Fargo, des frères Coen

Film étatsunien de 1996. Un vendeur de voiture de Minneapolis financièrement dans la merde engage deux petites frappes de Fargo pour kidnapper sa femme : son riche beau-père paiera la rançon et il en récupérera la moitié. Sauf que les deux gangsters sont des psychopathes qui n’hésitent pas à se lancer dans un massacre dès qu’il y a un vague témoin, et que tout va dégénérer. On suit à la fois les deux psychopathes, le vendeur de voiture, et Marge, chef de la police dans la petite ville de Brainerd, où un triple homicide va la mettre sur la piste de deux tueurs.

C’était très bien. Y’a une ambiance particulière liée à l’environnement « film noir dans les flyover states, dans un climat glacial » : tout le monde est surhabillé, les décors sont assez laids : c’est que du préfabriqué moche, de la banlieue à perte de vue, ou alors des scènes extérieurs dans la neige mais pas du tout enjolivés par la caméra, on est dans le réel de la classe moyenne américaine. Les policiers sont laconiques et unimpressed, ils font leurs petites vies et se racontent leur weekend tout en investigant un triple homicide. Tous les personnages qui viennent d’un environnement rural ont un petit accent chantant et ponctuent leurs phrases d’un « oh yeah? ».

Grosse recommandation.

This is how you lose the time war, d’Amal El-Mohtar and Max Gladstone

Court roman de science-fiction épistolaire. Deux factions, le Jardin et l’Agence (représentant la Nature et la Technique) s’affrontent à travers le temps, l’espace et de multiples dimensions. Bleue et Rouge sont deux agentes de terrain d’élite, appartenant chacune à une faction. Sur les champs de bataille, elle commencent à échanger des lettres pour se narguer l’une l’autre, mais cette correspondance va rapidement déclencher des sentiments chez les deux agentes.

Les lettres sont bien écrites et certains environnements dans lesquels les deux protagonistes évoluent sont originaux, mais le bouquin reste assez anecdotique, c’est pas mal une relecture de Roméo et Juliette avec des décors plus grandioses que Vérone. Le titre du bouquin est super par contre.

Raya and the last dragon, des studios Disney

L’Assassin royal : the Legend of Korra

Film d’animation des studios Disney sorti en 2021. Dans un monde d’inspiration asiatique, un pays qui vivait autrefois en harmonie est désormais déchiré en 5 nations depuis la disparition des dragons. Raya, princesse du royaume du Cœur, va retrouver la dernière dragonne et tenter de lui rendre ses pouvoirs pour vaincre la puissance maléfique qui accable le monde – tout en étant poursuivi par la princesse du royaume des Crocs.

Gros travail d’animation, de très belles séquences, les visuels des différentes nations sont très beaux. Les deux princesses sont très réussies en tant que personnages, les personnages secondaires un peu moins j’ai trouvé, ils ont tous une fonction de sidekick comic relief. Mention spéciale quand même au personnage de bébé vénère, étonnamment réussi vu le concept de base. Par contre le design des dragons est assez moche, c’est volontaire pour leur filer un aspect goofy, mais bon ça jure un peu avec le reste.

Le scénario est très classique avec une quête pour réunir des artefacts magiques répartis entre les cinq royaumes. Pour tout caser en 1h45 certains royaumes sont un peu rushés alors que vu la beauté des décors ils auraient tous mérités plus de temps d’écran. Jolies séquences de combat/poursuite aussi, très réussies

Bad Lieutenant, d’Abel Ferrara

Film US de 1992. On suit un policier corrompu et bourré d’addiction, qui tente en parallèle de mener une enquête sur le viol d’une religieuse et de trouver un moyen de rembourser ses dettes de pari sportif à la mafia. La scène d’ouverture où on le voit déposer ses gamins à l’école en père aimant avant de se faire une petite prise de cocaïne dès qu’ils sont hors de la voiture est très réussie. On le voit ensuite sombrer de plus en plus, consommer des quantités invraisemblables d’alcool et de drogue, accumuler les paris foireux, agresser sexuellement des femmes en abusant de sa position (scène aussi très réussie dans le genre dérangeant, avec un mec à la fois en position de pouvoir, visqueux, clairement sous substance qui s’impose à deux femmes – trigger warning de rigueur). La caméra de plus en plus nerveuse, bancale, retranscrit très bien l’état mental du protagoniste.

J’ai vu pas mal de critiques qui parlent de rédemption dans la conclusion du film, mais je suis assez peu d’accord : si le thème de la rédemption traverse le film et si le personnage y aspire probablement, je ne pense pas que c’est ce qui se passe. Il tente un truc selon ses termes mais je ne mettrai pas du tout le terme de rédemption dessus. Disons qu’il change de façon de faire de la merde.

Slow West, de John Maclean

Western sorti en 2014. Un jeune aristocrate écossais, Jay, voyage à travers le far west pour retrouver la femme qu’il aime, Rose. Il s’adjoint les services de Silas, un chasseur de prime, en tant que garde du corps. Ils voyagent lentement à travers des paysages gigantesques, rencontrant occasionnellement d’autres personnages, et approfondissant progressivement leur relation.

J’ai bien aimé. Le film est assez lent et contemplatif, avec des moments où la tension monte soudainement, notamment le long showdown final autour de la maison de Rose. Ça m’a pas mal fait penser à O Brother where art thou pour le côté rencontre successive de plein de personnages dans l’Ouest américain. La relation entre Jay et Rose est intéressante : il l’aime et l’idéalise alors qu’elle a toujours été claire sur le fait que ce n’était pas réciproque. La quête de Jay est le moteur du film, mais quand il retrouve la Rose réelle, la réalité reprend ses droits et on n’est pas du tout dans un schéma « la fille comme récompense de la quête ».

Black Narcissus, de Michael Powell et Emeric Pressburger

Film anglais de 1947. Dans l’Inde coloniale, un dignitaire indien offre à une congrégation de nonnes un ancien harem perdu dans les montagnes, pour qu’elles en fassent un monastère. Le seul européen en contact avec elle est un anglais débraillé au service du dignitaire indien, qui leur sert d’agent de liaison malgré son incompatibilité de caractère avec les religieuses. Dans cet environnement trop « intense », les bonnes sœurs vont avoir de plus en plus de mal à se conformer à leurs vœux.

C’était assez cool. On suit principalement la jeune mère supérieure qui a des réminiscences de sa vie avant les ordres et qui doit interagir avec Mr. Dean, l’agent de liaison, qui est de plus en plus dévêtu à chaque fois (et qui est à la fois la figure tentatrice et totalement ridicule quand il arrive en short sur un tout petit poney). Toutes les nonnes ont du mal à se conformer à leur voeux mais elles y réagissent différemment : la mère supérieure tente quand même de garder tout en ordre, la sœur jardinière demande à être transférée au plus vite dans un autre monastère, et une autre va se laisser sombrer dans la psychose, persuadé que la mère supérieure agit contre elle. Les nonnes doivent en parallèle gérer leur rapport à la population locale qui fréquente leur école et leur dispensaire, notamment une jeune indienne qu’elles hébergent, l’héritier du dignitaire qui vient assister à leurs cours, la factotum du harem… Ce qui rajoute des couches d’interaction qui n’ont rien à voir avec la bonne marche d’un monastère. Le crescendo final est très réussi, la tension prend bien. Le symbolisme n’est pas subtil (la pureté en blanc, la tentation en rouge ! Des gouttes de sueur en gros plan pour bien faire passer la maladie !) mais ça s’explique bien par la date de sortie du film, et ça marche toujours très bien en le regardant aujourd’hui.

Les montagnes d’arrière-plan sont très manifestement peintes mais ça rajoute du charme au film.

Promenade dans Toulouse

À la recherche des affiches de l’exposition en soutien au Myris Mixarts (menacé de fermeture administrative par la marie), qui étaient finalement un peu décevantes mais faisaient une bonne base de promenade.

cathédrale saint-Étienne
cathédrale saint-Étienne, détail
cathédrale saint-Étienne, détail
cathédrale saint-Étienne, autel
Rue Gramat
Rue Gramat
Rue Gramat
Rue Gramat
1,2,3, soleil !
Balcon aux plantes et statue de Jésus

Fascisme Fossile, du collectif Zetkin

Essai sur les liens entre extractivisme des énergies fossiles (charbon, gaz, pétrole) et extrême-droite.

Les auteurices montrent que là où on agite souvent le fantasme d’une « dictature verte » (qui prendrait des mesures coercitives pour l’environnement en nous empêchant de manger trois steaks pendant nos voyages en avion quotidiens), en Europe et en Amérique du Nord les partis autoritaires se réclamant du fascisme ou de l’extrême droite sont très largement plus dans la défense des énergies fossiles et du statu quo actuel.

Iels reviennent sur les origines du négationnisme climatique poussé par les majors pétrolières dans les années 60, 70 et 80 puis abandonnées par elles au profit d’une posture de verdissement de façade de leurs activités et de la promotion du libéralisme pour régler la question du climat (à base de bourse du carbone et de banques de restauration écologique). Le négationnisme climatique reste un discours promu par l’extrême-droite jusque dans les années 2010 par contre, couplé à l’idée que la question du changement climatique serait un écran de fumée pour détourner le regard du vrai problème que serait l’immigration, voire pour culpabiliser l’Occident et donc faire accepter plus facilement l’immigration. Bref, ce ne serait qu’une attaque sur le mode de vie occidental et autre délires complotistes.

À partir de la seconde moitié des années 2010, même l’extrême-droite commence à reconnaître la réalité du CC, mais avec un discours comme quoi verrouiller les frontières et réprimer l’immigration serait la meilleure façon d’agir pour la planète : on protège le territoire national des espèces invasives et des populations pas de chez nous du même coup, dans un discours qui confond volontairement le biologique et le social. Entrelacement aussi des thématiques « préférence nationale » et « localisme », et discours sur les « enraciné·es » vs les « nomades » qui reprend la rhétorique antisémite et anti-élites du « cosmopolitisme ». Ce sont ces discours qui font le lien avec les tendances fachos de l’écologie intégrale et avec les stages de survivalisme/thèses effondristes. Intégration aussi d’un discours néomalthusien où le problème de surconsommation des ressources planétaires ne serait pas le consumérisme et le capitalisme mais « les Africains qui font trop d’enfants ». Tout ça est bien pratique pour quand on arrive au pouvoir, ne finalement rien faire sur les questions écologiques (exemple de la Finlande en 2015, où le parti d’ED dans la coalition au pouvoir, malgré son discours vert, n’a rien fait sur la réduction des GES mais a réprimé l’immigration). Bref, par rapport au négationnisme climatique c’est une autre stratégie pour atteindre les mêmes objectifs : promouvoir le racisme et laisser les énergies fossiles tranquilles.

Le fascisme prospère sur les crises. Pour les auteurices, deux types de crises écologiques peuvent faire avancer le fascisme fossile :

  1. Crise d’atténuation : un gouv écolo met en place des politiques contraignantes pour le secteur fossile : cette industrie est incitée à se tourner vers les partis fascistes comme alternative de gouvernement pour préserver leur rente (« plutôt Hitler que les Khmers verts »)
  2. Crise d’adaptation : les conséquences du CC érodent le niveau de vie, boostant l’attractivité des conservateurs ayant une rhétorique à base de « bon vieux temps » et de la défense de la Nation contre celleux qui sont à nos portes et veulent nous prendre le peu qu’il nous reste.

Attrait symbolique des fascistes pour les E. fossiles aussi car il s’agit d’un stock d’énergie vs les renouvelables qui sont des flux. La matérialité des fossiles permet de leur accrocher plus facilement une étiquette du style « notre énergie ». En plus il vient du sous-sol : ça rejoint tout le trip fasciste sur la terre qui ne ment pas, et on peut lui coller une origine géographique donnée (vs le vent et le soleil qui sont totalement indifférents aux frontières). Enfin, les fossiles sont liées à l’Histoire (et aux Mythes) de l’impérialisme et du colonialisme occidentale, avec l’établissement des rapports de domination sur le reste du monde permis par l’exploitation des moteurs à vapeur puis à explosion (les auteurices parlent de technoracisme). Face à ça, les renouvelables sont intangibles et intermittents : on peut plus difficilement leur coller une rhétorique de puissance, de maîtrise totale, de supériorité (les barrages hydroélectriques avec leur constance et leurs stocks d’eau sont d’ailleurs le renouvelable le plus accepté par les fascistes). En plus, pour pallier l’intermittence il est crucial d’avoir un grand réseau connecté : pour l’Europe ça veut dire collaborer entre pays, pas le plus gros trip des fascistes.

L’idéologie cartésienne de « se rendre maître et possesseur de la Nature » a dans pas mal de configurations englobé dans « la Nature » les populations locales non-blanches : il y avait exploitation simultanée du Capital que fournissait la Nature et du Travail des populations en question. De plus, la philosophie extractiviste est plus facile à faire passer en considérant que les locaux dont on pille les ressources et flingue l’environnement sont par essence inférieurs et incapable de bien gérer ces ressources par elleux-mêmes. Le racisme est un outil utile à l’extractivisme.

Célestopol, d’Emmanuel Chastellière

Recueil de nouvelles où la Russie tsariste a implanté une cité sur la Lune à la fin du XIXe siècle, visiblement à l’aide de canons tels que celui de De la Terre à la Lune.

Le pitch est alléchant, mais les nouvelles en soi ont franchement peu d’intérêt, ne développant pas un univers complet qui ne sert que de toile de fond, ne faisant même pas vraiment usage du contexte lunaire, et n’arrivant pas à choisir entre le fantastique, le steampunk, la SF, sans faire non plus un mélange réussi entre les genres. De plus tout est focalisé sur le dirigeant de la cité et plus généralement les élites, et leur terrible décadence, mais plus pour les détailler avec gourmandise que vraiment les dénoncer.

Bref, déception.