Archives de catégorie : Arbres morts ou encre électronique

The Ministry for the Future, de Kim Stanley Robinson

Roman de science-fiction paru en 2020. Dans les années 30, suite au constat de l’irrespect des Accords de Paris par leurs signataires et le déclenchement de canicules meurtrières en Inde, une nouvelle agence de l’ONU en charge du suivi et de l’application des accords de Paris est mis en place, et rapidement surnommé « le Ministère du Futur », vu qu’il travaille pour les générations futures. Parallèlement, l’Inde devient le fer de lance de la transition écologique, se lançant dans des projets de géoingénierie et de réforme agraire à grande échelle. Petit à petit, l’ensemble du monde va s’aligner, jusqu’à arriver à une baisse de la quantité de carbone dans l’atmosphère. En plus des initiatives officielles, deux éléments vont permettre ce changement : l’émergence de groupe écoterroristes (notamment les Enfants de Kali, déterminés à mettre tout en œuvre pour que jamais une telle canicule ne se reproduise) et une branche secrète du Ministère pour le Futur en charge de l’action directe, qui n’hésite pas à hacker les centrales à charbon ou les comptes des paradis fiscaux. Les Enfants de Kali vont aller encore plus loin, relâchant une nouvelle encéphalite spongiforme bovine pour faire baisser d’un seul coup la consommation de viande rouge ou visant les jets privés avec des drones pour faire chuter le trafic aérien.

Le sujet est cool, mais le style est très aride. On ne saura jamais exactement ce que font les black ops du Ministère pour le Futur, et on constate quand même un alignement de planètes en faveur de la transition (même si bien sur la menace terroriste aide un peu). Sur la fin j’en avais un peu marre, dommage parce que ça aurait pu être vraiment cool mais ça manque de travail éditorial (en plus du style aride en général, il y a aussi des répétitions d’un chapitre à l’autre voir d’un paragraphe à l’autre). Bon et puis la blockchain comme outil de transition, désolé mais absolument jamais.

Au Nord du monde, de Marcel Theroux

Roman post-apocalyptique de 2009. Dans le grand nord russe, on suit Makepeace, dernière survivante de la colonie fondée dans un futur proche par des Quakers américains voulant revenir à un mode de vie plus rural juste avant l’effondrement. Makepeace va voyager à travers la Sibérie, librement puis dans un convoi d’esclaves, visiter une cité irradiée, voir voler et s’écraser les derniers avions.

C’était pas un mauvais roman post-apo, mais c’était pas d’une originalité folle non plus. Le fait d’avoir un environnement rural est moins fréquent que de l’urbain, mais dans le post-apo russe (Le Lac par exemple) j’ai déjà lu des trucs similaires.

Billy No-Mates, de Max Dickins

Essai paru en 2022. Alors qu’il envisage de demander en mariage sa partenaire, l’auteur réalise qu’il ne sait absolument pas qui prendre comme garçon d’honneur. Il réalise qu’il n’a pas vraiment parmi les personnes qu’il fréquente d’hommes dont il se sent vraiment proche. Il va alors partir dans une quête pour redécouvrir le vrai sens de l’amitié et réaliser que les vrais amis sont le trésor qu’on s’est fait le long du chemin. Wait. Non.

Globalement c’est un essai où l’auteur discute de ce qu’est l’amitié, notamment l’amitié entre hommes et la difficulté de se faire des ami.es à l’âge adulte et quand on a été éduqué pour être émotionnellement distant. C’est très scénarisé avec le fil rouge de la quête du garçon d’honneur et beaucoup de blagues (l’auteur a été stand-uppeur). C’est par moment un peu agaçant, et je pense que le livre aurait bénéficié de peut-être un peu plus d’apport de la théorie féministe (même si c’est loin d’être un livre masculiniste, j’ai quand même un peu tiqué sur la citation sans remise en contexte de Jordan Peterson, masculiniste connu) et plus généralement parle uniquement des mecs cis blancs des pays occidentaux sans trop le préciser (mais je suis dans cette démographie donc ça m’allait bien), mais ça parle de plein de sujets intéressants.

J’en retiens notamment les éléments sur la sociabilisation face à face (on se parle) vs côte à côte (on fait des trucs ensembles) qui se corrèle bien avec le genre (et je me reconnais fort dans la seconde). Y’a toujours un caveat dans ce genre d’affirmation qu’il ne faut à la fois pas les essentialiser (c’est de l’éducation, pas de la génétique) et pas les généraliser (pas toutes les personnes s’identifiant comme hommes ne correspondent à cette sociabilisation, pas toutes les personnes s’identifiant comme femmes dans la sociabilisation face à face), ce que l’auteur fait plutôt bien en rappelant notamment que les amitiés masculines peuvent prendre d’autres formes selon les pays et les époques. Mais un pattern répandu pour les hommes (cis, je suppose) des pays occidentaux est que la forme de leur sociabilisation passe par le partage d’activités, et le plus souvent en groupe plutôt qu’en bilatéral. C’est une configuration qui incite moins de base à parler de ses émotions, mais c’est la configuration qui fonctionne pour eux et qui peut mener à les partager à terme. Le passage sur le fait qu’une conversation téléphonique n’améliore pas la qualité d’une relation amicale entre hommes cis (alors que ça fonctionne chez les femmes cis) et qu’elle vont donc tendance à se focaliser sur le fonctionnel résonne aussi pas mal.

Partant de là, le hack des « men’s shed » me semble assez bien pensé : globalement, ce sont des espaces qui proposent des activités (réparation d’objets, jardinage, autre), ce qui va sembler une façon acceptable de sociabiliser aux hommes, et les pousser à sortir de leur isolement (là où proposer un pur espace de discussion, voire pire, dire « il semble que vous avez un problème d’isolation » ne fonctionne pas (vrai bonhomme n’a pas de problème et est autonome).

La partie sur la répartition des relations sociales (petit cercle de personnes très proches d’environ 5 personnes, puis un cercle de 15, de 45 et de 140) et le fait que les gens se retrouvent à un niveau ou un autre selon le temps que l’on consacre à notre relation avec elleux est aussi super intéressant : le temps étant une ressource finie, faire apparaître de nouvelles relations en fait disparaître d’autres (sauf si on arrive à compresser du temps solo passé à regarder des séries ou lire, mais ça peut rapidement être incompressible).

L’auteur discute aussi le manque de script sociaux pour la sociabilisation amicale : les relations romantiques et familiales bénéficient de cérémonials, de tonnes d’exemples dans la culture, l’amitié beaucoup moins. Du coup c’est souvent l’amitié qui est sacrifiée aux autres relations parce que considérée comme moins importante, et qui a plus de mal à se remettre sur pied parce qu’il n’y a pas de façon canonique de relancer les choses. Pour les hommes, c’est encore compliqué par le fait que dans nos sociétés, être occupé est valorisé, donc on a X trucs à faire en //, on n’a pas le temps de venir aux événements amicaux, encore moins de les organiser, et du coup les gens s’éloignent progressivement. En plus, le mode relationnel masculin majoritaire est la compétition et l’ironie : ça n’aide pas pour la partie discussion des sentiments (mais tbh je sais pas si c’est l’auteur ou l’Angleterre en général le problème, mais j’ai l’impression que le problème est quand même largement moins pire pour moi que la situation qu’il décrit).

Bref, qu’en retiens-je ? Les amitiés demandent du temps à y consacrer, et idéalement pour moi, du temps en présentiel et autour d’une activité. Pour kickstarter de nouvelles amitiés masculine, la recette magique est de commencer par une activité partagée (l’auteur parle des chorales parce que c’est une des rares activités masculines non-compétitives, mais je pense que de mon côté ça va être réinscription dans un club d’escalade). Loin des yeux loin du coeur s’applique bien, mais le fait de prendre du temps pour entretenir les amitiés en prenant le temps de prendre des nouvelles et d’organiser des activités fonctionne tout aussi bien pour les remettre sur pied.

Je recommande la lecture.

La norme gynécologique, d’Aurore Koechlin

Essai de sociologie paru en 2022. L’autrice montre comment en France, le rapport majoritaire des femmes à la gynécologie est une norme construite et renforcée par les échanges entre les femmes et les gynécologues avec lesquel.les elles interagissent : le fait de considérer les consultations de gynécologie comme devant être régulières, répétées, même en l’absence de pathologie, et de préférence avec un.e gynécologue fixe qui connaîtra à terme sa patiente.

Plus spécifiquement, la norme gynécologique repose sur deux autres normes : la norme contraceptive (à partir de l’entrée dans la sexualité hétérosexuelle et jusqu’à leur ménopause, les femmes sont supposées avoir un moyen de contraception, et de préférence la pilule (Aurore Koechlin parle de « pilulocentrisme ») ; et la norme préventive, où le suivi régulier est justifié par le fait de détecter en amont un certain nombre de pathologies (cancer du sein, cancer du col de l’utérus…)

Le livre montre que l’adhésion à cette norme gynécologique est variable et nécessite un travail important de la part des praticien.nes pour faire revenir les patientes (technique de la « carotte » avec la prescription des pilules notamment), et que les consultations gynécologiques sont le lieu d’échanges et de rapports de force entre patientes et praticien.nes, qui vient remettre en cause le modèle descendant de la médecine, et ce d’autant plus depuis « la crise des violences gynécologiques » qui a eu lieu en 2017.

The Killing Moon, de NK Jemisin

Roman de fantasy publié en 2012. Dans un pays de fantasy inspiré par l’Égypte antique, les prêtres de la Déesse des Rêves peuvent recueillir les rêves des gens pour alimenter une magie de guérison. Un tribut en rêves est donc requis de tous les habitants du pays, et une caste spéciale de prêtres va récupérer les rêves de ceux qui refusent de les transmettre ou qui sont incapables de le faire car trop malade ; dans ce cas, la collecte des rêves se solde par la mort du rêveur. Ces prêtres servent aussi d’exécuteurs de justice, éliminant les personnes « mauvaises ». Mais comme tout système, celui ci peut être détourné, et va être mis au profit des ambitions du prince du pays…

Pas très convaincu, y’a des faiblesses d’écriture et des longueurs. Au delà des prêtres, le pays n’est pas très incarné, et tous les personnages ressemblent à des archétypes plus qu’à des personnes particulières.

La Légende, de Philippe Vasset

Roman français paru en 2016. On suit un ancien moine défroqué, qui dirigeait le dicastère pour la cause des saints, l’organe du Vatican en charge de l’instruction des dossiers de béatification. En désaccord avec l’orientation très prosaïque donnée au travail du dicastère, lui rêve de saints flamboyants, d’histoires de repentir gigantesques, qu’il juge plus à même d’impressionner et d’inspirer les fidèles. Il va faire la rencontre d’une femme et peu à peu s’éloigner du dogme pour organiser un culte alternatif, en suivant l’exemple d’un moine du XXe siècle qui avait unilatéralement proclamé sainte une femme qui disait converser avec la Vierge sans aucune preuve ni miracle. Le récit principal est interrompu par des vies de « saints » moderne, comme Azyle qui taggue inlassablement son blaze sur les métros parisiens ou Urbain, mort sur des centaines de camps de migrants et enterré sur place, sanctuarisant le lieu par rapport aux pouvoirs publics qui n’osent plus y toucher.

J’ai beaucoup aimé, comme toujours avec Vasset. Son écriture sur le sacré profane, c’est exactement ma came. Je recommande.

Comment devenir lesbienne en dix étapes, de Louise Morel

Essai publié en 2022. L’autrice explique son propre parcours de l’hétérosexualité au lesbianisme, et donne des conseils à destination des hétéras en questionnement et/ou des lesbiennes qui font leurs premiers pas dans le milieu queer. Le livre est drôle, compréhensible et pas jargonnant, c’était agréable à lire. Ça aborde à la fois la question de la dénomination qu’on peut vouloir se donner (lesbienne, femme qui aime les femmes, bisexuelle, pansexuelle, …), de la drague, de la sexualité, de l’amitié, de la différence entre la réalité de l’expérience lesbienne et l’image qu’en donne la pop culture…

Je recommande particulièrement le premier chapitre, Découvrir qu’on est devenue hétéra.

Si je partage totalement les analyses de l’autrice sur la présence du patriarcat dans tous les couples hétéros, je reste quand même un peu perplexe devant sa description ultra-stéréotypée de la sexualité hétéro. Peut-être que je m’illusionne aussi bien sur les autres hommes que sur moi-même, mais j’avais l’impression qu’en 2023 on était quand même un peu sorti de ce schéma.
L’autre point qui je pense mérite d’être nuancé c’est le fait de dire que le patriarcat organise la compétition entre femmes pendant qu’il y a une solidarité bien réelle entre hommes qui a de la place pour se déployer : oui il existe des boys club et une préférence au masculin, mais le patriarcat organise aussi la compétition des hommes entre eux, avec une prime à la masculinité hégémonique sur les autres masculinités, mais dans tous les cas et dans tous les groupes une compétition permanente. (pour un livre qui parle de lesbianisme, je m’attarde beaucoup dans cet article sur les quelques points qui concernent les hommes, mais c’est parce que je ne considère pas pouvoir dire grand chose de pertinent sur la (majeure) partie du livre qui traite de l’expérience lesbienne).

Article invité : Babel or the necessity of violence, de R.F. Kuang

C’est la semaine des articles invités ! Cette fois-ci, une recension de roman par Stram.

Babel or the necessity of violence est un roman sur le colonialisme et le racisme systémique, avec des héro.ines racisé.es dans une réalité parallèle en 1830, où le charbon et l’électricité ont été remplacés par la science de la traduction et un matériau magique, « l’argent ».

Sur le papier, ça a l’air vraiment très chouette. Et pourtant je n’ai pas vraiment accroché et je n’arrive pas à trouver la raison. Je pense que c’est un mélange de pleins de petits trucs : les longueurs (le livre est vraiment long), l’impression de lire un essai politique plutôt qu’un roman à certains endroits, l’intrigue assez prévisible et la sous-utilisation de la magie (en fait, il y a juste à remplacer tout ce qui a trait à l’argent par le charbon ou l’électricité et on retombe dans la réalité des années 1830 que l’on connaît).

Je serais intrigué d’avoir d’autres avis sur ce livre en tout cas. Car ça fait quand même plaisir d’avoir un roman qui parle très justement à la fois de racisme systémique, du capitalisme à l’ère industrielle, du colonialisme et du rôle de la science et des scientifiques dans tout ça.

Malevil, de Robert Merle

Roman post-apocalyptique français paru en 1972. En 77, une explosion nucléaire (de ce qu’en suppose les personnages, mais ce n’est jamais confirmé) dévaste la Terre. Dans un château fort du Périgord, une bande d’ami d’enfance a survécu, abrités par la cave du château et par la falaise surplombante (roman typiquement français, les personnages sont sauvés parce qu’ils sont allés embouteiller du vin). Peu à peu, ils vont organiser leur survie, reprendre des relations avec les quelques survivants du village voisin, discuter organisation spirituelle…

J’ai beaucoup aimé. C’est fort cool d’avoir un point de vue français et des années 70s sur le post-apo vu le revival actuel. Tout est loin d’être parfait dans ce roman (déjà, la place des femmes est désastreuse, même s’il y a des personnages féminins (la Menou) très réussis, ça sort quand même pas beaucoup de la dichotomie maman/putain) ; mais c’est une lecture prenante, selon un dispositif intéressant : le récit correspond à un texte laissé par Emmanuel, le leader de fait de la communauté de Malevil, qui relate sa jeunesse puis la vie après l’événement. De temps en temps, son récit est interrompu par des « notes » de Thomas, un autre personnage, qui a pris la tête de la communauté après la mort d’Emmanuel et amende le récit d’Emmanuel, qui mets sous le tapis certains points. Le thème de l’affrontement ou de la collaboration des pouvoirs spirituels et temporels et du dévoiement de ces pouvoirs (que ce soit les actions de Fulbert et Vilmain, adversaires extérieurs bien visibles), ou celui de Colin ou d’Emmanuel lui-même, qui prônent une démocratie qui est quand même bien alignée derrière leur leadership est bien mis en scène. Les tensions entre croyants et athée, militant au PC et traditionalistes, ruraux et urbains (et ceux qui parlent ou non le patois) fonctionnent bien aussi.

Je recommande.

The Way Home, de Mark Boyle

Essai paru en 2019. L’auteur raconte l’année qu’il a passée sans « technologie », ie sans gaz, électricité, et un minimum de plastique, le tout dans une cabane qu’il a construite lui-même et en produisant/pêchant sa nourriture (il ne veut pas dépendre de chaînes logistiques et causales qui détruisent le monde).

Je ne suis clairement pas d’accord avec toutes les vues, propositions, affirmations de l’auteur, mais c’est très intéressant de lire son expérience, ça donne pas mal à réfléchir à ce qu’on considère comme acquis dans la vie moderne, et ce qu’on considère ou non comme enrichissant vs aliénant. En plus il pousse l’expérience à son extrémité, et il le fait selon un style de vie qui est quand même assez individualiste : il vit avec juste sa compagne, sur un terrain qu’il possède, il a du temps pour acquérir les compétences nécessaires. Ce n’est pas donné à tout le monde. Mais par ailleurs il vit en autonomie poussée au maximum, sans tricher en dépendant de la mécanisation de ses voisins (il demande de l’aide pour transporter des trucs en brouette à plusieurs, mais pas en voiture, il se déplace en vélo – mais accepte de faire du stop quand il a besoin d’aller voir ses parents à plusieurs centaines de kilomètres).

Je recommande.