Archives de catégorie : Arbres morts ou encre électronique

La Pierre Jaune, de Geoffrey Le Guilcher

Roman d’anticipation français paru en 2021. Le livre imagine les conséquences d’un attentat sur l’usine de retraitement des déchets radioactifs de La Hague : un accident nucléaire rendant toute une partie de l’Europe de l’Ouest inhabitable. Mais au lieu de suivre sur le long terme les changements géopolitiques que ça impliquerait, la narration se focalise sur une communauté autonome vivant sur une presqu’île bretonne, dans les mois suivants l’accident. La narration est portée par Jack, un policier anglais qui s’était infiltré dans la communauté dans les jours précédant l’accident pour confirmer la présence de deux militants anglais. D’une position d’outsider, il va progressivement s’intégrer à la communauté, alors que la chute des réseaux de communication le coupe de tout contact avec sa hiérarchie policière.

J’ai bien aimé. Le côté « deux minutes dans le futur » avec un faux discours de Macron fonctionne bien. Les articles de blog publiés par le collectif et repris par lundi.matin et al sont franchement crédibles. On sent que l’auteur a bossé le sujet de l’accident nucléaire (le point de départ du roman, expliqué dans la préface est un rapport scientifique sur les conséquences d’un tel accident ou attentat). Le roman est relativement court (je l’ai lu en une nuit) mais campe bien ses personnages et leurs nuances de gauchisme. Jack et son passé de flic tourmenté sont finalement les moins crédibles. Les évolutions géopolitiques transmises par bribes via les rares moments où la communauté réussit à avoir des nouvelles du monde extérieur sont tristement crédibles (une gestion du problème qui fait penser à celle du covid…), et la façon dont le livre plonge le lecteur dans le point de vue de Jack pour l’en arracher sur le dernier court chapitre fonctionne assez bien.

Je recommande.

Noon du soleil noir de LL Kloetzer

Novella de fantasy française parue en 2022. On est dans un univers de fantasy assez classique, avec une ville-capitale qui existe depuis des éons où la ville est construite sur de la ville construite sur de la ville. Yors est un ancien mercenaire qui gagne sa croûte au jour le jour. Il fait la rencontre de Noon, magicien autoproclamé qui débarque de nul part, et se met à son service. Noon a une vision très codifiée de la magie, qu’il exerce surtout en basculant dans un monde-reflet, où il interagit avec des entités mystérieuses ou les morts. Il va se comporter comme un Sherlock Holmes, ouvrant une boutique mais ne voulant s’occuper que de cas intéressants et réellement magiques, ce qui va finir par vraiment arriver avec la disparition d’un médaillon lié à un ancien dieu-serpent…

J’ai bien aimé. J’ai tout lu en une soirée, c’est une fantasy très classique, avec une vibe Jaworsky/Miéville et un côté enquête à la Sherlock Holmes (avec le duo de personnages principaux, le narrateur qui rapporte ce que fait son maître ou ami qui a plus de compétences, la recherche d’un item disparu…). Y’a pas des masses de personnages féminins (après y’a pas des masses de personnages tout court, on voit surtout Yors et Noon).

Entre fauves, de Colin Niel

Roman français de 2020. Martin est agent du parc national des Pyrénées, obsédé par la Nature et farouchement anti-chasse. Apolline est chasseuse à l’arc, fille d’un notable palois, et en partance pour la Namibie pour y chasser un lion classé animal problématique. Komuti est un éleveur himba, dont le troupeau a été décimé par le lion en question. Leurs trois vies vont se croiser dans une narration qui fait des allers retours temporels pour raconter en parallèle la chasse du lion par Komuti et Apolline, et l’identification d’Apolline par Martin à partir d’une photo de sa chasse postée sur les réseaux sociaux.

J’ai bien aimé. J’avais peur que ce soit assez cliché au début, mais la narration propose plusieurs fausses pistes, donne en parallèle le point de vue des trois personnages (et ce qu’ils s’imaginent les uns sur les autres) et les fait évoluer. L’empathie qu’on peut avoir pour le personnage de Martin au début s’évapore au fur et à mesure du roman. C’est écrit un peu comme une murder (et comme une tragédie, pour un sous-plot qu’on voit venir de loin mais qui marche bien dans le style He who fights monsters…).

Baltimore, de Mike Mignola

Durant la première guerre mondiale, Henry Baltimore, un soldat anglais, blesse un vampire qui se nourrissait d’un soldat agonisant sur le champ de bataille. Cet événement déclenche une guerre entre l’Humanité et les forces surnaturelles, réveillées d’un long sommeil. Le comics va suivre les tribulations de Baltimore et de ses alliés à travers l’Europe pour tente de mettre fin aux différentes manifestations du surnaturel qui se déclenchent ici et là, alors que les vampires et des congrégations de sorcières préparent le retour du Roi Rouge, un Grand Ancien.

J’ai beaucoup aimé. J’ai les premiers tomes chez moi mais je n’avais jamais eu l’occasion de lire la seconde partie du comics, là j’ai tout relu d’un seul coup. J’aime beaucoup l’ambiance du comics et le dessin de Mignola. Le setup de la fin de la première guerre mondiale marche bien pour une histoire surnaturelle, et j’aime beaucoup le dessin de Ben Stenbeck, qui reprend bien le style de Mignola mais le rend plus lisible à mon sens (j’ai été moins convaincu par le dessin des autres dessinateurs mais je pense que c’est aussi une question d’habitude). Et les couleurs de Dave Stewart fonctionnent super bien avec l’ambiance de l’histoire.

Je recommande chaudement si vous aimez les trucs horrifiques.

Pour l’autodéfense féministe de Mathilde Blézat

Essai féministe de 2022. L’autrice a rencontré des formatrices et des participantes à des stages d’autodéfense féministe dans différents pays (principalement francophones) et se réclamant de différentes méthodes. Elle retrace l’histoire de ces formations, leur relation à d’autres courants du féminisme, la difficulté d’obtenir des subventions pour ces actions qui relèvent pourtant de la prévention contre les violences sexistes – difficulté qui existe partout mais est encore plus présente en France avec son obsession de l’universalisme et les cris d’horreurs dès qu’on évoque une activité en non-mixité.

Elle s’attarde sur l’impact de ces stages sur les participantes, comment le stage change leur relation à leur corps, à l’espace public, aux autres. Elle détaille aussi comment les formatrices sont en réflexion sur les modalités permettant d’organiser des stages spécifiquement à destination de certains publics : femmes mineures, âgées, handicapées, trans… pour permettre une plus grande inclusivité de ces stages.

C’était fort intéressant et sur un sujet que je ne connaissais pas, je recommande.

Serial Girls, de Martine Delvaux

Essai féministe paru en 2013 et republié en 2022 dans une édition augmentée. L’autrice parle de la question de la sérialité des femmes, vue comme des éléments interchangeables, leur individualité important moins que leurs éléments communs ou différents qui les font appartenir à cette série.

Le sujet avait l’air fort intéressant, et j’ai apprécié le chapitre sur le magazine Playboy, qui parle de ce sujet spécifiquement sous l’angle du male gaze et de la libération sexuelle proclamée qui a surtout été celles des hommes quand pour les femmes c’était une injonction à être de bonnes partenaires sexuelles disponibles pour les mecs, mais j’ai été beaucoup plus dubitatif pour le reste du bouquin, dont je trouve qu’il aligne les grandes déclarations sans faire de démonstrations claires, sans expliciter son propos et en se reposant beaucoup sur le péremptoire. Déception.

Impossible, de Erri de Luca

Court roman italien de 2019. On alterne entre des scènes d’interrogatoire d’un homme par un procureur et les lettres que cet homme compose dans sa cellule à l’attention de sa compagne. L’homme a appelé les secours en montagne pour la chute au fond d’un ravin d’un autre homme, avec qui il partageait un passé commun : ils ont milité dans les mêmes groupes d’extrême-gauche sous les années de plomb, et le mort a dénoncé ses camarades. Est-ce que sa mort est un accident ou un meurtre ? Le procureur essaye de trancher, face à un prévenu plus âgé que lui, témoin du passé de l’Italie, et connaisseur des risques de la montagne. Ils argumentent sur leur conception de la justice et de l’engagement politique.

J’ai bien aimé. C’était assez court mais sympa à lire. Faut dire qu’en combinant randonnée en montagne et discussion sur l’engagement politique à l’extrême-gauche, ça tapait dans mes sujets de cœur.

The Grace Year, de Kim Liggett

Dystopie US de 2019, assez décevante. On est dans un univers rural, où les femmes sont réputées développer des pouvoirs magiques à l’adolescence. Pour que ces pouvoirs ne détruisent pas la communauté, l’année de leur 16 ans (l’Année de Grâce du titre), toutes les adolescentes sont envoyées sur une île où elle vivront entre elles le temps que leur magie se manifeste puis s’épuise. Puis elle reviendront épouser un homme ou rejoindre une communauté de travailleuses. Cette question de l’année de Grâce et du mariage forcé ont toujours intrigué et révulsé Tiernay, l’héroïne, qui va chercher à comprendre ce que cachent ces rituels…

Sur le papier ça avait l’air cool, une dystopie féministe avec un côté Sa Majesté des Mouches/Yellowjackets/The Purge. Mais ça ne fonctionne pas bien, je pense par manque d’un sérieux travail d’édition. Il y a pas mal d’éléments intéressants dans le livre, mais il y a trop de trucs, trop d’éléments qui arrivent d’un coup, ne sont pas bien installés, bien explicités. La fin aurait dû arriver 40-50 pages plus tôt aussi. Soit il fallait couper des trucs, soit il fallait assumer d’en faire une trilogie et pas un seul roman où ça va à 4000 à l’heure. Là y’a un vrai problème d’écriture.

D’autant plus décevant qu’on voit le potentiel gâché. On a l’impression que l’idée de l’éditeur c’était que les dystopies féministes c’était bankable alors allons y sortons des trucs sans y regarder à deux fois. Mais The Handmaid’s Tale ça fonctionne parce que l’écriture et les personnages sont réussis.

It’s Lonely At the Centre of the Earth, de Zoe Thorogood

Comic autobiographique d’une dessinatrice anglaise, parlant de sa dépression, des attentes (les siennes et celles des autres) sur ce que vont être sa vie et son œuvre maintenant que son premier comic a connu du succès.

J’ai pas mal aimé. C’est assez méta, avec plusieurs styles de dessins qui s’entremêlent, plusieurs incarnation de Zoe qui s’interpellent les unes les autres, une tentative de rebooter la bédé de façon plus positive et linéaire à mi-chemin. Le côté introspectif (et dépressif) m’a fait penser à du Carrère, d’une certaine façon. La mise en récit graphique d’une dépression m’a aussi fait penser à C’est comme ça que je disparais, de Mirion Malle, mais j’ai préféré It’s lonely… dans sa mise en forme.

American Hippo, de Sarah Galey

Deux novellas uchroniques états-unienne, paru en 2017 (River of Teeth et Taste of Marrow). Les États-Unis ont introduit des hippopotames en Louisiane pour en faire une source de viande. Des ranchs se sont créés, centrés autour des zones marécageuses. Toute une économie similaire à celle des troupeaux bovins et des cow-boys dans les Grandes Plaines s’est développée. Mais sur une portion du Mississipi, une population d’hippos sauvages échappés des ranchs règne sur les marais. Et les hippos étant des créatures dangereuses et vicieuses, c’est quelque peu un problème. Une équipe de hoppers (=des cowboys d’hippos) est engagée pour nettoyer la zone en sortant les hippos pour les amener sur la côte. Mais rien ne va se passer comme prévu.

C’était agréable à lire mais sans trop de fond. C’était trippant d’avoir tout ce délire sur les hippos américains, c’est un setup d’uchronie original, mais ça fait juste deux novellas marrante, j’ai pas trouvé le fond de l’histoire ou les personnages plus notables que ça.