Archives de catégorie : Screens, thousands of them

My Winnipeg, de Guy Maddin

Film canadien de 2007. Sous la forme d’un documenteur filmé principalement dans un noir et blanc saturé qui évoque les premiers films (cartons de texte compris), Guy Maddin présente la ville de Winnipeg comme une cité à moitié onirique, où les somnambules gardent les clefs de leurs anciens domiciles pour pouvoir y rentrer et où des chevaux gelés dans le fleuve sont devenus une attraction romantique. Il met aussi en scène un reenactement des moments-clefs de son enfance comme le repositionnement du tapis de l’entrée ou la fois où sa sœur a eu un accident de voiture avec un cerf, dans le but d’y trouver les clefs de sa relation à son alma mater, Snowy sleepy Winnipeg. À mi-chemin entre Les Cités Invisibles, The Rehearsal et Dark City, c’est assez inclassable mais très trippant à regarder

Recommandé, surtout si vous aimez l’absurde.

Miss Juneteenth, de Channing Godfrey Peoples

Film étatsunien de 2020. Ancienne miss Juneteenth, Turquoise travaille dans un restaurant de sa petite ville texane. Elle inscrit sa fille Kai au même concours de beauté, voulant qu’elle gagne pour obtenir le paiement de ses frais d’université, elle qu’elle ait une meilleure vie qu’elle. Mais Kai n’est pas particulièrement intéressée, elle préférerait faire de la danse. Turquoise se démène pour rassembler l’argent pour les frais d’inscription, la robe, la caution pour faire sortir de prison son compagnon, mais c’est une course d’obstacles contre la montre…

C’est très sundance dans la vibe et c’est intéressant de voir un film sur une communauté noire et dans une petite ville, c’est pas ce qu’on voit le plus dans le cinéma US, mais pour autant je n’ai pas été bouleversé par l’histoire, relativement prévisible dans ses tenants et aboutissants. Le décalage entre les enseignements du beauty pageant (quelle fourchette utiliser pour le poisson) et la réalité de la vie dans la communauté de nos jours est rigolo – et probablement vrai – mais c’est étrange qu’un concours qui par ailleurs se réclame du devoir mémoriel autour de Juneteenth (le jour où les esclaves texans ont appris l’abolition de l’esclavage, 2 années après l’abolition sur le papier aux US) soit autant en décalage sur des trucs sociétaux par ailleurs.

Wicked, de Jon M. Chu

Part 1

Film étatsunien de 2024, adaptation de la comédie musicale éponyme, elle même adaptation du livre de Gregory Maguire. Je suis un grand fan de la comédie musicale, donc j’étais à la fois impatient et dans l’appréhension de ce qu’allait donner l’adaptation en film, mais franchement ça va. Je ne suis pas convaincu totalement par toutes les reprises des chansons, mais ça reste très fidèle aux versions de la comédie (avec parfois un peu plus de parlé-chanté), et des thèmes musicaux qui reprennent les motifs principaux entre les phases de chansons.

Visuellement, c’est saturé d’effets spéciaux la plupart du temps, mais c’est un kitsch qui fonctionne bien avec l’esthétique de la comédie musicale. Cynthia Erivo et Ariana Grande sont toutes les deux très bien castées et habitent bien les deux rôles principaux (et le reste du cast fonctionne bien aussi, Jeff Goldblum en tant que Wizard c’était le choix de la facilité mais c’est exactement ce qu’on voulait, Fiyero et Mme Morrible sont très bien aussi). Il est un petit peu trop mis l’accent sur le fait que Glinda est écervelée dans cette partie 1 (je pense que c’est la partie 2 qui donne plus d’épaisseur au perso anyway), mais c’est vraiment un reproche mineur. Le fait que les effets spéciaux s’arrêtent pendant la scène où le Wizard montre ses plans pour Oz aux deux héroïnes est bien trouvé (vu qu’il ne maîtrise pas la magie on le voit juste montrer des maquettes et faire des ombres chinoises), et l’apparition d’Idina Menzel et Kristin Chenoweth a été une vraie surprise et un très beau clin d’œil.

Recommandé avec tout mon petit cœur de fan.

Part 2

Film étatsunien de 2025, sortie de nouveau à Noël parce que c’est le cycle de vie des blockbusters. On retrouve les deux héroïnes quelques années plus tard. Elphaba est devenue ennemie publique n°1 et Glinda le visage du régime. Leurs chemins vont évidemment se recroiser, et converger vers les éléments décrits dans Le Magicien d’Oz. Les actrices principales et Jeff Goldblum sont toujours très bien. Par contre je trouve que le personnage de Glinda manque un peu de croissance émotionnelle (j’avais écrit l’année dernière « c’est plus la partie 2 qui lui donne de l’épaisseur », bah je reste sur ma fin) : si une forme d’évolution transparait dans les chansons, c’est désamorcé par les passages entre où elle fait toujours aussi écervelée. Même si c’est rigolo (notamment la scène avec la bulle), ça reste pas très satisfaisant.

La scène d’introduction d’Elphaba en mode super-héroïne Marvel est un peu useless et j’ai été assez agacé par la désexualisation totale de As long as you’re mine alors que c’est LE moment de smut de la bande-son (avec la guitare électrique qui donne tout). Le côté full blown-fascism mais avec des couleurs pastels est plutôt bien rendu, la propagande permanente, les foules qui réclament du sang à l’unison avec des torches à la main, et toujours Jeff Goldblum en dictateur débonnaire pendant qu’il fait des horreurs (avec une jolie référence au Dictateur). Le chateau de Kiamo Ko fait un décor très réussi pour No Good Deed (mais clairement taillé sur mesure parce que sinon l’architecture fait aucun sens et en en voit juste une salle). Si je continue sur les chansons, l’ajout de No place like home avec ses allusions au trumpisme transparentes ne sert franchement à rien narrativement, comme celui de The Girl in the bubble. On note un « I love you » entre Glinda et Elphaba à la fin du film, mais ça n’ira pas au delà, on reste dans le queerbaiting sans oser réaliser pleinement le triangle amoureux (et perso ça me va très bien que Wicked soit avant tout une histoire d’amitié impossible dans un contexte politique atroce, mais dans ce cas faut pas rajouter tout le queerbaiting). La fin avec le retour des animaux enlève aussi beaucoup d’ambiguïté au personnage de Glinda (dans la comédie musicale elle fait une meilleure figure tragique, elle a tout perdu pour gagner le pouvoir, mais en plus on n’est pas du tout au clair sur ce qu’elle va en faire).

Bref, j’étais content parce que je suis un fanboy, mais autant le 1 il y avait vraiment une bonne surprise par rapport à mes attentes initiales, autant là c’était plus mixed feelings.

Revenge, de Coralie Fargeat

Film franco-étatsunien de rape and revenge paru en 2017. Partie pour le weekend avec son amant dans sa garçonnière isolée en plein désert, Jane voit débarquer les deux business partners de ce dernier, arrivés avec deux jours d’avance sur le planning prévu. Violée par l’un d’entre eux puis laissée pour morte après avoir été poussée d’une falaise, Jen va prendre sa revanche sur les trois hommes lors d’une traque dans le désert.

le film a été qualifié de féministe, je ne vois pas trop pourquoi, si ce n’est qu’il est réalisé par une femme. Mais il y a masse de male gaze avec une héroïne le plus souvent dénudé et des plans qui s’attardent sur son corps, le balayant ou le découpant. De ce point de vue là, pas ouf, et puis on est sur un rape and revenge, clairement une histoire assez basique et relativement peu féministe – même si ici le viol est laissé relativement hors champ et pas filmé de façon complaisante contrairement à d’autres films du genre.

Par contre, le film fonctionne bien dans sa mise en scène des corps et du monde matériel, avec un côté gore/grand guignol, que ce soit dans les gros plans sur les bouches en train de mastiquer des oursons en guimauve, les dérapages dans les flaques de sang, ou encore les chirurgies improvisées pour extraire des branches ou des bouts de verre des corps des protagonistes.

Il y a des éléments prometteurs. Ça donne envie de voir les films suivants de la réalisatrice, ie pour le moment The Substance.

Wake up dead man, de Rian Johnson

Film étatsunien de 2025, 3e opus dans la série des Knives Out. On retrouve le détective Benoit Blanc, venu résoudre yet another meurtre qui défie l’entendement. Cette fois-ci c’est le curé charismatique d’une petite paroisse qui a été poignardé en chambre close. Le suspect principal est le sympathique curé assistant, qui s’inquiète de la dérive d’extrême droite de son supérieur et de ce qu’il reste de sa paroisse. Évidemment les apparences sont trompeuses et le meurtre cache plusieurs couches de complots, ressentiment et non-dits.
C’était trop long (2h20), mais sympa à regarder. Le film joue la carte de la pompe du catholicisme, même dans une petite paroisse, mais le subverti en énonçant clairement que c’est de la poudre aux yeux faite pour mieux faire passer le message. Les personnages des deux prêtres sont très réussis, les autres sont un peu plus des archétypes avec assez peu d’épaisseur, qui servent à faire avancer l’histoire (Benoit Blanc inclus). La question de la foi joue évidemment un rôle dans le film, mais finalement pas crucial – l’Église est ici une métaphore assez transparente de la politique ; ce sont plus des questions de charisme et de radicalisation qui sont abordées (et de comment le crime a été commis, ofc). Quelques hommages évident à des classiques du polar (The Hollow Man, explicitement cité, et Roger Akroyd, pastiché)

Un bon whodunnit de Noël, qui aurait cependant gagné à être un peu plus court. Recommandé si vous aimez les prêtres sexys et les meurtres compliqués.

Dangerous Animals, de Sean Byrne

Film australien paru en 2025. Tucker est un tueur en série qui enlève des touristes pour les donner à manger aux requins sur son bateau de pêche. Mais il va tomber sur plus coriace que lui en la personne de Zephyr, surfeuse à l’instinct de survie insubmersible.

Dans la structure c’est un thriller assez classique avec final girl blonde qui va battre le tueur. Mais le côté psychopathe fasciné par les requins du tueur fonctionne bien, il est super bien joué par l’acteur. Le côté « isolation en pleine mer » et le jeu sur les espaces du bateau, l’aspect un peu labyrinthe et machine technique est bien rendu aussi. Globalement, bon thriller efficace.

Better Watch Out, de Chris Peckover

Film étatsunien de 2016. Dans une petite ville tranquille des États-Unis, Ashley va faire un dernier babysitting chez les Lerner avant Noël puis son départ pour l’université. Mais un intrus tente de rentrer dans la maison, transformant le babysitting tranquille en une bataille pour la survie.

Le film est un hommage (explicite) à Maman j’ai raté l’avion, mais avec un twist : déjà, largement plus de violence que l’original, et la vraie menace se révèle ne pas être l’intrus qui tente d’envahir le foyer. Sans être incroyable, c’était rigolo à voir, le côté un peu inventif de certains dispositifs mis en place par les personnages marche bien (même si ça reste léger, c’est pas le niveau de McGyver de Maman j’ai raté l’avion), et si l’acteur qui joue Luke est un peu trop âgé pour le rôle, il joue quand même très bien le gamin un peu dérangé.

Medusa, d’Anita Rocha da Silveira

Film brésilien de 2021. Mariana vit dans une communauté évangélique. Avec les autres jeunes femmes du groupe (les Précieuses), elle prend soin de garder une apparence physique impeccable, réaliser des tutos beauté chrétiens, et de glorifier le Seigneur et le pasteur charismatique à la tête de leur église. La nuit, elles arpentent les rues de la ville pour tabasser des femmes qui se déplacent seules et enregistrer des vidéos où ces dernières déclarent leur repentir. Mariana cherche a retrouver la première femme qui avait été attaquée par leur groupe, une actrice qui a été défigurée avec de l’essence. Elle pense avoir retrouvé sa trace dans une clinique pour patients en coma profond où elle se fait recruter.

On me l’avait présenté comme un film d’horreur mais c’est pas exactement ça. Y’a des éléments qui s’en rapprochent mais finalement c’est plus un film qui parle d’oppression (patriarcale, fasciste, religieuse, un super trio gagnant) sans vraiment mobiliser les codes de l’horreur. Il y a une forme de réalisme magique, et on voit surtout la vie dans une forme de secte qui se crée son propre récit sur le monde.

Intéressant parce que c’est chouette de voir du cinéma de genre pas européen ou américain, mais pas totalement abouti.

All About Eve, de Joseph L. Mankiewicz

Film étatsunien de 1950. Margo est une actrice de théâtre au faîte de sa carrière, mais qui craint le passage du temps. Elle rencontre une de ses fans, Eve, qu’elle prend sous son aile. Mais Eve se révèle être une forme de coucou : elle manigance pour devenir la doublure de Margo, tente de séduire son fiancé de se faire attribuer le prochain rôle écrit pour Margot par son ami scénariste. Mais les manigances d’Eve vont se heurter à la solide amitié entre Margot et ses amis, et elle va finir par tomber sur plus fort qu’elle en la personne du critique de théâtre Addison de Witt qui est aussi le narrateur du film…

C’était très bien. En plus de l’intrigue principale et des rôles très bien joué par les actrices qui les porte il y a en arrière-plan une réflexion sur le monde du théâtre – et quelques piques envers Hollywood et le monde du film – et toute une réflexion sur le vieillissement des actrices et les rôles qui leur restent. Bette Davis est incroyable en Margo, diva du théâtre prête à faire des crises à tout le monde, le rôle d’Ève en jeune première aux dents incroyablement longues est très réussi aussi. En second rôle la gouvernante sassy de Margo est super aussi. Les rôles masculins sont un peu moins marquants, il sont un peu plus supporting cast sympathique, excepté Addison qui fait un excellent méchant presque Disneyien, la figure du critique à la plume trempée dans du poison a un petit côté Ratatouille, avec en plus des manigances en arrière plan à la Scar.

Recommandé si vous aimez le théâtre et les gens qui se disent ingénus mais qui ne sont pas du tout ingénus.

Verdens verste menneske (Julie en 12 chapitres), de Joachim Trier

Film norvégien de 2021. Julie est une femme qui n’arrive pas à savoir ce qu’elle veut. Elle change trois fois de cursus pendant ses études. Dans une soirée elle rencontre Aleks, 15 ans de plus qu’elle et dessinateur de BDs. Elle commence une relation avec lui, qui va se poursuivre pendant plusieurs années. Puis un jour elle le quitte pour un homme rencontré dans une soirée de mariage où elle s’est incrustée. Puis apprenant qu’Aleks a un cancer incurable, elle va reprendre contact avec lui, sur un mode amical. Pendant tout ce temps, elle vit d’un petit boulot dans une librairie sans réussir à se consacrer comme elle le souhaitait à sa carrière de photographe.

Le côté tranche de vie /portrait de relations humaines fait très cinéma scandinave. Mais j’ai trouvé que le film portait un regard très hétéro patriarcal sur son héroïne. On ne voit que les relations de Julie avec ses partenaires romantiques (masculins). Elle n’a pas de relations amicales, on ne voit ses relations familiales que par le prisme de ce qu’en pense ses compagnons. Je comprends bien que l’idée est de nous montrer une personne qui n’arrive pas à faire ses propres choix et se laisse porter par les choix des personnes importantes dans sa vie, mais ça pourrait être montré aussi via d’autres relations que des relations romantiques.

Mais sinon, c’est bien filmé, la scène de la rupture avec Aleks est très bien rendue, la scène où toute la ville est figée pendant qu’elle court retrouver Eivind est assez réussie aussi.