Archives par mot-clé : recommandé

Bad Sisters, de Sharon Horgan

Série télé paru en 2022 et se déroulant en Irlande. On suit en parallèle les évènements ayant menés à la mort de John Paul Williams, personnage éminemment antipathique, et l’enquête mené par deux agents d’assurance après sa mort. John Paul est marié à Grace Garvey, que ses sœurs voient décliner de jour en jour. Elle décident donc, en toute logique, d’éliminer JP. Malheureusement, elles ne sont pas très douées pour le meurtre, et il va y avoir une série de tentatives ratées… La série montre l’ensemble de ces tentatives, ainsi que les raisons spécifiques que chacune a d’en vouloir à John Paul. C’est bien réalisé, super bande-son, des relations humaines globalement crédible (petit bémol sur la relation Becka/Matt qui est là je trouve surtout pour faire avancer l’intrigue). Excellente bande-son, avec une très bonne reprise de Who by fire par PJ Harvey en générique.

Une seule saison qui fait une histoire complète, recommandée si vous aimez bien les histoires de sœurs, les whodunnit, les mecs absolument atroce et l’accent irlandais.

L’année sans été, de Gillen D’Arcy Wood

Essai d’histoire mondiale qui s’intéresse aux conséquences de l’éruption du volcan Tambora en 1816. L’éruption du volcan, en plus de faire perdre un kilomètre de haut à l’île et d’en dévaster la surface, a projeté un nuage de cendres et d’aérosols souffrés dans l’atmosphère, modifiant le climat pour les trois années à venir, et donnant à l’année 1816 le surnom d’« année sans été ».

L’auteur détaille les conséquences de cette éruption, qui arrive à la fin du petit âge glaciaire et une autre éruption en 1809 sur différentes parties du monde : l’île de Tambora même, l’Europe, avec son influence sur l’écriture de Frankenstein par Mary Shelley mais aussi l’avancée des glaciers alpins qui connaîtront leur maximum, et une crise de subsistance massive avec toutes les récoltes détruites par les gels tardifs (déclenchant notamment une famine en Irlande), l’Inde avec l’explosion de l’épidémie de choléra, boostée par le climat et les perturbations de la mousson, ensuite exportée par la mondialisation, la course au pôle Nord en Angleterre avec le dégel momentané de l’Arctique suite à la perturbation des courants océaniques (et toute la littérature anglaise exaltant ces explorations, Frankenstein en parlant notamment, mais aussi des œuvres plus récentes comme The Terror) ; la Chine, avec là encore des famines massives qui frapperont la région du Yunnan et participeront à la conversion de l’économie de la région vers la culture du pavot pour la fabrication d’opium ; l’Amérique du Nord, où la crise climatique puis agricole se transformera en la première crise financière du pays récemment indépendant. Enfin, l’impact que cette « météo à la Frankenstein » aura sur le développement de la météorologie et de la théorie des ères glaciaires…

C’était super intéressant à lire, comme exemple de l’impact d’une crise climatique sur plein de domaines différents, et pas très rassurant sur notre futur. Je recommande.

Voyage en misarchie, d’Emmanuel Dockès

Roman à thèse français publié en 2020. Dans la lignée des Voyages de Gulliver ou autre écrits utopiques, le livre épouse le point de vue d’un voyageur européen (un professeur de droit français en ce cas), qui se retrouve suite à un accident d’avion dans un pays avec des règles radicalement différentes des nôtres, qui vont progressivement lui être expliquées. En l’occurrence il est arrivé dans la misarchie arcanienne, l’Arcanie étant le territoire (mais ni un État ni une nation), et la misarchie le système d’organisation de la société, qui vise à casser au maximum les pouvoirs constitués. Dans le système présenté, ça se rapproche d’Eutopia, avec une part importante accordée à la socialisation du salaire, mais on n’a pas tout à fait le même cadrage (et narrativement dans Eutopia on avait un narrateur natif du pays et que l’on suivait depuis sa naissance, là c’est une personne extérieure qui découvre le système à l’âge adulte).

Le système présenté est intéressant, même si la partie kyriarchie (partielle, il y a des règles qui restent les mêmes pour tous, et les systèmes légaux alternatifs ne peuvent concerner que des petits groupes de personnes à la fois pour éviter la constitution de blocs de pouvoir) ne me parait pas forcément idéale. Il y a aussi une emphase mise sur le sexe et l’amour dans le livre (pas dans la société, mais c’est le cadrage que choisit l’auteur, avec une première rencontre qui a un caractère sexuel et un coup de foudre du narrateur pour une femme qu’il a rencontré et qui va servir de fil rouge à ses actions le long du bouquin) qui n’est pas vraiment ce qui me passionne le plus dans la présentation de ce genre d’alternative à nos sociétés. Il manque peut-être une partie sur la gestion des ressources et de l’énergie, là ça fonctionne sans souci, en arrière-plan. Par contre le bouquin parle des addictions : c’est une question personnelle, la liberté prime, même s’il y a des structures d’aide qui font des tournées pour aller à la rencontre des publics en difficulté.

Je recommande, pour envisager des alternatives aux sociétés faiblement démocratiques et fortement capitalistiques qui sont les nôtres.

Des vies orageuses, de Mathilde Gal et Tcholeiy

Roman français paru en 2023. On suit en parallèle les vies de Sarah, jeune médecin qui prend un poste dans un CeGIDD (centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic) dans le sud est de la France, et d’Idrissa, migrant qui a fui la répression politique en Guinée. On voit l’entrecroisement de leurs vies, les personnes autour d’eux, les enjeux de santé dans les parcours des migrants, la façon dont ils sont liés à tous les autres enjeux (le sans-abrisme, le stress post-traumatique, les violences sexuelles, l’emploi, le rapport à l’administration), la façon dont la gestion administrative des migrants complique encore des vies déjà compliquées. On voit à la fois Sarah s’impliquer de plus en plus dans les vies de ses patients en sortant de son rôle initial, et d’une façon qui n’est pas présentée comme positive, en montrant comment c’est aussi de la white guilt qui la mène vers le burn-out), et comment Idrissa réussit à trouver petit à petit des points d’appui et sans que sa situation ne se résolve du point de vue administratif, à construire quelque chose en France.

Globalement c’est un bouquin militant qui arrive à restituer par la fiction quelques exemples de la complexité des vies des personnes migrantes en France, notamment par la faute de l’administration et des lois xénophobes. Il y a aussi un côté très Martin Winckler dans la façon dont les consultations de Sarah permettent de mettre en avant plein de facettes différentes des problèmes de santé auxquels sont confrontées les personnes migrantes (mais pas que, on voit aussi d’autres cas du CeGIDD).

Je recommande

Spirou ou l’Espoir malgré tout, d’Émile Bravo

Série en quatre tomes (cinq si on compte Le Journal d’un Ingénu, publié 10 ans plus tôt mais auquel L’espoir malgré tout est une suite directe) qui raconte la vie de Spirou et Fantasio dans la Belgique de la Seconde Guerre Mondiale. On y découvre à la fois les origines de Spirou (pupille de l’État placé dans un orphelinat catholique), l’origine de son surnom (qui deviendra son nom de guerre), et on voit à travers ses yeux la Belgique de l’époque, et son apprentissaged de la vie.

J’ai beaucoup aimé. Le dessin d’Émile bravo est beau et fonctionne bien pour les personnages, la dynamique Spirou/Fantasio est bien rendue, le côté gamin qui découvre la vie de Spirou marche bien (plus que le côté « aventurier intrépide » d’autres albums à mes yeux), le thème (la chronique de quatre ans de guerre, et comment résister sans prendre les armes) est intéressant et bien rendu.

Grosse recommandation

Sous la colline, de Sabrina Calvo

Troisième roman de Calvo que je lis, après Melmoth Furieux et Toxoplasma. Je les lis dans l’ordre anté-chronologique pour le moment.

Sous la colline se déroule intégralement dans l’Unité d’Habitation dessinée par Le Corbusier à Marseille. En partant d’un fait divers réel (lors d’un incendie dans le bâtiment, un placard qui n’était pas sur les plans de ce qui est pourtant un bâtiment classé et étudié a été découvert), Sabrina Calvo imagine la découverte d’un bâteau grec dans l’entresol du bâtiment. Le Corbusier aurait construit le bâtiment comme une sorte de point de contrôle d’énergies primordiales, un renouvellement d’un mariage celto-ligure qui daterait de la fondation de Marseille. Colline, l’héroïne du roman, archéologue de l’INRAP virée pour ne pas avoir respecté les procédures lors de la découverte du bâteau, va s’installer dans le bâtiment pour comprendre quels sont les liens entre Le Corbusier, le bateau, la ville de Marseille dans son ensemble, et les puissances primordiales qui gravitent autour de tout ça.

On est dans du fantastique architectural, ce qui me plait toujours beaucoup, mais comme dans les autres romans de Sabrina Calvo que j’ai lu, c’est un fantastique léger, qui s’hybride avec d’autres genres. Une grosse partie du roman c’est Colline qui découvre des aspects tout à fait réalistes du bâtiment, des relations entre les habitant-es. Le fantastique hésite entre le métaphorique et le réel, mais on n’a jamais de conspiration plurimillénaire ou de secret révélé.

Comme les autres Calvo, le style est particulier, mais je recommande.

The Americans, de Joe Weisberg

Série américaine parue de 2013 à 2018, et se déroulant durant les années Reagan. Philip et Elizabeth Jennings, avec leur agence de voyage où ils bossent tous les deux, leur pavillon dans la banlieue de Washington et leurs deux enfants forment une famille américaine parfaite. Sauf que Philip et Elizabeth sont en fait deux agents russes sous couverture, exécutant les missions que le KGB leur confie.

La série joue sur la double vie des personnages principaux, devant à la fois gérer une couverture crédible (dont une vie de famille, qui avec deux enfants, n’est pas qu’une couverture : ils ont des sentiments et une relation réelle à leurs enfants. Pour le moment leur vie professionnelle a l’air de se gérer toute seule mais je me demande si les saisons suivantes ne vont pas creuser cet axe aussi) et des missions d’espionnage très exigeantes (un peu trop pour le réalisme, même ; certes les missions avec de gros enjeux, de l’infiltration, des kidnappings et des meurtres sont intéressantes à suivre, mais leur récurrence juste pour ces deux agents demande une certaine suspension d’incrédulité : on est plus chez James Bond que chez Le Carré. Toute la partie sur la gestion d’un réseau de sources dans diverses agences américaines et d’agents secondaires est moins flashy mais à la fois plus réaliste et plus satisfaisante en ce qu’elle permet de montrer le développement des relations entre personnages sur le long terme plutôt que de mettre en scène « la mission de la semaine ».

On voit comment la double journée des parents Jennings les épuise, ruine leur relation à leurs enfants, les fait vivre dans la parano permanente (la thématique parcourt toute la série mais est particulièrement exacerbée dans la saison 4 où les personnages semblent au bord du burn-out). La série met aussi en scène avec les personnages de Beeman et Nina le côté autocentré du monde de l’espionnage qui n’en finit pas de mettre en place des contre-contre-contre-mesures et d’envisager les fuites crédibles à livrer à l’adversaire pour lui faire penser que c’est lui qui un coup d’avance alors qu’en fait non.

Enfin, je trouve qu’un des attraits de la série est sa mise en scène d’un « monde caché » prosaïque. On n’est pas dans une histoire de magie ou de monde parallèle, mais la série montre un univers où tous les personnages jouent un rôle public et ont un agenda caché derrière. Le sort du monde est entre les mains de quelques individus qui dans l’ombre se livrent à une lutte sans merci, et doivent sans cesse interpréter des signes : savoir comprendre le sens caché d’un message, honorer un rendez-vous sur un parking à minuit, relever une boîte à message dissimulée derrière un panneau d’affichage. La série joue beaucoup sur cette idée qu’il y a plus dans le monde que ce qu’il donne à voir à première vue, un ressort narratif toujours efficace (en tous cas sur moi).

Si dans la première saison la relation entre les deux persos principaux est un peu cliché, elle devient plus satisfaisante après. Les dynamiques familiales avec Paige, la tension de l’amitié entre Stan et Philip, la difficulté plus généralement pour Philip de gérer les relations romantiques nécessaire aux développement des sources (aussi bien l’arc avec Martha, l’arc avec Kimmy que sa relation à Elizabeth sont très bien creusés, j’ai trouvé. En contrepoint, il aurait été intéressant d’avoir plus d’insights sur la relation entre Gregory et Elizabeth, pour voir comment de son côté elle gérait ces tensions). Au delà des deux persos principaux, j’ai trouvé qu’assez généralement les persos secondaires et leurs arcs étaient tous assez réussis.

On peut aussi signaler une grande réussite dans la reconstitution des États-Unis des années 80, et une excellente bande-son qui donne une large place à Peter Gabriel et Tears for Fears pour mettre dans l’ambiance de l’époque.

Un petit bémol sur le final. C’est toujours compliqué de conclure 6 saisons de série, et je trouve qu’ils s’en sortent globalement très bien, mais l’épisode aurait pu être un peu plus resserré : après quelques gut punchs en milieu d’épisode, on met du temps à arriver à la scène finale qui est juste une conv très statique et pas incroyable. Alors certes il y a un petit côté théâtre russe qui met dans l’ambiance, mais j’ai l’impression que d’autres éléments du même épisode auraient fait une meilleure dernière image.

L’Île Rouge, de Robin Campillo

Film sorti en 2023. Madagascar, début des années 70. L’armée française est toujours présente, malgré l’indépendance officielle de l’île, mais sur le point de plier bagages. On suit la vie des familles de soldats de la base 181, expatriés dans un décor de rêve mais qui le traitent comme un décor : la base vit en vase clos, isolée de la population locale. On suit ces derniers mois avant le départ par le regard d’un enfant de 8 ans, qui lit Fantômette en boucle et imagine ses aventures (ce qui donne lieu à des séquences avec une esthétique diorama très réussies), alors qu’autour, le patriarcat et le colonialisme s’exercent tranquillement.

J’ai beaucoup aimé. C’est un film qui pose des ambiances, joue avec les lumières (la scène de la projection cinéma sur la plage est très belle), et montre la violence ordinaire (d’une manière très réussie puisque les personnages ne sont pas caricaturalement sexistes/racistes/autre, mais ils sont des hommes et des femmes des années 70s, blancs, militaires : le racisme et le patriarcat ne sont jamais loin, même dans les bonnes intentions.

Je recommande grandement

Le Syndrome Magnéto, de Benjamin Patinaud

Essai paru en 2023, sur les personnages de méchants dans la pop-culture, et particulièrement sur les méchants avec une profondeur parce que leur cause peut paraître juste ou compréhensible (vs ceux qui veulent détruire la Terre avec un rayon de la mort parce qu’on est mardi). L’auteur montre, dans une extension de sa vidéo éponyme, à la fois en quoi ces personnages peuvent apparaître attirants parce qu’ils proposent de challenger le status quo et de faire évoluer les choses, avec des méthodes potentiellement discutables, mais en s’engageant : à l’opposé les héros vont être littéralement réactionnaires : ils ne vont se mobiliser qu’en réaction à cette menace sur le status quo, pour le protéger et faire que rien ne change (ou vont se rallier à la cause du méchant mais pas à ses méthodes, visant du réformisme plutôt que la révolution, mais ne le faisant que parce que le méchant a été l’élément perturbateur en premier lieu).

Le livre s’étend aussi sur comment la narration s’y prend pour disqualifier (ou non) le projet du méchant : son idéal affiché peut n’être qu’un paravent dissimulant des motifs plus égoïstes, les moyens employés peuvent être atroces, le caractère moral du méchant horrible indépendamment de sa cause… Inversement le méchant peut finir par voir ce qui ne va pas et se rallier aux héros, temporairement ou définitivement. Un cas plus intéressant pour les œuvres écrites sur le temps long (séries de comics notamment), peut être que la narration va se rallier au point de vue de l’opposant : Magnéto a ainsi été réhabilité, sa radicalité montrée comme pertinente au vu de l’absence d’avancées obtenues par les méthodes réformistes.

Enfin, certaines œuvres déplacent le cadrage et montrent un status quo tellement atroce que ceux qui seraient des méchants dans d’autres contextes ne peuvent ici être que des gentils : le cas est bien illustré par V pour Vendetta, où la dictature en place justifie l’usage du terrorisme pour l’abattre, là où V serait un méchant dans d’autres œuvres.

Je recommande, si vous aimez la pop culture (je recommande aussi les différentes chaînes youTube de bolchegeek)

The Tinfoil Dossier, de Caitlín R. Kiernan

Série de novellas dans l’univers de Lovecraft. On suit dans les années 2010 les agissements de trois agences gouvernementales (US, UK et ???) qui luttent à la fois l’une contre l’autre et contre des manifestations paranormales en lien avec les Grands Anciens. La narration est éparpillée entre plusieurs points de vue et plusieurs époques, avec un style d’écriture assez exigeant. J’ai bien aimé (surtout le III, The Tindalos Asset), c’est une actualisation réusssie de ce que faisait Lovecraft (avec en plus moins de racisme, what’s not to like). Et ce n’est pas dans le style de Lovecraft Country : c’est pas l’époque de Lovecraft avec des trucs mystérieux dans le folklore de Chtulhu à base de cultistes dans des bâtiments art-déco, c’est projeté dans l’époque actuelle, et on est sur l’ensemble du panthéon lovecraftien, y’a des mentions de Chtulhu, mais aussi sur d’autres créatures et Grands Anciens, il y a tout le lien à l’espace (mais actualisé avec des sondes spatiales).

Globalement The Tindalos Asset était très bien, Agents of Dreamland plus original mais plus dur à lire, et Black Helicopters assez incompréhensible dans l’histoire mais l’ambiance marche bien. Les trois peuvent se lire indépendamment, mais par contre ça vaut le coup de s’y connaitre un peu en mythologie lovecraftienne pour bien saisir les références.

Je recommande The Tindalos Asset.