Essai français paru en 2022. En partant de trois figures de stars qui proposent une masculinité alternative (Timothée Chalamet, Harry Styles et Tom Holland), l’autrice aborde les sujets de masculinité hégémonique, de qui peut se permettre de subvertir les codes, de ce que veut dire performer le genre et de comment fonctionne l’hétérosexualité en tant que système politique. J’ai moins accroché qu’à Post-romantique, peut-être parce que j’avais déjà plus de bagage sur ce sujet spécifique. Mais c’est une bonne approche (et je vous rassure, la conclusion d’ALM est que ses trois exemples sont bien des exemples de masculinité hégémonique, peut-être un peu toxique que les spécimens classiques (ce qui est déjà un progrès), et qu’on est dans un phénomène classique de réappropriation par le centre des pratiques de la marge pour se renouveler et se maintenir en place. La révolution féministe n’aura pas Chalamet pour porte-étendard, tout reste à faire, et clairement ni par un mec ni par une star.
Archives de catégorie : Des livres et nous
Les Vivants, d’Ambre Chalumeau
Roman français de 2025. Un trio d’ami.es, Simon, Diane et Cora, viennent de finir le lycée. Juste avant la rentrée, Simon est hospitalisé : atteint par un virus rare, il est tombé dans le coma. On va suivre sur l’année les vies de Diane et Cora (et de la famille de Simon) en réaction à cet événement et au reste de leur vie qui continue de se dérouler. On va aussi voir l’historique de la relation entre les trois ami.es, leurs traumas, leurs secrets.
C’était pas désagréable mais ça manquait un peu de matière. C’est très didactique comme roman, et y’a un peu la tentation de la punchline qui ruine l’immersion, j’ai trouvé.
Les Sentiers de neige, de Kev Lambert
Roman québecois publié en 2024. On suit la vie de Zoey et Emie-Anne, deux cousin.es pendant les vacances de Noël 2004. Les deux se sentent différent.es du reste de leur famille. Le fait d’être des enfants de 9/10 ans, qui sentent venir la fin de l’enfance et la bascule dans l’adolescence joue un rôle, mais il y a plus que ça, un mal-être général. Et puis il y a cette créature que Zoey voit, et bientôt Emie-Anne aussi : Skyd, un lutin avec un masque, comme dans The Legend of Zelda : Majora’s Mask. Les cousin.es vont se lancer dans une quête pour comprendre ce que leur veut Skyd et s’il peut les sauver de leur famille.
J’ai beaucoup aimé. C’est une forme de réalisme magique assez particulier. Ce n’est jamais complétement clair si les éléments magiques existent réellement ou si c’est seulement l’imagination des deux protagonistes qui les conjurent. Les deux enfants passent à travers une forme subvertie du voyage du héros, avec des pérégrinations qui pourraient bien être purement intérieures.
Dans tous les cas, on a une narration très réussie qui nous embarque dans le point de vue des enfants, leur compréhension sur le monde des adultes, leur complicité, leurs doutes et leurs traumas, la façon dont ils s’approprient des éléments extérieurs pour leurs jeux et aventures. Mais la focalisation n’est pas purement interne aux deux enfants, on a aussi des passages plus omniscients ou prenant la focale de d’autres membres de leur famille.
Recommandé.
Trouble with lichen, de John Wyndham
Roman de science-fiction anglais publié en 1960. Une chercheuse travaillant dans un institut de recherche privé en biochimie découvre un lichen possédant une molécule – l’antigérone – ralentissant le vieillissement des êtres vivants. Le lichen n’existe qu’en quantité limité dans une région de Chine. L’annonce de l’existence permettant de ralentir grandement le vieillissement est pour la chercheuse une excellente nouvelle, permettant aux gens de réaliser pleinement leur potentiel et d’avoir une vision de long terme, mais elle est persuadée que les institutions actuelles étoufferont cette possibilité, les institutions visant à se perpétuer elles-mêmes et étant calibrées pour des humains vivant 80 ans. Comment dans ce cas faire en sorte de préserver la possibilité de déployer l’antigérone, et à qui administrer les faibles quantités existantes pour le moment ?
C’était court mais ça fonctionne bien. J’avais lu il y a longtemps Le Jour des Triffides de Wyndham que j’avais bien aimé. Faire un roman de SF sur le vieillissement et prendre comme personnage principal en 1960 unE scientifique de génie, c’est assez original (bon, la fin est pas très féministe je trouve, mais pour l’époque c’est quand même novateur). Au delà du concept de l’antigérone, le roman n’est pas très science-fictif, c’est plus un récit de la réception de l’annonce de l’antigérone et de la stratégie de Diana pour faire en sorte que l’antigérone soit acceptée par les structures sociales.
Changer l’eau des fleurs, de Valérie Perrin
Roman français publié en 2019. Violette Trenet est gardienne de cimetière, complètement convaincue par le côté humain et le jardinage impliqués par son métier. Elle a un passé compliqué qui est révélé progressivement, avant d’arriver dans le bonheur simple qu’elle connaît actuellement. C’est un roman à la Anna Gavalda ou Muriel Barbery : ça se lit facilement, on a envie de voir comment ça se déroule et résout, mais bon c’est un peu creux. Les personnages sont gentils, la vie les a cabossés mais y’a un happy-ending, les métaphores sont faciles, ça entremêle plusieurs histoires de relations romantiques, avec éventuellement des rebondissements, mais je trouve tous les persos très unidimensionnels.
Pas convaincu, lisez Âge tendre plutôt.
Cimqa, d’Auriane Velten
Roman de fantasy/fantastique français paru en 2023. Un jour, un phénomène inexpliqué fait que l’Humanité a accès à une nouvelle dimension (la 5e), celle de l’imagination ; certaines personnes peuvent alors faire apparaître les éléments issus de leur imagination. D’abord pour 11 secondes, puis pour des périodes plus longues. On suit en parallèle l’histoire de Sarah, enfant qui est la première à maîtriser l’apparition d’éléments durant plus de 11 secondes, et celle de Sara, qui vit dans un monde où cet usage de l’imagination est généralisé, et qui voudrait vivre en tant qu’imaginatrice indépendante plutôt que d’être obligée de bosser pour une grosse société de production de production de spectacle.
Y’a du potentiel, mais je l’ai trouvé très mal exploité. Le point de départ est sympa, mais il est très rapidement acté que les créatures et concept invoqué peuvent avoir un impact sur le monde réel : le fait de se concentrer sur la question de la production de spectacle me semble partant de là une focale très très réductrice. On a des gens qui peuvent basiquement avoir des superpouvoirs et casser les lois de la physique, et ça ne change pas la société plus que ça ? Et même sur le côté spectacles d’ailleurs, le point de vue « oh non les vilains conglomérats » en faisant comme si c’était possible de bannir totalement le spectacle indépendant pour un truc qui nécessite littéralement aucun investissement préalable, ça me semble assez mauvais comme façon de parler du sujet.
Par ailleurs, le côté « seule une gamine pense au loophole permettant d’étendre la fenêtre d’apparition des concepts » ça marche assez mal pour moi. Le plot twist se voit venir, et bannir le voyage temporel, avant de l’introduire avec une mécanique random, pour en casser le mécanisme 10 pages plus loin, énorme faux pas.
Non recommandé.
L’amour harcelant, d’Elena Ferrante
Roman italien paru en 1992, premier roman publié pour l’autrice. À la mort de sa mère, l’héroïne retourne dans sa ville natale de Naples. Elle se remémore en France, la relation dysfonctionnelle de ses parents, et l’amant présumé de sa mère. Mélangeant passé et présent, souvenirs réels et souvenirs reconstitués, elle glisse entre les époques et reconstitue les derniers jours de sa mère.
J’avais beaucoup aimé l’Amie prodigieuse, j’ai trouvé celui-ci dans une boîte à livres je me suis dit que j’allais tester. On retrouve le style d’écriture d’Elena Ferrante, mais l’histoire est largement moins prenante que celle de l’Amie prodigieuse.
Sympa mais pas transcendant.
Désirer à tout prix, de Tal Madesta
Essai français paru en 2022 chez Binge Audio Éditions. L’auteur revient sur son rapport à la sexualité et sur le fait que ce n’est pas quelque chose de naturel chez lui, mais qu’il n’est pas du tout le seul. Il conteste le fait de décréter qu’une sexualité satisfaisante et épanouie est la norme à laquelle tout le monde doit tenter de se conformer. Cette injonction à la sexualité, même présentée d’un point de vue féministe et sexpositif lui semble servir des intérêts capitalistes (on va vendre une quantité hallucinantes de sextoys, workshops sexo, sexothérapies, applis de rencontres… pour « aider » des gens à se conformer à cette norme potentiellement inatteignable : comme les injonctions sur les standards de beauté c’est un outil très efficace pour pousser à la consommation. On est sur une approche des corps et des trajectoires de vie comme des éléments à optimiser, on se rapproche des théories du biopouvoir de Foucault où ce que l’État et les structures de pouvoir cherchent à contrôler c’est les corps et les représentations mentales des gens) et évidemment hétéropatriarcale, les mecs cishets étant ceux dont la sexualité se rapproche déjà de base de cette norme (sans forcément l’atteindre).
L’injonction à la sexualité épanouie est évidemment renforcée dans le cadre du couple romantique hétéropatriarcal exclusif et cohabitant (le CRHEC, définitivement le concept fil-rouge de mes recensions d’essais en 2025), puisque c’est le flagship du système hétéropatriarcal : le « devoir conjugal » reste un motif de divorce dans la jurisprudence. Cette sexualité est d’autant plus valorisée que c’est celle qui reproduit l’ordre existant en renforçant l’exploitation sexiste et potentiellement en produisant des enfants qui seront élevés dans un cadre normatif.
L’auteur conteste qu’il y ait eu une révolution sexuelle : il s’est agit plutôt d’une intériorisation et individualisation des normes. La contraception par exemple n’est pas forcément une libération : la contraception orale implique une régularité dans sa prise, d’évoquer sa sexualité avec un.e médecin : ce n’est pas un relâchement du contrôle. La contraception permet aussi des corps tout le temps disponibles sexuellement.
Autres façon d’interagir : des foyers non basés sur des relations romantico-sexuelles (colocation, béguinages…), des amitiés, des familles choisies. Autres façons de ressentir du plaisir : des activités physiques non-sexuelles (escalade, course, cirque, autres sports …), du chant, la nourriture partagée, le tatouage (réapppropriation du corps), le contact physique non sexuel…
Le sujet est dans mes thématiques d’intérêt de l’année, pas de grandes découvertes lors de cette lecture, mais les éléments sont bien articulés, on suit bien la thèse de l’auteur, recommandé si vous vous intéressez au sujet.
Children of Memory, d’Adrian Tchaikovsky
Troisième tome dans la trilogie Children of, après Children of Time et Children of Ruin. On retrouve notre civilisation interespèces composée d’Humain.es, de Portides, de Céphalopodes et de microbiote Nodien (si vous ne comprenez rien, lisez les deux tomes précédents !), ou plutôt l’équipage d’un vaisseau d’exploration issue de cette civilisation (globalement ce roman va resserrer le cadre à quelques personnages, on est loin de la dimension space opera des deux tomes précédents), qui va visiter deux planètes qui faisaient partie des projets de terraformation de l’Ancien Empire Terrien : Rourke, puis Imir. Sur la première, une nouvelle espèce dont l’intelligence fonctionne seulement par paires d’individus hyperspécialisés, sur la seconde une colonie d’humain.es isolés, issu.es d’un vaisseau-arche mais dont la technologie a régressé et dont le monde est au bord de l’effondrement écologique (voire, l’a franchi et court dans le vide) et aux abois. Une mission d’observation va s’infiltrer dans la colonie pour déterminer selon quelles modalités le premier contact serait possible avec cette civilisation post-spatiale qui s’imagine un ennemi de l’intérieur au fur et à mesure que ses conditions de vie empirent. Dans cette situation on suit notamment Liff, enfant dont les souvenirs semblent contradictoires entre eux ou directement sortis de son livre de contes, ce qui laisse planer quelques interrogations sur les mécanismes de ce qui se trame sur Imir…
J’ai vu pas mal de critiques négatives sur internet, mais perso j’ai bien aimé. C’est pas au niveau de Children of Time, mais pour moi ça vaut Children of Ruin, juste pas du tout dans le même style space opera. Il y a quelques longueurs, mais la narration avec des aller-retours dans le temps fonctionne bien pour moi. Le côté conte de Grimm et la perception de certains membres de la civilisation interespèces par le regard d’une enfant humaine « à l’ancienne » marche plutôt bien (Avrana Kern en sorcière ou « Paul et ses enfants », c’est limite une fanfic de l’univers déployé jusqu’ici par l’auteur), et rejoint ce que Tchaikovsky avait fait dans Elder Race. Les questionnements sur l’identité déployés par l’auteur avec les différentes versions de Miranda (et de Kern dans une moindre mesure) fonctionnent bien pour moi (ceux sur la conscience aussi, mais c’était déjà le cœur des deux tomes précédents, c’est pas la nouveauté ici).
Recommandé.
J’ignore comment tout cela va finir, de Barry Graham
Recueil de nouvelles paru en 2023 (en France, mais il n’a pas d’équivalent en VO). Des Écosssais, adultes ou enfants, ont des histoires de vie. J’ai beaucoup aimé les nouvelles Elle ressemblait à Tom Hanks et Une chanson d’amour, peut-être, toutes les deux sur une relation amoureuse. Les autres m’ont un peu moins parlé mais globalement j’aime bien le sentiment qui se dégage du recueil.