Black & White, de Lewis Shiner

Roman américain sorti en 2008 et se déroulant sur deux époques : quelques semaines de 2004 et la vie des parents du héros principal, Michael Cooper. Michael revient pour les derniers jours de son père à Durham, en Caroline du Nord. En creusant le passé de son père et en s’impliquant dans la vie de la ville, il va découvrir progressivement que son histoire familiale est largement liée à l’évolution de la ville, et à l’éviction des quartiers noirs prospères pour laisser passer une autoroute dans les années 60 et 70.

J’avais récupéré ce bouquin parce que j’avais beaucoup aimé Fugues, du même auteur. On n’est pas du tout dans le même style, à part la question de la relation à la figure paternelle. Fugues avait un net côté fantastique, ici on est dans un roman essentiellement réaliste. L’œuvre parle du racisme du sud des États-Unis, de comment ce racisme est passé par certaines politiques publiques, et de sa perpétuation jusque dans les années 2000. Il parle beaucoup d’identité, d’attirance et de relation. C’était sympa à lire, surtout l’histoire du père de Michael – certains passage de celle de Michael lui-même sont un peu datés ou un peu trop rocambolesques.

Comme une image, d’Agnès Jaoui

Film très français de 2004. On suit la vie de Lolita, chanteuse lyrique et fille d’un écrivain à succès imblairable. Autour d’elle tourne son père, avec sa compagne et leur fille, sa prof de chant et son mari écrivain qui commence à avoir du succès, et ses deux crushs. On est dans le milieu des français friqués assez antipathiques, avec des égos surdimensionnés et incapables de communiquer.

Le film est bien réalisé, mais franchement j’ai eu du mal avec les personnages, bien joués mais allant de mesquin à toxique en passant par lâche.

L’Apocalypse est notre chance, de Sylvie Coquart-Morel et Sophie Maurer

Feuilleton radiophonique de France Culture. Laura est doctorante en sociologie, approchant de la fin de sa thèse sur les institutions financières, quand elle découvre son directeur de thèse mort dans son bureau. Elle va découvrir peu à peu que son directeur était impliqué dans un groupe d’action radicale en rapport avec ses sujets de recherche, ce qui faisait de lui une personne d’intérêt pour les services de l’État. Laura va tenter de mener de front sa charge d’enseignement, le bouclage de sa thèse, et une enquête sur les activités de son directeur décédé.

Ça commençait bien, le milieu de l’université française était rendu de façon intéressante. La forme des épisodes étaient intéressante, avec les extraits du journal intime du directeur en fin d’épisode, qui rajoutait un point de vue différent et assez théorique. Mais l’histoire se délite peu à peu : les relations humaines deviennent moins crédibles, les gens font de la merde ou changent brutalement d’avis juste pour que l’histoire avance. C’est dommage parce qu’il y avait un gros potentiel, mais perdu en cours de route.

Promise of Blood, de Brian McClellan

Roman de fantasy sorti en 2013. L’histoire se déroule dans un univers qui rappelle la fin du XVIIIe siècle européen. Le roman s’ouvre sur la chute d’une monarchie absolue suite à un coup d’État de l’armée, il y a un syndicat, des colonies, une artillerie. Mais il y a aussi de la magie, des dieux, des prophéties…

L’univers est original et très prenant, avec un système de magie intéressant. C’était fort sympa de sortir de la fantasy médiévale.
Par contre c’était un poil trop militariste à mon goût, puisqu’on suit deux mages-artilleurs et un inspecteur anciennement policier ; on n’est pas exactement dans la critique gauchiste des pouvoirs établis. Même s’il y a des personnages féminins intéressants, toute la narration est faite par les yeux de mecs et les femmes restent largement à l’arrière-plan (et beaucoup – mais pas toujours – comme des femmes de ou filles de).

C’est le premier tome d’une trilogie, je vais clairement aller lire les suivants, il reste plein de pistes ouvertes et j’espère que les défauts seront un peu rectifiés (ce serait assez facile à faire en variant les points de vue).

EDIT 13/02/20

J’ai lu les deux tomes suivants, donc tout le cycle (l’auteur a écrit une autre trilogie dans le même univers, mas qui se passe 10 ans plus tard et dans une autre partie du monde). Ça se lit de façon relativement prenante, mais c’est loin d’être inoubliable. Le tome 2 est clairement le plus faible du cycle, se concentrant vraiment trop sur les aspects militaires, là où le 3 ré-ouvre un peu l’intrigue sur des questions politiques et une enquête policière.

Globalement l’univers est très intéressant, mais ça manque d’un travail d’édition. Du point de vue de l’écriture en elle-même, où il y a de petites incohérences qui montrent un manque de relecture globale, et où trouve des lourdeurs et des répétitions (vu le nombre de fois où la consommation de poudre par les mages-artilleurs est décrite exactement de la même façon, ça devient rapidement ennuyant). Du point de vue du fond, des suggestions d’éditeur sur le développement de certains personnages ou de certaines relations entre elleux aurait été intéressant. Bon déjà sur 1200 pages, la trilogie ne passe pas le test de Bechdel, ce qui est dommage en soi, surtout qu’il y a pourtant de nombreux personnages féminins – même dans l’armée, totalement mixte, mais ces personnages sont finalement toujours isolés – pas non plus de personnages non-hétéros. La relation Taniel / Ka-Poel est franchement mal écrite, la seconde étant décrite à la fois comme une mage et une guerrière incroyablement puissante, et comme une petite chose fragile que Taniel doit protéger. Des problèmes aussi sur le côté assez similaire à 300 du conflit entre les nobles soldats d’Ardo compétents mais en petit nombre et l’armée d’un million d’hommes des Kez incompétents et fourbes ; c’est surtout présent dans le second tome (où l’armée d’Ardo doit tenir un défilé…), un peu rectifié dans le troisième.
Tbh, je pense que l’auteur est un peu de droite.

Dans les côtés positifs, le mélange entre les capacités magiques et la période temporelle est original, les différents types de magie aussi. Les mages-artilleurs sont intéressants, même si on les sent taillé.e.s sur mesure pour pouvoir raconter une histoire dans un cadre militaire (même remarque sur la géographie d’Adro d’ailleurs, un pays entouré de montagnes infranchissables – à trois points de passage stratégique près). L’auteur prend le temps de développer ses personnages, qui ont une épaisseur psychologique, un système de valeur interne, des doutes… même s’ils restent assez tropesques par moment.

À lire si vous voulez de la fantaisie avec des mousquets et un bon worldbuilding, à ne pas lire si vous voulez un truc conscientisé.

La Révolution des Damnés, de Melody Cisinski

Premier tome d’une bande dessinée sur une révolution russe incluant des éléments fantastiques. On suit Yuri, un membre des brigades anarchistes, qui infiltre le train blindé ou les russes blancs abritent la dernière héritière des Romanov dans l’espoir d’une restauration. En parallèle on voit le passé de Yuri, son adolescence dans son village, et le triangle amoureux qu’il formait avec Elena et Nikita, son camarade qui a obtenu un poste de commandement dans l’armée bolchevique et est en train de réveiller des puissances occultes.

Il y a des points intéressants dans l’histoire, mais on reste un peu sur sa faim avec juste ce premier tome ; typiquement le Kotchei réveillé par Nikita n’apparaît que relativement tard, on voudrait en avoir plus (surtout que c’est quand même lui qui fait la couverture). Mais je suis totalement motivé par une histoire qui mêle gros robots, révolution russe et légendes slaves.

Dans le fond comme dans la forme, il y a deux ruptures de ton qui m’ont un peu perturbées :

  • Sur la forme, le design des personnages est très toonesque, avec par contre des couleurs très sombre, une bonne partie de la BD est en nuance de gris avec seulement quelques éclats de couleur.
  • Sur le fond, on alterne des moments adultes ou sombres, avec des charniers, du sexe, et des moments plus légers ou le héros blague avec son cheval ou joue avec l’héritière Romanov.

Ça donne un peu l’impression que la BD oscille en fond comme en forme entre deux styles ; j’attends de voir ce que l’autrice veut en faire dans les tomes suivants, surtout que maintenant que tous les enjeux sont posés, le kotchei entré en scène et l’action lancée, on devrait arriver aux passages les plus intéressants.

La Scierie, texte anonyme

Texte anonyme rédigé dans les années 50 et publié dans les années 70 et décrivant les deux ans passés par l’auteur en tant que travailleur dans des scieries proches de Blois. L’auteur raconte un quotidien très dur, physiquement harassant, sans solidarité entre les travailleurs (dans sa première scierie, ça change un peu dans la suivante, où les rapports humains restent tendus, mais « moins pire »). C’est un témoignage direct des conditions de travail en tant qu’ouvrier rural non qualifié à cette époque. L’auteur montre sans complaisance comment les conditions de travail le rendent mauvais (et ses collègues avec), il se réjouit des accidents de ceux qu’il n’aime pas, il y a zéro solidarité. Le texte est écrit rétrospectivement et l’auteur regrette en partie la transformation morale que ce métier lui a fait subir, mais il estime aussi en avoir retiré des choses intéressantes et une compréhension de ce qu’est intrinsèquement le travail.

C’était très intéressant comme témoignage.

Mes classes vendangeuses, par mickaël andré

J’ai aussi lu dans le même style un fascicule de quelques pages décrivant des vendanges dans les années 2010, mais là avec un recul sur les rapports de classe et la division genrée du travail. On est dans le même type de travail non qualifié, mais à une époque différente, et avec un regard de l’auteur assez différent. Mais là aussi on retrouve des rapports difficiles entre les travailleureuses, instrumentalisés par le patron.

Notre-Dame du Nil, de Scholastique Mukasonga

Roman rwandais de 2012, décrivant la vie dans un pensionnat de jeunes filles de bonne famille dans le Rwanda des années 70s, alors que les tensions ethniques entre Hutus et Tutsis s’accentuent. Le livre raconte la vie de l’institution, le pélerinage annuel à la statue de Notre-Dame du Nil d’où le pensionnat tire son nom, une visite de la reine Fabiola, les jeux d’influences entre les pensionnaires qui reproduisent les positions de leurs familles respectives (dans l’armée, dans le gouvernement…), leur relation aux adultes (les Sœurs qui tiennent l’établissement, le prêtre lubrique, les professeurs belges, français ou rwandais, le sorcier du village proche, leur famille…), et la montée progressive des persécutions des Tutsis, jusqu’à l’irruption de miliciens au pensionnat, qui viennent chercher « les filles du quota ». C’était intéressant, je connaissais peu l’histoire rwandaise – et je prend rarement l’occasion de lire de la littérature écrite par des auteurices africain.e.s, c’était bienvenu.

Le Sens de la Fête, d’Olivier Nakache et Éric Toledano

Film français de 2017. Bacri joue Max, le patron d’une petite société d’événementiel spécialisée en planification de mariage. On le suit, lui et son équipe, sur toute la mise en place et le déroulé du mariage d’un client particulièrement relou dans un château magnifique. C’était très réussi. Tout les personnages sont bien : Max bien sûr, mais Jean-Paul Rouve en photographe jemenfoutiste, le DJ qui chante du yaourt avec aplomb, le serveur embauché au dernier moment qui ne connaît rien au milieu et enchaîne les catastrophes, le marié totalement infect (mention spéciale pour lui, le personnage est très très très réussi). Le film est bien rythmé, avec les différentes péripéties de l’organisation de la soirée, le tout sur une bande-son d’Avishai Cohen très réussie.

Grosse recommandation pour un fil good movie.

On connaît la chanson, d’Alain Resnais

Film français sorti en 1997. On suit les aventures à Paris de deux sœurs, Camille et Odile, et de leurs connaissances, alors qu’Odile achète un appartement et Camille finit sa thèse. Le film est connu pour son procédé qui consiste à faire faire du lipdub de chansons françaises à ses acteurices à plein de moments, lipdub qui s’insère dans les dialogues ou représente l’état d’esprit ou les émotions des personnages.

Les personnages sont attachants (sauf celui de Lambert Wilson, qui joue le connard de service, un horrible agent immobilier), même s’ils sont parfois un peu idiots. Mention spécial au fil narratif d’Odile qui culpabilise d’avoir renvoyé au dernier moment un demandeur d’emploi, à celui de Camille qui finit sa thèse « Les chevaliers-paysans de l’an mil au lac de Paladru », et à Bacri hypocondriaque qui consulte médecin sur médecin en chantant J’ai la rate qui se dilate.

Le Sermon sur la chute de Rome, de Jérome Ferrari

« Meeeec, et si on ouvrait un bar ? »

Prix Goncourt 2012. Le livre raconte l’histoire de plusieurs membres d’une famille corse. L’histoire s’ouvre sur la description d’une photo prise en 1918 avant le retour de la guerre du père de famille. Elle va s’étendre brièvement sur la vie du couple, avant de se concentrer sur la vie de leur arrière petit fils Matthieu, avec des passages sur la vie de leur plus jeune fils Marcel, son fils Jacques (très peu), et celle d’Aurélie, la sœur de Matthieu. Matthieu a été élevé sur le continent, et il considère pendant longtemps la Corse comme son paradis perdu. Persuadé que tout ce qui a trait à la Corse est merveilleux, il abandonne ses études pour reprendre un bar dans le village familial avec son meilleur ami. Si les choses se déroulent bien au début, le rêve de Matthieu va peu à peu s’effondrer.

C’était agréable et intéressant à lire. La narration fait des allers-retours entre les époques et les générations, révélant peu à peu les différentes péripéties de l’histoire familiale. Libero, le meilleur ami de Matthieu, a fait son mémoire de master sur Saint-Augustin, ce qui amène les parallèles entre leur situation (et l’effondrement de leur rêve de vie tranquille au pays) et le sermon de Saint-Augustin sur la chute de Rome, et donc le titre du livre.