Archives de catégorie : Arbres morts ou encre électronique

American elsewhere, de Robert Jackson Bennett

Roman fantastique US paru en 2013, par le même auteur que la trilogie de fantasy The Founders. Mona Bright découvre à la mort de ses parents que sa mère possédait une maison à Wink, petite ville du Nouveau Mexique qui n’apparait sur aucune carte. Wink se révèle une ville construite pour héberger les travailleurs du laboratoire Coburn, un laboratoire de physique expérimentale qui est désaffecté depuis de longues années. Mais les expériences du laboratoire ont été un succès : Wink n’est pas le foyer uniquement d’humain.es, mais aussi d’entités plus mystérieuses, qui ont passé un marché avec les humain.es : leur présence et leurs maniérismes sont acceptés, et en échange ils peuvent faire de Wink l’incarnation du rêve américain, où chacun a un pavillon et une pelouse parfaitement tondue.

Des éléments intéressants, mais le livre est trop long. Il y a tout un ventre mou de l’installation de Mona à Wink, qui aurait dû être réécrit et condensé. Le côté horreur cosmique est finalement seulement approché, les créatures d’outre-espace étant finalement pour la plupart bien disposées envers les humain.es. L’idée de rapprocher les idées d’American Dream et d’entités eldritch était un bon point de départ, mais n’est pas assez creusée. L’auteur s’approche un peu du sujet avec le fait que la compréhension des créatures fait qu’il est interdit de déroger à des règles qui incluent l’hétérosexualité et le sexe uniquement dans le cadre du mariage, mais s’en tire avec une pirouette sur les questions de race . Dommage, parce que ç’aurait été les thèmes les plus intéressants à creuser.

Pas désagréable, mais oubliable.

Photo de groupe au bord du fleuve, d’Emmanuel Dongala

Roman paru en 2010. On suit un groupe de femmes qui produisent des graviers : la demande en gravier a augmenté suite au lancement de la construction d’un aéroport dans le pays. Le sac de gravier est revendu 3 fois plus cher qu’avant par les entreprises de construction, mais il est toujours acheté au même prix auprès des productrices. Elles décident alors de doubler le prix (de 10 000 à 20 000 francs, dans l’espoir qu’après négociation elles aient 15 000 francs/sac), mais les entreprises commencent par ne plus leur acheter de gravier, avant de revenir avec la police pour les menacer, en leur disant qu’elles sont antipatriotiques, ce qui finit par une travailleuse gravement blessée par la police. Ses camarade ne se démontent pas, et l’enjeu de la négociation va progressivement monter, alors qu’une réunion des premières dames d’Afrique est supposée parler de « la condition de la femme africaine ». Le collectif de travailleuses va donc être reçu par la ministre des droits des femmes, puis la première dame, qui vont tenter de les acheter pour faire cesser le mouvement et qu’elles affichent à la place un soutien à leurs politiques.

C’était sympa, ça change de mes lectures habituelles, c’est bien écrit sans que le style soit renversant non plus.

Elder Race, d’Adrian Tchaikovsky

« Toute technologie suffisamment avancée, etc. »

Novella de science-fiction/fantasy publiée en 2021.

Dans la capitale de Lannesite, la quatrième fille de la reine entend parler d’un démon qui ravage les royaumes forestiers voisins. Elle a été bercée toute sa jeunesse des exploits de son ancêtre, qui avait vaincu un démon avec l’aide du sorcier Nyrgoth. Alors contre l’avis de la cour, elle part demander l’assistance du sorcier, reclus dans sa tour au milieu des montagnes.

Dans son poste d’observation au milieu des montagnes, Nyr est en hibernation prolongée, dans l’attente d’un contact de la Terre. Il y a 300 ans, il a rompu tout les protocoles de sa mission d’observation scientifique et aidé Astresse, une reine locale, à vaincre un seigneur de guerre qui avait réussi à s’emparer d’une technologie originaire de la Terre. Une descendante d’Astresse vient à nouveau le solliciter, est-ce s’impliquer dans les affaires des locaux lui permettra d’oublier la dépression que l’isolement perpétuel fait peser sur lui ?

La novella raconte l’histoire en alternant entre les points de vue de Lynesse et de Nyr, et leurs tentatives de communication, compliquées par le fait que les mots n’ont pas le même sens pour eux deux : quand Nyr dit « scientifique », Lynesse interprète le mot comme « sorcier », leur compréhension de l’histoire du monde et du fonctionnement de l’univers n’est pas la même, ce qui pour Lynesse est des mythes anciens et de l’histoire, voire son propre passé pour Nyr, qui en revanche a du mal avec les conventions sociales et les sous-entendus du langage de Lynesse.

Les personnages sont un peu des archétypes de leur genre, mais la nouvelle fonctionne bien pour mettre en scènes les différences de perception liées aux différences de culture/niveau technologique, type cargo cult. Je pense que le concept fonctionne bien en tant que novella, ça aurait été un peu trop mince pour tout un roman par contre.

Les Oranges de Yalta, de Nicolas Saudray

Uchronie française parue en 1992. Durant la seconde guerre mondiale, Rudolph Hess convainc le Japon d’attaquer la Russie en même temps que l’Allemagne. Prise entre deux fronts, la Russie n’arrive pas à faire face, et la guerre tourne en faveur de l’Axe. On suit le point de vue de différents personnages – figures historiques ou anonymes pris dans les événements, de 1940 à la fin des années 50. Ça se lit bien, et la multiplicité des points de vue donne un roman choral qui marche bien pour une uchronie, mais ça n’a rien de révolutionnaire, ni dans l’uchronie décrite, ni dans le style d’écriture.

Protectorats, de Ray Nayler

Recueil de nouvelles, paru en 2023 au Bélial (les nouvelles ont originellement été publiées dans des magazines en anglais, mais il n’existe pas de recueil équivalent en anglais). Certaines des nouvelles partagent un univers uchronique commun, où les États-Unis ont exploité la technologie d’une soucoupe volante tombée sur leur territoire en 38 pour gagner une énorme avance technologique et à la fin de la seconde guerre mondiale, repousser les communistes jusqu’en Russie, gardant toute l’Europe et une partie de l’Asie Mineure sous la forme de « protectorats », d’où le titre du recueil.

J’ai bien aimé l’écriture, l’auteur installe ses univers uchroniques ou science-fictif avec efficacité. Les uchronies sont l’occasion d’une SF « à la papa » avec des voitures volantes, des espions russes et des robots qui jouent au baseball, qui fonctionne très bien (surtout qu’il y a quand même un élément plus moderne dans le fait que les US ne sont pas vraiment pour autant présentés comme l’empire du Bien (que fait notre administration avec toute cette puissance ?), et que les personnages sont hantés par des PTSD liés à ce qu’ils ont fait pendant la guerre. Les nouvelles plus futuristes parlent pas mal de ce qu’est la conscience, surtout si elle devient transférable dans d’autres corps, identiques ou différents, de ce qu’est la frontière de l’Humanité avec des androïdes qui luttent pour leur droits et des IA qui élèvent des enfants.

Je recommande pour de la SF classique et efficace.

Les derniers jours du parti socialiste, d’Aurélien Bellanger

Roman français paru en 2024. Aurélien Bellanger retrace une version fictionnalisée de la création du Printemps Républicain, renommé le mouvement du 9 décembre dans son ouvrage. On suit en parallèle les vies de Grémond (inspiré de Laurent Bouvet), Taillevent (Enthoven) et Frayère (Onfray). On croise pas mal d’autres personnages plus ou moins fictifs (le Président de la République, Sauveterre – avatar de Bellanger, Belgrand (anciennement apparu dans Le Grand Paris – ça me réjouit qu’il existe officiellement un Bellanger Extended Universe).

C’est intéressant de lire un truc qui parle du Printemps Républicain et j’attendais la sortie avec impatience, mais vu que le roman est raconté du pt de vue intérieur de personnages assez peu sympathiques (y’a de la distanciation évidemment, mais c’est du 4e degré), faut quand même s’accrocher. C’était intéressant à lire, mais pas forcément son plus réussi, on est un peu trop le nez sur des événements (et les envolés lyriques de Bouvet ou Blanquer sur la laïcité, c’est quand même pas le sujet le plus passionnant du monde).

Après ce qui est trippant c’est évidemment la réception du bouquin, notamment avec Enthoven qui dit que c’est n’importe quoi parce que la date donnée dans le bouquin pour sa rencontre avec Onfray c’est la date à laquelle ils ont arrêté de se parler, ce qui prouve bien que Bellanger a tout inventé – il est à deux doigts de découvrir le concept de fiction, c’est touchant.

Un passage assez marrant où Sauveterre est invité à l’Élysée pour s’entretenir avec le président et envisage de le tuer avec la fourchette du dîner, avant de s’apercevoir que vu l’heure il n’est pas invité à dîner et que la pièce est donc « dépouillée de tout ces imaginatifs couverts ».

Pour celleux qui aiment déjà Bellanger (ou qui détestent déjà le Printemps Républicain, ça marche aussi).

La Fabrique des lendemains, de Rich Larson

Recueil de nouvelles de science-fiction d’un auteur canadien, paru en 2020. Les longueurs des nouvelles sont variables. Globalement le recueil est intéressant, les nouvelles installent toutes rapidement des univers bien caractérisés (ce qui est un challenge à faire dans un format nouvelles). Les nouvelles ne proposent pas des styles ou des traitements super originaux – il y a pas mal de cyberpunk/biopunk assez classique notamment, mais c’est bien écrit et prenant. Une nouvelle était au dessus du lot par son originalité, pour moi : En cas de désastre sur la lune. J’ai aussi bien aimé L’Homme Vert s’en vient, plus classique, mais qui est assez longue et a donc la place de raconter son histoire.

Paresse pour tous, d’Hadrien Klent

Je n’avais pas été fan de La Grande Panne, du même auteur, mais j’ai bien aimé ce livre-ci. En 2020, alors que la France se déconfine, Émilien Long, prix Nobel d’économie, publie un ouvrage intitulé Le Droit à la paresse au XXIe (toute ressemblance avec un titre de Piketty est volontaire), démontrant qu’il serait possible de passer à une semaine de travail de 15h sans perdre en niveau de vie, en mettant en œuvre un programme de redistribution de la plus-value du travail plutôt que de la laisser capter par le Capital.

Émilien va fédérer une équipe atypique autour de lui, qui va construire sa campagne présidentielle pour porter cette thématique révolutionnaire à l’élection de 2022. Mais se lancer dans une campagne présidentielle, c’est travailler bien plus que 3h par jour, et si le thème l’enthousiasme, Émilien n’est pas sûr de vouloir s’engouffrer dans une aventure aussi prenante…

Ça se lit vite, et la forme romancée marche bien pour faire avancer la thèse de l’auteur. Il n’y a pas de grande démonstration chiffrée de la réalité de la possibilité d’arriver à ce chiffre de 15h précisément, mais on sent que la proposition d’une réduction massive du temps de travail n’est pas faite dans le vide non plus. L’ancrage dans la vie politique réelle fonctionne bien. Elisabeth Crayeville en ministre de l’économie macroniste, fusion de plusieurs macronistes réel.les est assez réussie. Le roman retranscrit bien le côté peace de l’équipe de campagne et de son héros, on a envie d’y croire (bon, ça fait un peu l’impasse sur le paysage médiatique français d’extrême-droite les médias ici c’est Le Monde, YouTube et un présentateur de JT d’une grande chaine hertzienne qui s’est installé à la campagne, c’est plutôt bienveillant (les plus pugnaces à la limite c’est l’interview improbable par un quatuor CQFD/Lundi Matin/Pièces et Mains d’Oeuvre/Panthère Première).

Recommandé pour un truc politico-peace.

Lecture facile, de Cristina Morales

Roman espagnol de 2018. Nati, Angèls, Patricia et Gari sont quatre barcelonaises qui vivent dans le même appartement. Elles ne sont pas exactement colocs : déclarées handicapées mentales par le gouvernement, elles sont dans une résidence normalisée, après avoir passé une certaine partie de leur vie en centre fermé. On suit leurs quatre points de vue sur quelques événements : la gestion de l’appartement, la fuite de Gari pour aller vivre dans une maison squattée, les cours et le spectacle de danse de Nati…

C’était original dans la forme et le sujet, et intéressant. C’est rare qu’il y ait dans des romans des descriptions crédibles de réunions autogestionnaires. La version chorale de l’histoire, avec les formats différents donnés à la narration de chaque femme (narration intérieure pour Nati ; roman en lecture facile pour Angèls, qui raconte l’évolution passée de la vidéo du groupe jusqu’à l’arrivée dans l’appartement ; minutes d’audition judiciaire pour Patricia, CR de réunions de squats pour Gari) est réussi et permet à la fois de voir leurs divergences, leur agency et les différents aspects de leur vie et de leur rapport aux institutions ou groupes qui ont une influence sur leurs vies.

Je recommande.

The once and future witches, d’Alix E. Harrow

One witch you can laugh at. Three, you can burn. But a hundred?

Roman de fantasy étatsunien publié en 2020. L’action se déroule en 1893. Agnès, June et Bella Eastwood sont trois sœurs qui sont arrivées à la Nouvelle Salem depuis leur county provincial. Leur grand-mère était une sorcière qui leur a appris quelques sorts, mais la magie n’est plus ce qu’elle était, depuis que durant les temps médiévaux l’Inquisition à brûlé la majorité des sorcières et leur savoir avec elles. Mais pourtant, en ces temps de progrès, les sœurs Eastwood vont tomber sur un sortilège qui promet de faire advenir un Second Âge de la Sorcellerie. Et il est clair que les Eastwood ne sont pas les seules femmes du Nouveau Monde qui accueilleraient avec enthousiasme un peu plus de pouvoir que ce que le patriarcat veut bien leur accorder…

C’était fort chouette. Il y a quelques répétitions ici et là qui auraient pu être retiré par un passage éditorial de plus, mais à part ce léger défaut c’est une histoire originale, bien construite, qui alterne entre les points de vue des trois sœurs et qui crée tout un univers alternatif crédible. J’ai beaucoup aimé le genderbending de certains contes et des folkloristes (Charlotte Perrault et les sœurs Grimm ♥ ), la façon dont le roman rappelle qu’il s’agit d’une histoire occidentale (la magie des autres cultures fonctionne différemment, il y a toujours de la sorcellerie ailleurs, le combat initial pour le droit de vote est mené de façon séparé par les organisations de femmes noires et blanches). La façon dont les enjeux ne cessent de s’amplifier jusqu’à la bataille finale est bien écrite, les thèmes féministes fonctionnent bien (clairement y’a du Caliban et la sorcière dans les inspirations de l’autrice), peut-être les personnages masculins sont un tout petit peu trop caricaturaux mais c’est un défaut très très mineur).

Je recommande si vous voulez de la fantasy féministe/si vous avez aimé La Scholomance.