Archives de catégorie : Des livres et nous

Fascisme Fossile, du collectif Zetkin

Essai sur les liens entre extractivisme des énergies fossiles (charbon, gaz, pétrole) et extrême-droite.

Les auteurices montrent que là où on agite souvent le fantasme d’une « dictature verte » (qui prendrait des mesures coercitives pour l’environnement en nous empêchant de manger trois steaks pendant nos voyages en avion quotidiens), en Europe et en Amérique du Nord les partis autoritaires se réclamant du fascisme ou de l’extrême droite sont très largement plus dans la défense des énergies fossiles et du statu quo actuel.

Iels reviennent sur les origines du négationnisme climatique poussé par les majors pétrolières dans les années 60, 70 et 80 puis abandonnées par elles au profit d’une posture de verdissement de façade de leurs activités et de la promotion du libéralisme pour régler la question du climat (à base de bourse du carbone et de banques de restauration écologique). Le négationnisme climatique reste un discours promu par l’extrême-droite jusque dans les années 2010 par contre, couplé à l’idée que la question du changement climatique serait un écran de fumée pour détourner le regard du vrai problème que serait l’immigration, voire pour culpabiliser l’Occident et donc faire accepter plus facilement l’immigration. Bref, ce ne serait qu’une attaque sur le mode de vie occidental et autre délires complotistes.

À partir de la seconde moitié des années 2010, même l’extrême-droite commence à reconnaître la réalité du CC, mais avec un discours comme quoi verrouiller les frontières et réprimer l’immigration serait la meilleure façon d’agir pour la planète : on protège le territoire national des espèces invasives et des populations pas de chez nous du même coup, dans un discours qui confond volontairement le biologique et le social. Entrelacement aussi des thématiques « préférence nationale » et « localisme », et discours sur les « enraciné·es » vs les « nomades » qui reprend la rhétorique antisémite et anti-élites du « cosmopolitisme ». Ce sont ces discours qui font le lien avec les tendances fachos de l’écologie intégrale et avec les stages de survivalisme/thèses effondristes. Intégration aussi d’un discours néomalthusien où le problème de surconsommation des ressources planétaires ne serait pas le consumérisme et le capitalisme mais « les Africains qui font trop d’enfants ». Tout ça est bien pratique pour quand on arrive au pouvoir, ne finalement rien faire sur les questions écologiques (exemple de la Finlande en 2015, où le parti d’ED dans la coalition au pouvoir, malgré son discours vert, n’a rien fait sur la réduction des GES mais a réprimé l’immigration). Bref, par rapport au négationnisme climatique c’est une autre stratégie pour atteindre les mêmes objectifs : promouvoir le racisme et laisser les énergies fossiles tranquilles.

Le fascisme prospère sur les crises. Pour les auteurices, deux types de crises écologiques peuvent faire avancer le fascisme fossile :

  1. Crise d’atténuation : un gouv écolo met en place des politiques contraignantes pour le secteur fossile : cette industrie est incitée à se tourner vers les partis fascistes comme alternative de gouvernement pour préserver leur rente (« plutôt Hitler que les Khmers verts »)
  2. Crise d’adaptation : les conséquences du CC érodent le niveau de vie, boostant l’attractivité des conservateurs ayant une rhétorique à base de « bon vieux temps » et de la défense de la Nation contre celleux qui sont à nos portes et veulent nous prendre le peu qu’il nous reste.

Attrait symbolique des fascistes pour les E. fossiles aussi car il s’agit d’un stock d’énergie vs les renouvelables qui sont des flux. La matérialité des fossiles permet de leur accrocher plus facilement une étiquette du style « notre énergie ». En plus il vient du sous-sol : ça rejoint tout le trip fasciste sur la terre qui ne ment pas, et on peut lui coller une origine géographique donnée (vs le vent et le soleil qui sont totalement indifférents aux frontières). Enfin, les fossiles sont liées à l’Histoire (et aux Mythes) de l’impérialisme et du colonialisme occidentale, avec l’établissement des rapports de domination sur le reste du monde permis par l’exploitation des moteurs à vapeur puis à explosion (les auteurices parlent de technoracisme). Face à ça, les renouvelables sont intangibles et intermittents : on peut plus difficilement leur coller une rhétorique de puissance, de maîtrise totale, de supériorité (les barrages hydroélectriques avec leur constance et leurs stocks d’eau sont d’ailleurs le renouvelable le plus accepté par les fascistes). En plus, pour pallier l’intermittence il est crucial d’avoir un grand réseau connecté : pour l’Europe ça veut dire collaborer entre pays, pas le plus gros trip des fascistes.

L’idéologie cartésienne de « se rendre maître et possesseur de la Nature » a dans pas mal de configurations englobé dans « la Nature » les populations locales non-blanches : il y avait exploitation simultanée du Capital que fournissait la Nature et du Travail des populations en question. De plus, la philosophie extractiviste est plus facile à faire passer en considérant que les locaux dont on pille les ressources et flingue l’environnement sont par essence inférieurs et incapable de bien gérer ces ressources par elleux-mêmes. Le racisme est un outil utile à l’extractivisme.

Célestopol, d’Emmanuel Chastellière

Recueil de nouvelles où la Russie tsariste a implanté une cité sur la Lune à la fin du XIXe siècle, visiblement à l’aide de canons tels que celui de De la Terre à la Lune.

Le pitch est alléchant, mais les nouvelles en soi ont franchement peu d’intérêt, ne développant pas un univers complet qui ne sert que de toile de fond, ne faisant même pas vraiment usage du contexte lunaire, et n’arrivant pas à choisir entre le fantastique, le steampunk, la SF, sans faire non plus un mélange réussi entre les genres. De plus tout est focalisé sur le dirigeant de la cité et plus généralement les élites, et leur terrible décadence, mais plus pour les détailler avec gourmandise que vraiment les dénoncer.

Bref, déception.

Phare 23, d’Hugh Howey

Roman de SF états-unien. J’avais beaucoup aimé Silo du même auteur, mais celui-là m’a laissé plutôt froid. On suit la vie d’un ancien militaire qui veille sur un phare interstellaire, alors qu’une guerre interminable entre les humain.e.s et une espèce extraterrestre fait rage en arrière-plan. Sur le même thème, la Guerre Éternelle de Joe Haldeman était plus intéressant et le précède de quelques décennies.

Téléréalité, d’Aurélien Bellanger

Le dernier roman de Bellanger, sur le paysage audiovisuel français et l’irruption de la téléréalité dedans. Le roman suit la vie d’un drômois qui va monter à Paris et faire carrière dans le milieu de la télé, d’abord comme assistant d’un présentateur puis rapidement comme producteur. Dans l’ombre, il va accompagner les évolutions des programmes télé, puis être un des acteurs de l’introduction de la téléréalité en France.

Le roman reprend pas mal la structure de La Théorie de l’Information, en plus condensé (le roman est court), jusqu’à l’espèce de twist de fin. J’ai bien aimé, plus que ses précédents romans qui partaient un peu dans tous les sens, là on a un propos unique et linéaire. Par contre petit défi pour Bellanger : écrire un roman avec un personnage principal féminin avec la même voix intérieure que ses héros habituels, parce que là la part des persos féminins était assez étique.

Cochrane vs. Chtulhu, de Gilberto Villarroel

Roman chilien. En 1815, le capitaine Eonet est chargé de la défense de Fort Boyard, pièce clef du dispositif imaginé par Napoléon pour protéger la rade des Basques des incursions anglaises. Mais il a aussi une mission confidentielle, accueillir les frères Champollion dans le fort pour qu’ils puissent examiner de mystérieuses inscriptions trouvées lors de la construction, qui parlent d’anciens dieux et de cité engloutie. Les événements vont brusquement s’accélérer avec la capture d’un capitaine écossais renommé, Lord Cochrane, et la manifestation soudaine de phénomènes paranormaux qui semblent annoncer le réveil prochain d’un dieu endormi…

J’ai été assez déçu. Le pitch était alléchant, guerres napoléoniennes + Chtulhu j’étais motivé. Mais la réalisation laisse cruellement a désirer. Beaucoup de répétitions et de didactisme dans l’écriture (notamment sur les éléments lovecraftiens alors que bon si on récupère ce livre c’est a priori qu’on a quelques idées de qui est Chtulhu), et des personnages assez caricaturaux (de valeureux militaires, des savants anémiques, un fourbe commissaire politique !), notamment Lord Cochrane lui même qui est le parfait Gary Stu. Bref, too bad so sad.

L’Hypothèse autonome, de Julien Allavena

Essai politique qui revient sur l’histoire du mouvement autonome, de sa naissance dans les usines italiennes jusqu’à ses évocations sur les rond-points des Gilets Jaunes. L’auteur donne une définition de l’autonomie : articuler à la fois des revendications et une lutte pour sortir la société du capitalisme, et la mise en œuvre immédiate dans son quotidien d’une sortie personnelle du capitalisme, en refusant partiellement ou totalement le salariat, en vivant en communautés autonomes et dans des squats, en pratiquant le parasitisme social (détournement d’électricité, vols dans les magasins, sociabilité et/ou activité productive alternatives…), ce que l’auteur définit comme un communisme immédiat.

L’auteur détaille les différents groupes qui se sont revendiqués ou inspirés du concept : d’abord les ouvriers opéraistes italiens, qui veulent non pas aménager le cadre dans lequel ils travaillent comme dans une revendication syndicale, mais bien s’autonomiser de ce cadre, revendiquant qu’ils ont autre chose à faire de leur journée que produire ou que produire dans le cadre de l’usine avec sa hiérarchie. Ça passe par des sabotages, des grèves sauvages, différentes formes d’actions dans l’usine ou à l’extérieur. Il détaille comment ce mouvement va monter en puissance dans l’Italie des 30 Glorieuses, s’étendre au delà des cercles ouvriers pour être approprié aussi par les étudiant.e.s, et intégrer d’autres revendications que celles liées à l’opéraïsme : féminisme, revendications LGBT. Le mouvement autonome se constitue de groupes voire de groupuscules affinitaires : les hiérachies formelles ne sont pas reconnues, donc pas de structure telle qu’un parti ou un syndicat. Rejet des syndicats existants comme participant à l’aménagement du cadre existant (le reproche classique de cogestion des conditions de travail avec le patronat). Les mouvements féministes et LGBT qui intègrent le mouvement autonome vont rejeter les hiérarchies genrées et hétéronormées des orgas de gauches structurées comme celles du capitalisme, mais aussi logiquement celles du mouvement autonome lui-même, avec ses postures virilistes et la romantisation de la violence. Tout le chapitre sur les mouvements féministes qui se réclament de l’autonomie était vachement intéressant. L’auteur détaille aussi comment l’Autonomie va se focaliser sur la contestation de la Métropole (au début du chapitre je pensais que c’était au sens luttes anticoloniales mais non – et c’est peut-être un thème qui manque dans le livre, si ça a correspondu à une réalité) au sens de la ville néolibérale totalisante ; c’est notamment tout le mouvement d’ouverture de squats en Italie et en Allemagne. L’auteur détaille un peu la trajectoire du groupe Camarades en France, qui serait ce qui s’est le plus rapproché d’un noyau de militants autonomes en France, mais dans un mouvement beaucoup moins d’ampleur qu’en Italie ou Allemagne. Il raconte aussi comment la fin des 30 Glorieuses – où l’État tolérait ce genre d’alternatives et où l’abondance relative de la société sans chômage de masse facilitait le fait d’avoir un mode de vie alternatif – va aussi signer le déclin de ce mouvement en Italie et Allemagne, avec une répression largement accrue, et une polarisation sur des affrontements armés avec l’État (le cas le plus connu étant celui des Brigades Rouges), qui va faire disparaitre les modes de vie alternatif au quotidien.

C’était fort intéressant, et sur un sujet que je connaissais assez peu. Les questions de parasitisme/banditisme social et de toute la tension entre actions d’éclat/participation aux luttes ponctuelles d’une part et vie quotidienne alternative d’autre part était très intéressante.

Je recommande

The Goblin Emperor, de Katherine Addison

Roman de fantasy sorti en 2014. Maia est le plus jeune fils de l’Empereur des Elfes. Fils de sa quatrième épouse, une gobeline épousée pour des raisons politiques, il a été exilé de la Cour et assigné à résidence à la mort de sa mère. Mais voilà, le crash d’un zeppelin a emporté son père et tous ceux qui le précédaient dans la ligne de succession, et Maia est appelé à régner sur une Cour et un pays dont il ne connaît pas grand chose.

La focalisation est interne à Maia, et c’est ce qui fait tout l’intérêt du bouquin : le héros sort d’une enfance particulièrement traumatique, ne fait avec raison confiance à personne et passe son temps à se corriger et à tenter de s’adapter à son rôle et à ce que tout le monde semble attendre de lui sans jamais l’énoncer de façon explicite. Le roman se focalise sur les intrigues de cour et comment Maia manœuvre à travers. On voit assez peu l’univers en dehors du Palais Impérial, ce qui est dommage parce qu’il a l’air assez cool (il y a des zeppelins, donc, et un proto-syndicat, mais ça reste vraiment en arrière-plan). C’est un peu l’esquisse d’un univers, surtout qu’en tant qu’empereur, Maia interagit surtout via plusieurs couches de serviteurs avec le monde et a une parole souvent performative.

Je recommande si vous aimez les questions d’étiquettes et si vous n’êtes pas rebutés par les personnages bien écrit mais quand même très nobles de cœur. Je le rapproche un peu de The Sword of Winter pour le côté roman de cour + fantasy.

L’Ère de l’Individu Tyran, d’Éric Sadin

Malheureusement pas un livre sur les T-rex

C’était très décevant. C’est un essai sur les évolutions récentes des sociétés occidentales. L’intro était relativement intéressante. Elle partait des promesses originelles du libéralisme politique telles que posées à l’époque des Lumières : les individus vont pouvoir se réaliser en tant que personnes affranchies des structures les limitant que représentaient l’Église ou l’organisation de la société en États. Ensuite elle détaillait les évolutions récentes de ces promesses depuis la WWII, avec l’érosion progressive des institutions collectives qui faisaient contrepouvoirs ou filets de sécurité au fur et à mesure que l’épouvantail de l’URSS perd de sa puissance. Puis elle s’attardait sur la frustration légitime des individus qui voient que la promesse de la Croissance et du Progrès se révèle fausse, que les lendemains qui chantent ne sont plus à l’ordre du jour, et que l’influence qu’ils semblent avoir personnellement sur la politique et la marche des choses semble nulle.

Enfin elle arrivait sur l’idée que cette frustration est entretenue, amplifiée et récupérée par le néolibéralisme, via le dispositif formé par les ordiphones et l’accès au réseau qu’ils permettent. Ces outils polyvalents donnent à chacun.e l’impression dans sa vie personnelle d’avoir plus de puissance d’action. On peut commander un VTC ou de la nourriture instantanément – Sadin parle d’un « surclassement de sa propre vie », concept qui semble intéressant en terme de ce que les plateformes vendent comme idéologie mais que le livre ne développera pas plus que ça – on peut mettre en scène sa vie, documenter les événements autour de soi ou donner son avis via les réseaux sociaux depuis n’importe où. À titre individuel on a l’impression de pouvoir faire beaucoup, mais en parallèle le fonctionnement de l’économie de plateforme et plus largement du salariat actuel implique que les salariés soit soumis à plein d’injonctions venant de machines, de protocoles, de normes restreignant leur autonomie. De plus sur le plan collectif les structures qui permettent d’agir on été largement affaiblies ; ne restent alors que comme possibilité l’expression sur les réseaux sociaux, qui donnent l’impression d’agir mais n’a pas de prise sur le réel.

Bon, donc on le voit c’est dense, j’étais forcément d’accord avec tout, mais la thèse semblait intéressante. Certains aspects me faisaient penser à du Lasch ou du Michéa, mais Sadin affirmait explicitement dès l’intro que la frustration des gens par rapport au contrat social trouvait sa source dans l’influence du néolibéralisme sur la société ; ça paraissait intéressant d’avoir cette perspective plutôt que de râler sur la Nature humaine qui comprend rien et la grande ville qui aliène

La première partie du livre détaillait les aspects historique, brièvement les Lumières puis surtout entre 1945 et aujourd’hui. Tout n’était pas fou mais pourquoi pas. Mais derrière, le livre part dans le grand n’importe quoi. D’un point de vue purement méthodologique déjà, c’est affirmation gratuite sur affirmation gratuite, y’a des non-sequitur partout, l’auteur cite des faits divers ou des films pour illustrer son propos. Y’a vraiment rien de scientifique ou de solide là dedans. Il nous fait une petite recension de comment marchent FB, twitter et Instagram sans se poser la question du business model des plateformes derrière. Il affirme que la question des données personnelles est une fausse question. Ah. Il explique que si les gens se mettent en scène et cherchent les likes c’est parce qu’ils sont vaniteux, en faisant l’impasse sur tout ce qui est économie de l’attention et sur les pistes qu’il a lui même posé en intro sur la responsabilité du néolibéralisme dans le tournant individualiste des gens.

Mais le pire est à venir. Parce que derrière tout ça, il nous explique que les gens s’estiment lésés par la société (tout à coup c’est du conditionnel et des tournures à base de « pensent », « croient », « s’imaginent », visiblement il ne s’agit plus du tout de questionner ces inégalités et comment y remédier, c’est tout dans la tête des gens), et que donc ils refusent d’adhérer à tout contrat social et deviennent ingouvernables. Mais qui sont « ces gens » ? Eh bah les vilaines minorités bien sûr ! Donc là on a le droit à une attaque en règle sur les burkinis (qui n’ont été interdit que pour des régions d’hygiène, pourquoi les minorités veulent se soustraire à l’hygiène commune ?), l’écriture inclusive (c’est laid et il faudrait plutôt faire… ce que les militant.e.s font déjà, le mec montre juste qu’il ne connait rien au sujet), les gens qui empêchent la tenue des représentations des Suppliantes d’Eschyle avec des blackface, #MeToo, la PMA, et les transidentités. C’était vraiment le bingo des paniques morales de la droite. Le tout avec un raisonnement tellement décousu que je pense que le livre a été écrit à l’arrache pour répondre en retard à une commande (notamment, vous saurez que la PMA c’est mal parce que c’est comme Elon Musk et les films Marvel. Voilà.)

Bref, la conclusion c’est que le crédit social chinois avec la surveillance de tous par tous c’est mal, les tueries de masse commises par des loups solitaires c’est mal ; et mieux vaudrait trouver une troisième voix intermédiaire où on témoigne plutôt que de donner son avis. Autant vous dire que la critique du capitalisme de plateforme, les enjeux de l’économie de l’attention, les pistes pour sortir de cette frustration de l’impuissance, tout ça c’est carrément passé à la trappe depuis l’intro. À la place j’ai eu « ouin ouin les minorités elles veulent pas le contrat social tel qu’il est actuellement parce qu’elles sont pleine de rancoeurs comme les gens qui votent Trump ».

Je recommande pas trop.

Titanshade, de Dan Stout

J’étais tombé sur le bouquin via sa recension sur Le Culte d’Apophis, un blog mentionné par aaz et qui recense pas mal de bouquin de SF et de fantasy publiés en français ou en anglais. Autant je n’avais pas été convaincu par leur chronique enthousiaste de Promise of Blood, autant pour Titanshade j’ai beaucoup aimé l’ambiance.

Au delà de comment je suis tombé sur le livre, quid ? Titanshade est un polar qui se passe dans la ville éponyme, une cité perdue au nord du cercle polaire, rendue habitable grâce au microclimat du volcan sur les pentes duquel elle est perchée. On suit les aventures de Carter, un détective du TPD, qui coche toutes les cases du cliché du flic de film noir à qui il n’arrive que des emmerdes, à la fois couvert et détesté par sa hiérarchie, tentant d’œuvrer pour le bien public dans un environnement aux institutions corrompues. L’univers est très inventif : Titanshade fait partie d’une coalition de Cité-États, dans un monde couvert d’un continent unique, où cohabitent huit races intelligentes (mais toutes très anthropomorphes, ça pour le coup c’est le seul point un peu dommage), et où la magie existe, mais est en déclin depuis l’extinction pour cause de surpêche des baleines, desquelles était extraite le manna, une huile qui était à la fois une réserve de magie et d’énergie. Depuis, l’industrie mondiale a pivoté vers the next best thing, le pétrole. Ce qui explique l’importance de Titanshade, qui était situé sur d’immenses champs pétrolifères, mais qui arrivent eux aussi sur leur fin de vie… L’univers est dense, donc et l’époque mise en scène ressemble aux années 80 : il y a des pagers, des cabines téléphoniques et du disco à la radio. Entre le personnage principal flic et cet environnement, il y avait de grosses vibes Disco Elysium. L’histoire suit une enquête de Carter avec des enjeux politiques importants, on a vraiment tous les codes du polar avec une couche d’infodump en plus pour détailler l’univers, assez réussie puisqu’elle ne gène pas la progression de l’intrigue.

Je recommande, si vous n’avez pas peur des clichés du polar.

Pourquoi l’amour fait mal, d’Eva Illouz

Essai sur les relations amoureuses dans la société moderne.

Les modalités selon lesquelles on exprime et ressent le sentiment amoureux sont construites socialement – ce n’est pas parce que c’est un sentiment intime qu’il échappe à l’influence de la société, via sa mise en scène dans de nombreuses productions culturelles.
L’autrice commence par parler d’une période historique documenté du point de vue des rapports amoureux, pour mettre en lumière les différences entre cette époque et la nôtre. Dans l’Angleterre victorienne, l’expression des sentiments était très codifiée et surtout très progressive : les émotions exprimées mais aussi ressenties s’intensifiaient avec les étapes. De plus, l’acceptation ou le rejet des propositions de mariage dépendait fortement de critères économiques : on se mariait dans des milieux sociaux homogènes, et c’était avant tout cette homogénéité et la formation de liens sociaux avantageux qui étaient validés par l’acceptation d’une proposition de mariage, pas la valeur intrinsèque du proposant : un rejet n’avait pas le même effet. Par ailleurs la parole donnée engageait fortement : si un meilleur parti se présentait une fois engagé, il était très rare de rompre pour autant.

À l’époque moderne, le sentiment amoureux est sorti de ce cadre social de construction d’alliance et de choix validé par la famille et la collectivité. Le choix d’un.e partenaire est considéré comme relevant purement de l’individu. Avec la diminution de l’endogamie, le nombre de partenaires potentiel.le.s augmente fortement, et en parallèle les critères de choix se multiplient : pouvoir/argent, sex-appeal, culture, hobbies… La compatibilité psychologique et l’attirance sexuelle deviennent des critères de choix déterminants, alors qu’ils n’étaient pas considérés auparavant. Les critères d’attirance sexuelles sont de plus très formatés et prescrits par les médias, et donc standardisés à travers toute la société. L’effet d’attirance in-group est diminué, et une forme de hiérarchie de l’ensemble des gens est mise en place.

La multiplication des options complique le fait de s’arrêter sur une et d’en être satisfait. Par ailleurs, le mécanisme de la comparaison rationnelle des options est pratique pour une décision éclairée, mais diminue l’investissement émotionnel dans l’option choisie in fine : ce n’est pas idéal pour faire des choix amoureux.

Dans la société moderne, le sentiment de valeur dériverait moins d’indicateurs objectifs et partagés par tou.te.s (par exemple la classe sociale – injuste mais objectif), et plus du déroulement des interactions interpersonnelles et de la caleur qui nous est ponctuellement accordée par d’autres. Les relations amoureuses sont alors un lieu privilégié pour se voir accorder de la valeur, mais qui doit sans cesse être renouvelée par la réitération des rituels d’appréciation de l’autre.

Il y a une contradiction entre la valeur donnée à l’autonomie du sujet et le besoin de reconnaissance : demander un approfondissement de la relation ou des preuves d’attachement montre que l’on préfère la relation à notre indépendance. C’est normal (sinon pourquoi initier une relation), mais en même temps ça fait baisser notre valeur de sujet libéral parfaitement autonome. Du coup, dilemme du prisonnier : mieux vaut ne pas faire le premier pas, se faire valider par l’autre en restant soi-même détaché (mais en même temps, si on considère que la valeur de notre partenaire baisse parce qu’il nous donne ces preuves d’attachement que l’on recherche pour voir notre propre valeur validée…). Il faut réussir à trouver un équilibre et se montrer bilatéralement reconnaissant de la relation (donner et recevoir des preuves d’attachement selon des modalités qui sont acceptables pour les deux partenaires). Double-bind qui rend les relations compliquées à gérer.

La vie à deux avec bcp d’activités communes facilite aussi le fait d’être agacé par les comportements de l’autre par rapport à une relation plus distante où l’autre est davantage fantasmé : on est en rapport avec une image projetée de l’autre, pas sa réalité. Les relations modernes où par rapport aux relations victoriennes on se fréquente beaucoup plus complique le fait de ne pas avoir le nez sur la réalité de l’autre, surtout quand on a pour comparaison d’autres personnes que l’on voit de plus loin, voire qui mettent activement en scène leur vie sur les réseaux sociaux, projetant une image idéalisée.

Bref, globalement c’était un essai intéressant (mais très dense, comme toujours avec Illouz) pour réfléchir sur la question de la complexité des relations humaines et notamment amoureuses dans le cadre de la modernité.