Les Temps Ultramodernes, de Laurent Genefort

Uchronie rétrofuturiste française sortie en 2022. La découverte de la cavorite à la fin du XIXe siècle a bouleversé les sociétés humaines. Cette matière permettant d’annuler la gravité va à la fois modifier l’ingénierie, les équilibres géopolitiques et les conventions esthétiques. Dans les années 20 où se déroulent le livre, le monde est donc relativement éloigné du notre. Mais l’annonce d’une demie-vie bien plus courte que ce que l’on croyait pour cet élément va pousser les empires en puissance à manœuvrer pour mettre la main sur les réserves restantes.

Le pitch était intéressant, malheureusement j’ai été un peu déçu à la réalisation. Si Genefort donne bien vie à son univers (et on sent qu’il s’est amusé à le construire, avec beaucoup de références et un côté rétrofuturiste appuyé par une Mars habitée et son matériau antigravitaire), les personnages comme l’intrigue ont cependant assez peu d’épaisseur : déplacer les enjeux de la colonisation sur Mars lui sert surtout à avoir un peuple colonisé qui présente les caractéristiques du bon sauvage, très passif et dont on a finalement très peu le point de vue. Son usage du génocide et d’un camp d’extermination comme des éléments d’intrigue m’ont aussi mis assez mal à l’aise. Je vois bien la volonté de l’auteur de mettre au centre du récit des questions politiques, et de dire qu’au delà du côté rétrofuturiste il y a tous les problèmes et idéologies de l’époque (montée du fascisme, eugénisme, anarchisme, répression policière, inégalités, …), mais je trouve que c’est malheureusement mal fait.

L’idée d’une période uchronique basée sur une technologie miraculeuse qui va finalement se refermer avec la disparition du matériau qui l’a permise est intéressante, mais finalement peu traitée dans le roman qui se situe encore dans les années d’abondance de la cavorite.

Bref, univers intéressant, réalisation pas à la hauteur.

Janvier à Paris

Quelques photos prises lors de mon séjour parisien du début d’année. Un peu en extérieur, et un peu au musée de l’Orangerie.

Parc Chapelle Charbon
Charpente métallique, XVIIIe arrondissement
Rue Sainte-Isaure et vue sur le chateau d’eau du Mont-Cenis
Le Bœuf écorché, Chaïm Soutine, 1925
La Table de cuisine, André Derain, 1925
Masque zoomorphe, Baoulé, Côte d’Ivoire, début XXe siècle

Ghostbusters: Afterlife, de Jason Reitman

Film états-unien de 2022. En 2021, la fille d’Egon Spengler apprend la mort de son père, qui l’avait abandonnée enfant pour aller vivre isolé dans une ferme d’une petite ville d’Oklahoma. Fauchée, elle déménage dans la ferme décrépite de son père avec ses deux enfants. Ceux-ci vont découvrir l’héritage de leur grand-père et faire en sorte de terminer la lutte contre une créature maléfique qui était la raison pour laquelle il avait déménagé en Oklahoma.

Je connais d’un peu loin le lore de Ghostbusters : j’ai vu des fragments du premier film et des épisodes de la (pas très bonne) série animée. Mais j’ai bien aimé le film : de facture très classique, il fonctionne bien en tant que divertissement (avec un bémol sur la fin <spoiler> où les anciens Ghostbusters reviennent et ça part vraiment trop dans la nostalgie</spoiler>). Les personnages principaux sont réussis : l’héroïne est très attachante, son side-kick aussi. Le grand frère fonctionne bien, la mère aussi. Toute l’esthétique de la petite ville est réussie, j’ai trouvé ça efficace de transposer l’intrigue du film depuis New York jusque dans un cadre rural.

Bien réussi comme divertissement pas trop profond, je recommande.

À l’écart de la meute, de Thomas Messias

Essai paru en 2021 sur le problème posé par les groupes d’amis composés exclusivement d’hommes cis et hétéros (points bonus s’ils sont tous blancs).

Le sujet est intéressant et l’essai soulève quelques bons points, mais globalement j’ai été déçu : l’ouvrage reste trop superficiel à mon goût, s’appuyant surtout sur du ressenti, des anecdotes personnelles ou des exemples tirés de films. J’aurais voulu que ce soit creusé davantage, là c’est un peu du pop-féminisme.

Si je résume à grands traits la thèse du livre : les groupes d’amis rassemblant des dominants ont pour effet de renforcer les mécanismes de domination, à la fois à l’intérieur du groupe et dans la société toute entière. En interne, la dynamique de groupe va conduire à une surenchère dans la domination, à renforcer un discours dominant et à établir une hiérarchie interne qui reproduit celle de la société (l’hétéropatriarcat, donc). À une échelle plus large, ces groupes homogènes fonctionnent comme des boys club qui vont permettre des retours d’ascenseur entre dominants et pousser chacun des membres à performer une masculinité toxique même en dehors du groupe. Thomas Messias exhorte les hommes cis à sortir de ce type de relations sociales et à cultiver des amitiés d’une part dans des groupes hétérogènes et d’autre part des amitiés masculines qui ne passent pas par des groupes mais par des relations entre deux hommes, pour gommer l’effet groupe. Il insiste sur le fait que l’on peut exiger des amitiés de meilleure qualité, plutôt que de juste garder les mêmes amis qu’on avait dans sa jeunesse (et donc la même dynamique de groupe juvénile) à cause du hasard des circonstances qui nous ont réunies à l’époque.

Globalement je suis d’accord avec ces points, mais le tout reste un peu léger : je pense qu’il existe des phénomènes de hiérarchie qui se mettent en place dans les groupes, indépendamment de l’homogénéité de ceux-ci. Il est clair qu’un groupe d’hommes cis qui n’a pas réfléchi aux questions de justice sociale est bien plus susceptible de faire de la merde, mais la mise en place de hiérarchies internes, reproduisant ou non celles de la société, me parait indépendante de l’endogamie sociale.

Le livre développe aussi tout un passage sur le témoignage d’une femme dont le compagnon se retrouve une fois par an avec des amis exclusivement hommes cis pour un « weekend entre couilles ». Si le terme est bien beauf (et probablement utilisé au soi-disant « second degré » des CSP+ qui adoptent un langage beauf de façon distanciée, permettant de dire des horreurs « pour blaguer », mais en les énonçant in fine), Messias semble condamner le fait que le compagnon en question veuille disposer d’un weekend où il est clair que sa compagne ne sera jamais invitée. Si le fait que ce rassemblement soit endogame entre hommes cis à blagues beaufs ne semble pas terrible, par contre ça me semble au contraire hautement bénéfique d’avoir dans un couple des moments de loisirs qui soient explicitement vécus de façon séparée. Plus généralement, j’ai l’impression que le livre tourne autour d’un point pourtant crucial pour son propos, qui est que l’on se comporte différemment avec différentes personnes et différentes configurations de personnes, et que donc le visage que l’on présente au travail, avec un ami en particulier, au sein de son groupe d’ami.es, au sein de sa famille d’enfance, au sein de son couple ou quand on est seul sont assez différents, et qu’il peut être complexe de concilier ces facettes si les situations fusionnent. Et ces changements comportementaux ne me semblent pas être des changements hypocrites, il n’y a pas un visage réel et des masques mais différents aspects d’une même personnalité (par contre certains peuvent être plus ou moins toxiques).

Autre point que j’aurais voulu voir creusé et qui me semble pertinent pour dénoncer les amitiés masculines toxiques de groupe, c’est le fait que la relation qu’on a avec un groupe n’est pas la somme des relations que l’on a avec chacun des membres du groupe. Messias aborde le sujet quand il établit que cette relation amorphe facilite le fait de reproduire les hiérarchies sociales dominantes, mais il ne détaille pas. Perso c’est un phénomène qui m’a toujours un peu fasciné et que je trouve super intéressant dans les relations de groupe, en positif comme en négatif, donc je trouve regrettable de le glisser sous le tapis comme ça.

Les Strates, de Pénélope Bagieu

Bande-dessinée française autobiographique publiée en 2021. L’album est constitué d’histoires courtes qui courent sur quelques pages, dessinées au crayon en noir et blanc. Les histoires couvrent différentes périodes de la vie de Pénélope Bagieu, des événements ou relations qui l’ont marquée. Ça se lit très bien, ça tape un peu émotionnellement. Le dessin au crayon à papier est intéressant et correspond bien à la tonalité des récits.

(oui c’est une critique succincte, j’ai bien aimé mais je vois pas trop quoi dire de plus)

Les Ignorants, d’Étienne Davodeau

Bande dessinée française autobiographique et pédagogique. Davodeau décide de collaborer avec un vigneron, Richard Leroy, pendant un an. Il participe aux travaux de la vigne, et Leroy va lui apprendre les différentes facettes du métier de vigneron. En échange, Davodeau lui montre comment fonctionne la création d’une bande dessinée et lui fait lire les œuvres de différents bédéastes. La BD retrace cette année et les échanges entre les deux hommes et leur entourage. C’est intéressant à lire pour apprendre des choses à la fois sur les deux univers. J’avais assez peu aimé la précédente BD de Davodeau que j’avais lue, mais celle-là m’a réconcilié avec l’auteur. J’ai trouvé assez intéressant par rapport à la démarche d’avoir au milieu une page dessinée par Trondheim, ça rentre bien dans la démarche globale de l’ouvrage.

Je recommande donc.

La Modification, de Michel Butor

Roman français publié en 1957. On suit un homme lors d’un voyage en train de Paris à Rome. Le roman est narré à la seconde personne du pluriel, et au cours du voyage le flux de conscience du personnage principal ne va pas cesser d’osciller entre les différentes fois où il a fait ce trajet, ses différents séjours à Rome et sa vie à Paris. Le trajet va aussi progressivement modifier son état d’esprit et il va arriver à Rome en ayant décidé de prendre la décision inverse de celle qui l’avait motivé à entreprendre le trajet.

C’était bien. Je l’ai commencé dans un train pour ajouter une petite couche de méta, mais clairement le rapport au voyage en train des années 50 n’est pas le même que celui qu’on a en 2021. Le Paris-Rome dure pas loin de 24h, le narrateur est dans un wagon de 3e classe, il prend des tickets repas pour aller au premier ou au second service du wagon restaurant. L’intérêt principal du récit se situe dans les sauts temporels de la narration qui collent au plus près au flux de conscience du protagoniste, et qui se font sans être annoncés, avec juste des juxtapositions indiquées par des variations de la météo, de la luminosité, de l’horaire de passage dans une gare (quand c’est un voyage différent qui est évoqué, c’est plus apparent quand on passe à un séjour à Rome). On a même des fragments de rêve du personnage qui viennent s’intégrer au récit quand il somnole, qui se distinguent du reste de la narration par l’usage d’une narration à la troisième personne plutôt qu’à la seconde.

Plutôt que d’autres roman, la façon dont les lieux convoquent différentes couches de souvenirs ou d’époques m’a évoqué le jeu vidéo Return of the Obra Dinn. On retrouve ce même mécanisme de navigation entre plusieurs époques, et la façon dont l’histoire nous est dévoilée progressivement au cours du roman fonctionne de façon similaire au déverrouillage de nouvelles zones dans le jeu vidéo.

Don’t look up, d’Adam McKay

Comédie sortie fin 2021. Deux astronomes découvrent une météorite sur une trajectoire de collision avec la Terre. A leur grand désarroi, le gouvernement des États-Unis et les médias considèrent l’information comme juste une info de plus et non pas la priorité absolue que cela devrait être.

C’était une comédie sympathique mais assez anecdotique. J’ai trouvé que le sous-texte politique était assez peu réussi : globalement le problème c’est « le vilain PDG, la vilaine présidente, les vilains présentateurs télé », je trouve qu’alors qu’il prétend dénoncer « le système », le film passe finalement singulièrement à côté de ça : du coup ça fait assez daté, une critique des années Trump alors qu’on voit bien depuis le début du mandat de Biden que ça ne marche pas du tout mieux avec lui : on ne peut pas réduire le problème aux visages qui l’incarnent.

Par contre c’est bien joué, avec un casting de stars impressionnant. J’ai bien aimé le personnage assez secondaire de Timothée Chalamet, qui a plus de profondeur en quelques scènes que les personnages principaux. Le running gag des snacks de la Maison Blanche était rigolo par son côté totalement absurde, mais pour le reste les gags étaient quand même assez faciles.

Shang-Chi and the legend of the ten rings, des studios Marvel

Film Marvel qui avait l’avantage de fort peu référencer leurs n-milles autres films et de se tenir en tant que standalone. Shang-Chi est le fils d’un criminel immortel qui veut conquérir un village magique. En désaccord avec son père, Shang-Chi vit sous pseudonyme en Amérique, jusqu’à ce que son père retrouve sa trace. Il va alors devoir s’allier avec sa sœur pour mettre en échec les plans de son père. Vous l’aurez compris c’est une histoire familiale, avec des super-pouvoirs en plus. J’ai bien aimé le début, les questions de double culture et le fait que les dialogues alternent entre anglais et chinois.

Pour le reste c’était assez quelconque, avec des créatures magiques en images de synthèse assez laide et une trame très classique. Comme je l’ai dit l’intérêt c’était d’être regardable sans une connaissance préalable de tout le reste des produits Marvel.