Roman de science-fiction de 1974. L’autrice expose le fonctionnement d’une société anarchiste via le point de vue d’un de ses membres, Shevek, un physicien frustré par certain des immobilismes de son monde. Il rentre en contact avec le monde jumeau et capitaliste pour des échanges scientifiques, et les contrastes entre les deux mondes permettent de mettre en lumière ce qui fonctionne ou non dans le monde anar. C’est essentiellement de la socio-fiction. Le fonctionnement du monde est très intéressant. Le Guin montre aussi qu’il ne suffit pas de décréter qu’un monde est anarchiste et d’avoir fait la Révolution à un moment dans le passé pour que tout ce passe bien : les organisations et hiérarchie, même informelles, ont tendance à se réétablir si on ne continue pas à les combattre. La révolution est un mouvement, pas un événement.
Très bon roman, super original, il est cependant dommage d’avoir uniquement le point de vue de Shevek, qui se révèle excellent penseur de l’anarchisme en plus de physicien de génie : ça fait quand même retour en force du Grand Homme ; alors que tout le livre dénonce ça par ailleurs.
Idem pour Odo d’ailleurs : c’est présenté d’une façon telle qu’elle est seule à l’origine de toute la pensée anar.
Un point qui aurait pu être intéressant d’ailleurs là dessus, c’est d’avoir les gens sur Urras qui parle de l’Odonisme et des Odonien.ne.s, en identifiant le mouvement à une figure de proue, vs Anarres où ils parleraient d’un corpus de penseureuses avec des apports divers, voir s’identifieraient à un moment révolutionnaire genre « la révolution d’octobre », pour bien montrer la différence de perception. Des points de vue pluriels auraient été bienvenus.
On l’a lu en parallèle avec OC, ses réflexions ci-dessous :
Je suis perturbée par le fait que le viol du chapitre 7 ne soit pas un « sujet » du livre. On dirait qu’il sert « juste » d’événement de bascule pour Shevek, qui ensuite trouve sa théorie et va faire la révolution puis rentre chez lui, tandis que tous les autres Urrasti précédemment évoqué·e·s disparaissent totalement de la narration et « donc » de ses pensées (y compris Vea). Je me demande ce qui était dit du viol et du consentement dans les années 1970. Ça me semble peu satisfaisant, d’un point de vue politico-féministe et d’un point de vue de la construction narrative. La fin est frustrante, je l’ai trouvée trop rapide, après une mise en place fine et poussée.
Sinon, j’ai bien aimé (et regrette de ne pas avoir pris de notes) la représentation du personnage de scientifique (ni fou, ni hors du monde, ni socialement inadapté), du fonctionnement de la recherche universitaire, de la relation d’enseignement. Les rapports de genre sont plutôt cool aussi [à développer ^^]. Et les quelques réflexions sur l’articulation entre langue et vision du monde (pas d’emploi de tournures possessives en Pravic, etc.). Je n’ai pas été hyper étonnée d’apprendre que les parents d’UKLG étaient anthropologues :)
6 réflexions sur « The Dispossessed, d’Ursula K. Le Guin »