Ring Shout, de P. Djèlí Clark

Court roman fantastique. En 1922 aux États-Unis, une organisation clandestine mène la lutte contre un Ku Klux Klan qui s’est allié à des monstres surnaturels. On suit une cellule de combattantes, Maryse, Chef et Sadie, alors qu’elles tentent d’empêcher une projection de Birth of a Nation au sommet d’une montagne avec des propriétés magiques…

C’était très bien. C’est une bonne histoire d’horreur cosmique, on trouve des thèmes lovecraftiens, mais traités du point de vue de l’antiracisme plutôt qu’avec la vision xénophobe de Lovecraft lui-même. Y’a une cohérence stylistique qui était ce qui m’avait manqué dans Lovecraft Country. La description des monstres, axée sur le body horror, est très réussie, surtout celle de la Grande Cyclope. Quelques répétitions dans les passages qui décrivent les moment où Maryse invoque son épée, mais c’est un défaut assez mineur.

Ecotopia, d’Ernest Callenbach

Roman états-unien de 1975. Les trois États de la cote pacifique ont fait sécession 20 auparavant, rompant tout contact avec les États-Unis. Un journaliste new-yorkais est invité à franchir la frontière pour voir comment ce nouvel État, Ecotopia, a évolué durant l’intervalle. Le roman consiste en ses articles très factuels envoyés à son journal aux USA, le Times-Post, et ses notes dans son journal personnel, racontant son histoire plus personnelle.

Ecotopia est un État qui a mis l’écologie au centre de ses préoccupations (avec un débat interne persistant sur la question de savoir s’il est possible de réaliser l' »écologie dans un seul pays »). Le pays a radicalement modifié son fonctionnement, ses taxes, ses rapports sociaux, ses infrastructures pour atteindre un « état stable » de consommation et régénération des ressources naturelles. Au passage, la semaine de 20h a été institué, ainsi qu’un revenu de subsistance universel. Les rapports sociaux se sont apaisés, la production a été socialisée, le parti au pouvoir – le Parti Survivaliste – est dirigé par des femmes.

Ecotopia est une utopie, à laquelle le narrateur va peu à peu se rallier. Les idées écolos présentées sont intéressantes (surtout pour un roman de 75), mais en terme de narration, Ecotopia est trop parfaite pour être intéressante. Certains aspects de la société font penser aux Dépossédés, mais sans la réflexion critique que présente Le Guin. Par ailleurs, en dehors de l’écologie, certains aspects ont mal vieillis : les trips sur la sexualité (notamment le point de vue du narrateur dessus), le passage « ah oui les populations noires ont décidées de se ségréger en cités-États indépendantes », tout n’est pas parfait dans les thèses présentées. Le principe de la double voix du narrateur entre ce qu’il écrit officiellement et son journal intime, et comment les deux se répondent est intéressant par contre.

The Rider, de Chloe Zhao

Film étatsunien de 2017. Brady est un jeune cowboy qui vit au Dakota. Toute son identité et sa sociabilité sont ancrées dans le milieu du rodéo. Au début du film, il se remet d’un accident de rodéo qui lui a causé une fracture du crâne. Il est supposé se reposer et prendre le temps de se rétablir, mais il n’arrive pas du tout à rester éloigné du rodéo : il prend un petit boulot en supermarché, il s’occupe de sa sœur, mais son père qui a quitté le milieu du rodéo est un contre-exemple pour lui, et tous ses amis lui demandent quand est-ce qu’il va se remettre en selle. Il temporise, s’occupe de dresser des chevaux, rachète un cheval pour lui-même, mais même ces activités sont trop intenses physiquement et lui font avoir une nouvelle attaque. Coupé du monde du rodéo, il devient profondément déprimé, et se réinscrit à un rodéo, malgré les risques. Il décide au dernier moment de ne pas concourir en voyant son père et sa sœur dans le public.

C’était assez peu joyeux, mais c’était assez beau. Les personnages sont complexes, ils viennent d’une culture très particulière, sont globalement tous pauvres et pratiquent une activité à risque (le meilleur ami de Brady, Lane, était un des espoirs du rodéo de taureau et est paralysé depuis un accident), qu’ils savent qu’ils devront laisser derrière eux tôt ou tard, mais qui est centrale dans leur vie. La tension que représente pour Brady le fait de devoir l’abandonner est bien retranscrite : on voit que son accident l’a secoué, mais en même temps, il y a jusqu’à des gamins qui viennent lui dire qu’ils sont fans de lui au supermarché, en plus de tous ses amis qui l’encouragent à revenir au rodéo, lui-même aime faire ça, aime les chevaux, s’est construit là dessus. Laisser ça derrière lui est très dur.

Globalement bon film, un côté Ken Loach dans les situations dures montrées, à regarder quand on est plutôt en forme psychique.

Lutter Ensemble, de Juliette Rousseau

Essai sur les possibilités et modalités pratiques de convergences des luttes à gauche. Juliette Rousseau parle de comment il est possible pour des mouvements marginaux de travailler avec des mouvements plus insérés dans le jeu institutionnel, et comment faire en sorte de prendre en compte les différentes dominations au sein des mouvements de gauche, pour éviter de reproduire les hiérarchies dans les mouvements sociaux. J’ai trouvé le texte assez inégal, mais il y a des passages super intéressants. Les témoignages issues de femmes et de personnes racisées prenant part à la ZAD de NDDL notamment étaient super bien ; les façons dont les organisations palestiniennes posent des conditions avant de travailler avec des organisations israéliennes et en parallèles comment les petites organisations marginales ont travaillé avec les grosses organisations institutionnelles pour la préparation des marches pour le climat newyorkaises était aussi très intéressant. Les réflexions sur les associations qui ont des fonctionnements en non-mixité ou en mixité choisie pour permettre aux dominé.e.s et aux premièr.e.s concerné.es par les causes de s’exprimer plus facilement sans se faire dépasser par les allié.e.s plus privilégié.e.s sont intéressants aussi ; avec le constat que ça marche bien quand c’est prévu dès le départ, et beaucoup plus compliqué à rajouter a posteriori.

Une Partie de Campagne, de Raymond Depardon

Documentaire tourné pendant le mois qu’a duré la campagne présidentielle de 1974. Raymond Depardon suit VGE, filme les coulisses de la campagne, les moments où le candidat est en transit entre deux points. Le documentaire n’a pas du tout plu à VGE, qui l’avait financé et a interdit la sortie jusqu’en 2002.

Le documentaire présente une France et une façon de faire de la politique d’un autre temps : Giscard se retrouve dans la foule à la fin de ses meetings et conduit sa voiture pendant que Depardon le filme. Les salles où ont lieu les meetings ont l’air faites et décorées de bric et de broc. Tous les gens ont une tête, des habits, des coiffures qui sont totalement spécifique de leur époque. La diction de Giscard est aussi ultra particulière.

Un autre point frappant c’est l’isolement de Giscard, qui fait les trucs dans son coin : Il se balade seul en voiture, donc, il attend les résultats du 2d tour seul dans son appart de fonction, avec juste Depardon qui le filme, et passe des coups de fils à Michel Poniatowski pour avoir les derniers chiffres et bitcher sur les politiques qui passent à la télé pour commenter les résultats. Y’a aussi une super scène où entre les deux tours il réunit ses conseillers de campagne, mais essentiellement pour leur dire ce qu’il veut faire lui plutôt que d’écouter leurs suggestions (et où il sort cette super réplique « Il y a une première option, qui est au fond de ne rien faire, et l’élection est pratiquement gagnée ».

Bref, c’était un bon documentaire, je le recommande.

Petite Fille, de Sébastien Lifshitz

Documentaire sur une enfant trans, et sur le combat de sa famille pour qu’elle puisse vivre son enfance de façon épanouie sans se prendre de la transphobie dans la figure (avec plus ou moins de succès), de la part des adultes en position d’autorité notamment (profs de danse, prof et directeur en milieu scolaire, autres parents…)

C’est un documentaire style Strip-tease, sans commentaire en voix off, qui se met au niveau des personnages. Bien sûr ça reste orienté par le montage, par ce qui est montré ou non, par la musique rajoutée, mais la caméra tend à se faire oublier un peu. Perso j’ai trouvé ça intéressant dans le côté tranche de vie, la façon dont ça montre comment Sasha et surtout sa famille (même en étant le sujet principal du documentaire, en tant qu’enfant assez jeune Sasha est quand même assez effacée et silencieuse par rapport à ses parents) gère le quotidien et pousse pour obliger les gens autour d’elleux à être moins transphobes. Le documentaire montre surtout des scènes tout à fait banal, pour une bonne part c’est une famille qui vit sa vie tranquillement (+ Vadim, le dernier de la fratrie, qui est ultra intense par moment et très drôle comme un gamin de ~6 ans peut l’être). Je trouve ça intéressant de montrer comment les parents, qui sont clairement non-militants, non renseignés sur ces sujets, probablement vaguement de droite, gèrent les interactions avec le reste du monde au quotidien.

J’ai vu qu’il a été reproché au documentaire par des personnes trans d’utiliser de mauvais termes, et d’avoir une approche qui même si elle se veut bienveillante, peut être néanmoins transphobe par moment. Je comprends le problème,, et je suis tout à fait d’accord que c’est problématique de ne pas avoir plus de ressources par et pour les personnes trans (et d’avoir à la place yet another documentaire par une personne cis qui filme une personne trans – et de plus c’est vrai que dans le choix de montage y’a une grosse focalisation sur Sasha qui choisit ses vêtements, beaucoup de plans sur ses chaussures à talon et paillettes dorées, très féminines, c’est un focus qu’on peut clairement reprocher au doc), mais ça m’a beaucoup moins dérangé pour ce style de documentaire que ça ne l’aurait fait pour un doc avec voix off : je pense pas que ce documentaire prétende faire de la pédagogie.

Le Goût des Autres, d’Agnès Jaoui

Film français de 2000. On suit les trajectoires croisées de Castella (Jean-Pierre Bacri), un chef de petite entreprise totalement imperméable à la culture, qui lors d’une représentation de Bérénice est soudain bouleversé par le texte et l’actrice principale ; de sa femme, sa soeur, son garde du corps, son chauffeur ; de Clara l’actrice de Bérénice et de diverses personnes qui travaillent en lien avec elle dans le monde de la culture.

C’était très bien. Le sujet est complexe, qui parle de goût culturel et de dominations plus ou moins symboliques, mais très bien traité. Y’a des moments où on cringe pour les personnages (quand Castella passe à raison pour un idiot fini au restaurant), mais c’est très réaliste comme présentation des choses. Le film réussit aussi très bien à retourner le personnage de Castella, qui très antipathique au départ, devient le héros du film, la perception qu’on a de lui évoluant graduellement. Les lignes narratives de tous les personnages sont réussies, la relation Manie/Vincent est très bien notamment. Chabat a un rôle un peu en arrière plan mais il est excellent dedans. Idem pour le personnage d’Angélique, qui n’est franchement qu’esquissé dans le film, mais est super réussie aussi.

Globalement, très bon film choral, avec un excellent traitement du sujet.

Queen’s Gambit, de Scott Frank et Allan Scott

Série Netflix en 7 épisodes adaptée d’un bouquin de Walter Tevis. On suit la vie (imaginaire) d’Elizabeth Harmon, prodige des échecs, de son placement en orphelinat à son affrontement en 1968 à Moscou contre le champion du monde en titre.

C’était fort bien. L’actrice principale est très bonne dans son rôle, et plus largement tous le cast est réussi, avec des personnages secondaires très bien réalisés. Le côté série historique avec décors reconstitués fonctionne bien (petit bémol là-dessus sur le Moscou du dernier épisode, sur lequel les images de synthèse sonnent quand même un peu fausses sur certains plans d’ensemble). Il y a quelques rebondissements où l’on se dit quand même que tout le monde est très bienveillant dans ce monde (les gens perdent avec grâce, les anciens adversaires deviennent des mentors ou des amis – on croirait un shonen. Y’a zéro sexisme, l’alcoolisme et les addictions c’est possible d’en sortir juste avec de la volonté), mais bon ça fait du bien parfois aussi. On voit par contre très peu d’échecs dans la série, qui se concentre sur la psychologie des personnages et non pas les parties. Y’a aussi un petit côté didactique artificiel dans les premiers épisodes, ou Elizabeth se voit expliquer les règles d’une partie puis d’un tournoi une par une par différents personnages, mais c’est un défaut franchement mineur.