Mootorsaed Laulsid (Chainsaws were singing), de Sander Maran

Film estonien de 2024 (tournage en 2013, 10 ans de post-prod/abandon sur une étagère). Sur une route de campagne, Maria est poursuivie par « a fuckface with a chainsaw », prénommé Killer et rejeton d’une famille de cannibales. Capturée par ce dernier, elle est ramenée dans le garde-manger familial. Son amoureux, Tom, se lance à sa rescousse, accompagné de Jaan, un mec random qu’il a rencontré en chemin. De temps à autre les personnage se mettent à chanter, parce qu’on est dans un slasher mais aussi dans une comédie musicale.

C’est manifestement fait avec de tout petits moyens, et une bonne dose d’humour absurde. Jaan a des vêtements différents à chaque scène, toutes les voitures que les protagonistes laissent derrière eux explosent, les flics sont teubés, il y a une hérisson lesbienne qui rappelle le lapin de Sacré Graal, l’hémoglobine coule à foison. Bon par contre c’est pas toujours très subtil ni très bien joué (sauf la mère de la famille de tueurs, l’actrice habite bien le rôle).

Curiosité intéressante à voir.

Flamenco Queer, de Fernando López Rodríguez

Essai sur la danse paru en 2024. L’auteur analyse les évolutions du flamenco par rapport aux questions de genre avec une perspective historique. Il explique que ces questions ont toujours traversé le flamenco depuis sa création en tant que danse structurée, avec l’affirmation d’une identité espagnole par rapport aux invasions napoléoniennes, identité qui se place en réaction par rapport aux Lumières et à leur relation au couple raison/émotions : puisque l’envahisseur se réclame de la raison, l’identité espagnole va affirmer la prééminence des émotions mais puisque c’est prééminent c’est masculin, donc l’émotivité masculine dans la danse va être d’abord valorisé. Puis les choses vont se complexifier avec un couple chant/danse qui va recouvrir un couple homme/femme : on repasse sur un homme stoïque qui joue de la musique, création de l’esprit, pendant que la femme est montrée comme un corps dansant et désirable. Mais depuis les origines ces assignations de genre vont être contestés avec des hommes qui vont danser mais dans ce cas-là ne doivent pas être perçus comme trop désirables – on va valoriser chez eux la technique plutôt que l’apparence – et des femmes qui peuvent chanter ou jouer de la guitare. Les différents contextes de création et de mise en œuvre du flamenco vont valoriser soit des danses de couple soit des danses seules, et vont permettre des danses de couples entre deux hommes ou deux femmes. Les tenues genrée vont pouvoir être détournées et des artistes trans ou travestis vont s’exprimer à travers le flamenco, puisque les questions de mise en scène du genre y sont particulièrement présentes. De plus, le flamenco en tant qu’emblème de l’identité nationale espagnole a été particulièrement impacté par la période de la dictature franquiste, soit que le pouvoir se le soit réapproprié pour consolider ses prétentions à la dichotomie de genre, soit qu’il est été revendiqué par les opposants – intérieurs ou en exil – pour au contraire affirmer une identité espagnole subversive.

Globalement essai très intéressant, sur un sujet quand même assez niche, mais je recommande si vous vous intéressez aux flamenco et/ou aux questions de genre.

Le Royaume, de Julien Colonna

Film français de 2024. Dans les années 90, Lesia est une adolescente corse qui profite de son été dans le village de sa tante, jusqu’à ce qu’un messager vienne la chercher pour l’amener auprès de son père : celui-ci vit en cavale, en tant que figure du banditisme corse. Lesia décide de rester avec lui alors qu’une guerre des gangs en standby depuis un certain temps se remet à faire des morts.

j’ai bien aimé. Le film met longtemps à démarrer, mais on se prend à la relation entre Lesia et son père, avec notamment une scène assez forte où il parle durant un seul long plan de ce qu’a été sa vie depuis la mort de son père et la vendetta qu’il a exercé jusqu’à la naissance de sa fille. Globalement, le film parle du cycle de la violence et de comment le briser ou non. On voit au passage des jolis paysages corses, et la vie des bandits en cavale avec fusillade le matin et baignade dans des jolies petites criques l’après-midi. On voit aussi la bascule de Livia qui au début veut retrouver la vie avec sa tante et les flirts avec son petit ami au village, puis finit par au contraire vouloir rester tout le temps avec son père, et s’implique dans les activités criminelles : ça lui donne le sentiment de faire partie des grands et de fait ce mode de vie qui ressemble à des vacances à l’air assez attractif à hauteur d’enfant.

Recommandé.

The Cartographers, de Shepherd Peng

Roman étatsunien de 2022. À la mort de son père, cartographe de profession, Nell découvre dans ses affaires une carte routière, celle qui a été à l’origine de leur dispute 7 ans plus tôt, suite à laquelle ils ont coupé les ponts. Son père avait affirmé alors que la carte n’avait aucune valeur. Si c’est le cas, pourquoi n’a-t-il gardé tout ce temps et pourquoi une mystérieuse organisation semble prêt à tout pour mettre la main dessus ? Pour comprendre les secrets de la carte, Neil va plonger dans le passé de ses parents et notamment dans l’été qui a mené à la mort de sa mère dans un incendie.

Booooouh. C’est un livre extrêmement frustrant, parce qu’il part de prémices cools, et il fait n’importe quoi avec. Spoilers, mais le livre tourne autour du concept de relation entre la carte et le territoire, en supposant qu’avec les bonnes cartes on peut accéder aux rues-pièges, voire aux ville-pièges inventées par les cartographes pour protéger leur propriété intellectuelle.

Sauf que. Premièrement ce concept est très mal exploité, puisque les conditions permettant d’accéder aux endroits cachés ne sont absolument pas claires – à un moment un schéma griffonné au dos d’une carte de visite permet d’accéder à un de ces endroits, alors que l’enjeu principal du roman est qu’une unique carte permet d’accéder à une ville spécifique et que donc tout le monde la cherche : pourquoi refaire un schéma ne suffirait pas ? Et de plus c’est clairement une ville-piège parmi beaucoup d’autres, pourquoi celle-ci revêt un tel enjeu n’est jamais explicité.

Deuxièmement, les motivations des personnages ne font aucun sens : le père de Mel a coupé tout lien avec elle et utilisé son influence pour l’empêcher de jamais travailler dans le monde de la recherche pour la « protéger », mais en ne lui donnant aucune information sur la nature de la menace (ni même le fait qu’il y avait une menace), pendant 7 ans (!!). Nell et son ex ont mutuellement des sentiments l’un pour l’autre mais se sont séparés il y a 7 ans, n’ont jamais reparlé ni ne sont jamais passés à autre chose. Les ami.es des parents de Nell attendent dans les coulisses depuis visiblement 25 ans que l’histoire se remette à avancer, ils sont tous très inquiets pour Nell et son père mais n’ont agi en rien contre la menace dont ils connaissent la nature, ils se contentent d’être inquiets (et ne me lancez pas sur le subplot « adultère » dans les flashbacks, où on a l’impression que l’autrice n’a jamais interagi avec des humain.es avant de l’écrire). La logique du grand méchant ne fait pas plus de sens : il tente de récupérer chaque copie de la carte qui permet d’accéder à la ville-piège – avec visiblement accès à une quantité infinie d’argent même quand il est tout juste sorti d’études – puis finit par les détruire parce que c’est plus simple de contrôler une carte que mille, avant de réaliser qu’il les a littéralement toutes détruites et de recommencer à chercher une dernière copie de la carte qui existerait potentiellement. L’héroïne semble n’avoir en tout et pour tout que trois personnes dans sa vie : son père, son ex, et son boss. Aucun.e ami.e sur le/laquel.le s’appuyer, personne en dehors du monde de la cartographie.

Je ne m’attarderai pas sur les révélations qu’on voit absolument toutes venir, mais quand même un mot sur le dernier point agaçant : tout le roman se passe dans le monde de la cartographie et son versant en recherche académique, et clairement l’autrice n’y connaît rien : le père de l’héroïne a une position qui lui permet d’avoir une influence sur absolument tout le domaine de recherche et d’en bannir des gens, les 7 amis d’enfance ont un projet de post-doc qui est censé révolutionner le monde de la cartographie et qui consiste à dessiner la carte de New York avec les conventions de celle de Narnia (????), la mère de l’héroïne réapparaît après 25 ans d’absence alors qu’elle avait disparu juste après sa thèse et on lui file un poste de directrice d’un labo de recherche à la New York Public Library.

Enfin, le style est particulièrement plat, mais pour être honnête, ça je m’en accommode dans beaucoup de romans de fantasy ou de science-fiction.

Contre-recommandé.

My Winnipeg, de Guy Maddin

Film canadien de 2007. Sous la forme d’un documenteur filmé principalement dans un noir et blanc saturé qui évoque les premiers films (cartons de texte compris), Guy Maddin présente la ville de Winnipeg comme une cité à moitié onirique, où les somnambules gardent les clefs de leurs anciens domiciles pour pouvoir y rentrer et où des chevaux gelés dans le fleuve sont devenus une attraction romantique. Il met aussi en scène un reenactement des moments-clefs de son enfance comme le repositionnement du tapis de l’entrée ou la fois où sa sœur a eu un accident de voiture avec un cerf, dans le but d’y trouver les clefs de sa relation à son alma mater, Snowy sleepy Winnipeg. À mi-chemin entre Les Cités Invisibles, The Rehearsal et Dark City, c’est assez inclassable mais très trippant à regarder

Recommandé, surtout si vous aimez l’absurde.

Miss Juneteenth, de Channing Godfrey Peoples

Film étatsunien de 2020. Ancienne miss Juneteenth, Turquoise travaille dans un restaurant de sa petite ville texane. Elle inscrit sa fille Kai au même concours de beauté, voulant qu’elle gagne pour obtenir le paiement de ses frais d’université, elle qu’elle ait une meilleure vie qu’elle. Mais Kai n’est pas particulièrement intéressée, elle préférerait faire de la danse. Turquoise se démène pour rassembler l’argent pour les frais d’inscription, la robe, la caution pour faire sortir de prison son compagnon, mais c’est une course d’obstacles contre la montre…

C’est très sundance dans la vibe et c’est intéressant de voir un film sur une communauté noire et dans une petite ville, c’est pas ce qu’on voit le plus dans le cinéma US, mais pour autant je n’ai pas été bouleversé par l’histoire, relativement prévisible dans ses tenants et aboutissants. Le décalage entre les enseignements du beauty pageant (quelle fourchette utiliser pour le poisson) et la réalité de la vie dans la communauté de nos jours est rigolo – et probablement vrai – mais c’est étrange qu’un concours qui par ailleurs se réclame du devoir mémoriel autour de Juneteenth (le jour où les esclaves texans ont appris l’abolition de l’esclavage, 2 années après l’abolition sur le papier aux US) soit autant en décalage sur des trucs sociétaux par ailleurs.

Après le monde, d’Antoinette Rychner

Roman suisse (et non suisse-romand, huhuhu) paru en 2020. Suite à une faillite massive des institutions financières mondiales en 2022, la civilisation mondialisée et capitaliste s’est effondrée. Des années de famine et de montée des nationalismes se sont ensuivies, mais l’histoire se passe encore quelques années après quand ceux-ci se sont effondrés à leur tour, laissant la place à des communautés autonomes à petite échelle. On suit le voyage d’un groupe de personnes revenants en Suisse après plusieurs années passées en Transylvanie. On a en parallèle le récit des années de l’effondrement par la voix de deux conteuses appartenant au groupe et qui rédigent une épopée historique.

Un post-apo plutôt apaisé qui met en regard avec lucidité ce qui sera perdu dans l’effondrement et ce qu’on y gagnera (plus de publicité incessante ni d’aliénation au travail, mais plus de médecine moderne ni de déplacements rapides). La narration à travers 26 voix permet de varier les points de vue sur le voyage du groupe et l’importance que prend l’épopée dans la culture de cette nouvelle société et sa diffusion.

Eight Perfect Murders, de Peter Swanson

Polar étatsunien publié en 2020. Un libraire spécialisé en roman policiers est contacté par une agente du FBI : elle pense avoir découvert le modus operandi d’un tueur qui répliquerait les « crimes parfaits » présents dans des romans policiers, spécifiquement dans ceux présents sur une liste compilée par ce libraire. Les deux vont collaborer pour essayer de confirmer si certaines morts classées comme accidentelles ne seraient pas des « crimes parfaits » qui auraient leur place sur la liste – et qui peut être le tueur, qui semble connaître le libraire…

C’était un polar efficace. Le dispositif de la mise en relation de crimes littéraires avec des crimes réels (enfin réels dans la diégèse du livre, ça reste des crimes littéraires) fonctionne, et Malcolm Kershaw fait un bon narrateur, dont on se rend rapidement compte qu’il n’est pas tout à fait fiable et a aussi des choses à cacher.

Wicked, de Jon M. Chu

Part 1

Film étatsunien de 2024, adaptation de la comédie musicale éponyme, elle même adaptation du livre de Gregory Maguire. Je suis un grand fan de la comédie musicale, donc j’étais à la fois impatient et dans l’appréhension de ce qu’allait donner l’adaptation en film, mais franchement ça va. Je ne suis pas convaincu totalement par toutes les reprises des chansons, mais ça reste très fidèle aux versions de la comédie (avec parfois un peu plus de parlé-chanté), et des thèmes musicaux qui reprennent les motifs principaux entre les phases de chansons.

Visuellement, c’est saturé d’effets spéciaux la plupart du temps, mais c’est un kitsch qui fonctionne bien avec l’esthétique de la comédie musicale. Cynthia Erivo et Ariana Grande sont toutes les deux très bien castées et habitent bien les deux rôles principaux (et le reste du cast fonctionne bien aussi, Jeff Goldblum en tant que Wizard c’était le choix de la facilité mais c’est exactement ce qu’on voulait, Fiyero et Mme Morrible sont très bien aussi). Il est un petit peu trop mis l’accent sur le fait que Glinda est écervelée dans cette partie 1 (je pense que c’est la partie 2 qui donne plus d’épaisseur au perso anyway), mais c’est vraiment un reproche mineur. Le fait que les effets spéciaux s’arrêtent pendant la scène où le Wizard montre ses plans pour Oz aux deux héroïnes est bien trouvé (vu qu’il ne maîtrise pas la magie on le voit juste montrer des maquettes et faire des ombres chinoises), et l’apparition d’Idina Menzel et Kristin Chenoweth a été une vraie surprise et un très beau clin d’œil.

Recommandé avec tout mon petit cœur de fan.

Part 2

Film étatsunien de 2025, sortie de nouveau à Noël parce que c’est le cycle de vie des blockbusters. On retrouve les deux héroïnes quelques années plus tard. Elphaba est devenue ennemie publique n°1 et Glinda le visage du régime. Leurs chemins vont évidemment se recroiser, et converger vers les éléments décrits dans Le Magicien d’Oz. Les actrices principales et Jeff Goldblum sont toujours très bien. Par contre je trouve que le personnage de Glinda manque un peu de croissance émotionnelle (j’avais écrit l’année dernière « c’est plus la partie 2 qui lui donne de l’épaisseur », bah je reste sur ma fin) : si une forme d’évolution transparait dans les chansons, c’est désamorcé par les passages entre où elle fait toujours aussi écervelée. Même si c’est rigolo (notamment la scène avec la bulle), ça reste pas très satisfaisant.

La scène d’introduction d’Elphaba en mode super-héroïne Marvel est un peu useless et j’ai été assez agacé par la désexualisation totale de As long as you’re mine alors que c’est LE moment de smut de la bande-son (avec la guitare électrique qui donne tout). Le côté full blown-fascism mais avec des couleurs pastels est plutôt bien rendu, la propagande permanente, les foules qui réclament du sang à l’unison avec des torches à la main, et toujours Jeff Goldblum en dictateur débonnaire pendant qu’il fait des horreurs (avec une jolie référence au Dictateur). Le chateau de Kiamo Ko fait un décor très réussi pour No Good Deed (mais clairement taillé sur mesure parce que sinon l’architecture fait aucun sens et en en voit juste une salle). Si je continue sur les chansons, l’ajout de No place like home avec ses allusions au trumpisme transparentes ne sert franchement à rien narrativement, comme celui de The Girl in the bubble. On note un « I love you » entre Glinda et Elphaba à la fin du film, mais ça n’ira pas au delà, on reste dans le queerbaiting sans oser réaliser pleinement le triangle amoureux (et perso ça me va très bien que Wicked soit avant tout une histoire d’amitié impossible dans un contexte politique atroce, mais dans ce cas faut pas rajouter tout le queerbaiting). La fin avec le retour des animaux enlève aussi beaucoup d’ambiguïté au personnage de Glinda (dans la comédie musicale elle fait une meilleure figure tragique, elle a tout perdu pour gagner le pouvoir, mais en plus on n’est pas du tout au clair sur ce qu’elle va en faire).

Bref, j’étais content parce que je suis un fanboy, mais autant le 1 il y avait vraiment une bonne surprise par rapport à mes attentes initiales, autant là c’était plus mixed feelings.

Revenge, de Coralie Fargeat

Film franco-étatsunien de rape and revenge paru en 2017. Partie pour le weekend avec son amant dans sa garçonnière isolée en plein désert, Jane voit débarquer les deux business partners de ce dernier, arrivés avec deux jours d’avance sur le planning prévu. Violée par l’un d’entre eux puis laissée pour morte après avoir été poussée d’une falaise, Jen va prendre sa revanche sur les trois hommes lors d’une traque dans le désert.

le film a été qualifié de féministe, je ne vois pas trop pourquoi, si ce n’est qu’il est réalisé par une femme. Mais il y a masse de male gaze avec une héroïne le plus souvent dénudé et des plans qui s’attardent sur son corps, le balayant ou le découpant. De ce point de vue là, pas ouf, et puis on est sur un rape and revenge, clairement une histoire assez basique et relativement peu féministe – même si ici le viol est laissé relativement hors champ et pas filmé de façon complaisante contrairement à d’autres films du genre.

Par contre, le film fonctionne bien dans sa mise en scène des corps et du monde matériel, avec un côté gore/grand guignol, que ce soit dans les gros plans sur les bouches en train de mastiquer des oursons en guimauve, les dérapages dans les flaques de sang, ou encore les chirurgies improvisées pour extraire des branches ou des bouts de verre des corps des protagonistes.

Il y a des éléments prometteurs. Ça donne envie de voir les films suivants de la réalisatrice, ie pour le moment The Substance.