Tous les articles par Machin

L’Homme gribouillé de Frederik Peeters et Serge Lehman

Bande dessinée parue en 2018. Betty Couvreur est une quarantenaire qui travaille pour la maison d’édition qui publie sa mère. Lorsque celle-ci fait un AVC alors qu’un mystérieux inconnu se présente à son domicile et terrorise sa petite-fille (la fille de Betty, donc), ces deux dernières (Betty et sa fille, qu’est-ce que vous trouvez de compliqué à suivre là-dedans ?) se mettent à enquêter sur le passé de leur mère et grand-mère respective. Rapidement leur enquête prend un tour fantastique, entre réseau de la Résistance, groupe de psychogéographie occulte, golem sous légende et village détruit par un tremblement de terre…

J’ai bien aimé, on est dans les thèmes ultraclassiques de Peeters et Lehman, qui tombent pile dans mes marottes. Le dessin en noir et blanc est beau, vu l’histoire un peu style polar je me serai attendu à quelque chose de plus sec et anguleux mais ça marche très bien comme ça.

Randonnée au lac de Beuil

Randonnée au lac de Beuil dans les Alpes-Maritimes, effectuée peu après le nouvel an. Il y avait assez peu de neige, malgré la période et l’altitude du lac (1607m). Le lac était largement gelé, des gens marchaient dessus. Ce fut une première semaine de l’année fort reposante et agréable, première fois que je passais le réveillon dans les montagnes.

Les Launes, Beuil
Les Launes, Beuil
Herbe et neige
Trace dans la neige
Sommets
Ciel et sapins

Grand Paris, de Martin Jauvat

Film français de 2023. Lesly et Renard, deux amis habitant à Romainville, partent à Saint-Rémy les Chevreuses récupérer un paquet contre un billet. Ils trouvent une pierre gravée avec des symboles étranges sur un chantier du Grand Paris. Ils vont tenter de la revendre et de comprendre ce qu’elle est dans une errance qui les fait tourner autour de Paris, de noctilien en RER en soirée dans un pavillon en exploration de carrières. Le centre de Paris n’est visible que dans le lointain, les deux amis explorent les recoins paumés de l’Île de France et leurs curiosités architecturales (la pyramide de Choisy le roi, divers chantiers, la tour de Romainville…) Ils fument des pétards à la chaîne, discutent beaucoup, rencontrent des gens randoms, se soutiennent et s’embrouillent.

J’ai bien aimé. C’est assez court (1h11), ce qui est un bon format de film, les plans sur les gares, les trains, les pavillons et tout le périurbain sont assez réussis. Il y a une petite vibe Philippe Vasset ou Serge Lehman dans ce côté « les mystères du suburbain », qui me parle tout à fait. Bonne surprise, je recommande.

For All Mankind, de Ronald D. Moore et Ben Nedivi

Série télé uchronique. En 1969, l’URSS réussit le premier alunissage de l’Humanité, avant de surenchérir avec l’alunissage d’*une* cosmonaute. En réaction et sous pression de la Présidence, la NASA accélère fortement son programme spatial, décide de l’ouvrir aux astronautes femmes, et lance la construction d’une base permanente sur la Lune.

Saison 1 :

J’ai beaucoup aimé. On commence avec des astronautes (et leur entourage) qui sont des stéréotypes en carton-pâte, et la série les déconstruit progressivement pour en faire de vraies personnes avec des vies compliquées. Il y a une palanquée de problèmes techniques dans l’espace qui tiennent les spectateurices en haleine, et ce d’autant plus qu’en bonne série post-GoT, les scénaristes n’hésitent pas à tuer des personnages principaux (en terme de tension qui te tient rivé à ton siège, mention spéciale à l’épisode 9).

C’est fortement dans la même veine que The Calculating Stars, même si l’uchronie et la période temporelle sont un peu différentes, et c’est très cool de voir ce genre d’histoire sous la forme d’une série avec un bon budget pour les décors.

Saison 2 : (spoilers below)

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Et vous passerez comme des vents fous, de Clara Arnaud

Roman français de 2023. Le roman raconte une saison d’estive dans les Pyrénées ariégeoises. On suit le point de vue de Gaspard, berger pour un groupement pastoral qui s’occupe de 800 bêtes et tente d’oublier la tragédie de sa dernière estive, et Alma, une éthologue qui étudie le comportement d’une ours qui va bientôt être désignée comme « ours à problème » à cause de ses attaques répétées sur les troupeaux.

J’ai bien aimé. Au début j’avais l’impression de lire un truc que j’avais déjà lu dix fois, entre du Morizots et Entre Fauves, mais finalement le roman (enfin son autrice, I guess) a une voix propre. Les personnages sont plus subtils que dans Entre Fauves, notamment. La relation des personnages à la montagne est bien décrite, je m’y retrouve en tous cas.

Je recommande.

Goldeneye, de Martin Campbell

Film de la franchise James Bond, paru en 1995. Pierce Brosnan incarné 007, qui est à la poursuite de mafieux russes qui ont dérobé une arme spatiale de l’ancienne URSS. Ce faisant, il va croiser une assassin et une programmeuse russe, ainsi que d’anciens collègues de la CIA et du MI-6.

C’était rigolo à regarder, mais c’est assez guignolesque. Des courses poursuite en tank, une base sous-marine, une montre qui permet de faire du rappel, tous les tropes sont là. Les personnages féminins sont d’une indigence rare (sauf M jouée par Judy Dench), entre les love interests vapides et l’assassin qui a des orgasmes quand elle tue des gens… La relation entre Bond et Alec est plus intéressante, avec le regard sur le passé peu glorieux du Royaume-Uni qu’elle permet.

J’avais oublié que les James Bond de cette époque se prenaient aussi peu au sérieux, en fait Archer c’est très peu parodique vu le niveau qu’on atteint déjà là.

Dream Scenario, de Kristoffer Borgli

Film états-unien paru en 2024. Nicholas Cage interprète un professeur d’université qui se met a apparaître dans les rêves de milliers de personnes sur la planète, sans avoir aucune maîtrise sur le phénomène. Il devient d’abord une célébrité, puis quand les apparitions dans les rêves deviennent violentes, il devient haï.

Le pitch de depart était intéressant mais ils n’en font pas grand chose. Quelques poncifs sur la célébrité et ce que ça amène (surtout ce que ça amène aux mecs blancs moyens bombardés sur le devant de la scène d’un seul coup), un passage un peu drôle où l’extrême droite US essaye de le coopter en disant qu’il a été victime de la cancel culture tout comme eux, mais c’est tout.

Replay de Ken Grimwood

Roman fantastique américain paru en 1986.
Jeffrey Winston, journaliste appartenant à la classe moyenne américaine, meurt d’une crise cardiaque à 43 ans, en 1988. Il se réveille en 1963, avec tous les souvenirs de sa vie. Profitant de sa connaissance des événements sportifs et des évolutions du marché, il bâtit un empire financier, change totalement les gens avec qui il vit, et fait surveiller extensivement son cœur à l’approche des 43 ans, sans éviter pour autant la crise cardiaque… et se réveiller en 1963.

J’ai bien aimé. C’est assez original pour une histoire de boucle temporelle au vu de la durée de la boucle qui s’étale sur 25 ans au lieu de une ou quelques journées habituellement. Après c’est assez marqué dans son époque ; notamment c’est assez orienté sur la sexualité (notamment avec le fait qu’il y ait la libération sexuelle au milieu et que donc les premières années de replay se fassent dans un environnement assez corseté même pour des personnages qui sont dans leurs années d’université) et – assez logiquement – il n’y a rien sur le changement climatique, quand le personnage tente dans un de ses replays d’améliorer le cours de l’histoire, il tente d’empêcher l’assassinat de Kennedy en pensant que ça améliorera automatiquement tout ce qui vient après. Je suis un peu sceptique sur la capacité de mémorisation des personnages sur une Histoire (et leur histoire personnelle) qui s’étend sur 25 ans par contre (surtout qu’à la fin ils ont vécu plus d’une centaine d’années de replay, avec des variations autour de motifs). La mécanique de la boucle qui commence de plus en plus tard à chaque fois, figeant les personnages dans les choix qu’ils avaient fait dans leur première vie est intéressante et permet d’explorer le rapport des personnages aux différentes personnes qu’ils ont connu dans leur vie.

Je recommande si vous aimez les boucles temporelles.

Gremlins, de Joe Dante

Film fantastique américain sorti en 1984. Durant les fêtes de Noël, un père de famille ramène à son fils un animal de compagnie acheté dans une mystérieuse boutique chinoise : un mogwai.
Cette créature intelligente et mignonne est accompagnée de trois règles pour en prendre soin : ne pas l’exposer à la lumière, ne pas l’exposer à l’eau, ne pas lui donner de nourriture après minuit. Évidemment ces trois règles sont transgressées, et le mogwai donne naissance à une pléthore de gremlins, son alter ego maléfique, qui vont dévaster la petite ville de Kingston Falls, jusqu’à ce que les héros réussissent à s’en débarrasser avec l’aide de Gizmo, le mogwai originel.
C’était assez sympa, ça respecte bien la forme du conte de Noël avec des personnages (les humains comme les gremlins) over the top, la dévastation causée par les gremlins est cool à regarder (les gremlins ont d’ailleurs une compréhension assez instantanée de comment fonctionnent la société et les machines humaines – renforçant leur statut de créatures magiques)

C’était cool comme film de Noël, et il en existe une bien meilleure critique dans Chroma.

Politiser le bien-être, de Camille Teste

Essai paru en 2023, sur les pratiques et le secteur marchand du bien-être, leur compatibilité actuelle avec le néolibéralisme et des pistes pour en faire quelque chose de plus progressiste.

Déconstruire le bien-être
Le bien-être représente un marché lucratif : différentes sous-parties avec à la fois les soins du corps, le sport, les régimes, la santé mentale (notamment via des applis). Un marché tout à fait exploitable. En plus mettre l’accent sur le bien être comme une responsabilité individuelle est totalement un discours néolibéral : ce n’est pas un problème collectif qui appelle une réponse collective mais un problème individuel qui reflète la valeur morale de l’individu (aller mal c’est être mauvais : une bonne personne aurait pris son destin en main et résolu ses pbs, puisque ce sont des problèmes individuels) et sur lequel on doit apporter des réponses personnelles. On peut donc vendre aux gens une solution à leurs problèmes internes et éviter d’adresser les questions collectives d’organisation du travail et de la société. Et comme on n’adresse pas le problème sous-jacent, on le résoudra jamais donc on pourra continuer à vendre des solutions avec un objectif inatteignable ! (Bémol : certains problèmes sont effectivement résolubles à l’échelle individuelle. Tout n’est pas à jeter dans l’idée du bien-être et du self care).

Le secteur du bien-être va donc diffuser une idéologie néolibérale de responsabilité individuelle parce que c’est dans son intérêt marchand. Et la diffuser d’autant plus facilement que c’est un espace qui se prétend apolitisé et un safe space où on peut baisser la garde vs un monde hostile, donc un endroit où on sera + perméable à une idéologie cachée.

En plus du néolibéralisme, le secteur du bien-être va aussi promouvoir des idéologies conspi et fachos, avec la porte d’entrée du New Age et de sa spiritualité un peu attrape-tout : on arrive rapidement sur du conspirationnisme par rapport au covid, une défiance de l’État, et des promotions du jeune pour soigner le cancer (le new New Age est malheureusement de plus totalement soluble dans le néolibéralisme : on vous vend des cristaux et des retraites et un positionnement anti-système sans aucun problème de dissonance cognitive).

Réhabiliter le bien-être
A gauche, méfiance globale sur le bien-être (cf XR qui se fait démonter pour ses ateliers yogas) : le côté « spiritualité » est rapidement entendu comme poudre aux yeux et opium du peuple (envoyons un sortilège sur Trump ou prions la Pachamama plutôt que d’aller réellement faire une action de blocage, ce qui pour le coup est un reproche un peu fumeux à faire à XR (ce que souligne l’autrice) : ils combinent côté cringe sur l’anthroposophie et actions réelles). Cette méfiance est alimentée par une vision sacrificielle de l’engagement militant : il y a tellement de problèmes en ce monde qu’on n’a pas de temps à perdre en self-care – excellente recette pour le burn-out militant. Besoin de dépasser la « vision productiviste du militantisme », qui est directement une importation du système que l’on veut combattre. Est-ce qu’on ne peut combattre le feu que par le feu ?

Un bien-être à visée révolutionnaire doit remplir deux conditions :
1/ Contribuer à l’émancipation des individus.
Donc ne pas imposer d’injonction (à la minceur, à l’amélioration de soi…), être inclusif (notamment au niveau des corps accueillis (racisés, âgés, gros, …), sortir de la logique de la binarité de genre (avec notamment toutes les références au féminin sacré qui serait le pôle de la douceur quand le masculin serait le pôle de la puissance…), ne pas créer de logique de dépendance ou de soumission (gourous).
2/ Faciliter les luttes.
Donc ne pas faire appel à la pensée magique ou aux explications métaphysique des malheurs du monde ; ne pas se reposer sur de l’appropriation culturelle sans réflexion sur les (et rétribution aux) cultures d’où proviennent les pratiques mises en œuvre ; ne pas servir de béquille à la croissance mais au contraire aider les gens à « se désadapter du système : encourager la lenteur, la paresse, le repos plutôt que la productivité et l’hyperactivité.

Je recommande, ça se lit bien, c’est très sourcé, et c’est un sujet intéressant. Vous pouvez aussi trouver une recension (en anglais) du livre sur le blog d’a3nm.