Pour en finir avec la démocratie participative, de Manon Loisel et Nicolas Rio

Essai de science politique paru en 2024. Les deux auteurices sont consultant·es en coopération territoriale. Ils reviennent dans cet essai sur leurs expériences de mise en place de consultations citoyennes pour des collectivités et sur les limites de ces dispositifs.

La mise en place de dispositifs de participation citoyenne en France est conçue comme une réponse à la crise démocratique (centralisation des décisions, absence de débat contradictoire, manque de représentativité des élu.es, poids des lobbys) du pays, alimentant l’incapacité des institutions à prendre en compte la diversité des besoins et faire accepter les mesures retenues, et la défiance des citoyen·nes. Pourtant ce déploiement a plutôt aggravé les problèmes que contribué à les résoudre.

La gueule de bois du renouveau démocratique

Deux lois (Barnier, 95 et Vaillant, 2002) ont obligé à mettre en place de la participation citoyenne dans certains types de projet. C’est vraiment devenu quelque chose de totalement institutionnel, alors que c’était à la base dans les 60’s un dispositif plus issu des contre-pouvoirs (grassroot organizing). La participation citoyenne cadrée par l’institution (même si elle est de bonne volonté) sert alors à canaliser la mobilisation citoyenne (en posant les modalités du débat, les thèmes abordés, le financement du dispositif, …) les tables de quartier (Québec) ou le community organizing (US) sont bcp plus indépendants des municipalités, structurés par des assos et fondations indépendantes.
La participation citoyenne devient une fin en soi : les institutions communiquent sur le fait d’avoir mis en place un dispositif la permettant. Devient un marqueur en soi, un créneau politique ou professionnel, alors que l’accent devrait être mis sur les conséquences de la consultation, car une PC ne produisant pas d’effets accentue la défiance envers les institutions des citoyen·nes qui ont perdu du temps en s’y impliquant. Lassitude aussi du côté des organisateurices qui la perçoivent comme un jeu de dupes sans effets réels mais consommant du temps et des ressources que la collectivité pourrait mieux employer.
Enfin, la participation citoyenne effectue un contournement des corps intermédiaires et des contre-pouvoirs : mise en place par l’exécutif, elle en tire sa légitimité et ne s’adresse qu’à lui, qui fait ce qu’il veut des résultats. Ce n’est donc pas un contre-pouvoir mais une légitimation de l’exécutif. Dans ce sens elle présente le même problème de désintermédiation que les référendums.

La participation contre l’égalité démocratique

La participation citoyenne donne une voix à celleux qui ont le temps de venir participer : c’est une présentocratie, qui le plus souvent redouble la voix des mêmes catégories qui se sont déjà exprimées par le suffrage : retraités, militant.es, personnes sociologiquement proches de celles qui font fonctionner les institutions, personnes qui ont de la facilité à prendre la parole en public… Pourtant, cette parole très située va être présentée comme la parole citoyenne.

Au contraire, la participation citoyenne devrait rendre audible celleux qui ne s’expriment pas autrement, pour contrebalancer les biais de représentation du suffrage « universel ». Pour cela, besoin de demander du silence à celleux qui s’expriment habituellement et de construire un cadre qui facilite la prise de parole, temps d’échanges entre pair·es pour conforter son expérience et restitution globale. Le but est de permettre la construction d’une expertise alternative dont l’institution s’enrichira, pas que l’institution impose son pt de vue à des acteurices en situation dominée.

De l’expression des citoyens à la capacité d’écoute des institutions

Au delà de la prise de parole, enjeu surtout de l’écoute, ie de la prise en compte des éléments par les institutions. Cette non-écoute peut être une façon de masquer le manque de moyens pour prendre en compte les retours de toute façon, mais c’est un pb supplémentaire à adresser, pas une excuse acceptable.
Piste d’écoute par les institutions qui fonctionne : la/le Défenseur.e des Droits, qui propose une écoute individuelle (prise en compte des vécus subjectifs et réponse individuelle aux pbs ) et une consolidation des témoignages en rapports pointant les pbs systémiques. Autre piste possible : auditions de témoins dans le cadre judiciaire. Laisse une personne s’exprimer pleinement. Ne prétend pas que son témoignage est une vérité absolue, mais une version des faits à prendre en compte pour bien appréhender une situation avant de prendre une décision.
Importance de réintégrer l’administration comme acteur dans le dialogue élu.es/citoyen.nes, pour ne pas prétendre que les élu.es ont toutes les cartes en main alors que les agents avec leur expertise technique et leur rôle de mise en œuvre, ont un vrai poids dans la déclinaison des décisions. Permet de plus de poser plus clairement que l’admin apporte une expertise technique, importante pour les décisions, mais qui est un point de vue situé, qui peut être challengée par des contre-expertises. De façon plus générale, plutôt que de multiplier les dispositifs de PC inféodés au pouvoir, mieux vaudrait accorder une plus large place dans la vie démocratique aux contre-pouvoirs : associations, médias (à condition d’être pluralistes et indépendant, rarement vérifié au niveau local) …

Démocratiser l’action publique face à l’urgence écologique

Besoin de vraies délibérations dans la vie des collectivités, pas le théâtre déjà joué que sont actuellement les conseils. Pour cela, la délibération ne devrait pas précéder un vote qui ne fait qu’acter des démarcations déjà figées, mais arriver plus en amont pour déplier les composantes d’un sujet, en cerner les conséquences pour les citoyen·nes et préciser la commande passée à l’administration pour qu’elle intègre plus de facettes. Les sujets à délibérer pourraient être proposés par la majo, l’opposition, l’administration elle-même, ce qui permettrait de mieux politiser les questions, un rôle plus intéressant à donner aux élu·es que celui de « super chef·fe de projet » enchaînant les copils pour contrôler l’action de l’administration.

Une institution publique seule dans son coin n’est pas le seul acteur influençant la prise et la mise en place d’une décision. Les autres acteurs publics ou privés impliqués peuvent en mitiger fortement la portée, une phase de négociation est toujours un préalable à la mise en place d’une décision. Si les corps intermédiaires, affaiblis (par la participation citoyenne qui grignote leur légitimité notamment) prennent moins part à cette négociation, ce n’est pas le cas des lobbys, défendant des intérêts sans être soumis à aucun impératif de représentativité. Les différents groupes qui composent la société n’ont pas des intérêts alignés : partant de là, la démocratie ne vise pas le consensus, mais une négociation pour arriver à une position alignée avec l’intérêt général et acceptable par le plus grand nombre. Pour cela, il n’est pas besoin de grands raouts de concertation sans lendemain mais d’avoir des négociations régulières avec des engagements opposables. Notamment sur les questions climatiques et de raréfaction des ressources, la négociation des contraintes est la seule alternative à la contrainte unilatérale (à géométrie variable et via les arrêtés préfectoraux). Les exécutifs locaux ont un rôle de mise en place de ces négociations. Doivent être perçus comme légitimes, donc impartiaux, et pouvoir asseoir tout le monde autour de la table : à la fois aller chercher ceux qui ne participent habituellement pas et refuser les négociations en coulisse avec ceux qui ont trop l’habitude de l’accès direct aux institutions. Ce rôle de cadrage des négociations implique une mise en retrait qui pourrait être vue comme dépolitisante pour les élu·es, mais le choix des sujets débattus et du cadrage est en soi un rôle très politique, et iels gardent la main sur la décision finale, une fois toutes les parties entendues.

Conclusion : avoir la charge de nous représenter

La participation citoyenne innove sur les marges de la démocratie sans rien changer à son fonctionnement. L’important n’est pas d’implémenter plus de participation mais de rapprocher citoyen·nes et élu·es, pour que les représentant·es soient… représentati[ve|f]s. Les auteurices proposent à cette fin de mettre en place un tirage au sort pour représenter les abstentionnistes dans les assemblées, à proportion de la quantité d’abstention et corrigeant le défaut de représentativité de l’assemblée en question (en reprenant les critères sociologiques de la Convention Citoyenne pour le Climat : genre, âge, CSP niveau de diplôme, lieu d’habitation).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.