La dernière nuit du monde, de Laurent Gaudé et Fabrice Murgia

Pièce de théâtre vue à la Scène Nationale d’Albi. Le futur proche. Une société pharmaceutique a produit une pilule permettant de ne dormir que 45 minutes par nuit (les auteurs se sont inspirés de l’essai 24/7: le capitalisme à l’assaut du sommeil de Jonathan Crary). On suit Gabor, un communiquant travaillant pour une des lobbyistes travaillant à l’adoption de cette pilule par différents pays du monde. Gabor est totalement absorbé par son travail, et refuse de voir que Lou, sa femme est contre le concept. Le jour du lancement de la pilule dans 51 pays, surnommé « la dernière nuit du monde », Gabor est à l’autre bout de la planète alors que l’état de sa femme hospitalisée suite à un accident se dégrade. Dans le monde d’après, Gabor tente de retrouver la trace de Lou, qui a disparu lors de son séjour à l’hôpital.

Le sujet est intéressant, mais le traitement présente les soucis habituels des sujets de science-fiction écrite par des auteurs qui n’ont pas l’habitude d’en écrire : on nous décrit plus le basculement que sur les conséquences, on se concentre trop sur l’histoire du personnage principal par rapport à la société, même alors que cette histoire laisse au second plan le cadre d’anticipation. Par ailleurs, j’ai trouvé le personnage de Gabor, qui est celui par le point de vue duquel on a toute l’histoire assez antipathique : il est très autocentrée, même la disparition et possible mort de sa femme est le prétexte à mettre en scène sa douleur à lui. Avoir le point de vue de Lou me semblerait bien plus intéressant (on voit bien que les auteurs dénoncent le projet de nuit fragmentée soutenue par Gabor, mais ça reste un peu pataud).

La forme théâtrale n’était pas forcément la meilleure pour mettre en scène ce récit, mais il y avait quand même des éléments intéressants : l’isolement des personnages montré par leur position au sein de deux cadres au sol, leurs échanges qui ne se faisaient que par l’intermédiaire d’un écran ou le visage de la comédienne qui jouait Lou était projeté (c’était une façon de montrer l’isolement, mais en même temps j’ai trouvé que ça donnait une pièce très statique, qui n’habitait pas du tout l’espace de la scène ; c’est dommage de voir un spectacle vivant « figé », en quelque sorte). Les passages chantés et la façon dont l’écran permettait de démultiplier les perspectives sur Lou étaient intéressant par contre ; les images supplémentaires sur l’écran, que ce soit les autres personnages (la lobbyiste principalement) ou du contexte sous la forme de journaux télé, images d’archives ou autre donnaient une dimension supplémentaire qu’il aurait été difficile de mettre en scène avec des acteurs en chair et en os).

Bilan mitigé donc. Thème intéressant mais insuffisamment approfondi, point de vue trop centré sur un personnage de mec médiocre alors que le point de vue de sa femme aurait davantage valu le coup, mise en scène innovante mais trop statique à mon goût. C’était pas activement mauvais, mais ça a du potentiel clairement non-réalisé, ce qui est toujours assez frustrant à voir.

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