Archives de catégorie : Arbres morts ou encre électronique

Spinning, de Tillie Walden

Bande-dessinée autobiographique où l’autrice de On a sunbeam raconte les années de sa jeunesse où elle faisait du patinage artistique et synchronisée. Elle détaille comment les entrainements et les compétitions dans des patinoires du sud des États-Unis rythmaient sa vie, ses amitiés féminines, son coming out auprès de sa famille, son premier amour…

C’est une BD assez volumineuse mais très agréable à lire, Walden est très douée pour faire partager des sentiments, des émotions. Le dessin est en noir et blanc et jaune, avec le jaune utilisé pour mettre en valeur certaines illuminations, ça marche très bien.

Je recommande.

16 Ways to defend a walled city, de KJ Parker

Roman de fantasy britannique de 2019. Orhan, le narrateur, est un militaire de l’empire Robur.
Chef du Corps des Ingénieurs, il a réussi à obtenir son poste à force d’intrigues et d’astuces, alors même qu’il ne fait pas partie de l’ethnie dominante de l’empire, qui affiche ouvertement des opinions et politiques racistes. Par la force des circonstances, Orhan se retrouve à devoir organiser la défense de la capitale de l’empire, alors que celle-ci se retrouve assiégée par un ennemi qui a très exactement su comment exploiter les faiblesses de l’organisation centralisée de l’Empire.

J’ai bien aimé. C’est beaucoup de descriptions présentant comment arranger in extremis des situations désespérées en détournant les procédures et les fonctions, il y a un petit coté « la version fantasy de The Martian ». Le narrateur a un humour pince-sans-rire qui passe très bien et ça se lit tout seul. L’univers mis en place est intéressant aussi, avec un empire qui rappelle l’Empire romain + le côté puissance navale de l’empire britannique, avec une technologie fin du Moyen-Âge et des politiques ségrégationnistes. Quelques défauts cependant : la fin ouverte est un peu frustrante, on a l’impression que l’auteur en a eu marre de son histoire au bout d’un moment. De plus, sur certains passages on sent que l’univers est excessivement organisé pour que le narrateur puisse tenter de mettre en place ses hacks. C’est détourné par le fait que le narrateur dit explicitement à un moment qu’il n’est pas forcément un narrateur fiable, mais quand même.

Très bonne lecture si vous aimez le worldbuilding et les ingénieurs désabusés.

Tome 2 : How to run an Empire and get away with it

Petite baisse de niveau par rapport au tome 1. On est dans le même univers, 7 ans plus tard. Le siège de la Cité est toujours en cours, Orhan est mort. Notker, un acteur de théâtre est recruté par la junte en place pour jouer le rôle de Lysimachus, l’ancien garde du corps d’Orhan et visage du régime. A force de jouer le rôle du régent, Notker va peu à peu assumer la fonction, et trouver des solutions aux différents problèmes qui minent la Cité.

On est sur le même type d’intrigue que dans 16 Ways…, mais Notker est un dirigeant moins crédible qu’Orhan (au vu de son passé et de la façon dont il se retrouve au pouvoir) – et un personnage moins intéressant, étant Robur et non pas d’une minorité ethnique. De plus, le principe du fix-it fonctionne moins bien quand on est sur des questions de politique que sur des questions d’ingénierie comme dans le premier tome. Le point de vue de vue d’un outsider sur les événements des premiers tomes et comment le rôle d’Orhan a été effacé de l’Histoire même seulement sept ans après est intéressant, mais globalement l’histoire fonctionne quand même moins bien que dans le tome 1.

The Rift, de Nina Allan

Roman anglais de 2017. On suit le point de vue de Selena puis de sa sœur Julie. Julie a disparu quand elle avait 17 ans, et elle réapparaît une quinzaine d’années plus tard. Elle révèle à Selena qu’elle s’est accidentellement retrouvée sur une planète extraterrestre pendant ce laps de temps, et qu’elle est revenue sur Terre tout aussi involontairement il y a quelques années. Selena a logiquement un peu de mal à croire sa sœur.

Je classerai le roman en weird fiction. La question de si Julie invente ce qu’elle raconte n’est pas tranchée à la fin du roman : il y a des éléments qui confortent ce qu’elle dit, mais le roman ne donne pas non plus de preuve irréfutable. Il complique même encore la situation avec les révélations du dernier chapitre. Pour autant, le roman n’est pas orienté science-fiction mais largement plus sur le côté prosaïque des relations familiales et humaines. Le style littéraire est intéressant : par moment la narration classique s’interrompt pour laisser de courts passages façon script de film, ou laisse la place à des articles encyclopédiques décrivant des animaux évoqués dans le court du récit. Les événements sont aussi racontés de façon non chronologique, avec ce qui semble être un présent de narration situé au moment du retour de Julie, mais fréquemment entrecoupé de retour en arrière sur sa disparition, la vie de Selena et de ses parents entre temps, le long passage de la description de la vie de Julie sur Tristane et l’organisation de la société de Tristane, les extraits du journal de Quinn…

Sans avoir été pris aux tripes par le livre, j’ai trouvé intéressante l’approche stylistique un peu expérimentale et le coté weird fiction.

La Maison, d’Emma Becker

Roman français de 2019, autobiographique (ou autofictionnel). La narratrice relate ses deux ans à travailler en tant que prostituée dans une maison close berlinoise, expérience qu’elle a apprécié (dans le second bordel qu’elle a fréquenté, le premier étant plus glauque et sans solidarité féminine). Il y a quelques passages intéressant du point de vue du fond et de la forme, mais sur l’ensemble du roman je n’ai pas été passionné, ça se regarde un peu trop le nombril et ça parle un peu trop de sexe (ça se regarde un peu trop la vulve, quoi). Pour le second point ça pourrait sembler obligé vu le sujet, mais au contraire, ce sont les passages qui ne parlent pas de sexe mais de relation humaine autour, avec les clients ou avec les autres prostituées ou autres employées du bordel qui sont les plus intéressants.

Places in the darkness, de Chris Brookmyre

En orbite autour de la Terre, Ciudad del Cielo, une gigantesque station spatiale gérée par un consortium de multinationales, est officiellement la première ville sans crime de l’histoire de l’Humanité. Dans les faits, le néolibéralisme exacerbé du projet fait qu’en dehors des classes dirigeantes tout le monde a un boulot au noir en plus de son travail officiel, et que les trafics en tous genres pullulent. La nouvelle et idéaliste officier de liaison des ~Nations Unis auprès de la force de sécurité privée de CdC va cependant rapidement se voir confronter à un meurtre indéniable, et va tenter de travailler avec Nikki Fixx, une ancienne détective du LAPD et flic ripou de CdC pour comprendre ce qui s’est passé.

L’univers est cool et bien rendu. On croit à la station spatiale néolibérale, à son fonctionnement quotidien, beaucoup de détails bien imaginés. L’intrigue principale de polar était assez décevante par contre. Si le personnage de Nikki est plutôt réussi au début, il s’étiole au fur et à mesure, quand on découvre que la flic ripoue a en fait un petit cœur battant plein de sentiments sous sa carapace. Le personnage d’Alice était assez peu crédible dès le début, et ça ne va pas en s’arrangeant. Beaucoup de révélations ou même de setup qu’on voit venir à des kilomètres, j’ai fini le roman assez blasé. Dommage au vu de l’univers mis en place.

Le Guépard, de Giuseppe Tomasi di Lampedusa

Pride and Prejudice x L’Éducation sentimentale

Roman italien de 1958. Dans les années 1860, Fabrizio, prince de Salina en Sicile voit la révolution italienne déferler sur son île et déposer le roi de Sicile. Désabusé, il constate que les changements au sommet de l’État ne sont finalement qu’apparents, une classe dirigeante en remplaçant une autre au sommet de la pyramide sans que rien ne change plus avant, la Sicile étant un pays trop fatigué et trop persuadé d’avoir raison pour changer. Fabrizio assiste cependant en même temps à la lente disparition de son monde aristocratique pour un nouveau monde bourgeois, des usages et des savoirs disparaissant avec lui.

J’ai beaucoup aimé. C’est un classique à côté duquel j’étais passé, mais qui vaut le coup. Le côté fin de règne désabusé est très bien rendu. Les personnages – au premier rang desquels Fabrizio – sont bien écrits, l’opportunisme politique et la perception du sens de l’Histoire de Tancredi qui permet à la famille de ne subir aucun désagrément avec le changement de régime est bien rendu. La perception aigue du monde par Fabrizio sans qu’il n’ait pour autant aucune prise sur lui est intéressante.

Argentine, de Joël Houssin

Un roman de SF français de 1989. Dans une ville qui est une prison politique à ciel ouvert, on suit Diego, un ancien chef de bande forcé de rempiler pour tenter de sauver son frère qui veut marcher dans ses traces, alors que la ville devient de plus en plus violente.

C’était intéressant, mais surtout sur le côté archive historique de la SF française. Il y a un côté fable dans la façon dont on nous balance dans cet univers avec des personnages très manichéen et un contexte plus large jamais expliqué. Niveau genre et sexualités, on sent le côté daté aussi : tous les personnages féminins sont des intérêts romantiques ou sexuels. Il y a cependant des passages intéressant, j’aime bien l’écriture de Houssin, mais de mémoire (parce que ça fait longtemps que je l’ai lu), j’avais préféré Le Temps du Twist, du même auteur.

Le Bateau-Usine, de Takiji Kobayashi

Livre japonais de 1929, qui raconte la vie sur un bateau usine qui va pêcher et mettre en conserve des crabes au large du Kamtchatka. La vie à bord est atroce, les marins, les pêcheurs et les ouvriers sont mis en concurrence par le contremaître et l’intendant qui représentent la compagnie qui a affrété le bateau, qui se foutent éperdument de leur vie tant qu’ils peuvent gratter un peu plus de profits. Les journées durent 10 à 13h, les dortoirs collectifs sont immondes, les chaloupes sortent même par avis de tempête… Kobayashi dépeint dans son roman la réalité du travail de l’époque (une postface à l’édition française raconte comment il s’est documenté), et comment c’est l’action collective qui permettra aux exploités de réussir à faire ralentir la cadence, par une grève largement suivie (mais après plusieurs morts et de nombreux estropiés…).

Ca se lit vite et c’est un témoignage intéressant sur les conditions de vie des ouvriers japonais de l’époque (à rapprocher de La Scierie) et de comment les idées communistes tentent de se diffuser à l’époque.

Anima, de Wajdi Mouawad

Pour le point de vue d’OC sur le même roman, allez voir ici.

Roman de 2012. Au Québec, une femme est assassinée de façon sordide. Son mari va se mettre à la recherche du meurtrier, à travers le Québec, les réserves indiennes d’Amérique du Nord, les États-Unis. Toute la narration va être faite du point de vue d’animaux présents sur les lieux où le mari se rend.

Le concept est intéressant, mais j’ai été assez déçu par la réalisation. D’une part, le fil narratif à base de femme assassinée pour que des mecs puissent faire des affaires de bonhommes, bof. Surtout que le motif est réitéré plus loin. Y’a d’autres occurrences de violence assez gratuite par ailleurs, et clairement décrites avec trop de détails pour mon goût.

Et de plus, le côté « voix animales » est assez mal rendu je trouve : on passe par plein de narrateurs et d’espèces, mais à part pour quelques unes, le côté préoccupation et perceptions spécifiques à une espèces sont peu rendues : les animaux se préoccupent avant tout de la présence de cet humain spécifique dans leur environnement. Le style est par moment beaucoup trop ampoulé pour moi aussi.

Concept intéressant mais thème et réalisation décevante, je ne recommande pas. Lisez plutôt du Morizot pour des points de vue animaux.

Quinzinzinzili, de Régis Messac

Nouvelle de post-apo française de 1935. Régis Messac imagine en 1935 une seconde guerre mondiale qui éclate l’année même, opposant Allemagne, Japon et Angleterre à la France, l’URSS et les USA. Peu importent les détails du conflit, l’usage d’une arme secrète vient bientôt éradiquer les deux camps entièrement, en répandant du gaz hilarant en quantité mortelle sur tous le globe.

Le narrateur survit parce qu’il était en train de faire de la spéléo dans une grotte en tant que moniteur d’une sortie d’un sanatorium pour enfants. De ce qu’il en sait, l’Humanité se réduit désormais à lui et une demi-douzaine d’enfants, qui régresse à un stade d’intelligence inférieur, s’inventent une espèce de patois pour communiquer et s’encombrent de toute une superstition qui prend de plus en plus de place.

C’est un texte assez misanthrope, avec un narrateur sévèrement déprimé qui méprise totalement les gamins qui constituent les derniers représentants de l’Humanité. La nouvelle décrit leur vie dans ce monde bouleversé, et les relations violentes entre les membres de la communauté, jusqu’à la mort du narrateur. C’était intéressant comme exemple d’une SF post apocalyptique d’époque, mais c’était pas un texte incroyable en soi.