Uchronie française parue en 1992. Durant la seconde guerre mondiale, Rudolph Hess convainc le Japon d’attaquer la Russie en même temps que l’Allemagne. Prise entre deux fronts, la Russie n’arrive pas à faire face, et la guerre tourne en faveur de l’Axe. On suit le point de vue de différents personnages – figures historiques ou anonymes pris dans les événements, de 1940 à la fin des années 50. Ça se lit bien, et la multiplicité des points de vue donne un roman choral qui marche bien pour une uchronie, mais ça n’a rien de révolutionnaire, ni dans l’uchronie décrite, ni dans le style d’écriture.
Archives de catégorie : Arbres morts ou encre électronique
Protectorats, de Ray Nayler
Recueil de nouvelles, paru en 2023 au Bélial (les nouvelles ont originellement été publiées dans des magazines en anglais, mais il n’existe pas de recueil équivalent en anglais). Certaines des nouvelles partagent un univers uchronique commun, où les États-Unis ont exploité la technologie d’une soucoupe volante tombée sur leur territoire en 38 pour gagner une énorme avance technologique et à la fin de la seconde guerre mondiale, repousser les communistes jusqu’en Russie, gardant toute l’Europe et une partie de l’Asie Mineure sous la forme de « protectorats », d’où le titre du recueil.
J’ai bien aimé l’écriture, l’auteur installe ses univers uchroniques ou science-fictif avec efficacité. Les uchronies sont l’occasion d’une SF « à la papa » avec des voitures volantes, des espions russes et des robots qui jouent au baseball, qui fonctionne très bien (surtout qu’il y a quand même un élément plus moderne dans le fait que les US ne sont pas vraiment pour autant présentés comme l’empire du Bien (que fait notre administration avec toute cette puissance ?), et que les personnages sont hantés par des PTSD liés à ce qu’ils ont fait pendant la guerre. Les nouvelles plus futuristes parlent pas mal de ce qu’est la conscience, surtout si elle devient transférable dans d’autres corps, identiques ou différents, de ce qu’est la frontière de l’Humanité avec des androïdes qui luttent pour leur droits et des IA qui élèvent des enfants.
Je recommande pour de la SF classique et efficace.
Les derniers jours du parti socialiste, d’Aurélien Bellanger
Roman français paru en 2024. Aurélien Bellanger retrace une version fictionnalisée de la création du Printemps Républicain, renommé le mouvement du 9 décembre dans son ouvrage. On suit en parallèle les vies de Grémond (inspiré de Laurent Bouvet), Taillevent (Enthoven) et Frayère (Onfray). On croise pas mal d’autres personnages plus ou moins fictifs (le Président de la République, Sauveterre – avatar de Bellanger, Belgrand (anciennement apparu dans Le Grand Paris – ça me réjouit qu’il existe officiellement un Bellanger Extended Universe).
C’est intéressant de lire un truc qui parle du Printemps Républicain et j’attendais la sortie avec impatience, mais vu que le roman est raconté du pt de vue intérieur de personnages assez peu sympathiques (y’a de la distanciation évidemment, mais c’est du 4e degré), faut quand même s’accrocher. C’était intéressant à lire, mais pas forcément son plus réussi, on est un peu trop le nez sur des événements (et les envolés lyriques de Bouvet ou Blanquer sur la laïcité, c’est quand même pas le sujet le plus passionnant du monde).
Après ce qui est trippant c’est évidemment la réception du bouquin, notamment avec Enthoven qui dit que c’est n’importe quoi parce que la date donnée dans le bouquin pour sa rencontre avec Onfray c’est la date à laquelle ils ont arrêté de se parler, ce qui prouve bien que Bellanger a tout inventé – il est à deux doigts de découvrir le concept de fiction, c’est touchant.
Un passage assez marrant où Sauveterre est invité à l’Élysée pour s’entretenir avec le président et envisage de le tuer avec la fourchette du dîner, avant de s’apercevoir que vu l’heure il n’est pas invité à dîner et que la pièce est donc « dépouillée de tout ces imaginatifs couverts ».
Pour celleux qui aiment déjà Bellanger (ou qui détestent déjà le Printemps Républicain, ça marche aussi).
La Fabrique des lendemains, de Rich Larson
Recueil de nouvelles de science-fiction d’un auteur canadien, paru en 2020. Les longueurs des nouvelles sont variables. Globalement le recueil est intéressant, les nouvelles installent toutes rapidement des univers bien caractérisés (ce qui est un challenge à faire dans un format nouvelles). Les nouvelles ne proposent pas des styles ou des traitements super originaux – il y a pas mal de cyberpunk/biopunk assez classique notamment, mais c’est bien écrit et prenant. Une nouvelle était au dessus du lot par son originalité, pour moi : En cas de désastre sur la lune. J’ai aussi bien aimé L’Homme Vert s’en vient, plus classique, mais qui est assez longue et a donc la place de raconter son histoire.
Paresse pour tous, d’Hadrien Klent
Je n’avais pas été fan de La Grande Panne, du même auteur, mais j’ai bien aimé ce livre-ci. En 2020, alors que la France se déconfine, Émilien Long, prix Nobel d’économie, publie un ouvrage intitulé Le Droit à la paresse au XXIe (toute ressemblance avec un titre de Piketty est volontaire), démontrant qu’il serait possible de passer à une semaine de travail de 15h sans perdre en niveau de vie, en mettant en œuvre un programme de redistribution de la plus-value du travail plutôt que de la laisser capter par le Capital.
Émilien va fédérer une équipe atypique autour de lui, qui va construire sa campagne présidentielle pour porter cette thématique révolutionnaire à l’élection de 2022. Mais se lancer dans une campagne présidentielle, c’est travailler bien plus que 3h par jour, et si le thème l’enthousiasme, Émilien n’est pas sûr de vouloir s’engouffrer dans une aventure aussi prenante…
Ça se lit vite, et la forme romancée marche bien pour faire avancer la thèse de l’auteur. Il n’y a pas de grande démonstration chiffrée de la réalité de la possibilité d’arriver à ce chiffre de 15h précisément, mais on sent que la proposition d’une réduction massive du temps de travail n’est pas faite dans le vide non plus. L’ancrage dans la vie politique réelle fonctionne bien. Elisabeth Crayeville en ministre de l’économie macroniste, fusion de plusieurs macronistes réel.les est assez réussie. Le roman retranscrit bien le côté peace de l’équipe de campagne et de son héros, on a envie d’y croire (bon, ça fait un peu l’impasse sur le paysage médiatique français d’extrême-droite les médias ici c’est Le Monde, YouTube et un présentateur de JT d’une grande chaine hertzienne qui s’est installé à la campagne, c’est plutôt bienveillant (les plus pugnaces à la limite c’est l’interview improbable par un quatuor CQFD/Lundi Matin/Pièces et Mains d’Oeuvre/Panthère Première).
Recommandé pour un truc politico-peace.
Lecture facile, de Cristina Morales
Roman espagnol de 2018. Nati, Angèls, Patricia et Gari sont quatre barcelonaises qui vivent dans le même appartement. Elles ne sont pas exactement colocs : déclarées handicapées mentales par le gouvernement, elles sont dans une résidence normalisée, après avoir passé une certaine partie de leur vie en centre fermé. On suit leurs quatre points de vue sur quelques événements : la gestion de l’appartement, la fuite de Gari pour aller vivre dans une maison squattée, les cours et le spectacle de danse de Nati…
C’était original dans la forme et le sujet, et intéressant. C’est rare qu’il y ait dans des romans des descriptions crédibles de réunions autogestionnaires. La version chorale de l’histoire, avec les formats différents donnés à la narration de chaque femme (narration intérieure pour Nati ; roman en lecture facile pour Angèls, qui raconte l’évolution passée de la vidéo du groupe jusqu’à l’arrivée dans l’appartement ; minutes d’audition judiciaire pour Patricia, CR de réunions de squats pour Gari) est réussi et permet à la fois de voir leurs divergences, leur agency et les différents aspects de leur vie et de leur rapport aux institutions ou groupes qui ont une influence sur leurs vies.
Je recommande.
The once and future witches, d’Alix E. Harrow
One witch you can laugh at. Three, you can burn. But a hundred?
Roman de fantasy étatsunien publié en 2020. L’action se déroule en 1893. Agnès, June et Bella Eastwood sont trois sœurs qui sont arrivées à la Nouvelle Salem depuis leur county provincial. Leur grand-mère était une sorcière qui leur a appris quelques sorts, mais la magie n’est plus ce qu’elle était, depuis que durant les temps médiévaux l’Inquisition à brûlé la majorité des sorcières et leur savoir avec elles. Mais pourtant, en ces temps de progrès, les sœurs Eastwood vont tomber sur un sortilège qui promet de faire advenir un Second Âge de la Sorcellerie. Et il est clair que les Eastwood ne sont pas les seules femmes du Nouveau Monde qui accueilleraient avec enthousiasme un peu plus de pouvoir que ce que le patriarcat veut bien leur accorder…
C’était fort chouette. Il y a quelques répétitions ici et là qui auraient pu être retiré par un passage éditorial de plus, mais à part ce léger défaut c’est une histoire originale, bien construite, qui alterne entre les points de vue des trois sœurs et qui crée tout un univers alternatif crédible. J’ai beaucoup aimé le genderbending de certains contes et des folkloristes (Charlotte Perrault et les sœurs Grimm ♥ ), la façon dont le roman rappelle qu’il s’agit d’une histoire occidentale (la magie des autres cultures fonctionne différemment, il y a toujours de la sorcellerie ailleurs, le combat initial pour le droit de vote est mené de façon séparé par les organisations de femmes noires et blanches). La façon dont les enjeux ne cessent de s’amplifier jusqu’à la bataille finale est bien écrite, les thèmes féministes fonctionnent bien (clairement y’a du Caliban et la sorcière dans les inspirations de l’autrice), peut-être les personnages masculins sont un tout petit peu trop caricaturaux mais c’est un défaut très très mineur).
Je recommande si vous voulez de la fantasy féministe/si vous avez aimé La Scholomance.
The Ladies of Grace Adieu, de Susanna Clarke
Recueil de nouvelles publié en 2006, et situé dans le même univers que Jonathan Strange & Mr Norrell, ie une Angleterre du XIXe siècle où la magie et les fées existent mais sont bien moins présentes que par le passé. Les nouvelles étaient assez inégales. J’ai bien aimé la nouvelle éponyme, ainsi que Mrs Mabb et Mr Simmonnelli, moins les autres.
C’est un bonus sympa à Jonathan Strange & Mr Norrell, mais ça ne tient pas debout tout seul.
Bunny, de Mona Awad
Roman publié en 2019. On suit Samantha, une étudiante en lettre dans une prestigieuse université nord-américaine où elle est boursière. Elle suit principalement un séminaire d’écriture, où elle est dans une classe de 5 avec quatre autres femmes, qui sont ultra-soudées et s’appellent l’une l’autre « Bunny ». Horripilée par ces quatre femmes qui surperforment une féminité infantile, Samantha est cependant simultanément épuisée d’être l’outsider perpétuelle. Quand les Bunnies l’invitent à une de leurs soirées, Samantha va accepter de se fondre dans le groupe, et découvrir que derrière la façade en saccharine, les Bunnies ont un étrange pouvoir magique qu’elles sont prêtes à partager avec elle – si elle se conforme à l’esprit du groupe.
C’était intéressant mais assez wtf, à la fois roman fantastique avec une héroïne isolée dont on ne sait pas si il lui arrive des trucs surnaturels ou si elle sombre dans la folie, et roman universitaire/de lycée (les Bunnies pourraient être des Heathers) avec des cliques et des mean girls. C’est aussi un roman sur le fait d’écrire un roman, même si c’est en arrière-plan c’est quand même bien présent.
Âge Tendre, de Clémentine Beauvais
Roman français publié en 2020. Dans un futur proche, la France a mis en place un stage dans le monde du travail d’un an entre la troisième et la seconde, le service civique, ou « serci ». Le roman est composé du rapport de stage de Valentin Lemonnier, albigeois introverti envoyé travailler à Boulogne-sur-mer dans une unité Mnémosyne, une maison de retraite médicalisé qui recrée l’environnement de la jeunesse des pensionnaires. Sur place, il va découvrir la discographie de Françoise Hardy, la vie en colocation, les responsabilités professionnelles et les zones grises dans les relations interpersonnelles. Ce qui devait être un rapport de 30 pages va en devenir un de 250 pages, qui raconte dans le détail son évolution au cours de l’année.
J’ai beaucoup aimé. La forme du rapport de stage est bien retranscrite, et le fait de dire que le rédacteur du rapport doit intégrer des notes rétrospectives permet d’avoir une distanciation dans l’écriture assez intéressante. La révélation progressive de l’histoire de Sola est très bien faite. Le roman est globalement très bienveillant avec ses personnages, c’est très sympa à lire.
Je recommande.