Après mai 68, pour favoriser la convergence des luttes entre étudiants et ouvriers et pour participer à l’organisation du mouvement ouvrier, plusieurs intellectuels/étudiants/militants de gauche des classes moyennes décident de se faire embaucher en usine pour partager le quotidien des ouvrièr·e·s. Robert Linhart a été un de ces intellectuels établis. Il raconte ici son passage dans l’usine Citroën de Choisy, comment il a participé à l’organisation d’une grève de débrayage, comment il a vécu le travail à la chaîne, les solidarités ouvrières, la répression par l’encadrement. Ça se lit vite et c’est super intéressant, grosse recommandation.
Archives de catégorie : Des livres et nous
Our Kind of Traitor, de John Le Carré
Premier Le Carré que je lisais en VO (et j’ai lu La Constance du Jardinier quand je devais avoir 15 ans). Une histoire d’espionnage bien foutu, notamment parce qu’il y a très peu d’espionnage et encore moins d’action qui est montré : tout est très feutré, on est dans la psychologie des personnages, leurs réactions à une tension qu’ils ne sont pas sûrs de ne pas imaginer, leurs hésitations et interrogations.
Le style de John Le Carré fait que ce n’était pas le bouquin le plus évident à lire en anglais, mais c’est aussi pour pouvoir apprécier le style plutôt qu’une écriture blanche que c’est intéressant de lire en VO.
Le Mythe de Sisyphe, d’Albert Camus
Dans cet essai, Camus tente de répondre à la question « si la vie, l’univers et le reste n’ont aucun sens, pourquoi vivre ? »
Déjà il pose le fait que la vie n’a effectivement pas de sens, s’il n’y a pas de puissance supérieure, de plan divin ou de vie après la mort. On ne vit pas pour se comporter suffisamment bien pour accéder au niveau suivant ou en suivant une morale extérieure ou de façon à remplir tels ou tels objectifs, juste on vit, et au bout d’un moment on arrête de vivre, merci au revoir. Mais on voudrait perpétuellement trouver un sens aux choses. Camus appelle ça l’absurde, et note que c’est suffisamment gênant et angoissant pour que la plupart des gens décident de ne juste pas regarder en face l’idée de la mort, et vivent comme si ça devait durer toujours, en accumulant du capital, des expériences, en planifiant pour plus tard… Il y a des stratégies d’évitement par les loisirs, pour éviter la dissonance cognitive. On peut aussi croire en des trucs plus grands que l’individu (religion, descendance, société (même si à part pour la religion, en considérant que l’espèce est mortelle aussi c’est juste repousser le problème). On peut aussi décider que c’est trop compliqué, inappréhendable et que l’on vit tant qu’on peut et qu’on verra quand ça viendra pour la mort.
Bref, si on regarde le fait de la mortalité en face, si on fait doit faire des sacrifices, gérer des trucs, s’emmerder avec de la logistique pour juste mourir à la fin, pourquoi ne pas sauter les péripéties et directement mourir ? Est-ce que philosophiquement ce ne serait pas plus cohérent ? « La vie n’a pas de sens donc merci mais non merci. » Bah après avoir quand même pas mal orienté la discussion vers là rhétoriquement, Camus nous dit « Eh bah non, pas du tout les gars ! »
Au contraire, c’est précisément parce que la vie n’a pas de sens préétabli qu’elle vaut le coup d’être vécu. Elle échappe à toute logique qui la transcenderait, c’est une occasion unique de faire absolument ce qu’on veut en suivant sa propre boussole interne (ie pas « Absolument tout est permis et personne peut rien te reprocher », mais « Tu juges en ton âme et conscience ce que tu veux faire et ce que tu es prêt à accepter comme conséquence de la société/du monde physique. »)
En résumé :
Bref, ok, mais je trouve pas que Camus fasse l’argumentaire le plus convaincant en faveur de ce point de vue (typiquement le tumblr post plus haut y réussit vachement mieux à mon sens).
La suite de la thèse de Camus c’est qu’il faut tendre à optimiser la durée de vie consciente, ie où l’on sait que l’on est vivant mais qu’on mourra un jour et que chaque instant est unique et précieux (YOLO Camus, I guess), et être sans cesse dans cette tension plutôt que vivre dans la routine. Ok mais ça doit être épuisant à faire. Et est-ce que ça justifie pas de tout faire pour faire advenir le transhumanisme pour étirer encore sa durée de vie et donc sa durée de vie consciente ?
Ensuite Camus analyse deux-trois modes de vie qui illustrent cette vie consciente : l’acteur, le conquérant et le séducteur. Et là je dois dire que ça devient juste du bullshit.
Puis ça finit sur une comparaison de l’absurde de la vie au châtiment de Sisyphe (d’où le titre du bouquin) : la vie n’a pas plus de sens que monter un rocher en haut d’une montagne pour le voir redescendre aussitôt, mais il faut considérer que Sisyphe est heureux pendant qu’il redescend chercher son rocher… Well… OK ? Désolé mais je vois pas ce que tout le monde trouve à cette comparaison, ça pue le faussement profond pour moi : Sisyphe il n’est pas là sans contrainte, il est précisément soumis à une volonté divine et c’est un châtiment. Et il est là pour l’éternité, il ne se débat pas avec le concept de faire ça sur une courte période de temps avant de disparaître pour toujours. Il ne choisit pas en son âme et conscience le chemin qu’il veut prendre et les actions qu’il exécute, il est le jouet du destin. Bref, il faut imaginer Sisyphe heureux, et sans dieux, et volontaire, et mortel. On peut pas juste imaginer un autre gars du coup ? Ce sera plus simple.
How to live safely in a science-fiction universe, par Charles Yu
Un livre sur le voyage dans le temps. Bon, le voyage dans le temps est un prétexte, l’auteur est rapidement assez clair sur le fait qu’il se fiche un peu de faire une histoire cohérente du point de vue du voyage dans le temps, mais ça reste frustrant de ce point de vue néanmoins. Le voyage dans le temps est un prétexte pour un voyage du narrateur à travers ses souvenirs, son rapport au temps et à son père, mystérieusement disparu après avoir inventé la première machine à voyager dans le temps. Je vois ce que l’auteur tente de faire, mais ça ne marche qu’à moitié, avec des passages nostalgiques/retrospectifs réussis minés par l’univers science-fictionnel/obéissant aux lois de la narration dans lequel vit l’auteur en étant conscient d’y être (et y’a tout un jeu sur la conjugaison avec la machine qui voyage entre des passés/présents/futurs indicatifs mais se retrouve soudainement en mode subjonctif dans une espèce d’univers parallèle hors du temps où les choses sont ce qu’elles devraient être, mais ça marche pas trop non plus faute d’être exploré jusqu’au bout. Ce qui a nouveau est frustrant, parce qu’il y avait des idées/une approche originale.
Bref, dans le genre je recommande plutôt Fugues, de Lewis Shiner (d’ailleurs je vais me recommander de le relire tant que j’y suis).
Comment Blandin fut perdu, de Jean-Philippe Jaworski
Recueil en folio 2€ de deux nouvelles de l’univers du Vieux Royaume, celle du titre du recueil et Montefellone. Fantasy sans magie affichée, le récit d’un siège pour la première nouvelle et un récit enchassé où un peintre itinérant raconte à un bivouac l’étrange histoire d’un de ses anciens apprentis dans le second. Très bien écrit, très immersif, du très bon Jaworski, pour se mettre en appétit avant de se lancer dans Gagner la Guerre du même auteur.
Peste et Choléra de Patrick Deville
Une biographie d’Alexandre Yersin, le découvreur du bacille de la peste, Yersinia pestis. Il a eu une vie assez folle, il a vécu 80 ans (1863 – 1943, une période assez mouvementée en soi dans l’Histoire), a connu Pasteur et participé aux grandes découvertes médicales sur les grandes maladies, s’est intéressé à des milliards de trucs (médecine, navigation, astronomie, agriculture, botanique…), et a acquis et géré un domaine d’une taille gigantesque au Vietnam où il a fini sa vie. Il a une vie très clairement indissociable du système colonial français, ce qui n’est pas fou en soi, et il avait l’air confortable avec (et assez sexiste aussi), mais son destin est un cliché de romanesque et d’aventure moderne qui me fait assez envie (probablement parce que les représentations culturelles en sont toujours complaisantes, et que c’est compliqué de déconstruire ce genre de choses). Et le bouquin est fort agréable à lire.
Un arbre couleur pourpre, de Rémi Caritey
Un court livre où l’auteur relate les pensées que suscitent en lui ses visites périodiques au hêtre pourpre présent au parc de la pépinière de Nancy. Ça parle de l’évolution du parc et de l’arbre avec les saisons. Quelques réflexions sur les rapports entre les humain.e.s et les arbres, les significations culturelles collées aux arbres.
La partie que j’ai trouvée la plus intéressante personnellement c’est celle que je connaissais déjà : l’arbre est atteint par 2 champignons lignivores et condamné à plus ou moins brève échéance. Il s’agit d’un arbre de 140 ans, classé Arbre remarquable et assez symbolique pour les services de la ville, et il a été décidé d’accompagner sa fin de vie : plutôt que de l’abattre préventivement, un périmètre de sécurité a été établi autour, ses branches maîtresses ont été haubanées, et on attend que la conjonction de son affaiblissement et d’un grand vent le couche. Ce qui est assez intéressant comme forme de « respect » pour une forme de vie qui est aussi éloignée de nous.
L’Homme doré, de Philip K. Dick.
Recueil de nouvelles de SF. J’aime beaucoup K. Dick, mais là le niveau était assez inégal. Les nouvelles les plus intéressantes sont La Sortie Mène à l’Intérieur, qui parle de choix moraux, et Si Benny Cemoli n’Existait Pas…, qui parle de campagne de désinformation. La nouvelle qui sert de titre au recueil ça fait un peu « Les X-Men vu du point de vue des agences gouvernementales qui les traquent », mais avec une bonne dose de sexisme en plus. Donc bon. Les nouvelles restantes sont assez dispensables.
This Census-Taker, de China Miéville
Très bon, livre, assez court, assez indescriptible. Lu en VO, ce qui en a fait une lecture bien dense vu le style de l’auteur, mais je pense que ça vaut vraiment le coup de faire l’effort de pour profiter dudit style. Récit raconté par un narrateur enfant au moment des faits, qui n’est pas certain de tout ce qu’il a vu, qui alterne entre troisième et première personne pour raconter son histoire, dans un monde dont on sait très peu de choses et qui semble fort mystérieux. J’ai regardé quelques recensions du livre en ligne qui disent qu’il parle avant tout d’incertitude et c’est assez vrai. Tout reste assez obscur après avoir refermé le livre, mais l’histoire reste avec vous.
Bref lisez-le et on pourra en parler ensuite.
Le Baiser du rasoir, de Daniel Polansky
Un peu décevant. C’est un polar transposé dans un monde de fantasy, mais on n’a à la fois pas assez d’infos sur le monde et une intrigue policière pas très originale, où les indices vers le coupable sont bien trop visible pour le lecteur. J’aime bien ce genre de fantasy un peu boueuse, à l’échelle d’une ville et avec des personnages réalistes, mais là je n’ai pas accroché. Tournez-vous plutôt vers Watsburg de Cédric Ferrand ou vers Gagner la Guerre, de Jaworsky