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Fred Vargas

Vu que je suis en train de lire le dernier, je me suis dit que j’allais réunir l’ensemble de mes critiques des polars de Fred Vargas en un unique article que je mettrais à jour au fur et à mesure, comme mes articles sur les séries télévisées. Je constate que je pensais en avoir recensé davantage, vu que je les aies quasiment tous lus, mais certains sont passés entre les mailles de ce blog. Je peux donc ajouter que j’aime beaucoup L’Homme aux Cercles Bleus et Pars vite et reviens tard dans ceux qui ne sont pas détaillés ci-dessous.

Sur la dalle

Bof bof. Franchement à ce point on dirait une mauvaise fanfiction de la série. Y’a plein d’incohérences (le mec qui planque sous une fenêtre pour entendre la conversation des malfrats, puis qui annonce tranquillement que pour quand les enquêteurs vont y aller faudra prévoir de quoi distraire les chiens qui sinon vont aboyer : ??? ; « on va pirater la messagerie du ministère pour envoyer un faux courriel » : ???), y’a zéro cadre administratif (à ce stade c’est plutôt Adamsberg, détective-consultant), y’a des trucs qui arrivent dans l’intrigue et qui en repartent (« oh non, l’Anguille nous a poursuivi en Bretagne ! Bon bah osef finalement. »), niveau scénario c’est juste mauvais. Et puis bon en 2023 j’ai un peu du mal qu’on nous sorte une institution policière tout à fait débonnaire, des Bretons ravis de voir leur village foutu sous couvre-feu sous les ordres d’un commissaire, et un ministre de l’Intérieur qui visiblement s’en fiche qu’un policier se soit pris une balle mais se préoccupe de la réputation de Chateaubriand.

Quand sort la recluse

Grmbl. C’est sympa à lire quand on est plongé dedans, j’ai apprécié le fait que la brouille entre Danglard et Adamsberg permette de mettre en scène les relations d’Adamsberg à d’autres membres de la brigade, mais par ailleurs… Trop de coïncidences, trop de trucs qui tombent du ciel pile sur le trajet du commissaire qui peut ensuite les assembler comme il faut. Je pense notamment que la longueur des romans, bien plus grande que celle des premiers opus de la série, est à blâmer ici : il faut bien meubler, du coup des fausses pistes et des détours qui tombent un peu de nulle part.

Temps glaciaires

Un des rompols de la série des Adamsberg. J’avais un peu décroché de la série parce qu’au 3ème meurtrier surgi du passé du héros, j’étais un peu blasé. On m’a prêté celui là et il était cool, content d’avoir repris. Le bouquin est dense et imaginatif, mais je pense que par certains points ça sert à cacher certaines faiblesses de l’intrigue (typiquement, ils ont zéro raison vraie raison d’abandonner « la piste islandaise » quand ils le font). Ça reste quand même fort sympa à lire, et je me dis qu’il faudrait un petit crossover avec la série des Dirk Gently pour lancer un « Adamsberg, détective holistique », ça colle vachement bien.

Sous les vents de Neptune

Son plus réussi à mon sens. Un mystérieux tueur surgit du passé d’Adamsberg alors que sa brigade part faire un stage d’anthropométrie au Québec.

L’Homme à l’envers

Sympa. Le fait qu’une bonne partie du bouquin ne se focalise pas sur Adamsberg mais sur Camille donne une autre perspective bienvenue dans un Vargas. De façon générale j’aime bien le fait que les premiers Vargas fassent un peu moins « recette ». J’avais trouvé le coupable :)

Sans feu ni lieu

Court polar sympa. Enquête entre Paris et Nevers, par les évangélistes et l’Allemand (ceci est une référence qui ne parle qu’aux lecteurs des premiers Vargas). J’avais trouvé le coupable (à force de lire des Vargas on finit par connaître ses tics).

The Summer that melted everything, de Tiffany McDaniel

Roman étatsunien publié en 2016 et dont l’action prend place en 1984, dans la petite ville de Breathed, Ohio. Le père du narrateur a mis une annonce dans le journal invitant le Diable à venir lui rendre visite. Bientôt, un enfant noir arrive en ville, déclarant être le Diable. Au même moment, une vague de chaleur qui durera trois mois s’abat sur la ville. Le narrateur raconte les différents incidents événements et incidents qui émaillent l’été et qui signèrent la fin de son enfance.

J’ai pas été très convaincu. C’est vite fait poétique dans les descriptions mais j’ai trouvé ça un peu forcé, et l’histoire n’est pas passionnante, avec une succession assez invraisemblable d’événements dont on a un peu l’impression qu’ils cochent les cases une à une « oh de l’homophobie », « oh du racisme », « oh un personnage quirky » (x40 parce que tout le monde est quirky, ça devient rapidement insupportable).

La plus secrète mémoire des hommes, de Mohamed Mbougar Sarr

Prix Goncourt 2021. On suit en parallèle la vie de trois écrivain.es sénégalais.es de trois générations différentes : T.C. Elimane, auteur d’un unique roman qui avait défrayé la chronique française en 1938 avant de disparaître mystérieusement, Siga D. écrivaine à succès en France mais qui fait scandale au Sénégal, et Diégane Latyr Faye, jeune écrivain prometteur. Le roman adopte d’abord le point de vue de Diégane, qui tombe sur potentiellement l’unique exemplaire du roman d’Elimane toujours en circulation, et cherche à en savoir plus sur son auteur. Le roman va ensuite raconter la vie des trois écrivain.es et de plusieurs personnages autour d’eux, par fragments et allers-retours entre les époques et les points de vue.

J’ai bien aimé, mais c’était un peu trop verbeux par moment. Pas trop convaincu par la place accordée aux relations sentimentales et sexuelles, qui ont l’air d’être un truc crucial, surtout dans le fil narratif de Diégane, mais sinon le roman se lit bien, parle de littérature (et de l’univers autour, critiques, éditeurs) de façon un peu méta, explore plusieurs époques, la colonisation du point de vue des peuples colonisés. Sans me dire « mais oui c’est évident ce roman méritait totalement le prix, j’ai jamais rien lu d’aussi prenant », je recommande.

Le Guépard, de Giuseppe Tomasi di Lampedusa

Pride and Prejudice x L’Éducation sentimentale

Roman italien de 1958. Dans les années 1860, Fabrizio, prince de Salina en Sicile voit la révolution italienne déferler sur son île et déposer le roi de Sicile. Désabusé, il constate que les changements au sommet de l’État ne sont finalement qu’apparents, une classe dirigeante en remplaçant une autre au sommet de la pyramide sans que rien ne change plus avant, la Sicile étant un pays trop fatigué et trop persuadé d’avoir raison pour changer. Fabrizio assiste cependant en même temps à la lente disparition de son monde aristocratique pour un nouveau monde bourgeois, des usages et des savoirs disparaissant avec lui.

J’ai beaucoup aimé. C’est un classique à côté duquel j’étais passé, mais qui vaut le coup. Le côté fin de règne désabusé est très bien rendu. Les personnages – au premier rang desquels Fabrizio – sont bien écrits, l’opportunisme politique et la perception du sens de l’Histoire de Tancredi qui permet à la famille de ne subir aucun désagrément avec le changement de régime est bien rendu. La perception aigue du monde par Fabrizio sans qu’il n’ait pour autant aucune prise sur lui est intéressante.

Anima, de Wajdi Mouawad

Pour le point de vue d’OC sur le même roman, allez voir ici.

Roman de 2012. Au Québec, une femme est assassinée de façon sordide. Son mari va se mettre à la recherche du meurtrier, à travers le Québec, les réserves indiennes d’Amérique du Nord, les États-Unis. Toute la narration va être faite du point de vue d’animaux présents sur les lieux où le mari se rend.

Le concept est intéressant, mais j’ai été assez déçu par la réalisation. D’une part, le fil narratif à base de femme assassinée pour que des mecs puissent faire des affaires de bonhommes, bof. Surtout que le motif est réitéré plus loin. Y’a d’autres occurrences de violence assez gratuite par ailleurs, et clairement décrites avec trop de détails pour mon goût.

Et de plus, le côté « voix animales » est assez mal rendu je trouve : on passe par plein de narrateurs et d’espèces, mais à part pour quelques unes, le côté préoccupation et perceptions spécifiques à une espèces sont peu rendues : les animaux se préoccupent avant tout de la présence de cet humain spécifique dans leur environnement. Le style est par moment beaucoup trop ampoulé pour moi aussi.

Concept intéressant mais thème et réalisation décevante, je ne recommande pas. Lisez plutôt du Morizot pour des points de vue animaux.

Numérique (Brevis est) de Marina et Sergey Dyachenko

Second livre dans la série de romans fantastiques de ces deux auteurs russes. Un univers différents mais beaucoup de thèmes et de structures communes avec Vita Nostra. On a l’introduction d’un adolescent solitaire dans une réalité cachée, des mentors ultra-exigeants aux pouvoirs incommensurables, la suggestion que notre monde n’est que la projection sur une toile d’un ensemble plus vaste…

Je pense que Vita Nostra réussissait cependant plus son coup : l’univers était plus original, et il y avait plus de personnages intéressants : là le héros est très très seul. L’édition que j’avais avait aussi des retours à la ligne en pleine phrase occasionnellement, et j’ai trouvé la traduction pas incroyable : quelques anglicismes, et des répétitions de passages/phrases qui sortent un peu de l’univers, ce qui est toujours dommage.

Sur les ossements des morts, d’Olga Tokarczuk

Roman polonais de 2009. La narratrice vit dans un hameau isolé sur un plateau dont les routes d’accès sont coupées en hiver. Un de ses deux voisins, braconnier, meurt d’un accident en plein hiver. Mais la narratrice est persuadée que les animaux se vengent des humains et s’attaquent aux chasseurs. Elle envoie une flopée de lettres aux autorités qui ne répondent pas et décide de mener sa propre enquête.

J’ai bien aimé. C’est assez difficile à décrire, l’ambiance est assez particulière. La narratrice est assez ermite, elle vit selon ses rituels et ses façons de faire les choses. Elle a des relations sociales normales, des amis, des connaissances, mais elle en a aussi rien à faire d’être considérée comme la vieille folle du coin par une grande partie de la communauté. Cela donne un point de vue assez spécifique et original.

Téléréalité, d’Aurélien Bellanger

Le dernier roman de Bellanger, sur le paysage audiovisuel français et l’irruption de la téléréalité dedans. Le roman suit la vie d’un drômois qui va monter à Paris et faire carrière dans le milieu de la télé, d’abord comme assistant d’un présentateur puis rapidement comme producteur. Dans l’ombre, il va accompagner les évolutions des programmes télé, puis être un des acteurs de l’introduction de la téléréalité en France.

Le roman reprend pas mal la structure de La Théorie de l’Information, en plus condensé (le roman est court), jusqu’à l’espèce de twist de fin. J’ai bien aimé, plus que ses précédents romans qui partaient un peu dans tous les sens, là on a un propos unique et linéaire. Par contre petit défi pour Bellanger : écrire un roman avec un personnage principal féminin avec la même voix intérieure que ses héros habituels, parce que là la part des persos féminins était assez étique.

Notre-Dame du Nil, de Scholastique Mukasonga

Roman rwandais de 2012, décrivant la vie dans un pensionnat de jeunes filles de bonne famille dans le Rwanda des années 70s, alors que les tensions ethniques entre Hutus et Tutsis s’accentuent. Le livre raconte la vie de l’institution, le pélerinage annuel à la statue de Notre-Dame du Nil d’où le pensionnat tire son nom, une visite de la reine Fabiola, les jeux d’influences entre les pensionnaires qui reproduisent les positions de leurs familles respectives (dans l’armée, dans le gouvernement…), leur relation aux adultes (les Sœurs qui tiennent l’établissement, le prêtre lubrique, les professeurs belges, français ou rwandais, le sorcier du village proche, leur famille…), et la montée progressive des persécutions des Tutsis, jusqu’à l’irruption de miliciens au pensionnat, qui viennent chercher « les filles du quota ». C’était intéressant, je connaissais peu l’histoire rwandaise – et je prend rarement l’occasion de lire de la littérature écrite par des auteurices africain.e.s, c’était bienvenu.

Dieu, le temps, les hommes et les anges, d’Olga Tokarczuk

Roman polonais de 1996. On suit sur un demi-siècle la vie dans le petit village polonais d’Antan. Il s’avère qu’Antan est l’axe du monde, et que tout ce qui s’y passe est d’une importance cruciale. Le livre est composé de court chapitres, variant à chaque fois le point de vue. Certains reviennent et sont des fils conducteurs, d’autres ne sont présentés qu’une fois. La majorité sont des points de vue d’humains, mais on a aussi ceux d’objets, d’animaux ou d’anges gardiens. On voit l’influence des deux guerres mondiales sur Antan ainsi que les évolutions propres au village, les mariages, les enfants. Deux éléments de fantastiques parcourent le roman sans être approfondis plus que ça : un des personnages explique à un moment que rien n’existe hors d’Antan et que les gens qui pensent en sortir restent paralysés à la frontière du village et forment de faux souvenirs ; un autre personnage reçoit un jeu qui est supposé représenter la totalité de l’univers et est composé de huit mondes enchâssés successivement créés par Dieu, avec Antan au centre.

C’était sympa à lire, sans être la révélation de l’année.