Archives de catégorie : Des livres et nous

Né d’aucune femme, de Franck Bouysse

Roman français. Dans une époque indéterminée, Rose, fille de paysan, est vendue par son père à un châtelain local pour devenir sa domestique, dans une atmosphère hostile et violente. On suit principalement le point de vue de Rose mais aussi ponctuellement celui de quelques personnages secondaires.

Je n’ai pas aimé. L’histoire est assez glauque et sans grand intérêt, avec des révélations qui tombent pas mal à plat. Et j’ai trouvé le style d’écriture très artificiel.

Teixcalaan, d’Arkady Martine

Série de roman de science-fiction.

Tome 1 : A Memory called Empire

Mahit Adze vient d’une station minière indépendante nommée Lsel, une nation de 30 000 personnes dans la sphère d’influence de Teixcalaan, un gigantesque empire interstellaire. Soudainement nommée ambassadrice de Lsel à la cour suite à la mort de l’ancien ambassadeur, elle se retrouve propulsée dans les intrigues de la vie politique texicalaanie, alors que l’instabilité politique ne cesse d’augmenter avec la question de la succession de l’empereur actuel.

J’ai bien aimé, il y a beaucoup d’éléments intéressants, le livre parle notamment beaucoup d’impérialisme et d’influence culturelle : Lsel est une toute petite entité face à l’Empire, leur indépendance n’est acquise que tant que l’Empire la tolère. Et même indépendante, la question de l’attirance de l’Empire et de l’influence qu’il a sur les représentations culturelles est toujours présente : Mahit est nommée ambassadrice parce qu’elle adore la culture teixcalaanie, sa façon de tout mettre en poésie et de parler sans cesse en références cachées, mais quelle que soit son intérêt pour ses sujets, tous les teixcalaanie passent leur temps à lui rappeler qu’elle est une barbare exotique. Un peu déçue par la sous-utilisation du concept des imagos dans ce tome, qui est présenté puis laissé de côté pendant longtemps alors qu’il y a un énorme potentiel. La fin du tome et le suivant rattrapent heureusement cela. Les personnages sont très réussis, mais les interactions reposent beaucoup sur les capacités à gagner le concours de rhétorique permanent. C’est logique vue la culture présentée et le fait que c’est un roman de Cour, mais ça laisse de côté beaucoup de logique de possession réelle du pouvoir. Globalement ce premier tome reste par endroit un peu mal dégrossi même s’il contient beaucoup d’excellents éléments.

Tome 2 : A Desolation called Peace

Battlestar Galactica x Arrival

Là par contre j’ai vraiment beaucoup aimé. Le tome bénéficie de pouvoir se reposer sur tout ce qui a été mis en place dans le tome 1, et est très très bon. On quitte les intrigues de cour pour un thème global de guerre interstellaire/premier contact très bien pensé : c’est le premier contact d’un empire humain mais très différent de nos sociétés actuelles, et qui a déjà rencontré une autre espèce extraterrestre. On n’est donc pas dans les questions existentielles liées au premier contact mais plus dans le côté pratique de réussir à trouver un terrain d’entente avec des aliens qui fonctionnent de façon très différente de nous. Les différents points de vue proposés fonctionnent bien et se complètent bien – même le point de vue enfantin est réussi alors que c’est rarement le cas. Très bons personnages secondaires, que ce soit les officiers teixcalaanis (Sixteen Monrise, Twenty Cicada) ou Yksandr. Les différents concepts technologiques et les subtilités du protocole teixcalaani sont très bien pensés et bien mis en scène.

Grosse recommandation.

Last exit to Brooklyn, de Hubert Selby Jr.

Collection de nouvelles publiées en 1967. L’ouvrage suit des personnages des classes populaires voire des marginales et marginaux de Brooklyn : des ouvriers, des chômeurs, une prostituée, des travestis. Le livre se focalise sur des relations humaines assez basiques, la consommation d’alcool, de drogue, la sexualité et les désirs de ses personnages, avec une écriture supposée reproduire l’oralité des échanges. J’ai trouvé les nouvelles assez inégales. La première est bien en tant qu’ouverture, elle plante bien le décor, la répétition du même, les relations interpersonnelles tendues. et la dernière avec son aspect choral dans un HLM est fort réussie. Celle sur la grève contient des éléments intéressants notamment parce qu’elle prend le temps de développer la psychologie de son personnage principal. Mais bon, pour le reste, c’est vraiment faire tout tourner autour de la sexualité et de la recherche du plaisir, et ça présente pas mal des pauvres affreux sales et méchants.

The Argonauts, de Maggie Nelson

Essai autobiographique sorti en 2015. L’autrice expose ses pensées sur le sujet de sa grossesse et de sa relation avec son partenaire, trans : leurs deux corps et leur relation et cellule familiale qui évoluent peu à peu lui évoque l’Argo restant le même bateau alors même que toutes ses parties sont peu à peu remplacées. C’est assez difficile à résumer, mais c’était intéressant, notamment les passages sur l’assignation à la maternité des femmes, et son opposé pour les personnes queer et la façon dont ça s’entrelace pour elle : en tant qu’universitaire son nouveau statut de mère est utilisé par certaines personnes pour tenter de la rabaisser, et elle assiste à des moments où inversement des femmes qui travaillent sur des sujets complexes et qui veulent s’intéresser à la maternité se font rabrouer : ce sujet est trop banal, ordinaire pour être digne d’étude. Et à la fois pour elle qui travaille sur la sexualité, la scène SM, on lui renvoie que c’est incompatible avec sa maternité, dans une espèce de panique morale. On retrouve la thématique de la maman et de la putain, qui devraient pour certaines personnes rester des facettes de la féminité totalement séparée. À l’inverse, Maggie Nelson parle de la figure de la sodomitical mother, qui mêle sexualité et maternité. Elle réclame notamment le fait de méler les deux aspects de sa vie (évidemment pas dans un sens pédophile, mais dans le fait qu’elle devrait pouvoir aller notamment voir un spectacle de cabaret avec un bébé (qui n’y comprendra rien) sans qu’on lui dise « euh non le bébé ça va ruiner l’atmosphère pour les autres personnes, c’est supposé être titillant »).

L’Opinion française sous Vichy, de Pierre Laborie

Essai d’Histoire sur le sujet. L’auteur retrace les évolutions de l’opinion française de la fin des années 30 et sous le gouvernement de Vichy, en se basant sur les archives de la presse de l’époque et les synthèses faites par les préfets de Vichy en se basant sur l’interception du courrier (comme quoi on critique la Surveillance Globale mais ça file plein de matière aux historien.nes).

L’auteur montre que l’état du discours public et de l’opinion publique de la fin de la IIIe République a facilité le glissement vers Vichy : fake news en masse notamment sur la situation internationale, confusionnisme des positions politiques (entre le pacifisme, l’antifascisme, l’anticommunisme, les retournements d’alliance (pacte germano-soviétique) et de position des hommes politiques français…), discours général sur la décadence et la dégénérescence morale… (Toute ressemblance avec la situation actuelle…). La drôle de guerre avec son attente et son absence d’événements suite à la mobilisation puis le choc de la défaite et de l’Exode achèvent de complètement mettre par terre toute possibilité de comprendre ce qui se passe et d’avoir des représentations claires des enjeux.

Sous Vichy même, l’auteur montre comment à la fois les positions « 40 millions de Résistants », « 40 millions de Collabos » et « 40 millions de personnes qui attendent de voir de quel côté le vent tourne » sont toutes fausses. Le gouvernement de Vichy commence avec une forte adhésion à la personnalité de Pétain, considéré comme se sacrifiant pour la France et l’incarnant (les affiches « Êtes vous plus français que lui », tout ça. Dans un pays qui traverse une crise de l’identité nationale, Pétain fait office de repère, d’ancrage pour cette identité. Il y a une rumeur persistante qu’il travaille de concert avec De Gaulle et qu’il a un plan sur le long terme où il mène les Allemands par le bout du nez (là aussi on peut dresser des // avec Q-anon). Cette adhésion initiale à la figure de Pétain est d’abord concomitante à une adhésion au gouvernement de Vichy mais s’en détache rapidement, avec Laval comme figure repoussoir du gouvernement qui prêche la collaboration. Puis l’image de Pétain se dégrade elle aussi, il perd son aura de chef qui fait ce qu’il peut au fur et à mesure, il est plus pris en pitié.

En parallèle, les sentiments à l’égard de la Résistance évoluent au fur et à mesure qu’elle se structure : beaucoup de sentiments négatifs restent présent jusqu’à la fin envers les maquis comme faisant courir des risques à la population, mais en // ces maquis ne peuvent se maintenir que grâce à de larges réseaux de solidarité à travers la population. La répression démesurée des maquis fait qu’à chaque fois que les gens sont gênés par leurs actions, ils ont une démonstration immédiate que l’antithèse est largement pire. La collaboration accrue au fur et à mesure du temps de l’État Français avec les autorités allemandes (actions de police conjointe, mise en place du STO) décrédibilisent de plus en plus Vichy comme une figure incarnant une France indépendante face à l’Allemagne (et aux autorités d’occupation) pour l’afficher comme un État vassal, et renforce la Résistance comme la figure d’une France indépendante.

L’auteur montre aussi que les Français.es restent largement désinformés et dans l’attentisme pendant la guerre : l’évolution des sympathies est précocement du côté des Alliés et de la Résistance, avant que le conflit ne bascule en leur faveur, mais les préoccupations quotidiennes (le rationnement notamment) et le flou des infos fait que cette approbation ne se traduit pas en actions.

En conclusion, l’auteur dit que le trait principal de l’opinion publique durant la période est l’ambivalence. Si les Français étaient majoritairement et précocement favorables à la Résistance, cette approbation ne s’est traduite en actes que pour une très petite minorité. Mais cette absence de soutien effectif à la Résistance ne veut pas dire ni une approbation de Pétain, ni de Vichy, et encore moins de la Collaboration qui est très tôt un repoussoir pour une très grosse majorité.

Small change trilogy, de Jo Walton

Tome 1 : Farthing

Enquête policière au sein d’une uchronie. En 1940 le groupe de Farthing, une faction du parti conservateur anglais, négocie une « paix honorable » avec Hitler. Pour le Royaume-Uni, la guerre prend fin en 1941. En 1949 où se situe l’action du livre, Hitler est toujours au pouvoir et le Reich et l’URSS sont toujours en guerre sur l’unique front à l’Est.

Lors d’une soirée à Farthing, un des membres du groupe est retrouvé mort. Scotland Yard dépêche un policier sur place pour enquêter. On suit deux points de vue, celui du policier, Carmichael, narré à la troisième personne, et celui de Lucy Kahn, héritière en disgrâce de la famille Eversley a qui appartient le manoir de Farthing.

J’ai beaucoup aimé ce tome 1. Les deux points de vue sont très réussis, ils enquêtent chacun de leur côté en s’attachant à des éléments différents – Lucy est l’héritière d’une société de classe, les questions de statut et de renommée sont cruciales à ses yeux, le policier s’en fiche et de plus les nobles du cercle se couvrent entre elleux du coup il n’a juste pas accès à certaines des infos que Lucy repère – même si elles sont annexes à la résolution du crime c’était assez intéressant de montrer ces points de vue partiels.

Autre point important, le contexte de l’uchronie est distillé au lecteur avec subtilité, pas de « comme vous le savez Burton, en 1941… ». Le fait de situer l’action parmi les acteurs de la divergence aide clairement, mais ça reste très réussi. La mise en scène des compromis(sions) de l’Angleterre avec le fascisme continental (et intérieur ?) est réussie.

Bref, recommandé, et je vais enchaîner sur la lecture du T2.

Tome 2 : Ha’penny

Moins convaincu que par le tome 1. L’action sur déroule explicitement quelques semaines après les événements du premier tome, mais on a l’impression par certains éléments d’arrière plans que quelques mois voire années se sont écoulés, j’ai l’impression que ça aurait mérité une bonne relecture pour bien cadrer ça, c’est un peu dommage. Il y a aussi moins l’effet « découverte du monde qu’il y avait dans le premier tome et qui participait beaucoup du plaisir. Le côté monde du théâtre et mise en scène de Hamlet est intéressante (j’ai beaucoup aimé le coup du casting genderswapped), mais aurait mérité d’être plus qu’un arrière plan (surtout que mise en scène de Shakespeare et tyrannie, y’a des précédents, que ce soit dans la culture générale avec Lubitsch ou dans le genre de l’uchronie avec Ruled Britannia). Ça reste sympa à lire, mais en terme de whodunnit et de rythme général c’est clairement pas au niveau du premier.

Tome 3 : Half a Crown

Dix ans après les événements des deux premiers tomes. Carmichael est désormais à la tête de la police politique du Royaume-Uni. On suit toujours son point de vue, et celui d’une nouvelle narratrice, Elvira, sa fille adoptive, élevée dans la gentry sans vraiment en faire partie, qui s’apprête à être présentée à la Reine en tant que débutante, pendant que le Royaume-Uni s’apprête à accueillir la grande conférence de paix qui réglera la question du partage du territoire de l’ancienne URSS entre le reich allemand et l’empire japonais. On retrouve un peu du rythme du premier tome, sur ce point je l’ai préféré au second. Par contre je suis un peu perplexe sur l’évolution du personnage de Carmichael, que l’autrice nous présente comme un gentil qui fait ce qu’il peut en sous-main, mais bon c’est quand même littéralement le chef de la Gestapo, quoi. Le livre arrive bien a présenter comment dans cet univers alternatif fasciste plein de trucs horribles sont discutés tout naturellement par les personnages, ça fait un peu cringer mais c’est volontaire. Mais je pense que ça aurait été intéressant d’avoir plus directement le point de vue de personnage moins dans des positions de pouvoir (typiquement Jacobson a l’air d’être un personnage vachement plus intéressant que Carmichael à ce stade de l’histoire). Un peu perplexe sur la fin aussi, qui d’un coup balaye toute la complexité des enjeux politiques pour basculer sur un début de happy end parce que [deus ex monarchie].

Globalement je recommande la lecture de la trilogie, mais c’est surtout le premier tome qui est vraiment réussi, petite baisse de régime ensuite.

Terminus Radieux, d’Antoine Volodine

Roman post-exotique français. Un futur indéterminé, après la chute de la Deuxième Union Soviétique. Dans un no man’s land irradié, deux soldats atteignent le kolkhoze Terminus Radieux. L’un d’eux va y être accueilli, l’un d’eux va repartir avec un train de soldats qui cherchent un camp de prisonniers où ils seront pris en charge. Les deux ne savent pas très bien s’ils sont toujours vivants, déjà morts ou dans un état intermédiaire. Le kolkhoze est dirigé par une espèce de chaman qui contrôle la réalité même autour de lui et règne en tyran sur l’ensemble de l’univers perceptible. La réalité est trouble, les événements se répètent, l’espoir d’une vie meilleure est mort, mais les personnages continuent d’aller de l’avant dans un décor immuable. C’était un peu à mi chemin entre En Attendant Godot et Une vieille histoire (mais en réussi).

J’ai bien aimé, mais ne vous attendez pas à beaucoup d’action.

Arpenter le paysage, de Martin de la Soudière

Essai à mi chemin entre la géographie et la littérature. L’auteur détaille les différentes façon d' »entrer en paysage », ie de percevoir et transmettre des paysages, en s’appuyant sur sa propre expérience et sur des figures littéraires emblématiques.

C’était intéressant mais je ne saurais pas trop le résumer, tbh. On n’est pas dans une approche très factuelle type essai, l’auteur parle beaucoup de ressenti et mobilise des anecdotes personnelles. Il détaille différents types d’approches du paysage : par la géologie, par la géographie scolaire ou académique, par le ressenti personnel (avec tout un passage sur sa perception changeante du paysage pyrénéen perceptible depuis les lieux où sa famille partait en vacances puis des randonnées et ascensions qu’il faisait avec ses frères.), par les descriptions littéraires de paysages réels ou imaginaires, et la comparaison que vont en faire les lecteurices avec le paysage réel du lieu mentionné ou avec leurs propres références paysagères.

L’auteur s’attarde sur les différents moyens de déplacement et sur comment la vitesse modifie la perception des paysages, que ce soit les lignes directrices dégagés ou juste la capacité à percevoir des détails.

J’ai beaucoup aimé toute la première partie qui parle plus spécifiquement de son expérience de la montagne et de ses paysages, avec la mention des montagnes comme des tiers-lieux qui ne sont pas assignés à une fonction et dépaysent par rapport au cadre quotidien, à la fois par cette non-fonctionnalité et par les points de vues que permettent les sommets, sans comparaison dans d’autres cadres géographiques

Le pays qu’habitait Albert Einstein, d’Étienne Klein

Biographie partielle d’Albert Einstein, qui s’attache à sa vie en Europe, avant son émigration aux USA. Klein entremêle la vie d’Einstein, ses découvertes scientifiques, et le voyage qu’il fait lui en tant que narrateur une centaine d’années plus tard sur les lieux de la vie d’Einstein. Ça m’a laissé assez froid. Déjà c’est très clairement une hagiographie, avec aucun recul critique sur son sujet (mention spéciale au passage « hihi il appelle sa seconde femme – qui est sa cousine – et ses deux filles d’un précédent mariage ‘mon petit harem’ « . Wat.) De plus Klein fait de grandes digressions poético-géographiques et trippe sur des anagrammes en mode « je découvre des sens cachés », ce qui personnellement m’agace énormément.

Bref, sans intérêt

This is how you lose the time war, d’Amal El-Mohtar and Max Gladstone

Court roman de science-fiction épistolaire. Deux factions, le Jardin et l’Agence (représentant la Nature et la Technique) s’affrontent à travers le temps, l’espace et de multiples dimensions. Bleue et Rouge sont deux agentes de terrain d’élite, appartenant chacune à une faction. Sur les champs de bataille, elle commencent à échanger des lettres pour se narguer l’une l’autre, mais cette correspondance va rapidement déclencher des sentiments chez les deux agentes.

Les lettres sont bien écrites et certains environnements dans lesquels les deux protagonistes évoluent sont originaux, mais le bouquin reste assez anecdotique, c’est pas mal une relecture de Roméo et Juliette avec des décors plus grandioses que Vérone. Le titre du bouquin est super par contre.