la surface, a projeté un nuage de cendres et d’aérosols souffrés dans l’atmosphère, modifiant le climat pour les trois années à venir, et donnant à l’année 1816 le surnom d’« année sans été ».

L’auteur détaille les conséquences de cette éruption, qui arrive à la fin du petit âge glaciaire et une autre éruption en 1809 sur différentes parties du monde : l’île de Tambora même, l’Europe, avec son influence sur l’écriture de Frankenstein par Mary Shelley mais aussi l’avancée des glaciers alpins qui connaîtront leur maximum, et une crise de subsistance massive avec toutes les récoltes détruites par les gels tardifs (déclenchant notamment une famine en Irlande), l’Inde avec l’explosion de l’épidémie de choléra, boostée par le climat et les perturbations de la mousson, ensuite exportée par la mondialisation, la course au pôle Nord en Angleterre avec le dégel momentané de l’Arctique suite à la perturbation des courants océaniques (et toute la littérature anglaise exaltant ces explorations, Frankenstein en parlant notamment, mais aussi des œuvres plus récentes comme The Terror) ; la Chine, avec là encore des famines massives qui frapperont la région du Yunnan et participeront à la conversion de l’économie de la région vers la culture du pavot pour la fabrication d’opium ; l’Amérique du Nord, où la crise climatique puis agricole se transformera en la première crise financière du pays récemment indépendant. Enfin, l’impact que cette « météo à la Frankenstein » aura sur le développement de la météorologie et de la théorie des ères glaciaires…

C’était super intéressant à lire, comme exemple de l’impact d’une crise climatique sur plein de domaines différents, et pas très rassurant sur notre futur. Je recommande.

Voyage en misarchie, d’Emmanuel Dockès

Roman à thèse français publié en 2020. Dans la lignée des Voyages de Gulliver ou autre écrits utopiques, le livre épouse le point de vue d’un voyageur européen (un professeur de droit français en ce cas), qui se retrouve suite à un accident d’avion dans un pays avec des règles radicalement différentes des nôtres, qui vont progressivement lui être expliquées. En l’occurrence il est arrivé dans la misarchie arcanienne, l’Arcanie étant le territoire (mais ni un État ni une nation), et la misarchie le système d’organisation de la société, qui vise à casser au maximum les pouvoirs constitués. Dans le système présenté, ça se rapproche d’Eutopia, avec une part importante accordée à la socialisation du salaire, mais on n’a pas tout à fait le même cadrage (et narrativement dans Eutopia on avait un narrateur natif du pays et que l’on suivait depuis sa naissance, là c’est une personne extérieure qui découvre le système à l’âge adulte).

Le système présenté est intéressant, même si la partie kyriarchie (partielle, il y a des règles qui restent les mêmes pour tous, et les systèmes légaux alternatifs ne peuvent concerner que des petits groupes de personnes à la fois pour éviter la constitution de blocs de pouvoir) ne me parait pas forcément idéale. Il y a aussi une emphase mise sur le sexe et l’amour dans le livre (pas dans la société, mais c’est le cadrage que choisit l’auteur, avec une première rencontre qui a un caractère sexuel et un coup de foudre du narrateur pour une femme qu’il a rencontré et qui va servir de fil rouge à ses actions le long du bouquin) qui n’est pas vraiment ce qui me passionne le plus dans la présentation de ce genre d’alternative à nos sociétés. Il manque peut-être une partie sur la gestion des ressources et de l’énergie, là ça fonctionne sans souci, en arrière-plan. Par contre le bouquin parle des addictions : c’est une question personnelle, la liberté prime, même s’il y a des structures d’aide qui font des tournées pour aller à la rencontre des publics en difficulté.

Je recommande, pour envisager des alternatives aux sociétés faiblement démocratiques et fortement capitalistiques qui sont les nôtres.

Florence, du studio Mountains

Court jeu vidéo sorti en 2018. On suit la romance de Florence avec Krish, de la rencontre à la rupture, et ce que cette relation a apporté à Florence. C’est dessiné, il y a des petites activités comme ranger des affaires dans un placard, réaliser des dessins d’enfant… C’est un jeu casuel et calme, c’était sympa à faire, après c’est pas le jeu du siècle non plus, même si ça marche bien pour illustrer une relation, ça n’a pas une profondeur de fou.

Des vies orageuses, de Mathilde Gal et Tcholeiy

Roman français paru en 2023. On suit en parallèle les vies de Sarah, jeune médecin qui prend un poste dans un CeGIDD (centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic) dans le sud est de la France, et d’Idrissa, migrant qui a fui la répression politique en Guinée. On voit l’entrecroisement de leurs vies, les personnes autour d’eux, les enjeux de santé dans les parcours des migrants, la façon dont ils sont liés à tous les autres enjeux (le sans-abrisme, le stress post-traumatique, les violences sexuelles, l’emploi, le rapport à l’administration), la façon dont la gestion administrative des migrants complique encore des vies déjà compliquées. On voit à la fois Sarah s’impliquer de plus en plus dans les vies de ses patients en sortant de son rôle initial, et d’une façon qui n’est pas présentée comme positive, en montrant comment c’est aussi de la white guilt qui la mène vers le burn-out), et comment Idrissa réussit à trouver petit à petit des points d’appui et sans que sa situation ne se résolve du point de vue administratif, à construire quelque chose en France.

Globalement c’est un bouquin militant qui arrive à restituer par la fiction quelques exemples de la complexité des vies des personnes migrantes en France, notamment par la faute de l’administration et des lois xénophobes. Il y a aussi un côté très Martin Winckler dans la façon dont les consultations de Sarah permettent de mettre en avant plein de facettes différentes des problèmes de santé auxquels sont confrontées les personnes migrantes (mais pas que, on voit aussi d’autres cas du CeGIDD).

Je recommande

Spirou ou l’Espoir malgré tout, d’Émile Bravo

Série en quatre tomes (cinq si on compte Le Journal d’un Ingénu, publié 10 ans plus tôt mais auquel L’espoir malgré tout est une suite directe) qui raconte la vie de Spirou et Fantasio dans la Belgique de la Seconde Guerre Mondiale. On y découvre à la fois les origines de Spirou (pupille de l’État placé dans un orphelinat catholique), l’origine de son surnom (qui deviendra son nom de guerre), et on voit à travers ses yeux la Belgique de l’époque, et son apprentissaged de la vie.

J’ai beaucoup aimé. Le dessin d’Émile bravo est beau et fonctionne bien pour les personnages, la dynamique Spirou/Fantasio est bien rendue, le côté gamin qui découvre la vie de Spirou marche bien (plus que le côté « aventurier intrépide » d’autres albums à mes yeux), le thème (la chronique de quatre ans de guerre, et comment résister sans prendre les armes) est intéressant et bien rendu.

Grosse recommandation

The Magicians, de Lev Grossman

Roman de 2009. Quentin Coldwater, adolescent surdoué et dépressif, découvre que la magie existe quand il est recruté dans une école de magiciens. Émerveillé de faire partie d’une élite et de connaître la réalité du fonctionnement du monde, il va rapidement réaliser que ces nouveaux pouvoirs ne suffisent pas à combler le vide en lui, et va chercher toujours plus loin des façons d’oublier sa condition humaine, que ce soit dans la drogue, le sexe, ou l’exploration d’un univers parallèle inspiré de la série Narnia-like qu’il lisait enfant, où il espère que les règles binaires du monde vont lui permettre d’avoir une aventure moralement satisfaisante.

J’ai bien aimé, mais faut pas avoir peur des héros antipathiques. Quentin, qui commence juste comme un ado dépressif et incel, finit comme une espèce de monstre qui détruit tout ce qu’il touche avec son incapacité à être heureux cinq secondes d’affilée. Le livre présente les magiciens comme une élite nihiliste, qui ne se contente de rien puisqu’elle peut tout avoir sans efforts. C’est un point de vue un peu dark sur le monde.

Sous la colline, de Sabrina Calvo

Troisième roman de Calvo que je lis, après Melmoth Furieux et Toxoplasma. Je les lis dans l’ordre anté-chronologique pour le moment.

Sous la colline se déroule intégralement dans l’Unité d’Habitation dessinée par Le Corbusier à Marseille. En partant d’un fait divers réel (lors d’un incendie dans le bâtiment, un placard qui n’était pas sur les plans de ce qui est pourtant un bâtiment classé et étudié a été découvert), Sabrina Calvo imagine la découverte d’un bâteau grec dans l’entresol du bâtiment. Le Corbusier aurait construit le bâtiment comme une sorte de point de contrôle d’énergies primordiales, un renouvellement d’un mariage celto-ligure qui daterait de la fondation de Marseille. Colline, l’héroïne du roman, archéologue de l’INRAP virée pour ne pas avoir respecté les procédures lors de la découverte du bâteau, va s’installer dans le bâtiment pour comprendre quels sont les liens entre Le Corbusier, le bateau, la ville de Marseille dans son ensemble, et les puissances primordiales qui gravitent autour de tout ça.

On est dans du fantastique architectural, ce qui me plait toujours beaucoup, mais comme dans les autres romans de Sabrina Calvo que j’ai lu, c’est un fantastique léger, qui s’hybride avec d’autres genres. Une grosse partie du roman c’est Colline qui découvre des aspects tout à fait réalistes du bâtiment, des relations entre les habitant-es. Le fantastique hésite entre le métaphorique et le réel, mais on n’a jamais de conspiration plurimillénaire ou de secret révélé.

Comme les autres Calvo, le style est particulier, mais je recommande.