Archives de catégorie : Screens, thousands of them

Bonjour l’asile, de Judith Davis

Film français de 2025.

Jeanne, responsable d’une asso en banlieue parisienne, va pendant 3 jours rendre visite à Élisa, son amie qui est partie vivre à la campagne avec son mari et ses deux enfants. Jeanne est venu pour une session de travail, Élisa étant l’illustratrice des livres de l’asso, mais cette seconde est débordé par l’organisation de sa vie de famille, et elle n’a pas eu le temps de travailler en amont, ni n’arrive à dégager suffisamment de temps pendant le séjour de Jeanne. Jeanne le lui reproche et la tension monte entre les deux amies, chacune voyant en l’autre quelque chose elle a dû renoncer pour être là ou elle en est aujourd’hui. En parallèle, un agent immobilier tente d’acquérir l' »HP », un tiers lieux hébergé dans un ancien hôpital psychiatrique pas du tout aux normes, pour en faire une hôtellerie de prestige. Confronté aux refus répétés des occupant.es, il devient de plus en plus tendu et somatise, voyant cet échec potentiel comme ce qui le ferait choir de sa position dans les sommets bourgeois locaux, étant un transfuge de classe se sentant toujours en insécurité. Les quatre trajectoire (celles des deux amies, les occupants de l’HP et de l’agent immobilier vont converger au cœur de l’HP même.

C’était cool à regarder ! Même si c’est parfois un peu trop didactique parfois (notamment sur le mec benêt de Jeanne qui ne participe pas aux tâches ménagères tout en se disant déconstruit), la satire est réussie, les personnages aussi (notamment Élisa et son double masculin imaginaire, ainsi que tous les habitants de l’HP, même ceux qu’on voit juste en passant, notamment le groupe de parole masculin et évidemment Cindy)

Recommandé.

Querer*, d’Alauda Ruiz de Azúa

TW viols évoqués

Série espagnole de 2024, en 4 épisodes. Après 30 ans de mariage, Miren porte plainte contre son mari Íñigo pour viols conjugaux répétés et violences psychologiques. La nouvelle fait évidemment l’effet d’une bombe dans la famille, et notamment sur ses deux fils, Aitor et Jon. Les deux vont se positionner chacun en soutien d’un des deux parents dans l’attente du procès à venir. On va suivre l’évolution des personnages entre la plainte de Miren et quelques jours après l’annonce du verdict, 3 ans plus tard.

J’ai beaucoup aimé. Les acteurs jouent très juste et les relations familiales sont crédibles. Mention spéciale à l’arc d’Aitor qui prend le parti de son père, mais réalise peu à peu qu’il reproduit certains de ses comportements notamment en termes de gestion de la colère (et de choix de carrière) et que ça n’est pas ok (fortement foreshadowé par son prénom puisque Aitor à la même racine que aita – papa en basque). À côté le personnage de Jon est adorable, mais un peu trop lisse. Et le personnage de Miren bien sûr est très bien écrit, elle fait une victime imparfaite (elle est âgée, elle est restée 30 ans avec son agresseur, elle prend des antidépresseurs…) mais particulièrement crédible, qui trouve le courage de dénoncer des violences dont les preuves sont très ténues (Íñigo n’ayant jamais levé la main sur elle notamment).

Recommandé.

Le Rire et le Couteau, de Pedro Pinho

Film portugais de 2025, avec une modeste durée de 3h30. Sergio est un ingénieur environnemental. Recruté par une ONG, il débarque en Guinée Bissau pour évaluer l’impact environnemental d’un projet de route. Son rapport est attendu par le consortium chinois en charge de la construction, mais Sergio se perd dans la vie nocturne de Bissau, ses échanges avec les ouvriers qui construisent la route, les communautés sur le tracé qu’il va interviewer… Il se lie surtout d’amitié avec Guilherm, expatrié brésilien queer et Doria, guinéenne habitant Bissau. Entre eux, des soirées en clubs, un désir que Sergio (particulièrement mutique et suiveur dès qu’il s’agit d’exprimer une préférence) n’arrive pas à verbaliser mais qui est pour autant perçu et renvoyé par les deux autres.

J’ai bien aimé. Y’a un petit côté Alain Guiraudié (comme le remarque la critique de Libé) dans ce personnage de mec révélateur du désir des autres et du sien propre, mais avec en plus tout le côté déambulation dans différents univers et strates sociales de la Guinée Bissau.

Recommandé (si vous avez un créneau pour un film de 3h30)

Department Q, de Scott Frank

Série anglo-saxonne dont la première saison est parue en 2025. Suite à une fusillade dont lui et son partenaire ont été victime, le détective Morck est affecté au département nouvellement créé des cold cases au sein de la police d’Édimbourg, ce qui est surtout l’occasion de l’éloigner du reste des officiers de la police, que son comportement arrogant insupporte. Relégué au sous-sol du commissariat, le département va se pencher sur la disparition 4 ans plus tôt de Merritt Lindgard, une jeune procureure prometteuse.

J’ai bien aimé. Le perso principal est un génie antipathique à la Dr. House (avec le bonus que c’est un anglais en Écosse donc de base tout le monde le déteste et vice-versa), les deux assistants qui lui sont adjoints sont plutôt réussis aussi (surtout Akram et son flegme à toute épreuve). L’enquête a un peu trop de rebondissements pour être crédible (surtout pour une enquête menée 4 ans après les faits), mais avec une petite suspension d’incrédulité on s’y laisse bien prendre et on a envie d’accompagner les personnages jusqu’au bout.

Else, de Thibault Emin

Film fantastique français de 2025. Suite à l’annonce de l’apparition d’une nouvelle pandémie, le gouvernement annonce un confinement. Anx et Cass viennent de se rencontrer pendant une soirée, mais elle décide de venir se confiner chez lui. Malgré leurs tempéraments qui s’oppose sur pas mal de points, la romance entre eux se développe. Pendant ce temps, dehors, l’épidémie transmise par le regard continue de progresser : les gens fusionnent avec les éléments de leur entourage. La maladie finit par rentrer dans le cocon des deux amoureux : Cass est contaminée, elle commence à se fondre dans les draps de son lit, puis dans l’immeuble tout entier.

C’était original dans le traitement de l’image, avec pas mal de flou, un passage réussi en noir et blanc, des effets spéciaux analogiques (bon et des images en IA pas top dont on aurait pu se passer). Un petit côté Cronenberg dans la soudaine porosité des limites corporelles (et matérielles, les objets se mettant à fusionner entre eux, l’immeuble bourgeonnant, rendant plus étroit l’intérieur de l’appartement…) mais traité sur un mode plus poétique.

Dupont-Lajoie, d’Yves Boisset

Film français de 1975. Les Dupont-Lajoie, cafetiers parisiens, partent pour leurs traditionnelles vacances dans le Midi. Au camping du soleil, ils retrouvent leurs amis des années précédents, avec lesquels ils déroulent les mêmes platitudes que d’habitude.

Divulgâchage et TW ci-dessous

Rapidement il apparait que le père Lajoie est attiré par Brigitte, la fille des Colin. A l’occasion d’une promenade où il la surprend en train de bronzer seule, il la viole et accidentellement, la tue. Pour brouiller les pistes, il amène le corps près du baraquement où vivent les ouvriers algériens qui sont en train de construire de nouveaux logements. Le racisme ambiant va faire le reste : les hommes du camping organisent une ratonnade, pour « rendre justice à la petite », rajoutant un nouveau meurtre au premier…

C’était intense. C’est un film avec des personnages assez détestables, les trois couples au centre du film (surtout les hommes, les femmes parlant largement moins) représentent une petite bourgeoisie française sûre d’elle et de ses privilèges, sortant des horreurs racistes dans le plus grand calme (et projetant sur les étrangers ses propres comportements) avant de chercher des passe-droits à la première occasion. Le film est plutôt drôle dans sa première partie qui fait vraiment cliché de vacances où tout le monde part à la même heure et s’entasse sur les mêmes plages, et où on attend le présentateur d’Intervilles comme le messie. Puis il prend une tournure beaucoup plus tragique dans la seconde moitié. Le choix de faire du personnage principal, qui se présente comme un bon père de famille, le violeur qui s’en prend à une connaissance (plutôt d’avoir mis en scène une agression sexuelle par un étranger) est assez novateur pour l’époque je trouve (bon en même temps ça n’en fait pas un film féministe, les femmes ont trois à 5 répliques en tout, et l’histoire tourne autour de trope de la femme dans le frigo). Mais la dénonciation du racisme ambiant en France est assez forte.

Recommandé sous réserves d’être dans un bon état mental et de checker les TW.

The Bear, de Christopher Storer

Série télévisée dont la première saison est parue en 2022, 3 4 saisons so far, les deux premières très très bonnes, la troisième simplement bonne. Sans trop en révéler, on suit les vies des personnes travaillant dans le restaurant The Original Beef of Chicagoland. C’est de la restauration rapide, mais le propriétaire-gérant a changé récemment, et vient du monde de la gastronomie, ce qui ne va pas aller sans un certain clash des cultures.

J’ai pendant longtemps fait l’impasse sur cette série, parce que je pensais que c’était une série qui parlait de bouffe, que ça m’évoquait essentiellement de la téléréalité comme Top Chef, et que c’est vraiment pas qq chose qui m’intéresse (j’aime beaucoup la nourriture, mais ma relation à la nourriture implique de la manger, pas de la regarder à travers un écran). Laissez-moi donc dissiper ce malentendu si vous êtes dans le même cas de figure : ce n’est pas une série qui parle de bouffe. C’est une série qui parle de relations familiales, professionnelles et familialo-professionnelles. C’est une série qui parle de trauma, de vouloir exceller à quelque chose et des sacrifices que ça peut amener à faire. Ça parle de travailler dans un restaurant (duh), avec tout ce que ça implique de tâches qui ne sont pas juste de préparer de la nourriture, de la difficulté d’avoir un restaurant qui tient la route financièrement. Voilà pour les thèmes.

Pour la forme, c’est une série qui prend le temps de caractériser ses personnages et leurs relations. C’est aussi une série qui filme les personnages de très près (passion grain de la peau) et qui montre des personnages épuisés. C’est aussi une lettre d’amour à Chicago, avec une quantité de plans de coupe sur la ville incroyable (et comme tout se passe à Chicago, c’est pas pour situer l’action, c’est juste pour crier « Chicago »). C’est aussi une série avec une super bande-son (à forte composante rock des années 90), très très bien employée pour souligner la tension.

Si certains points de l’intrigue m’ont semblé un peu forcés/trop rapides (le plot-twist de la fin de la saison 1, le changement de posture de Richie après l’épisode Forks), globalement c’est quand même très bien écrit, avec des saisons 1 et 2 qui savent totalement où elles vont en termes d’arcs narratifs. Les épisodes Review et The Bear notamment sont très très réussis et la façon dont ils se répondent, ce qui a évolué ou non entre les deux est très bien exposé. En épisodes davantage one-shot, Fishes (qui sort du cadre du restaurant pour faire un flash-back sur un repas de Noël) et Forks (sur le passage de Richie dans un restaurant gastronomique) sont très réussis aussi. Le fait d’avoir toute une saison où le restaurant est en travaux est aussi assez magistral. La saison 3 perd la compacité d’écriture des deux premières, mais elle prend le temps de creuser les personnages.

Les persos sont tous très bien écrits, avec évidemment le trio de tête Carmy/Sidney/Richie et l’ambiguïté qu’ils ont tous les trois en tant que persos qu’on peut à la fois adorer ou détester – un peu moins Sidney qui est moins flawed que les deux autres, mais aussi les persos secondaires : Marcus, Tina, Ibraheim sont des personnages crédibles, même avec peu de temps d’écran, et dans la famille étendue Berzatto, tous les personnages sont très réussis, que ce soit les tragiques comme Donna ou Mikey ou les comiques comme la famille Fak ou l’oncle Jimmy.

Bref, grosse reco.

EDIT 2025 : 4e saison

C’est chouette de retrouver ces personnages, mais la série n’a plus trop l’air de savoir où elle va. On a du lore en plus sur le passé de certains perso, c’est cool de voir Carmy évoluer un peu émotionnellement, mais globalement il ne se passe pas grand chose. Le subplot avec Ibraheim est je pense le plus intéressant en termes de développement de l’histoire, mais il est à peine esquissé dans cette saison. Pas très convaincu par le côté huis close de l’épisode final, je trouve que ça ne marche pas comme façon d’exposer et résoudre le problème. Bref, un peu déçu, je pense qu’il faut une conclusion propre à cette série.

The Florida Project, de Sean Baker

Film états-unien de 2017. On suit la vie de Moonee, gamine de 7-8 ans, qui vit dans un motel en bordure de Disney World, en Floride. Elle passe ses journées à faire les 400 coups avec ses amis, à explorer les hôtels abandonnés, à réclamer de l’argent aux touristes pour s’acheter des glaces, et à faire tourner les adultes en bourrique. Elle vit seule avec sa mère, Halley, qui galère à rassembler l’argent pour payer leur loyer, et vit de combines.

J’ai beaucoup aimé. C’est une chronique de la précarité à hauteur de regard d’enfant. C’est aussi une description de la vie dans les marges de l’Amérique, juste à côté d’une usine à rêve mais dans des conditions merdiques. Les acteurs jouent très bien notamment les enfants mais pas que. Il y a un petit côté Une affaire de famille ou les 400 Coups, mais avec les couleurs pastel de Disney World en toile de fond pour cacher la misère.

Sew Torn, de Freddy McDonald

Film suisso-étatsunien de 2024. Barbara est une couturière qui vit dans une petite vallée suisse &tranquille. Elle tombe par hasard sur un règlement de comptes entre vendeurs de drogue. Elle hésite entre appeler la police, partir sans rien dire ou récupérer la valise d’argent sale. Le film va explorer successivement les trois options et le destin qu’elles promettent à Barbara. À chaque fois, elle va construire un dispositif élaboré avec du fil et des aiguilles pour tenter de se sortir d’une situation épineuse. Si on suspend son incrédulité sur la solidité du fil, c’est rigolo de voir ces espèces de machines de Goldberg en action.

Le film est bien joué, le contraste vendeurs de drogue menaçants et paisibles paysages suisses fonctionne bien. Le scénario n’est pas révolutionnaire mais est bien mis en scène, les divergences qui explorent l’arbre des possibles révèlent un peu plus de background à chaque fois.

Sympa à regarder.

Your Monster, de Caroline Lindy

Film étatsunien paru en 2024. Laurie est une actrice de musicals. Atteinte d’un cancer, elle est larguée par son partenaire, qui avait écrit une pièce dans laquelle elle devait avoir le rôle principal. Forcée de retourner vivre dans la maison de sa mère, elle découvre dans son placard un monstre, qu’elle avait connu dans son enfance. Une cohabitation va démarrer, Monstre poussant Laurie à ne pas accepter à sa situation et ne pas dire que tout est ok dans la façon dont Jacob l’a traitée.

C’était rigolo à regarder, mais sans être transcendant. Les acteurices jouent bien, le numéro musical est cool, mais le scénario est assez straightforward, on s’attend à une partie des retournements.