Archives de catégorie : Arbres morts ou encre électronique

Foules sentimentales, de Pauline Machado

Essai paru en 2024.

L’autrice analyse comment la structure des grandes villes impacte les relations sentimentales qui peuvent s’y nouer.

Présentation des villes comme des territoires mythifiées (vision de NY ou Paris présentées dans les films, imaginaire qu’on en a depuis des territoires plus ruraux) : la ville est là où les choses sont possibles, où les destins peuvent changer : c’est le château du prince dans les contes de fées, là où il faut être pour rencontrer la bonne personne qui va changer votre vie. C’est une vision assez passive, où l’on attend d’un facteur extérieur (le grand Amour, un événement révélateur, un travail) qu’il vienne bouleverser notre vie. Mais c’est une vision qui est largement propagée dans la pop culture et les romcoms.

La ville est un « vivier de célibataires », où le nombre de personnes dans cette situation permet statistiquement des rencontres multiples et un anonymat : l’usage des applis n’est pas du tout le même en territoire rural qu’en territoire urbain. Cet anonymat permet aussi de se réinventer, de se présenter sous son meilleur jour lors d’une nouvelle relation : on n’est pas précédé de sa réputation. Il y a aussi une prise de risque plus faible quand on peut draguer quelqu’un.e qui n’a pas de risques de recroiser nos cercles sociaux : si ça ne marche pas chacun.e reprend son chemin, pas de gêne pérenne ou de passif. Le fait de vivre entouré d’inconnu.es donne de plus l’habitude d’interagir avec des gens sur ce mode « relation entre inconnu.es qui se recroiseront plus », ce qui simplifie le fait de se lancer dans des échanges avec une dimension de séduction avec ces mêmes inconnu.es (practice makes perfect).

Question aussi du coût de la vie en ville, surtout dans les capitales : incite les couples à cohabiter plus rapidement et à faire durer les relations cohabitantes, même quand elles battent un peu de l’aile, parce qu’il sera compliqué d’assumer le coût de la vie seul.e. En revanche, la durée des transports en plus de durée de travail en moyenne un peu plus longue diminue le temps qui pourrait être consacré à du temps perso et notamment relationnel (encore plus vrai pour les personnes habitant dans les banlieues et périphéries des grandes villes plutôt qu’au centre). Enfin, le prisme productiviste plus présent dans les villes que sur le reste du territoire, peut se retrouver dans la façon d’aborder les relations amoureuses (hustle culture aussi dans le dating). A l’inverse, les couples se forment plus tôt (dans la vie des gens, pas dans la relation elle-même) dans les territoires ruraux, et les gens ont des enfants plus jeunes.

L’autrice détaille un peu les possibilités de romances et relations queer dans les villes, et ce côté oasis de rencontres possibles vs le désert que seraient les campagnes, mais lui tord rapidement le cou : si les villes ont cette image et qu’il y a plus d’occasion de socialité queer explicitement marquées comme telle, les territoires ruraux sont plein de personnes queers aussi, juste moins visibles.

C’était sympa mais on reste dans le travers essai de journaliste, je voudrais un travail plus étayé de mon côté.

Relationship Anarchy, de Juan-Carlos Pérez-Cortés

Essai espagnol paru en 2022, qui parle du concept d’anarchie relationnelle. Par rapport à d’autres ouvrages sur les relations que j’ai pu lire récemment l’approche est assez différente : on est dans une approche qui revendique fortement les apports de la théorie politique, avec beaucoup de références à Foucault, aux penseurs de l’anarchisme et du féminisme (et même un petit passage sur Bertrand Russell). C’est plus exigeant à lire, mais c’est assez stimulant aussi.

Je n’ai pas tant réussi à faire une fiche de lecture bien ordonnée comme pour d’autres ouvrages qu’une prise de notes qui part un peu dans tous les sens, mes tentatives de réordonner tout ça après la fin de ma lecture n’ont pas eu un grand succès ; si ça ne vous rebute pas, lesdites notes ci-dessous.

Si je devais résumer très grossièrement la thèse : étant donné que le personnel est politique, les principes de base de l’anarchie politique peuvent être appliquées aux relations interpersonnelles. Ça implique d’avoir des relations qui rejettent les normes préétablies et les cadres tout faits comme « couple », ou « ami.es », pour à la place laisser les personnes impliquées dans la relation en définir les modalités. Ces modalités ne peuvent pas comporter de restrictions sur ce que font les participant.es à cette relations dans les moments où ils sont en dehors de la relation. Ça implique notamment de ne pas pouvoir exiger de l’autre une monogamie dans le cadre des relations romantico-sexuelles, mais ce n’est qu’un byproduct, pas du tout le cœur de l’anarchie relationnelle, et par ailleurs des anarchistes relationnels peuvent tout à fait décider (pour elleux-mêmes, par pour les gens avec qui iels relationnent) qu’iels veulent rester monogame. Ça implique aussi de pouvoir avoir des relations romantiques sans sexualité, des relations sexuelles sans attache romantique, où n’importe quel autre modèle relationnel auquel les participant.es souscrivent librement.

L’anarchie relationnelle s’attache aussi à prendre en compte les différences de privilèges dans une relation, en affirmant que le modèle du contrat relationnel librement consenti entre deux parties égales est une fiction : certain.es ont plus de pouvoir, et le but n’est certainement pas de se débarrasser des anciens cadres pour permettre aux plus privilégiés d’imposer leur cadre.

Globalement j’en retiens que c’est un modèle intéressant mais avec un haut niveau d’exigence, puisque chaque nouvelle relation doit être discutée et construite de zéro.

L’auteur commence par retracer l’origine du terme (une université d’été anarchiste suédoise pour la première occurrence dont il a trace), sa diffusion dans les milieux anarchistes, l’intérêt qu’il suscite dans différentes communautés (anarchistes, milieu académique, communautés queers). Globalement, l’anarchie relationnelle propose de déconstruire le primat donné au couple romantique hétéropatriarcal exclusif et cohabitant dans les relations humaines, ce qui est d’intérêt notamment pour s’attaquer à l’hétéropatriarcat et à l’essentialisation des rôles genrés, et affirme que les cadres préétablis pour les relations – avec notamment la dichotomie amours/amitiés – sont contraignants et que mieux vaut construire ses propres cadres pour chacune de nos relations (c’est du boulot, mais c’est plus gratifiant à la fin, on retrouve bien là l’approche anarchiste des relations humaines).

L’auteur note l’intérêt des communautés aromantiques et asexuelles (aroace) pour le modèle de l’anarchie relationnelle, en ce qu’il retire à la sexualité son statut d’indicateur de l’intensité de la relation.

Détour historique pour rappeler que l’anarchie ce n’est pas l’absence de règles ou d’organisation, c’est l’absence de hiérarchie : on ne reconnaît pas de légitimité des organisations basées sur des dynamiques de pouvoir inégales. Éléments historiques aussi pour rappeler la misogynie de Proudhon, les apports du féminisme et ce qui est devenu l’anarcha-féminisme et ses points de rupture avec le féminisme bourgeois.

L’auteur ne nie pas que se plonger dans l’anarchie relationnelle est compliqué, ça demande des efforts, y’a pas de script, et faut lutter contre plein d’attentes sociétales qu’on a internalisées. Le but n’est pas non plus de dire que le modèle de l’anarchie relationnelle est meilleur que d’autres modèles qui s’éloignent du CRHEC, chacun·e fait les pas qu’iel peut.

 « Dans beaucoup de formes de relations non-monogames, des traces du modèle hégémonique réémergent, créant une situation de privilèges qui n’est pas remise en question ou discutée. Les accords passés dans les relations amoureuses déterminent les limites et obligations de tou·tes celleux qui les ont acceptés, ainsi que de tou·tes celleux qui pourraient être impliqué·es par la suite. C’est une forme de « dictatures des accords préexistants ». Cette culture du consensus peut justifier des hiérarchies, des privilèges, des prérogatives, des vétos, des dynamiques de pouvoirs… avec la justification que « si c’est consensuel, c’est éthique ». » (translation by yours truly)

Sur les labels de relations :

C’est ok de garder les labels de types de relation (ami·es, amant·es, amoureu·se·x, …) si ça aide à se situer, mais du point de vue de l’auteur ce que veut dépasser l’anarchie relationnelle c’est que ces labels s’accompagnent de règles strictes préétablies sur le comportement à adopter quand on revendique ce label : même si ce sont des règles établies entre les participant·es à la relation (dans le cadre du polyamour par ex) : l’attachement à des règles ou à cette philosophie de vie ne doit pas dépendre de si on se situe dans le cadre de la relation : le care, le commitment et le respect des limites établies collectivement ne sont pas dépendantes du fait de se conformer à un cadre initial, c’est accepté plus généralement.

Cependant, vu que ces labels correspondent à des cadres normés prédéfinis et avec une certaine valeur (le fait d’être « en couple » ou non notamment), on peut passer beaucoup de temps sur la question de savoir si la relation qu’on a peut réclamer ce label ou non (ce qui est d’ailleurs le cas aussi avec le label « anarchie relationnelle », ce pourquoi l’auteur propose de juste répondre aux questions précises qu’on lui poser sur le statut de ses relations avec « je relationne avec les gens d’une façon différente »). De plus, les attentes « classiques » de ce qui se retrouve habituellement dans les relations réclamant ce label peuvent progressivement s’imposer à la relation à laquelle on a accolé ce label même si on voulait en faire quelque chose de différents (internalisation de la norme ou pression de l’entourage).

Rejeter les cadres relationnels préexistants pour à la place avoir des règles self-managées. Reste un socle de règles mais qui sont un peu la règle d’or anarchiste : assistance mutuelle, autonomie responsable, horizontalité, rejet des structures de pouvoirs (apparentes ou dissimulées), souveraineté individuelle dans le choix de s’associer ou se séparer (libre association), pas d’interférence dans les relations des autres et leur fonctionnement sauf pour faire respecter ces principes.

Reconnaît l’apport de The Ethical Slut et des autres ouvrages sur le polyamour, mais note que c’est une approche de développement personnel, souvent psychologisante, et qui fait pas mal l’impasse sur les enjeux structurels et normatifs qui pèsent sur les choix personnels. Note aussi que l’approche récente de ce courant, qui sort de la question pure de « multiplier les relations romantico-sexuelles » pour parler plutôt de « rhizome affectif » est la plus intéressante à ses yeux.

Liens entre l’anarchie relationnelle et la queer theory :

  • Dans l’approche de Foucault du pouvoir, le pouvoir n’est pas exercée de façon unilatérale par un dirigeant sur un peuple avec un appareil répressif, mais passe par un ensemble de normes et de privilèges qui se renforcent les uns les autres et établissent des gradients de gens se conformant plus ou moins à ces normes ==> la famille nucléaire est une de ces normes renforçant la kyriarchie, il y a un intérêt à proposer des façons alternatives de relationner ;
  • Rendre plus fréquentes et visibles ces façon alternatives de relationner permettrait de casser l’insécurité liée au fait de ne pas correspondre au modèle dominant
  • De la même façon que le genre est une performance et non une caractéristique innée, les relations sont ce qu’on en fait et non pas des constructions innées descendues d’un idéal platonicien
  • Ce n’est pas parce que les relations sont des constructions sociales qu’elles ne sont pas réelles et qu’elles n’ont pas un impact sur la vie des gens

L’auteur oppose l’anarchie relationnelle à l’escalator de la relation – et ses dérivés. Son argumentation est que les couples ouverts, les swingers, le polyamour hiérarchique et même non-hiérarchiques aménagent ce modèle d’escalator à la marge mais ne s’en éloignent pas vraiment : les relations sont supposées progresser sur l’escalator, avec la possibilité de plusieurs relations en parallèle qui peuvent (polyamour hiérarchique) ne pas avoir le droit d’atteindre la dernière marche de l’escalator, mais on ne sort pas d’un modèle où on a de plus en plus de droits sur l’autre et devoirs envers lui.

Sur la monogamie, il constate son ubiquité comme référence (avec des variations) et son usage comme élément de contrôle/coercition, mais il insiste sur le fait que l’anarchie relationnelle n’est pas spécialement non-monogame : ça n’est ni suffisant (la non-monogamie peut être coercitive et normée), ni nécessaire (l’AR peut mener à avoir des relations affectives monogames).

Des exemples de présupposés liés à la pensée relationnelle hégémonique :

  • Les engagements les plus importants (parentalité, achats d’un bien immobilier, cohabitation) doivent se faire dans le cadre d’une relation romantico-sexuelle.
  • L’assistance mutuelle entre participant.es à une relation a un caractère différent selon le type de relation
  • Les relations romantico-sexuelles doivent avoir un début et une fin claire (il peut y avoir du on/off, mais il faut savoir où on en est) pour avoir les bons comportements liés à ce type de relation (aussi bien les propositions sexuelles que ne pas faire la bise à sa relation affective ou smacker son ami.e)
  • On peut négocier d’égal·e à égal·e ce que l’autre à le droit de faire de son temps et de son corps quand on n’est pas là, en échange de concessions de notre côté aussi – c’est ok d’avoir ce pouvoir sur l’autre et on peut le négocier en s’extrayant des privilèges interpersonnels.
  • Une certaine perte de vie privée vient avec certains statuts relationnels où l’autre est légitime à vouloir savoir ce qu’on a fait en son absence.

Sur les asymétries de privilèges, l’auteur note que l’insistance sur le fait de ne pas se conformer aux modèles relationnels préexistants et de ne pas nommer la relation peut aussi servir à filer plus de pouvoir à la personne en situation de domination dans la relation – et peut être perçue comme une façon de nier l’importance de la relation, ce qui peut être traumatique. Toujours se poser la question de d’où on parle et comment les choses peuvent être reçues.

Harlem Shuffle, de Colson Whitehead

Roman policier paru en 2021, qui se passe dans le Harlem des années 60. Ray Carney est un marchand de meubles noir installé de Harlem. Il a à cœur de réussir sa vie et de grimper socialement, avec le contre exemple de son père qui était un petit criminel. Mais en même temps, Carney a un pied dans le monde criminel, où sa boutique sert de façade pour faire du recel d’objets volés. D’abord focalisé sur les télés, radios et autres meubles qu’il peut écouler dans le cadre de son activité de jour, Carney se met progressivement à écouler des bijoux et autres artefacts. On va le suivre en focalisation interne (mais on a un narrateur omniscient donc par moment on va avoir des précisions extérieures à Carney sur certains éléments) sur trois périodes, trois affaires criminelles desquelles il va se mêler, souvent par l’intermédiaire de son cousin Freddie.

J’ai trouvé ça moins prenant que d’autres romans de Colson Whitehead que j’ai pu lire (Nickel Boys, The Underground Railroad), c’est peut-être parce que celui-ci est le premier que je lis traduit plutôt que de lire la VO. Mais ça reste un bon roman, on se fait embarquer par la vie de Ray Carney et le Harlem de l’époque, avec sa vie pour beaucoup parallèle à celle des quartiers blancs voisins, mais qui trouve des intersections lors d’émeutes suite à des violences policières, ou lorsque la police vient récupérer son enveloppe auprès des criminels notoires (dans un move qui fait penser à Serpico).

The Ethical Slut, de Janet W. Hardy et Dossie Easton

Essai sur les relations paru en 1997, j’ai lu la 3e édition, qui date de 2017.

J’ai à moitié recensé le bouquin, parce que tous les chapitres ne m’intéressaient pas au même niveau (l’étiquette à adopter durant les orgies par exemple, c’est pas immédiatement applicable à mon style de vie – mais sachez que faut pas placer les archiducs à une place inférieure à celle des archevêques, même si pour le reste la hiérarchie ecclésiastique à préséance sur la hiérarchique nobiliaire à rang égal – après c’est difficile de les distinguer sans les habits). C’était pas désagréable à lire mais le ton manuel de développement personnel c’est pas exactement ce que je recherche néanmoins. Mais bref, qu’y a-t-il à en retenir ?

Sortir de la culture des ressources limitées : l’amour n’est pas une ressource finie. On ne pense pas que les parents de deux enfants aiment chacun 50 % de ce qu’ils aimeraient un enfant unique. La même chose peut être vraie pour les partenaires romantiques. Cependant, le passé de chaque personne peut l’avoir menée à connaître des relations où leurs partenaires (ou parents) ont été manipulateurs, en ne dispensant leur amour qu’à petite dose. Ça peut mener à renforcer cette culture de la ressource limitée et à avoir beaucoup de mal à en sortir, vu que ça va être un gros acte de foi (lâcher un truc garanti de relation monogame où le cadre social pousse à recevoir toute l’attention de l’autre, pour la promesse qu’on aura toujours autant d’amour une fois ces garanties parties).

Le temps passable avec des gens est par contre une ressource limitée, donc il y a bien des limites physiques qui s’opposent à la multiplication des relations à l’infini : mais ça c’est une limite aussi pour les relations amicales et le taff, par ex.
L’espace est aussi un enjeu : avoir une chambre à soi (hello Virginia) ou des appartements séparés (ou des ressources financière permettant d’aller dans des bars et restaurant pour ses loisirs/louer des chambres d’hôtel) est aussi un gros avantage pour avoir des relations parallèles sans que ce soit pesant pour les différent.es partenaires.
Question aussi des attachements émotionnels aux objets (on laisse pas un partenaire toucher aux affaires des autres laissé.es chez soi sans le consentement préalable des propriétaires) : globalement il est important de faire attention à ce que les relations parallèles ne mènent pas à ce qu’une personne se sente lésée, mise de côté, accessoire. Ça demande plus d’attention aux autres.

Éléments importants pour des relations ouvertes/multiples fonctionnelles :

  • Communication, communication, communication. Écoute active et reformulation avant de répondre quand on écoute, prendre le temps de filer les infos et le contexte et être honnête sur les enjeux quand on parle.
  • Honnêteté émotionnelle. Même quand les émotions en question sont négatives, histoire que les gens sachent avec quoi ils doivent composer.Savoir demander et effectivement recevoir du support est important.
  • Affection spontanée. C’est le but des relations après tout, de donner et recevoir de l’affection. Si c’est pour rester sur sa réserve, pe pas une bonne idée de commencer une relation. Les formes de l’affection peuvent varier d’une personne à l’autre. Prise de temps et rituels spécifiques à chaque relation.
  • Savoir dire non. Connaître ses propres limites et savoir les imposer, ne pas juste être dans du people pleasing. Ça peut être des limites sur le type ou l’intensité de certaines relations, sur de l’expérimentation (sexuelle, affective, autre). Évidemment respecter celles des autres aussi, mais ça c’est la base de la base.
  • Planification. Pour le fun et pour le moins fun (logistique, conflits). Ne pas laisser les choses sous le tapis dans une relation, surtout pas sous prétexte d’aller faire des trucs dans le cadre d’une autre.
  • Owning your feelings. Jalousie, abandon, joie… c’est tout dans la tête, par définition. Ce sont des réponses à des situations extérieures, mais ces situations ne déclenchent pas automatiquement cette forme de réponse. Ça ne veut pas dire que ces sentiments ne sont pas réels pour autant, mais ce ne sont pas des choses qui nous sont extérieures et face auxquelles on est impuissant. Inversement, on n’est pas responsable des émotions des autres. On peut les aider à les ressentir ou à les surmonter, on peut ne pas reproduire certains de nos comportements qui y ont mené, mais on n’est pas responsable de l’émotion elle-même.
  • Se pardonner ses propres erreurs. Il y en aura. Ce sont des opportunités d’apprendre et de ne pas les reproduire.
  • Ne pas projeter (lié à l’écoute active – ne pas présupposer pourquoi les gens ont fait quelque chose, ne pas imaginer leurs comportements – positifs ou négatifs, mais les voir pour qui iels sont vraiment).

On peut se retrouver à jouer des rôles différents dans différentes relations, en fonction des différentes personnalités des personnes impliquées en face (très peu une surprise quand on a l’habitude d’avoir des cercles amicaux différents où ça apparait déjà). Il peut y avoir des limites et des interactions différentes selon les relations.

Gérer la jalousie : c’est ok d’être jaloux, mais pas d’agir en raison de cette jalousie. C’est ok de reconnaître qu’on est jaloux et de demander une réassurance, du soutien moral (pas que l’autre annule tous ses plans pour rester avec nous, mais qu’iel nous dise qu’iel nous aime).

Prendre le temps de discuter avec ses significant others/dates réguliers de ce qui va/ne va pas : nécessite de planifier des moments qui ne sont pas du whirlwind ou des grands gestures : dormir ensemble pour avoir des matins ensemble peut fonctionner. Prendre un café ou un repas ensemble aussi. Discuter à l’avance de manières de rassurer / toucher l’autre : quelles preuves d’affection fonctionnent bien pour ellui ? (ça peut être faire une liste de 5 items de chaque côté, qu’on s’échange). Marche aussi pour soi-même : prendre le temps de lister des comportements qu’on peut mettre en œuvre pour nous-même quand on est bouleversé et isolé (emergency chocolate, s’acheter des fleurs, une douche chaude, danser sur une chanson spécifique…)

Conflits : vont arriver. Le but n’est pas d’éviter les conflits, mais de savoir les gérer d’une façon qui fait que personne ne se sent lésé. Idéalement, planifier un temps à l’avance pour un conflit plutôt que de le laisser pourrir puis exploser. S’autoriser des time outs dans les conflits, avec un safe word (« time out » fonctionne bien). Principes de communication non-violente (CNV) : pendant les conflits on parle en « je », on reformule ce qu’a dit l’autre, on laisse du temps à l’expression des sentiments avant d’arriver à une phase solutions.

Négocier des accords : vu que pas de règles implicites pour les relations ouvertes, faut négocier les conditions. Prévoir un contrat a priori couvrant tous les cas est illusoire. Quand un désaccord arrive, il faut en parler, et négocier comment on le gérera la fois suivante. Pour définir des accords relationnels, il faut que les gens impliqués (et c’est souvent pas que 2 personnes dans le cas d’une polyrelation) consentent de façon éclairée (infos sur ce qu’implique la situation, pas de loopholes pour ne violer que l’esprit de l’agrément), faire au max des définitions claires des attentes. Les accords basés sur des interdits sont les plus classiques initialement (tu ne restes pas la nuit entière chez qq d’autre, tu ne vois pas d’autres personnes + d’une fois/mois, tu ne vois pas la même personnes plusieurs fois, …), mais d’après les autrices, les accords les plus intéressants sont ceux avec des conditions positives (on se réserve un weekend pour nous tous les mois, tu me dis que tu m’aimes fréquemment…). Les accords n’ont pas besoin d’être symétriques, tout le monde n’a pas les mêmes besoins.

Encadré sur la résolution de conflit :

  • Prendre le temps de laisser retomber la colère avant de gérer le pb
  • Sélectionner un point unique sur lequel travailler
  • Prendre rdv pour en parler
  • Trois minutes de parole chacun.e, avec les règles de la CNV, un peu de temps entre les tours de paroles pour ne pas être juste dans la réaction à ce qui a été dit mais prendre le temps de formuler et de respecter les règles de la CNV
  • Brainstormer des solutions, mêmes des idiotes
  • Éditer la liste pour garder que celles acceptables pour les deux parties
  • Choisir une solution à tester sur une période donnée
  • Évaluer l’efficacité de la solution au bout de la période
  • Réitérer certaines étapes si besoin

Autre exercice sur la résolution de conflit : discuter de sujets sur lesquels on sait qu’il y a désaccord, mais n’y consacrer que 20 minutes, ce sera pas résolu à la fin mais il faut réussir à repasser en mode non-conflictuel.

Le fait de tenter de trouver la relation idéale pour remplir la case précise qu’on a en tête comme type de relation là maintenant est sans doute illusoire. Accepter de commencer des trucs avec des personnes et définir au fur et à mesure où ça va – en prenant le temps de bien communiquer, et en étant clair sur si le statut de la relation évolue à nos yeux, envers cette personne et envers nos autres partenaires, semble plus malin.

Les débuts de relations et les crushs sont toujours cools et énergisants (« new relationship energy« ), on met en avant la meilleure image de nous-même, et ça peut être chouette d’avoir ce genre de relation pour cette raison précise, mais ne pas perdre de vue que ça ne remplace pas l’intimité profonde d’une relation de long terme – et que c’est une phase qui ne dure pas éternellement : aller de début de relation en début de relation peut être gratifiant, mais abandonner toutes relations longues pour des débuts sans cesse renouvelés peut être lâcher la proie pour l’ombre.

Post-romantique, d’Aline Laurent-Mayard

Essai sur les relations interpersonnelles, paru en 2024. Aline Laurent-Mayard (ALM) analyse la façon dont les relations romantiques (et parmi elles, le modèle du couple exclusif, avec des points bonus s’il est hétéropatriarcal et cohabitant) a été érigé en relation suprême dans les sociétés occidentales, celle qui donne un sens à la vie et à laquelle chacun.e doit aspirer. En plus d’un matraquage culturel sur l’importance de ce type de relations, elle vient (dans la société française mais aussi dans bcp d’autres) assortie d’avantages financiers énormes : économies d’échelles sur ~tout, mise en commun des impôts à payer, pension de réversion, diminution des frais de succession, accès à la mutuelle de son conjoint… Ce sont des avantages par rapport aux célibataires, mais aussi par rapport aux relations non-romantiques : on ne peut pas nommer son/sa meilleur·e ami·e héritièr·e avec les mêmes abattements de frais par exemple.

Si le sentiment amoureux existe depuis très longtemps[citation needed], sa valorisation par la société est beaucoup plus récente : étymologiquement le « romantisme » désignait d’abord ce qui avait trait aux romans médiévaux, ie des intrigues échevelées. Ca devient progressivement ce qui rappelle la poésie et l’intensité des sentiments romanesques dans le monde réel, dont le sentiment amoureux. C’est avec les Lumières et la valorisation de l’individualité que la passion amoureuse devient quelque chose de positif plutôt qu’une passion violente qui menace l’ordre social. A l’époque contemporaine, l’amour romantique a en partie pris la place des religions organisées : vu comme une source de salut et de réalisation personnelle, célébré publiquement, bénéficie de rituels reconnus.

De nombreuses failles du couple romantique hétéropatriarcal exclusif et cohabitant ont été soulevées par la littérature féministe et des patchs proposés (Réinventer l’amour, Le Cœur sur la table et al.), mais pour ALM ces patchs ne peuvent être une solution à eux-seuls ; la centralité des relations romantiques doit être repensée (et de plus la déconstruction du couple hétéro devient le plus souvent une charge mentale de plus pour les femmes si on reste dans ce système). Il y a aussi un problème plus général lié à la place laissée dans nos vies par le capitalisme et le travail (qui prônent un modèle d’individus indépendants prêts à faire passer leur carrière avant tout) à la construction de relations sociales (elproblemaeselcapitalismo.jpg).

Les attirances romantiques sont tellement valorisées qu’elles effacent les autres attirances : blagues sur les bromances, difficulté à distinguer attirance romantique/sexuelle/amicale dans le cas de nouvelles rencontres où toutes les configurations seraient possibles. En soi les catégories amour romantique/amitié ne sont pas si distinctes, et décréter que c’est l’un ou l’autre est souvent performatif : les rituels mis en place, le regard des autres, notre perception de ce qui est attendu d’un type ou l’autre de relation vont grandement contribuer à cimenter la relation dans une des deux configurations.

L’autrice élabore sur deux grandes catégories de liens amoureux non-romantiques :

  • Liens familiaux : parents/enfants, adelphes, familles choisies. Ces dernières peuvent être des familles totalement recomposées (grotas, famillles choisies queers, …) ou s’interfacer avec des familles légales (lien perso à la famille de T. par ex).
  • Liens amicaux, avec un focus sur les configurations qui vont plus loin que l’amitié « classique » où on garde un peu ses distances : vacances systématiques ensembles, vie ensemble (colocation ou visites journalières), élever des enfants collectivement (mais je vois plus trop la différence avec les familles choisies plus on s’enfonce dans cette catégorie). Pour les hommes, enjeu de dépasser l’amitié « superficielle » (cf Billy No-Mates) où on traine ensemble sans jamais aborder de sujets de fond.

De la même façon qu’il n’y a pas d’amour mais juste des preuves d’amour, il n’y a pas d’amitié mais juste des preuves d’amitié (incise perso : la troisième proposition dans cette série c’est qu’il n’y a jamais de révolution achevée mais juste un processus révolutionnaire toujours à renouveler). Y’a une version anglaise : Friendship is showing up. La question de ce niveau d’investissement dans la relation peut servir à distinguer les amitiés des relations parasociales qu’on aime juste bien retrouver au bar (mais ce n’est pas pour dire que les amitiés intenses c’est bien et retrouver des gens au bar c’est superficiel : on peut apprécier les deux, juste ça n’apporte pas les mêmes choses).

L’amitié bénéficie – comme l’amour – de la mise en place de rituels pour se solidifier : grotassemblements réitérés, groël, activités partagées récurrentes (cours de pilates ou d’escalade, conversation du mardi soir, …). La question de discuter des attentes et limites de la relation est aussi quelque chose de faisable dans le cadre d’une relation amicale : est-ce qu’on apprécie que l’autre passe à l’improviste ? Qu’iel parle en détail de ses problèmes psys (ou qu’iel n’en parle pas à un moment spécifique, on n’a pas toujours la bande passante pour) ?

L’amitié bénéficie – comme l’amour – de la mise en place de rituels pour se solidifier : grotassemblements réitérés, groël, activités partagées récurrentes (cours de pilates ou d’escalade, conversation du mardi soir, …). La question de discuter des attentes et limites de la relation est aussi quelque chose de faisable dans le cadre d’une relation amicale : est-ce qu’on apprécie que l’autre passe à l’improviste ? Qu’iel parle en détail de ses problèmes psys (ou qu’iel n’en parle pas à un moment spécifique, on n’a pas toujours la bande passante pour) ?

ALM détaille des cas de mise en exergue d’amitiés par des labels spécifiques : Queer platonic relationship, platonic life partner. Sert aux personnes à montrer que c’est une relation plus intense que ce qu’on entend par le très générique « ami·e ».

Sur le côté relations romantiques, ALM énumère différentes modalités de sortie du couple romantique hétéropatriarcal exclusif et cohabitant (dernière fois que je l’écris !) : décohabitation, relations non-exclusives, polyamour… Plus généralement, avoir des relations romantiques qui ne soient pas la relation la plus importante de notre vie sociale ou qui ne soient pas une cellule isolée qui vit en vase clos. Enfin, elle aborde les modalités d’éducation d’enfants en dehors de ce modèle : coparentalité (deux parents dans une relation non-romantique), alloparentalité (des figures de références dans la vie de l’enfant qui n’ont pas le statut de parent : oncles et tantes, marraines et parrains, beaux-parents, autres statuts…). La coparentalité subie est fréquente dans les relations hétéropatriarcales après un divorce, la coparentalité choisie est un mode plus fréquent dans les milieux queers.

En conclusion essai intéressant qui explore pas mal de thèmes que j’ai envie de creuser en ce moment, je recommande !

Fin du monde et petits fours, d’Édouard Morena

Essai d’histoire des négociations climatiques, paru en 2023. Sujet qui m’intéresse, et essai facile à lire. Je recommande.

La demande de l’interdiction des jets privés comme symbole de la consommation ostentatoire et climaticide est montée en puissance en 2023, mais le gros de l’impact climatique des ultra-riches n’est pas lié à leur consommation, mais à leurs investissements. L’empreinte carbone du patrimoine d’un·e Français·e moyen·ne est de 10,7TCO2eq. Celle du patrimoine d’un milliardaire français : 2,4 millions de TCO2eq. Ce patrimoine est potentiellement impacté par le changement climatique. Les plus riches sont à la fois forceurs de climat et vulnérables au climat.

Deux stratégies classiques pour faire face à cette vulnérabilité :

  • le prepping version milliardaire (ranchs géants avec bunkers)
  • la jet-set climatique (Al Gore & Jane Goodall), qui milite pour remplacer le capitalisme fossile par un capitalisme vert, avec efforts d’atténuation et d’adaptation via le marché, et une vision de nouvelles opportunités de marché pour celleux qui s’engagent dans cette voie. Ceux sont principalement elleux, via leurs financements et leurs relais médiatiques, qui orientent le discours dominant et le débat sur le climat. Le livre se concentre sur cette seconde stratégie.

I Une conscience climatique de classe

Dès 2006 dans la Silicon Valley et 2007 à Londres, dîners d’affaire des « philanthropes climatiques » pour sensibiliser de plus grands pans des élites et décideurs aux enjeux climatiques, et aux investissements possibles pour à la fois y remédier et avoir de nouvelles opportunités d’investissement.

Vont ensuite influencer le débat public pour appuyer l’idée que la transition se fera via des solutions technologiques et des mécanismes de marché ; ainsi leurs intérêts propres en tant qu’investisseurs dans ces technos est rejoint par l’intérêt général, et les États vont assumer une partie des risques à leur place en subventionnant, finançant et en renflouant ces investissements si besoin. Cette stratégie, c’est militer pour une réforme à la marge du capitalisme (changement de cible des investissements) pour ne surtout pas en sortir (Le Guépard, tmtc): on reconnaît qu’il a causé des problèmes, mais on affirme dans le même temps qu’il est la seule solution à ces problèmes.

Les fondations pour le climat fondées et financées par des milliardaires philanthropes vont faire infuser dans le monde associatif le discours managérial : elles se décrivent comme des fondations « à impact » visant un « retour social sur investissements ». Le cadre des entreprises gérées avec des tableaux excel est légitimé, et les entrepreneurs deviennent une figure centrale des politiques climatiques.

II Poumons de la Terre et pompes à fric

Investissement dans les terres de la part des philanthropes verts : un investissement plutôt bon marché et qui prend de la valeur avec le changement climatique : puits de carbone potentiels, et production de denrées agricoles dans un monde où l’incertitude sur cette production augmente. De plus, bon en termes d’images, se posent en défenseur de la terre et de la Nature, surtout si soutiennent des projets de réensauvagement (qui augmentent le potentiel de séquestration carbone). Se posent ainsi en individus responsables, qui compensent à titre individuel leurs émissions carbone (liées aux déplacements en avion privé par ex). Permet d’opposer la figure du bon philanthrope à celle du mauvais pauvre, et de pousser un discours néomalthusien : le pb c’est la surpopulation.

Les forêts déjà existantes étaient initialement exclues des mécanismes de compensation carbone : seuls les projets d’afforestation et de reforestation étaient éligibles. L’inclusion de la déforestation évitée a permis d’inclure les forêts existantes comme des actifs valorisables sans rien faire d’autre dedans que de ne pas les raser (point positif quand même : ça leur offre une protection qu’elles n’avaient pas sinon), ce qui permet surtout d’augmenter la valeur de la propriété foncière de certain.es (point positif à nouveau : ça peut inclure des États du Sud qui sinon n’avaient pas trop de billes dans les négociations climatiques). Le problème est que le fait que le mécanisme de REDD (protection des forêts et émissions de crédits carbone en échange) apporte effectivement une protection supplémentaire (plutôt que protéger des forêts qui n’allaient de toute façon pas être coupées) est assez invérifiable, qu’on agglomère des actifs fonciers très différents, et que du coup le tout est une usine à gaz où il est facile de gruger, et qui sert principalement à enrichir un oligopole de certifieurs qui servent à patcher les failles d’un système qu’ils ont eux-mêmes monté…

Le mécanisme REDD, initialement prévu pour les forêts tropicales, a été étendu aux forêts tempérées, ouvrant une superbe opportunités aux propriétaires fonciers occidentaux. Cette extension a permis une alliance objective entre ces propriétaires fonciers souvent conservateurs et conservationnistes, et les philanthropes verts, souvent plutôt issus d’une élite libérale et tech-friendly. Reconfiguration des liens affinitaires parmi les classes dominantes.

Ce mécanisme renforce l’idée que c’est la marchandisation de la Nature qui permettra de la sauver elle et le climat. Et si cette Nature appartient à des personnes privées, c’est un nouveau mouvement des enclosures, et un capitalisme de rente qui se réaffirme.

III L’éléphant dans la pièce

McKinsey en tant que cabinet de conseil majeur qui appuie aussi bien des acteurs privés que des gouvernements et qui se veut poussant des sujets pas encore appropriés par ses clients, a joué à partir de 2007 un rôle majeur dans la promotion du capitalisme vert comme moyen de poursuivre le capitalisme. Ils ont notamment produit une courbe des coûts marginaux de différentes options de réduction des gaz à effet de serre, qui a été énormément reprise et a beaucoup influencé le débat public, malgré des failles méthodologiques et une absence de transparence sur sa construction. Promeut à la fois l’idée que l’inaction climatique est un non-sens économique et que les solutions pertinentes sont des solutions de marché. McKinsey a publié pas mal d’études en 2006-2007 pour apparaître comme une référence crédible et reconnue sur le sujet. Sans être directement à la manœuvre, elle s’est appuyée sur le rapport Stern (qui a inspiré la courbe des coûts marginaux) qui trace une roadmap pour les entreprises, et a aidé en sous-main à la rédaction du rapport « Design to win » qui traçait une feuille de route pour la philanthropie climatique et a effectivement aidé au fléchage de fonds depuis des fondations provenant de la tech vers ce sujet.

A partir de 2008, le project Catalyst (projet monté et piloté par McKinsey) va être financée par des fondations philanthropiques, versant de 2008 à 2012 42 millions de dollars à McKinsey pour développer une vision de la transition bas carbone et des mécanismes à mettre en place. Sans surprise, elle passe par des engagements volontaires non-contraignants et des mécanismes de marché. Va s’éloigner du fonctionnement de la CCNUCC (Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques) en traitant certains acteurs non-étatiques sur un pied d’égalité avec les États (plus grande ouverture), mais aussi en n’intégrant que des acteurs considéré comme essentiels (plus grande fermeture), ie les élites économiques et politiques. A son maximum, rassemblait 150 personnes réparties en 6 groupes de travail, avec une production qui a fortement influencé les accords climats subséquents, en limitant l’interventionnisme étatique sur le sujet (sauf pour la collectivisation des risques et investissements) et en laissant dans l’ombre la question de la justice sociale et des réparations. Mais la mise en place de toute cette diplomatie parallèle (et notamment l’appui la construction d’un texte alternatif par le gouvernement danois + quelques autres au lieu de passer la recherche habituelle d’un consensus entre tous les acteurs) a participé à l’échec des négociations de Copenhague (COP 15, en 2009), même si sera réintégré dans l’accord de Paris. L’échec de Copenhague a en parallèle montré l’importance de la communication autour des solutions vertes que les acteurs privés souhaitent pousser, pour qu’elles bénéficient d’une adhésion suffisamment large.

IV Make our blabla great again

En amont de la COP 21 (accord de Paris, 2015), beaucoup d’efforts de communication pour que différents acteurs soutiennent (ou au moins restent neutres/silencieux) sur l’accord malgré son niveau d’engagement pas si élevé (en dessous de celui de Copenhague notamment), en leur expliquant que la réussite de l’accord en dépendait, et qu’être contre ferait le jeu des négationnistes climatiques et des idéalistes climatiques (ie deux groupes pourtant totalement opposés, ceux qui veulent freiner et ceux qui veulent aller plus loin, classique stratégie centriste de dire qu’iels sont les seuls raisonnables). Les scientifiques notamment ont été approché·es pour un soutien à l’accord, ce qui a marché pour une partie d’entre elleux.

Post-Copenhague, le GSCC (structure financée par des fondations climatiques) a repris en main la communication du GIEC, proposé du media-training aux scientifiques, produit des synthèses des rapports, des communiqués de presse et des argumentaires, pour « restaurer la marque GIEC ». L’objectif était d’augmenter la crédibilité du tout – et de le mettre au service des solutions de marché. L’idée était de ne pas tant avoir des accords dont le fond était ambitieux que des accords dont la forme et la communication autour faisait de la lutte contre le changement climatique via les solutions de marché une évidence largement acceptée.

Ironiquement, cela a été fait en copiant les méthodes employées par les firmes fossiles pour faire de la désinformation sur le climat : astroturfing, financement de groupes d’experts, lobbying… Le problème c’est qu’en en passant par là et en mettant en scène une opposition binaire entre pro et anti-climat, on permet à toutes les entreprises qui sont ok avec mettre en place une communication greenwashée de se réclamer du camp progressiste tout en continuant le business as usual. Plus encore, les grandes entreprises avec des gros budgets (notamment de R&D et de comm’) peuvent dire qu’elles sont des parties de la solution (après mise en place de « conseils scientifiques », partenariats avec des ONG, normes internes, coucou Total et l’IPIECA). Parallèlement, celleux qui contestaient ce cadrage capitaliste se sont retrouvés marginalisés : on n’a pas le temps de renverser le capitalisme, l’urgence climatique est bien trop urgente, et il faut rassembler tout le monde, pas s’opposer aux entreprises de bonne volonté !

Multiplication aussi des visages de la cause climatique, depuis l’historique Al Gore : plein de philanthropes, maires de grandes villes, stars, qui peuvent pitcher l’urgence climatique et les solutions capitalistes, et qui vont dans tous les grands sommets mondiaux et émissions télévisées pour délivrer un message prépackagé.

Création de tout un écosystème de forums climatiques qui tournent en vase clos et où s’échangent des messages d’optimisme indépendants de la lutte contre le changement climatique (l’important c’est de mobiliser). Communication très pro, où les grains de sable sont très rares et même quand ils arrivent, la comm’ arrive à remettre l’événement sur les rails (exemple de l’intervention d’une activiste lors d’un sommet qui sort du script lors d’un échange avec le PDG de Shell, et de l’animation de la table ronde qui dépolitise immédiatement son message en le mettant sur le compte de la douleur que « nous ressentons tous face à ce que nous avons perdu » : recréation d’un collectif, rejet du message en le disant basé sur l’émotion plus que la raison).

V Une photo avec Greta

Les COPs sont centrales dans les négociations climatiques. Tous les acteurs qui veulent influencer sur le discours et processus climatiques sont obligés de s’aligner sur leur tempo. Mais le fonctionnement des COPs est décidé par les États et élites, forçant donc à s’adapter à leur cadre et facilitant une potentielle récupération, en orientant leurs mobilisations vers la demande d’accords climat légèrement plus ambitieux mais surtout adoptés : si le mouvement climat n’insiste que sur l’urgence climatique et le besoin d’accords, il sert in fine d’appui aux groupes d’intérêt néolibéraux et technosolutionnistes qui, à l’intérieur du processus climatique, poussent ces éléments de langage aussi et leurs solutions comme la bonne réponse. Certains acteurs internes vont approuver le mouvement climat publiquement (tant que revendications modérées et actions non-violentes), sous-entendant qu’ils sont tous dans le même camp. Le GSCC a même fourni un appui technique et logistique à Greta Thunberg pour faciliter ses prises de parole, en appui des sommets climatiques internationaux, légitimant un peu plus ces sommets.

Ccl : Faut-il manger les riches ?

Les riches sont une classe consciente d’elle-même, qui met d’énormes moyens pour influencer le discours climatique. Il ne sont pas juste pollueurs (massifs) sans s’en rendre compte, ils ont conscience des enjeux et orientent les solutions selon leur propre agenda. C’est bien cet agenda et la poursuite d’un capitalisme « vert » qui ne renonce pas à la croissance ni aux inégalités qui est la racine du problème. L’urgence est climatique et sociale, climatique et démocratique.

Les Louves, de Boileau-Narcejac

Roman policier français paru en 1955. Gervais s’échappe avec Bernard d’un stalag allemand. Ils ont pour projet de se cacher à Lyon chez la marraine de guerre de Bernard, mais celui-ci est tué au dernier moment. Gervais se fait alors passer pour Bernard auprès d’Hélène (la marraine de guerre) et c’est ainsi que commence un jeu de dupes entre lui, Hélène, Agnès (la sœur d’Hélène) et Julia la sœur de Bernard.

J’ai bien aimé. C’est du roman noir à l’ancienne avec de la tension psychologique et des personnages tous un peu horribles. Le point de vue du roman est celui de Gervais, mais avec une distanciation qui montre bien qu’il se trouve des excuses pour toutes les saletés qu’il a pu faire et qu’il se considère comme moralement au dessus de tout le monde (essentiellement parce qu’il vient d’une famille bourgeoise et qu’il a eu une éducation classique), alors qu’il est exactement au même niveau moral que les autres personnages.

Sukkwan Island, de David Vann

Roman états-unien publié en 2009. Roy et son père Jim s’installent pour un an dans une cabane sur une île de l’Alaska, pour y vivre en autarcie. Roy a 13 ans, mais il comprend rapidement que son père est dans un état mental assez désastreux, il pleure la nuit, il lui partage trop de choses, et il ne sait pas comment se préparer à l’hiver. Le projet ressemble rapidement à une terrible erreur.

Ça se lit rapidement, c’est un roman psychologique. Je n’ai pas été transporté par le style. Dans le style « descentes aux enfers en pleine nature » j’ai préféré La Rivière.

Terrasses, de Laurent Gaudé

Court roman de 2024, qui revient sur les attentats du 13 novembre 2015.

Gaudé écrit très bien, toute la première partie prend aux tripes (sur les journées qui se déroulent sans conscience du drame qui approche, sur les premières attaques) et fait pleurer.

Je suis plus réservé sur la fin, à la fois certains points de la ligne narrative des deux amoureuses (je vois l’idée d’avoir mis en scène un couple lesbien, mais y’a un côté « tragic lesbians », et autant le versant « attirance romantique » de la relation me semble bien écrite, autant le versant « attirance sexuelle » je suis moins convaincu), et tout le côté « on montrera qu’on a vaincu en retournant en terrasse », qui me semblait débile à l’époque et me semble débile maintenant. Néanmoins globalement ça vaut le coup de le lire, comme beaucoup de Gaudé.

Les Navigateurs, de Serge Lehman et Stéphane De Caneva

Bande dessinée parue en 2024. Trois amis d’enfance retrouvent brièvement la 4e comparse de leurs aventures, revenue dans leur ville d’enfance avant qu’elle ne disparaisse dans des circonstances mystérieuses. Leurs tentatives de la retrouver vont mener à la découverte de mystérieuses découvertes dans l’histoire et la géographie du bassin parisien, liées à la mer qui recouvrait les lieux dans la Préhistoire, quand le niveau de l’eau était 60 m plus haut, et à une mystérieuse société qui garde ce secret.

J’ai pas mal aimé, mais de façon générale j’aime bien les marottes de Lehman à base de puissance cachée des lieux et de mondes oniriques. Le dessin de Caneva fonctionne bien avec. Un bémol sur le fait que les personnages féminins sont assez inexistants et servent juste à faire avancer l’histoire des mecs.