Archives de catégorie : Des livres et nous

Vallée du Carnage, de Romain Lucazeau

Uchronie française parue en 2024. À une époque indéterminée mais disposant de technologies militaires plus avancées que celles de 2025, le monde est partagé entre trois grandes puissances : l’Empire Perse, l’Empire Han et la Ligue Pélagique. L’empire Han est isolationniste et a passé un pacte de non-agression avec la Perse. La ligue Pélagique est une coalition de Cités-États rassemblées autour de Carthage. Enfin l’Empire Perse est un empire totalitaire et expansionniste, dont l’invasion de la Cité-État d’Ectabane va finir par déclencher en réaction l’entrée en guerre de la Ligue Pélagique.

Bon, autant j’avais bien aimé Latium du même auteur (surtout le premier tome), autant là… C’est pas mal écrit, et l’idée d’uchronie est relativement originale, mais franchement c’est un livre ultra-sombre. On a dans le détail le fonctionnement de l’Empire Perse, et c’est un empire génocidaire, concentrationnaire, xénophobe, misogyne… Il y a des parallèles assez évident à la fois avec l’invasion de l’Ukraine (Ectabane) par la Russie (l’empire Perse) et la réaction initiale de soutien logistique de l’Europe (la Ligue Pélagique), mais la Perse de ce roman fait aussi penser au IIIe Reich, au Japon fasciste… et la tripartition du monde avec des alliances changeantes fait écho à 1984. Globalement c’est un livre sans espoir. La voix de la narration l’explicite, posant à un moment que c’est un monde sans compassion (les religions du Livre n’ont visiblement jamais émergé, et l’auteur a l’air de sous-entendre que c’est notamment les philosophie qu’elles ont fait émerger qui ont porté principalement ces idées de compassion et d’amour du prochain). Le fantôme d’un personnage sous-entend que ce monde est potentiellement une forme des Enfers, et c’est aussi une histoire portée entièrement par des hommes (là aussi l’auteur explicite que les femmes sont cantonnées à des gynécées, et le pose comme un des facteurs de la brutalité de son univers). Et même si le livre raconte l’effondrement de l’Empire Perse, c’est un peu sous la forme d’un « il faut que tout change pour que rien ne change », on n’est pas vraiment sur une révolution victorieuse. Donc bon. Je sais pas trop pourquoi s’infliger ce roman. Je ne dis pas qu’il ne faut lire que des choses fluffy et uplifting, mais j’aime bien que mon désespoir existentiel soit réhaussé de petites touches d’espoir malgré tout.

The Summer War, de Naomi Novik

Novella parue en 2025. Celia vit dans un royaume qui a une frontière avec un royaume féérique. Après des décennies de guerre, son père a été l’artisan de la paix avec les Fées. Mais l’écoulement du temps est perçu différemment par ces derniers, et il est possible que la guerre soit relancée à tout moment. De plus, Celia découvre de la pire des façons que la magie qu’une de ses ancêtres possédait est présente chez elle aussi : elle lance une malédiction à son frère, l’empêchant de trouver l’amour.

C’était pas désagréable à lire mais on retrouve la Novik pré-Scholomance ; le thème du mariage forcé, de la découverte a posteriori de la possibilité de faire converger ce qui semblait être des différences irréconciliables… Je recommande plutôt de lire Spinning Silver, dans le même style.

The Fisherman, de John Langan

Roman étatsunien horrifique paru en 2016. Le narrateur, Abraham, raconte comment il a été témoin d’événements inexplicables lors d’une sortie pour aller pêcher dans une rivière se jetant dans le réservoir Ashokan. Avant la construction du barrage qui a permis la création du réservoir, la vallée secondaire où coule la rivière a déjà été le lieu d’étranges événements et des traces en persistent, qui vont faire écho au deuils qu’Abraham et son partenaire de pêche portent.

J’ai bien aimé. Le roman fait un usage réussit du récit enchâssé, avec tout un passage sur les événements qui se sont passés avant puis pendant la construction du barrage. Il prend son temps pour passer dans le surnaturel, avec toute une partie établissant le contexte de la vie d’Abraham. C’est pas explicitement du lovecraftien mais ça s’en rapproche, et c’est pas mal de garder un contexte aquatique, mais de passer de l’océanique au lacustre.

Madelaine avant l’aube, de Sandrine Collette

Roman français paru en 2024. À une époque indéterminée mais précédant l’industrialisation de l’agriculture, la vie est dure au Pays Arrière. Les paysans s’échinent sur des terres dont les moissons sont fauchées par les conditions météorologiques bien trop souvent, et même les bonnes années, trop part en taxes prélevées par le seigneur du coin, Ambroisie. Dans le hameau des Montées, 3 fermes seulement, habitées par 2 soeurs, leurs maris et une vieille guérisseuse. La répétition du même scandé par les saisons va être bouleversée par l’arrivée de Madelaine, enfant sauvage adoptée par le hameau, qui va refuser instinctivement certaines injustices.

C’était bien écrit, mais l’histoire ne m’a pas touché plus que ça. Un twist au milieu qu’on voit venir (sur l’identité d’un perso mais ça ne change pas fondamentalement l’histoire).

Everything for everyone, de M. E. O’Brien et Eman Abdelhadi

Utopie communiste parue en 2022. Dans les années 50, le capitalisme s’est effondré partout sur la planète. 20 ans plus tard, pour commémorer cet effondrement, des participant.es à la Commune de New York décident de compiler une histoire orale : une compilation de témoignages d’une dizaine de personne ayant vécu les événements qui ont conduit à l’instauration de cette Commune, sa place dans le monde, ce que ça fait de vivre dedans.

C’était très chouette à lire, la forme de l’Histoire orale marche bien pour présenter plusieurs points de vue et facettes. Le récit de l’effondrement est crédible (dans ses points heureux comme dans les points d’accélérationnisme fasciste avant, hélas). Le focus n’est pas uniquement sur NY, on a des éléments sur le reste du monde (l’effondrement du système chinois, l' »intifada finale » qui mène à la libération de la Palestine et à la réduction d’Israël à ses frontières de 48, un peu dur à lire dans son optimisme en 2025 même si le livre ne présente jamais des victoires contre le fascisme et le capitalisme qui se sont faites sans lutte).

C’était pas le point du livre mais j’aurai bien voulu néanmoins plus de références à la Commune de Paris. Ça m’a rappelé Eutopia et d’autres visions d’utopies post-capitalismes que j’ai pu lire, mais everything for everyone met plus l’accent sur le portage des luttes par les minorités, et l’impact sur la santé mentale aussi bien du capitalisme que des luttes contre.

Rome en un jour, de Maria Pourchet

Roman français de 2013. On suit en parallèle les échanges entre Paul et Marguerite dans leur appartement, et sur la terrasse d’un hôtel les conversations entre les invités à la fête d’anniversaire surprise de Paul. Alors que le couple explose en vol, les invités échangent des anecdotes, une relation se crée, des groupes affinitaires…

Bon, pas grand intérêt. Le côté « écriture détachée de son sujet » ça me parle pas trop, la question des relations sociales entre des connaissances parisiennes toutes une peu hypocrites non plus.

Pas ouf.

Ravagés de splendeur, de Guillaume Lebrun

Roman français paru en 2025. Après le kiff que j’avais eu en lisant Fantaisies guérillères, j’ai voulu lire le suivant de l’auteur. On est sur la fin de l’empire romain, Héliogabale accède au pouvoir. On va suivre son ascension et sa chute à travers les yeux d’Aquila, vestale qui va l’épouser, les siens et (brièvement) ceux d’Hiéroclès, un de ses amants. C’était pas désagréable à lire mais j’ai pas du tout apprécié au même niveau que Fantaisies, mais le dispositif est assez différent, pas d’Histoire secrète et de paranormal, pas 15 000 références à la pop culture.

A little life, de Hanya Yanagihara

Roman étatsunien paru en 2015. Willem, JB, Malcom et Jude sont cothurnes à l’Université. JB et Malcolm viennent de famille relativement aisées et aimantes, le passé de Willem et Jude est plus troublé. Après une première partie où le livre va décrire la vingtaine des trois premiers, leur caractère, leur relation, le livre va de plus en plus se focaliser sur la vie de Jude, de sa rencontre des trois autres à sa mort, avec des flashbacks sur son enfance. C’est bien écrit, c’est prenant (j’ai lu les 700 pages en anglais en moins de 5 soirs), mais c’est fucking dark. On comprend rapidement que l’enfance de Jude a été l’enfer sur Terre (et si au départ le livre l’évoque à mot couvert, on finit par en savoir beaucoup plus – sans que ce soit du tout graphique, mais on est mis dans la peau de Jude à cette époque), et que la perception qu’il a de lui-même, de ce qu’il peut attendre des relations avec les autres en a été a jamais affecté. Et même si sa vie adulte est globalement très confortable (même s’il y aura aussi des trucs atroces, parce que ce roman, l’ai-je mentionné, est super sombre), il est incapable de sortir de ses schémas de pensée. J’ai tendance à être émotionnellement impliqué dans mes lectures, mais j’ai lâché le bouquin plusieurs fois pour pleurer.

Au delà du sujet donc, le livre est globalement très bien, quelques faiblesses cependant : on voit venir l’outcome de la relation Harold/Jude d’assez loin (mais tout le reste du roman était largement moins prévisible), et globalement à l’âge adulte l’ensemble des personnages et des gens qu’iels fréquentent vivent quand même dans un monde enchanté où tout le monde est upper-class (ils ont lâché tous leurs potes pauvres ou quoi ?) et sans préjudice (ni racisme ni homophobie, alleluia), ce qui clashe un peu avec l’horreur du reste.

Bref, c’était un bon roman, mais du rare genre « bon mais jamais je recommande à personne de lire ça ».

Journal pauvre, de Frédérique Germanaud

Roman? français de 2018, qui couvre l’année scolaire 2014-2015. L’autrice raconte son quotidien durant une année où elle a pris un congé sabbatique (qui débouchera sur une rupture conventionnelle) pour avoir plus de temps à consacrer à elle-même et à son activité d’écrivaine. Divisé en 12 chapitres qui couvrent autant de mois, l’autrice raconte son quotidien par fragments, le temps qu’elle a pour se consacrer davantage à l’écriture et à d’autres projets, ou pour faire des activités liés à la frugalité : glaner des fruits, marcher au lieu de prendre les transports en commun…

Lorraine brûle, de Jeanne Rivière

Roman français de 2025. La narratrice vit à Metz, joue dans des groupes de punk et d’autres styles non commerciaux, élève son fils de 12 ans – Tarzan – et deux cochons d’Inde, travaille à Nancy et se tape 2h de TER par jour, vole dans les supermarchés et bois des coups avec ses copines.

C’est la chronique d’une vie précaire et par moment bien merdique (suicides et cancers d’ami.es notamment), mais aussi avec plein de bons moments. Sympa à lire mais pas renversant. Un style avec des chapitres courts conclut à chaque fois par un factoïde de la narratrice sur les piscines qu’elle fréquente, où la nage est un moyen de s’échapper temporairement du monde.