Tous les articles par Machin

SuperGroom, de Fabien Vehlmann et Yoann

Série de bandes-dessinées franco-belges reprenant le personnages de Spirou, mais avec des codes plus de comics ou manga. Déprimé de ne plus être reconnu et d’être supplanté par les super-héros US dans les représentations de héros, Spirou – avec l’aide de Champignac pour les gadgets – invente le personnage de SuperGroom, justicier bruxellois. Il décide bien vite de raccrocher le costume, notamment parce qu’il se rend compte que se déplacer en jetpack s’oppose à ses convictions écologiques (qui lui fond aussi arrêter les reportages et aventures au quatre coins de la planète), mais les circonstances vont le forcer à réendosser son costume.

J’ai bien aimé la réinvention du personnage et du mythe. Vehlmann démontre bien comment il est possible de tordre légèrement l’univers de Spirou pour le faire correspondre à un univers de super-héros. Le format des albums fait comics, la structuration du deuxième tome (la Guerre Olympique) fait très compétition à la Squid Game. L’histoire de super-héros racontée reste relativement classique, mais ça vaut le coup de jeter un œil aux deux albums (si vous aimez Spirou de base).

Eutopia, de Camille Leboulanger

Roman de science-fiction français paru en 2022, inspiré des travaux de Bernard Friot sur le salaire à vie. Dans un futur indéterminé, le capitalisme (et plus généralement le propriétarisme) a été abattu (au moins à l’échelle d’un pays). Les gens vivent selon les principes de la Déclaration d’Antonia, un texte énumérant un certain nombre de droits pour les humains mais aussi pour le reste de la biosphère. On va suivre dans ce monde la vie d’Umo, de son enfance dans un petit village jusqu’à sa vieillesse dans un autre village qu’il a contribué à fonder. Entre temps Umo aura vécu dans différentes ville du pays, dont Antonia, fait des études à différentes périodes de sa vie, été électricien pour une entreprises qui construit des lampes, technicien son pour une troupe de musiciens, électricien pour une commune, professeur, tiré au sort pour l’assemblée générale d’Antonia, préparateur de commandes pour la logistique d’une commune, balayeur dans un cinéma. Il aura aimé et vécu avec une petite dizaine de personnes, dans diverses configurations.

Globalement, c’est sans surprise un roman à thèse, comme Ecotopia ou Les Dépossédés. La vie d’Umo nous permet de voir les différents aspects du fonctionnement d’Antonia, en parcourant un peu le pays. C’était sympa à lire, le côté utopie est cool, et la vie sentimentale d’Umo fait un fil conducteur intéressant (l’auteur.e insiste pas mal sur ce point, avec la formule « l’amour c’est du travail, le travail c’est de l’amour » qui revient comme un leitmotiv).

Quelques points négatifs cependant : le premier, c’est de la faute de la maison d’édition, il reste des coquilles dans le bouquin, et franchement ça sort de la lecture. Pas cool. Le second, plus de fond, c’est que cette utopie… fonctionne trop bien. Dans Les Dépossédés, ce qui marche particulièrement bien c’est que Le Guin creuse quand même pas mal les cas limite et comment les bonnes intentions de la révolution initiale peuvent quand même se fossiliser et recréer des structures de pouvoir. Ici, même s’il y a la question de la proposition Amistad, ça reste quand même assez léger, tout fonctionne très bien. Peut-être aurait-il plus fallu creuser aussi la question des infrastructures : y’a des trains, des ordiphones personnels (et un réseau qui les sous-tend), même avec une population fortement réduite ça demande quand même des chaînes logistiques à grande échelle qui paraissent peu compatibles avec le reste de l’idée de la déclaration d’Antonia. Enfin beaucoup de conso d’alcool et de cannabis. Pas un souci en soi mais un petit focus sur la gestion des addictions aurait été bienvenu.

Overall ça reste quand même une lecture intéressante, toute la partie sur le salaire à vie, le logement et la nourriture conventionné fonctionnent bien.

Randonnée côtière Hendaye-Guéthary

Randonnée le long du sentier côtier entre Hendaye et Guéthary. L’espace naturel protégé à la sortie d’Hendaye est très beau, mais après le sentier longe la route sur de grande portion, c’est pas la randonnée la plus « plongée dans la nature que j’ai jamais fait (typiquement celle au Jaizkibel de l’autre côté de la frontière donne largement plus cette impression) . Mais on voit beaucoup l’océan, on traverse Saint-Jean-de-Luz et Guéthary qui sont jolis, on voit des plages et des montagnes en arrière-plan.

Photos un peu perraves au tel pour illustrer un peu quand même.

Espace naturel protégé, Hendaye, et montagnes en arrière-plan
Plage entre Hendaye et St-Jean-de-Luz
Les deux jumeaux, Hendaye
Baie de Saint-Jean-de-Luz

Project Hail Mary, d’Andy Weir

I spend a lot of time un-suiciding this suicide mission.

Roman de hard SF étatsunien, sorti en 2021. Un astronaute américain se réveille amnésique dans un vaisseau spatial avec deux cadavres. Il va progressivement se rappeler sa vie menant jusqu’à ce point : Il fait partie du projet Dernière Chance, une mission visant à établir pourquoi une étoile proche de la Terre est la seule qui n’est pas affectée par les astrophages, une forme de vie mystérieuse qui fait rapidement baisser l’énergie émise par le soleil et menace la vie sur Terre.

On suit en parallèle la vie de l’astronaute avant l’embarquement et sa vie à bord du vaisseau, où basiquement il utilise ses connaissances scientifiques extensives pour plein de trucs, de comprendre où il est à macGyverer des solutions aux problèmes techniques qui se posent l’un après l’autre.

Globalement, j’ai bien aimé l’histoire. L’idée des astrophages et le fait de tirer toutes les implications de leur existence est assez cool, ça fait très SF à la Arthur C. Clarke. Les problèmes techniques pour permettre l’existence du projet Dernière Chance (même si « le vote secret unanime de l’ONU fait vraiment « ta gueule c’est magique » pour permettre à l’auteur d’étaler les aspects techniques sans avoir à se préoccuper de tout le social et politique ») puis le déroulé de la mission après le réveil de Grace sont de bons rebondissements, intéressant à lire. La vision du premier contact est cool aussi même si c’est pas tant « deux espèces radicalement différents se rencontrent » que « deux nerds accessoirement d’espèces radicalement différentes se rencontrent ». Par contre, à part Rocky, tous les personnages sont assez faibles – le perso principal inclus. On sent que l’écriture de personnages et de relations c’est pas ce qui fait tripper Andy Weir. Un peu dommage que Grace retrouve la mémoire parfaitement séquentiellement aussi, ça fait un peu forcé.

Malgré ces quelques points négatifs, c’est un fort bon roman de hard SF, je recommande.

Lucifer within us, de Kitfox Games

Court jeu d’enquête. On incarne une exorciste qui enquête sur une série de meurtres dans un monastère, dans un monde où la religion est basée sur la cybernétique : les démons existent dans un monde virtuel et peuvent infecter les humains via leurs implants.

Le jeu est court, trois petites enquêtes, mais j’ai bien aimé l’univers et l’esthétique. La mécanique de la timeline à confronter est intéressant, mais il est possible de bruteforcer toutes le jeu en testant tous les configurations (ie en contredisant chaque élément de la timeline en présentant tous les indices possibles). Une fois l’enquête résolu, on doit trouver quel démon infecte le meurtrier. Cette partie pour le coup n’a aucun intérêt, on n’a le choix qu’entre quatre et c’est très transparent à chaque fois.

Globalement ambiance et graphismes sympa, mécanisme intéressant même si bruteforçable, c’est plus une démo avec de belles finitions qu’un jeu complet à ce stade je trouve, mais ça faut le coup d’y jeter un coup d’œil.

We are coming, de Nina Faure

Documentaire féministe français de 2023. Partant de la question du plaisir féminin et de l’orgasm gap, le documentaire dérive sur les groupes de paroles féminins, la réédition du livre Notre corps, nous-mêmes, et les luttes féministes, dont #metoo au premier plan, mais aussi des manifs en mixité choisie (à Bure) ou NousToutes.

Même en connaissant déjà pas mal les sujets abordés (si vous avez un peu de bagage théorique et suivez l’actualité féministe, vous n’aurez pas de gros scoop dans ce documentaire), c’était intéressant de voir le tout remis en perspective et relié. Le film donne la parole à pas mal de voix féminines différentes, de la réalisatrice et sa comparse Yelena Perret aux femmes de groupes de paroles, en passant par des colleuses d’affiches contre les féminicides ou Caroline de Haas et Sandrine Rousseau. Pas de témoignages masculins directement, une séquence expliquant que Nina Faure avait sollicité son compagnon et un ami, qui ont refusé d’apparaitre dans le film (en expliquant que « même avoir le bon rôle en tant que mec sur ce sujet, c’est avoir le mauvais rôle » – ce que je partage un peu, je vois pas comment tu peux amener une parole masculine pertinente sur ce sujet sans faire du mansplaining ou réclamer des cookies).

Transperceneige : Extinctions, de Rochette

Bande dessinée en deux tomes, parus en 2019 et 2020, préquelle du Transperceneige. La BD détaille les événements qui ont menés à la Terre gelée sur laquelle se déroule l’histoire du Transperceneige, et l’embarquement dans le train. On découvre deux groupes d’éco-activistes, les Wrathers qui tuent les dirigeants de multinationales climaticides et écocides, et les Apocalypsters, carrément accélérationnistes, qui décident de déclencher une apocalypse à grande échelle pour que l’Humanité cesse de flinguer la planète. Si j’ai trouvé les Wrathers crédibles, les Apocalypsters font quand même méchants de carton-pâte. En parallèle, on voit le milliardaire bénévolent et inventeur de génie Zheng mettre la dernière main à son train équipé d’un moteur perpétuel, persuadé que l’apocalypse est proche (il a quand même visé bien juste en devinant qu’il faudrait affronter des températures subpolaires) et que la survie résidera dans l’adaptation à tout ce qui peut arriver (et pour ça, dans une capacité préservée à se déplacer sur toute la planète). Les événements étant précipité par le plan des Apocalypsters, l’embarquement dans le train se fait dans la précipitation, expliquant la surpopulation du train que l’on retrouvera dans Le Transperceneige.

J’ai bien aimé le dessin de Rochette, mais bon, le fond de l’histoire n’est pas passionnant. Les écoterroristes accélérationnistes sont très méchant, le milliardaire est très gentil, c’est quand même un peu court comme récit de l’apocalypse climatique. La nuance qu’on avait dans les premières pages avec les Wrathers qui utilisent la violence pour protéger les écosystèmes disparait très vite.

Revolutionary Road de Sam Mendes

Film étatsunien de 2008, adaptation du roman éponyme de 1961. Frank et April sont un jeune couple persuadé qu’ils sont destined for greatness. Évidemment en moins de 7 ans ils se retrouvent avec la même vie suburbaine que toute leur classe sociale : ils ont deux enfants, elle est femme au foyer dans un pavillon, il va travailler en costard gris dans un bureau du centre-ville où il est un rouage de l’organisation interne d’une grosse firme qu’il méprise et a des aventures occasionnelles avec des secrétaires.

April va proposer qu’ils s’échappent de ce carcan normatif, prennent leurs économies et partent vivre à Paris où elle travaillera pour une agence internationale et Frank pourra avoir du temps pour lui. Mais au même moment Frank se voit offrir une promotion, et elle tombe enceinte… Frank, aidé par tout le poids du patriarcat, va alors tout faire pour saborder méthodiquement le projet de départ à Paris auquel il avait initialement souscrit.

Les rôles principaux sont joués par Kate Winslet et Leonardo Di Caprio, ie le couple mythique de Titanic, ça a beaucoup été mis en avant à l’époque de la sortie du film. C’est un peu un « et si leur aventure avait continué ? » pas très optimiste. On voit April totalement coincée par la société. Si Frank est malheureux dans son job, au moins il a un peu d’agency et il peut choisir entre plusieurs options. April est vraiment coincée dans sa vie domestique et ce couple avec ce mec qui l’épuise à tout moment. Le film n’est pas sur la dérive d’un couple : franchement le seul tort d’April dans le film c’est de ne pas se laisser faire et de ne pas accepter que Frank prenne toutes les décisions unilatéralement. C’est globalement un film sur le patriarcat et l’impossibilité pour April de sortir du conformisme qu’elle sent l’étouffer. Quand elle tente de coucher avec un voisin, il lui déclare immédiatement qu’il l’aime, alors qu’elle voudrait quelqu’un qui la prenne au sérieux sur le fait que la vie qu’ils mènent empêche toute forme d’amour réel.

J’ai bien aimé le voir, c’est bien composé, les acteurs jouent bien, après ce n’est pas un film bouleversant : le thème est paradoxalement un peu trop facile : j’ai l’impression que l’aspiration à l’exceptionnalité et l’horreur de se rendre compte que la vie quotidienne, ses propres compromis et ceux des gens autour vous coincent, c’est un sujet qui met tout le monde d’accord. On ne peut qu’empathiser avec April et détester tous les autres persos, il n’y a pas d’ambiguïté.

Histoire du Fils, de Marie-Hélène Lafon

Roman français, prix Renaudot 2020. On suit la famille d’André Léoty sur plusieurs générations et des deux côtés : la vie d’André lui même, qui grandit à Figeac dans l’entre-deux-guerres, élevé par son oncle et sa tante, mais aussi la jeunesse de son père qui ignore l’existence de son fils, différents épisodes de la vie de sa mère montée à la capitale, la mort de son oncle paternel, le point de vue de ses enfants…

La question au cœur de la vie d’André, c’est sa relation à son père absent. Sa mère a décidé de qu’il n’y avait pas besoin de lui dans le paysage (et de ce que le roman nous en donne à voir, elle a raison), mais la question est visiblement une énigme pour André, un secret de famille. L’identité de ce père lui étant révélé à l’âge adulte, il effectue deux tentatives pour l’approcher, sans succès, et visiblement la question est passé à ses enfants. Ce qui me laisse perplexe personnellement, ça n’a pas du tout l’air d’être l’élément le plus intéressant de sa vie et il n’a pas manqué de figures paternelles par ailleurs, mais bon. J’ai préféré les différentes tranches de vies des membres de la famille racontées chapitre par chapitre à cette quête centrale.

Par ailleurs, ça se lit bien, mais j’ai trouvé le style un peu artificiel par moment, avec des adjectifs mis parce qu’il faut mettre des adjectifs, et des tournures ou mots surannés qui reviennent de façon un peu forcée.

Numero Zero, d’Umberto Eco

Roman italien de 2015. L’action se passe dans les années 90s. Le narrateur est recruté pour participer à la fondation d’un journal financé par un homme d’affaires. Il s’agit sur la première année de produire douze numéro zéro, des maquettes montrant ce que le journal pourra être. Mais c’est un jeu de dupes : le rédacteur en chef prévient que l’homme d’affaires n’a pas l’intention de lancer le journal à terme, ces numéros zéro écrits a posteriori des événements doivent juste le placer en position de force (en démontrant le pouvoir de nuisance du journal) pour échanger l’abandon du journal contre une entrée au capital de telle ou telle société.

On va suivre en parallèle la construction du premier numéro zéro, qui se fait de compromission en compromission – il ne faut pas toucher aux intérêts de l’homme d’affaires, mais par contre les ragots ça fait vendre, on n’a pas de temps pour de l’enquête de fonds mais on peut repackager ce qui a été écrit dans d’autres titres… – et la théorie d’un des collègues du narrateur qui en se plongeant dans les archives historiques, échafaude l’idée que Mussolini n’est pas mort à la fin de la guerre mais s’est caché au Vatican ou en Amérique latine et qu’un coup d’état appuyé par les services secrets a failli le ramener au pouvoir…

Ça se lit vite, mais je n’ai pas été très convaincu. Disons que le côté « la presse privée c’est pas bien », en 2023 je suis assez convaincu, et en plus là le portrait en est sacrément caricatural donc on a du mal à y croire vraiment. Côté théorie du complot c’est intéressant mais il n’y a pas assez de place pour développer dans un court roman qui traite aussi d’autres thèmes. Je recommande plutôt Le Pendule de Foucault du même auteur.