Recueil de descriptions de villes faites par Marco Polo au Grand Khan. Italo Calvino explique son procédé d’écriture au début. Les concepts derrière les villes sont assez inégaux mais y’en a de fort cools, et le livre est assez contemplatif (c’est essentiellement des descriptions avec quelques échanges entre Marco et le Khan entre les chapitres).
Frankenstein 1918, de Johan Heliot
Uchronie sur la guerre de 14. Dans un monde où les événements de Frankenstein se sont déroulés, ses travaux et notes ont été récupérés par le gouvernement anglais. Au début des hostilités, Winston Churchill lance un programme visant à reproduire ses travaux pour créer de nouveaux soldats depuis les soldats tombés au combat. Cette expérimentation va changer le visage de la guerre, tel qu’on le découvrira au fur et à mesure des récits enchâssés d’un historien des années 50, de Churchill lui-même et d’un certain Victor.
Ça se lit bien, j’aurai apprécié un peu plus de récit de la vie dans l’uchronie plutôt que de l’exposition dans la fausse préface. C’est une uchronie originale dans ses débuts mais qui retombe un peu dans des schémas classique une fois que l’Histoire avance, ça révolutionne pas le genre non plus mais c’est un hommage sympa.
Journée d’un opritchnik, de Vladimir Sorokine
Dans les années 2020, la Russie redevient une monarchie. La couronne ressuscite une institution du règne d’Ivan le Terrible, l’Opritchnika, une police secrète répondant directement au souverain.
Je n’ai pas trouvé que le livre ait un grand intérêt. C’est un pendant de La Servante Écarlate pour le côté description d’une dystopie où sont alliées technologies modernes et idéologies rétrogrades, mais après, on a juste le récit de la journée d’un des membres de cette police secrète. Ok, on voit que ce sont des ordures spoliatrices qui se réclament du christianisme, mais ça ne va pas beaucoup plus loin
Black Mirror, saison 3 & 4
Bandersnatch :
Sans grand intérêt. L’idée de faire un film interactif était intéressante et bien réalisée d’un point de vue technique, mais le scénario est vraiment creux. Ça part très vite en méta sur l’interactivité, ce qui donne quelques scènes rigolotes certes, mais ça se sent qu’ils ont fait ça parce qu’ils étaient à court d’idée pour faire d’autres trucs. Et par ailleurs ça n’a aucun rapport thématique avec le reste de Black Mirror.
Saison 4 :
J’ai trouvé cette saison largement inférieure aux précédentes (et comme la précédente était déjà faiblarde, voir infra, ça sent quand même bien la pente descendante).
Globalement, mon reproche c’est que ce qu’il y avait d’intéressant dans les premières saisons c’était « Comment tel développement technologique pourrait bouleverser (pour le pire, généralement) la société ? ». Là, c’est plus « comment tel développement technologique pourrait être très mal utilisé dans tel cas particulier ? », ce qui est sans surprise beaucoup moins fort. Tu ne finis pas les épisodes en te disant « ouais ça fait réfléchir quand même ».
Le premier, le concept de dénoncer une relecture de Star Trek comme une fantaisie de pouvoir de mec blanc sans tout le côté progressiste est intéressant, mais pour le reste bof. Le second c’est celui qui fait le plus Black Mirror originel je trouve. J’ai trouvé Metalhead (le cinquième) sympa à regarder et bien réalisé, mais c’est pas du Black Mirror et c’est vu et revu depuis Second Variety de Philip K. Dick (adapté à l’écran dans Planète Hurlante). Crocodile et Hang the DJ n’ont aucun intérêt en tant qu’épisode de Black Mirror, mais Hang the DJ est rigolo à regarder. J’ai détesté Black Museum, le final qui reprend le concept de l’épisode White Christmas en moins bien. Aucun intérêt narratif, et il est juste voyeuriste (en faisant semblant de dénoncer ce qu’il te donne à voir), avec des valeurs de merde (trop cool la vengeance et la souffrance !).
Saison 3 :
J’ai trouvé cette saison plus faible que les deux précédentes. L’épisode San Junipero est cool, Shut up and dance est très bien réalisé (et glaçant, notamment parce qu’il pourrait se dérouler maintenant) mais pour les autres je trouve qu’ils sont restés très convenus. Les thèmes ont déjà été explorés depuis longtemps par d’autres œuvres, et parfois avec plus de subtilités. J’ai particulièrement été agacé par le dernier où j’ai apprécié le fait d’avoir des personnages principaux féminins dans des rôles classiquement masculins, mais l’histoire est mal racontée, les retournements de situations se voient venir à des kilomètres et y’a d’énormes failles dans le scénario.
La Vraie Vie, d’Adeline Dieudonné
Roman sur une famille dysfonctionnelle. Un père violent, une mère complètement effacée, deux enfants, un petit frère qui commence à aller vraiment mal, et sa sœur, la narratrice déterminée à le sauver. C’est relativement court, ça se lit bien, y’a un certain style, quelques images et péripéties intéressantes, mais ça reste assez anecdotique (je pense qu’il m’avait été un peu survendu par sa hype à la rentrée littéraire)
La Révolte des Premiers de la Classe, de Jean-Laurent Cassely
Livre analysant le phénomène des personnes qui après avoir fait des études (et souvent quelques années de travail) orientées vers des parcours de cadres d’entreprise, décident de se réorienter vers des métiers plus manuels type garagiste, patissièr.e, vendeu/se/r en commerce de détail.
Le livre regarde quelle proportion des promotions de cadres font cette réorientation (une fraction, mais la France étant massivement cadrifiée, ça fait quand même des contingents non-négligeables), les raisons qui les ont poussés à (volonté de retrouver du sens dans le travail, sens perdu dans les métiers de cadre en raison de la bureaucratisation/mondialisation/financiarisation de l’économie), et quels nouveaux profils ça donne. Les deux points les plus intéressants sont pour moi que si ce mouvement est rapproché de celui du retour à la terre des années 60, d’une part il est fortement urbain contrairement au Retour à la Terre, et d’autre part il ne conteste pas le système : les « révoltés » veulent plus de sens dans leur travail personnel mais ils s’insèrent très bien dans une économie capitaliste, souvent même elle est assez indispensable à leurs nouvelles carrières, où ils vont se poser en curateurs et curatrices éclairé.e.s de produits, qu’iels vont proposer à la vente à leurs pairs CSP+, en jouant sur le côté « produit de qualité et d’exception, distinction de la masse, storytelling de la marchandise ». Ça nécessite donc une « élite éclairée » à qui vendre ces produits, avec un bon pouvoir d’achat. Ça n’est pas le cas de toutes ces reconversions (on peut aussi devenir garagiste avec des tarifs sociaux), mais c’est très facile d’introduire ces trajectoires dans la gentrification. Pour moi qui correspond pas mal à ce modèle, se pose donc la question de comment, si j’ai envie de me lancer dans ce genre de reconversion, le faire en promouvant plutôt des valeurs de gauche.
Le second point intéressant, lié au premier, est que ces « nouveaux manuels » intègrent toutes les compétences de leur parcours CSP+ dans leur nouveau métier ; des compétences de marketing, business plan, graphisme, mais aussi l’ethos des CSP+. Ils font donc advenir une montée en gamme des métiers manuels, et les CSP+ qui vont devenir leurs clients vont en général avoir plus envie de parlers aux « manuels CSP+ » qu’aux gens qui font un métier manuel après un parcours classique, pour des questions de proximité. Du coup, il y a un risque (sur le long terme, certes) de « gentrification des métiers », où pour investir ces métiers il faudra la double compétence grandes études/qualifications manuelles.
Politiques de l’extrême-centre, d’Alain Deneault
Court livre d’une soixantaine de pages qui met en lumière le paradoxe qui voudrait que les positions centristes soient raisonnables et modérées parce qu’une synthèse ou un compromis entre deux positions opposées. Sauf que dire que puisque c’est au milieu c’est bien, dire que ne pas prendre de positions fortes pour faire changer les choses dans une direction est en fait une position politique très forte, et s’y tenir à tous prix est en fait un extrême aussi.
Intéressant, après le texte un peu court.
L’autre siècle, de Xavier Delacroix
Recueil de textes uchroniques coordonnés, rédigés par des romancièr.e.s et historien.ne.s, à partir du point de divergence constitué par une victoire allemande lors de la bataille de la Marne. La guerre est finie en 1915, après des accords signés à Yalta, et s’ouvre la période des 30 Glorieuses. L’Allemagne se taille une sphère d’influence en Europe et en Afrique, le Reich de Guillaume II encourage la fondation d’une Union Européenne, la France définitivement amputée de l’Alsace et de la Lorraine compose avec des réparations de guerre, un jeu d’influence se trame dans l’établissement de protectorats et la négociation des décolonisations…
Le côté choral du livre est intéressant. Les historien.ne.s décrivent l’évolution de plusieurs parties du monde dans les années 20 et 30, les romancièr.e.s rajoutent le parcours de divers individus (on n’échappe pas hélas au passage sur la vie d’Hitler, dont tout le monde devrait se foutre). Deux chapitres sur l’évolution culturelle du monde, avec une Allemagne qui manie fort bien le softpower, mais se fait rattraper par la contre-culture franco-américaine.
Ça se lit vite, je recommande.
The Ballad of Buster Scruggs, des frères Coen
Film composé de 6 courts métrage indépendants mais tous tournés dans le même style, dans une ambiance de western. C’est intéressant mais j’aurai préféré une histoire développé sur toute la durée du film. Là il n’y à guère que Near Algodones et All Gold Canyon qui présentent une histoire complète, je trouve. Les autres sont intéresante mais manquent de développement.
Gentrifications, de Marie Chabrol, Anaïs Collet, Matthieu Giroud, Lydie Launay, Max Rousseau et Hovig Ter Minassian.
Ouvrage collectif analysant les processus de gentrification à l’oeuvre dans différents quartiers en Europe. L’ouvrage mélange des analyses sociologiques et géographiques, pour défendre la thèse qu’on peut difficilement parler de LA gentrification : le processus, même s’il garde sa caractéristique centrale de l’installation dans un quartier de population avec un capital (financier, culturel) plus important que les populations déjà en place, est très divers.
Il peut être initié par des politiques publiques (qui le voient comme un instrument de renouvellement urbain), par différents acteurs privés (cadres sup, artistes, agents immobiliers), être encouragé ou rejeté par les populations déjà présente, aller jusqu’à son terme ou s’arrêter en chemin… Il touche différemment les îlots d’un même quartier, les immeubles d’un îlot selon leur position, les appartements d’un immeuble selon leur hauteur.
Un peu frustrant dans la diversité qu’il propose et l’exposition de situations locales par rapport à un ouvrage qui proposerait des lois générales applicables partout, mais c’est précisément sa thèse…