Archives par mot-clé : recommandé

Les Braises, de Sándor Márai

Roman hongrois de 1942. A l’automne de sa vie, un aristocrate austro-hongrois reçoit chez lui son meilleur ami d’enfance, qu’il n’a pas revu depuis 41 ans. La conversation entre les deux hommes va éclairer les raisons de leur rupture, et leurs conceptions partagées et divergentes de la vie. La narration qui fait des allers retours entre la conversation entre les deux hommes et les détails de leur vie il y a tant d’années est réussie. Ça parle d’honneur, de triangle amoureux, de classes sociales. Márai réussit très bien à retranscrire les décors et les préoccupations des hommes, et à nous projeter dans cet empire austro-hongrois finissant. Un des thèmes du roman est d’ailleurs la fin d’un monde, les deux protagonistes se remémorant en 42 leur nation telle qu’elle était avant la première guerre mondiale ; le lire en 2023 quand le monde de l’après guerre a à son tour largement disparu est une mise en abyme intéressante.

Je recommande.

The Man who shot Liberty Valance, de John Ford

Western de 1962. Le sénateur Stoddart revient dans la petite ville où sa légende s’est construite pour l’enterrement d’un vieil ami. Devant l’insistance des journalistes du quotidien local, il finit par raconter les détails de sa relation au mort. Tom Doniphon était un cowboy à l’ancienne qui l’a soutenu quand il est arrivé en ville, espérant implémenter un système judiciaire correct et pousser pour la transformation du territoire en État du Colorado, malgré les pressions des barons du bétail et les attaques de Liberty Valance, le hors-la-loi qui terrorise la ville.

J’ai beaucoup aimé, on est sur du western un peu méta, qui parle de la fin du Far West et l’arrivée de la civilisation dans les territoires non-incorporés. Ransom Stoddard représente l’homme moderne, qui porte un tablier de serveur et croit au système judiciaire, face aux cowboys qui vivent selon la loi du plus fort. Doniphon, joué par John Wayne, sent que son époque est passée, et s’efface pour le bien de la collectivité. Seul quelques personnes connaitront son rôle, joué dans l’ombre.

Les plans sont assez réussis, les personnages souvent archétypaux mais ça fonctionne bien. La structure en flashback (double flashback même)
fonctionne très bien (avec un très beau fondu sur un nuage de fumée).

Je recommande.

Spiderman: Across the Spiderverse, de Joaquim Dos Santos, Justin K. Thompson et Kemp Powers

La suite de Into the Spiderverse. On retrouve Miles Morales dans un multivers où l’existence des spiderfolks a pris une place centrale,
avec l’idée qu’il ne faut pas perturber le canon, les passages obligés de l’histoire des personnes mordues par une araignée, même si ces événements sont tragiques.
Une association transdimensionnelle de spiderfolks, la Spider Society, veille au grain. Comme dans d’autres histoires de multivers, Rick and Morty notamment, on retrouve une association
de personnes qui sont plutôt solitaires dans leurs aventures non multiverselles, et l’idée que cette association devient rapidement une bureaucratie maléfique. L’univers graphique du film
est très beau, avec des styles différents pour illustrer les différents univers, les sentiments, le mouvement. C’était assez chouette, un peu dommage que ce ne soit qu’une partie 1 et non
un film complet, mais j’ai passé un bon moment devant. Clairement on a besoin de plus d’animation et de moins de live action dans les adaptations de comics, ça permet largement plus d’inventivité.
(Après je pense qu’on a aussi besoin de moins d’adaptation de comics tout court).

On dirait la planète Mars, de Stéphane Lafleur

Film canadien sorti en 2023. La première mission habitée est sur le point de se poser sur Mars, pour y passer deux ans, mais des tensions se font déjà sentir dans l’équipage. Une filiale de l’agence spatiale canadienne va recruter cinq personnes aux profils psychologiques les plus proches possibles des astronautes, pour mettre sur pied une réplique de la base et ainsi pouvoir observer et résoudre les problèmes. C’est ainsi que David, prof d’EPS québécois, se retrouve à incarner John. David a toujours voulu aller dans l’espace, et il va osciller, ainsi que ses co-doublures, entre sentiment de participer à la grande aventure spatiale, et prosaïsme de la vie sur Terre dans une base déliquescente.

J’ai beaucoup aimé, c’était assez poétique, avec une bonne dose de wtf. C’est à la fois un film sur l’espace, sur le GN et sur la quête de sens, avec une bonne dose d’accent québécois, une bande-son discrète et une joli esthétique rétro. Recommandé.

Les Rois maudits, de Maurice Druon

Fresque historique en 7 tomes, sur les intrigues politiques autour de la couronne de France à partir de Philippe Le Bel. On va suivre au travers du règne (souvent bref) de plusieurs rois les conséquences de plusieurs machinations politiques et prétentions à la couronne. Le roman prend pour point de départ la malédiction lancée par les derniers templiers au roi de France et à ses descendants, pour aboutir à la guerre de cent ans.

C’était très bien, ça se lit vite est c’est un vrai page-turner, bien écrit et prenant. Un petit bémol sur le tome 7, qui a été écrit bien après les autres, et ça se sent : le 6 finit par un épilogue après la mort d’un des personnages principaux, le 7 raconte la suite avec une narration différente (le récit d’un cardinal pendant un voyage) et avec un titre qui ne suit pas la même convention de nommage. Mais c’est un détail. Dans l’ensemble la série est très intéressante, réussit à rendre prenante une période que personnellement je connaissais très mal (bon par contre c’est clairement l’histoire via les grands hommes, mais ça permet aussi de l’incarner).

Médée, de Blandine Le Callet et Nancy Peña

Bande dessinée en 4 tomes. L’autrice et la dessinatrice reprennent le mythe de Médée, mais en le racontant de son point de vue. Fille du cruel roi de Colchide, elle aide Jason à s’emparer de la toison d’or, le joyau du trésor de son père. Elle n’hésitera pas à recourir au meurtre plusieurs fois pour faire avancer sa cause et celle de Jason (jusqu’à ce qu’il l’abandonne pour un meilleur parti), avant de tuer ses propres enfants.

Le dessin est beau et illustre bien les différents royaumes de la Méditerranée antique. La réécriture du mythe est intéressante et fait fortement penser au travail de Madeline Miller. On a une figure féminine forte, mais ce n’est pas une réécriture à la Disney en mode « en fait les méchants n’étaient pas vraiment méchants » (looking at you, Maleficent) : si certains des crimes attribués à Médée lui ont été dans cette version collés sur le dos par les Grecs trop content de pouvoir accuser une barbare, elle est responsable de d’autres, et notamment de son infanticide.

Je recommande.

Tout le monde aime Jeanne, de Céline Devaux

Film français paru en 2022. Suite à des déboires financiers, Jeanne doit vendre l’appartement de sa mère à Lisbonne, où elle n’est pas retourné depuis le suicide de celle-ci. Dans l’avion, elle croise Jean, un camarade de lycée dont elle ne se souvient absolument pas. À Lisbonne elle va errer entre tentatives de rangement de l’appartement, visites d’agents immobiliers, réminiscences de sa mère, échanges avec son ex et avec Jean (et sa nièce Théodora), pendant que dans sa tête une petite voix (qui prend la forme d’un dessin animé) mine sa confiance en elle.

J’ai beaucoup aimé. C’est très drôle (alors que ça parle de deuil et de dépression), les acteurices jouent très bien, on apprend des techniques pour voler dans les magasins, excellent film.

Article invité : Les méduses n’ont pas d’oreilles, d’Adèle Rosenfeld

Roman français de 2022.
Plongée dans l’expérience de Louise, jeune femme malentendante, qui subit soudainement une grosse perte d’audition supplémentaire et apprend qu’à moins de se faire poser un implant cochléaire, elle deviendra bientôt tout à fait sourde. Or, l’implant implique que la perception sonore est totalement modifiée, qu’on perd les « vrais » sons qu’on captait auparavant.
Alors qu’elle hésite entre les deux options, son quotidien (trouver un boulot avec son statut de travailleuse handicapée et gérer les interactions avec ses collègues, faire des rencontres amicales et amoureuses, jongler avec les rendez-vous médicaux) se peuple peu à peu de personnages, parfois rassurants parfois angoissants, qui semblent dire quelque chose de son rapport au langage et aux sons, et dont on ne sait pas très bien s’ils sont tout à fait imaginaires ou non.
C’est une lecture qui m’a décontenancée par son côté parfois décousu et imaginaire, et régulièrement angoissant, mais aussi emportée. Il faut lâcher sur l’envie de trouver des situations et des réactions rationnelles ou logiques (y compris quand Louise se retrouve, dans son boulot, en contact avec du public et qu’aucune adaptation ne semble être mise en place pour cela). L’autrice, elle-même malentendante et « implantée », travaille une écriture du son, de son absence et de sa perception, avec des dialogues absurdes, des descriptions de parties de visages ou d’expressions faciales, un « herbier sonore » très poétique que j’aurais bien voulu plus approfondi.
Recommandé.

Ce Sentiment de l’été, de Mikhael Hers

Film franco-allemand de 2015. Un été à Berlin, Sasha meurt. Pendant plusieurs années, l’été va rappeler à sa famille cette tragédie. On suit plus particulièrement Lawrence, son petit ami, et Zoé, la sœur de Sasha. Le film se déroule à Paris, Annecy Berlin et New York, toujours en été. On voit leurs vies qui se déroulent, avec le poids de leur relation à Sasha qui s’impose (ou se rappelle) à eux par moment, et en même temps le reste du monde qui continue d’exister.

J’ai bien aimé. Dans la façon dont c’est filmé, ces paysages urbains, cette caméra à côté des personnages, je trouve que ça rappelle beaucoup la trilogie Before Sunrise de Richard Linklater. Y’a ces déambulations dans la ville, ces personnes qui vivent entre plusieurs villes, pays, continents. Il y a des échos entre les différentes villes, liés au fait qu’on les voit toujours en été : c’est facile d’être dehors, les gens vont dans des bars, des soirées, des parcs, montent sur les toits, les tenues sont les mêmes (la seule différence c’est peut-être qu’en Amérique les gens se déplacent en pickup là où ils sont en vélo ou à pied en Europe).

Recommandé.

Article invité : Wolfwalkers

Film d’animation (Irlande, Luxembourg, France) de 2020.
1650 à Kilkenny, en Irlande. Le père de Robyn est engagé par le Lord Protector comme chasseur de loups, afin de protéger la ville de leur menace, mais surtout d’en débarrasser la forêt pour déforester tranquillement et ainsi de pouvoir augmenter les surfaces agricoles (spoiler : Lord Protector n’est pas le gentil du film). Jeune fille indépendante et audacieuse, Robyn ne tarde pas à se retrouver dans la forêt, malgré l’interdiction, et à découvrir les créatures qui y vivent et la protègent : les wolfwalkers.
L’histoire est un mélange réussi entre Mononoke Hime et Brave. Pas d’immense originalité narrative mais c’est vraiment efficace et attrayant, il y a des personnages chouettes, de la tension, des rebondissements, des course-poursuites et de l’émotion.
J’ai surtout adoré l’animation, magnifique, entre dessins au crayon, effets de lithogravure, split-screens ornementaux, représentation graphique des odeurs et du son.
Et la musique est très chouette aussi.
Je recommande :)