Terres Fauves, de Patrice Gain

Roman policier français paru en 2018. David McRae est le biographe du gouverneur de l’État de New York, républicain prometteur qui pourrait être le prochain candidat présidentiel de son Parti. Sur la demande expresse de ce dernier, il part en Alaska interviewer un alpiniste dont le gouverneur s’affiche proche. Perdu au milieu d’une nature qui est aux antipodes du milieu urbain qu’il affectionne, il va faire une découverte qui va pousser des locaux à tenter de l’éliminer en l’abandonnant au milieu du territoire des ours.

Pas désastreux mais pas ultra marquant. L’histoire est assez classique, c’est la fuite d’un homme devant des circonstances hostiles, jusqu’à ce qu’il réussisse à reprendre la main sur son destin. Il y a un petit côté « le journalisme va réussir à exposer la vérité » qui est très optimiste pour un roman de 2018. On a bien les formes classiques du polar, avec essentiellement des personnages masculins, face à leurs démons.

Better Watch Out, de Chris Peckover

Film étatsunien de 2016. Dans une petite ville tranquille des États-Unis, Ashley va faire un dernier babysitting chez les Lerner avant Noël puis son départ pour l’université. Mais un intrus tente de rentrer dans la maison, transformant le babysitting tranquille en une bataille pour la survie.

Le film est un hommage (explicite) à Maman j’ai raté l’avion, mais avec un twist : déjà, largement plus de violence que l’original, et la vraie menace se révèle ne pas être l’intrus qui tente d’envahir le foyer. Sans être incroyable, c’était rigolo à voir, le côté un peu inventif de certains dispositifs mis en place par les personnages marche bien (même si ça reste léger, c’est pas le niveau de McGyver de Maman j’ai raté l’avion), et si l’acteur qui joue Luke est un peu trop âgé pour le rôle, il joue quand même très bien le gamin un peu dérangé.

Medusa, d’Anita Rocha da Silveira

Film brésilien de 2021. Mariana vit dans une communauté évangélique. Avec les autres jeunes femmes du groupe (les Précieuses), elle prend soin de garder une apparence physique impeccable, réaliser des tutos beauté chrétiens, et de glorifier le Seigneur et le pasteur charismatique à la tête de leur église. La nuit, elles arpentent les rues de la ville pour tabasser des femmes qui se déplacent seules et enregistrer des vidéos où ces dernières déclarent leur repentir. Mariana cherche a retrouver la première femme qui avait été attaquée par leur groupe, une actrice qui a été défigurée avec de l’essence. Elle pense avoir retrouvé sa trace dans une clinique pour patients en coma profond où elle se fait recruter.

On me l’avait présenté comme un film d’horreur mais c’est pas exactement ça. Y’a des éléments qui s’en rapprochent mais finalement c’est plus un film qui parle d’oppression (patriarcale, fasciste, religieuse, un super trio gagnant) sans vraiment mobiliser les codes de l’horreur. Il y a une forme de réalisme magique, et on voit surtout la vie dans une forme de secte qui se crée son propre récit sur le monde.

Intéressant parce que c’est chouette de voir du cinéma de genre pas européen ou américain, mais pas totalement abouti.

Article invité : Orlando, de Virginia Woolf

Ça faisait longtemps qu’il n’y avait pas eu d’article invité, mais heureusement Marie_nym était là pour sauver le jour, avec une recension d’Orlando.

“I’m sick to death of this particular self. I want another.”

Plus de 10 ans après ma découverte de Mrs Dalloway en prépa, voici le retour de Virginia Woolf sur ma table de chevet. À la recherche d’un « petit » projet avec une amie, nous avons décidé de nous lancer dans une (re)lecture de l’œuvre de Woolf : voici dans la liste de mes lectures à venir l’essentiel de ses romans et quelques essais.

Cette fois, je lirai en anglais. J’ai un souvenir flou de Mrs Dalloway, mais il y a quelque chose de très poétique dans ce flou, la sensation qu’elle fait partie de ces auteur·ices chez qui les mots se font musique, et j’ai envie d’en faire l’expérience dans sa langue originale. Un peu au hasard, parce que c’est un de ses romans les plus connus sans doute, nous choisissons de commencer par Orlando. Je me dis rapidement que ce n’est pas le plus simple ni le plus limpide… As it turns out, c’était en fait un roman presque classique comparé à The Waves, que nous venons de commencer. Mais je prends de l’avance.

Je n’avais en tête que quelques éléments en commençant Orlando : il serait question de fluidité de genre et de voyage dans le temps. Deux thèmes déjà plutôt rares (enfin, j’imagine) et surprenants en 1928. Mais je n’avais pas idée de ce qui m’attendait concernant la narration, car le titre complet est Orlando: A Biography. Toute l’histoire de ce personnage nous est donc racontée par une biographe (impossible de ne pas y voir Woolf elle-même), et c’est proprement hilarant. La biographe intervient en permanence dans son discours, explique les difficultés de son travail face au manque de sources historiques, commente son propre récit, et sort sans cesse du ton impartial et factuel qu’elle affecte au départ. Le ton est caustique, très anglais, un peu décalé, et tout simplement drôle.

Are we so made that we have to take death in small doses daily or we could not go on with the business of living?”

Orlando est un personnage solitaire, mélancolique, sensible, amoureux·se de la nature et de la littérature. Iel est parfaitement unique et multiple à la fois, impossible à réellement comprendre, et pourtant on se reconnaît en lui et elle au fil des déferlements d’émotions que la vue de la campagne anglaise ou d’une montagne turque peut lui causer. Ces émotions, et ces épiphanies régulières, sont l’occasion de superbes lignes où le texte est beau en soi, indépendamment de ce qu’il dit effectivement. Les mots s’associent comme les notes d’un accord, et l’on est soudainement saisis par la beauté de ce qu’on vient de lire.

“For once the disease of reading has laid upon the system it weakens so that it falls an easy prey to that other scourge which dwells in the ink pot and festers in the quill. The wretch takes to writing. ”


Ces variations de style sont, à mon sens, tout à fait recherchées et accompagnent celles des textes d’Orlando elle-même au fil de sa longue vie. Woolf dissémine dans son récit de nombreux éléments de réflexion sur la littérature et son propre métier : qu’est-ce qui fait un·e écrivain·e ? Peut-on avoir du succès si l’on recherche la gloire ? Qu’est-ce qui définit un « chef d’œuvre » ou un « grand auteur » (j’aimerais pouvoir écrire great writer et m’affranchir du masculin, mais passons) retenus par l’histoire de la littérature ? L’œuvre est d’ailleurs truffée de références et de rencontres avec les auteurs des différentes ères littéraires que traverse Orlando, avec un brin de satire mêlée d’admiration.

Je reviens aux deux éléments que je connaissais d’Orlando. Je pense que l’un n’a d’ailleurs de sens qu’avec l’autre : c’est le fait qu’Orlando, au fil de ses quelques centaines d’années d’existence, observe et vive les évolutions sociétales associées, qui rend intéressant son changement de sexe. Je ne crois pas que Woolf utilise déjà le mot gender, mais elle explique le concept sans le nommer. Car Orlando est témoin, entre le XVIe et le XIXe siècle, des changements des normes de beauté (des hommes et des femmes), du comportement attendu des unes et des autres, des impératifs vestimentaires, bref ce qui caractérise et différencie les deux genres. Que le genre soit une affaire de construction sociale apparaît extrêmement clairement au fil de la vie d’Orlando. L’impact de ces normes sur la personnalité même, évolutive, d’Orlando, est aussi très visible : de femme indépendante, aventureuse et assez peu inquiétée de ce que la société pourrait penser de certaines de ses fréquentations, elle devient à l’époque victorienne une femme caricaturalement sujette à divers accès de faiblesse, inquiète d’apparaître non mariée dans la société, et à la recherche d’un mari – elle qui s’écriait quelques décennies plus tôt « Life and a Lover ! » avant de partir conquérir Londres. La biographe décrit tous ces changements avec une naïveté feinte, ne questionne pas les changements de posture sociale d’Orlando, alors même qu’ils contredisent ceux décrit 50 ans plus tôt et alors qu’elle était déjà femme. Ce décalage et cette ironie à peine dissimulée rendent le propos d’autant plus lisible, en tout cas pour nos yeux d’aujourd’hui.

For what more terrifying revelation can there be than that it is the present moment?”

Je quitte l’explication de texte pour laquelle je n’ai aucune légitimité dans la mesure où j’ai la sensation d’avoir compris environ 30% de l’œuvre, et j’en reviens à mon expérience de lecture : ce qui m’a le plus fascinée dans Orlando reste la narration, la forme. Je ne m’attendais pas exactement à des passages par des wormholes pour passer d’une époque à une autre, mais je n’imaginais pas en tout cas une telle fluidité du temps qui passe. On ne sait pas toujours s’il s’est passé 3 semaines ou 30 ans entre deux événements de la vie d’Orlando, et soudainement la mention du monarque régnant ou de la nouvelle cathédrale Saint-Paul me font réaliser (après une petite spirale Wikipédia sur la succession Élisabéthaine) que le récit a avancé de quelques bonnes dizaines d’années. Certains personnages – notamment historiques – disparaissent, d’autres refont surface de manière inattendue, les serviteurs d’Orlando l’attendent chez elle après 100 ans d’absence, et les temporalités sont floues et superposées. J’ai trouvé ça assez beau et magique, et évidemment drôle et décalé aussi : le mari d’Orlando, à peine épousé, est apparemment perpétuellement au Cap Horn.

Allez, goodbye, dear Orlando. Et bon courage pour les questionnements existentiels. De mon côté, je vais voir si The Waves me fait chavirer ou non !

La Subsistance au quotidien, de Geneviève Pruvost

Essai de sociologie paru en 2024. La chercheuse est allée en observation sur le terrain et les activités de Florian et Myriam, deux boulangers-paysans qui vivent avec leur fille Lola dans une yourte sur des terres qui leur appartiennent dans un département français non-spécifié (l’introduction de l’ouvrage explique que toutes les personnes et lieux ont été pseudonymisés pour éviter que la focale sur les communautés alternatives présentées ne risque d’attirer sur elles une répression sous une forme ou une autre (sans parler de contrôle policier, l’attribution des terres par la SAFER local aux exploitants agricoles non-conventionnels est déjà assez compliquée). Sur deux séjours de 3 jours, la chercheuse passe à la loupe toutes les activités des deux adultes, mène des entretiens avec eux et de nombreux membres de leur entourage, et mène une démarche d’ethnocomptabilité : elle mesure les temps, les valeurs pécuniaires ou non, les réseaux de relation, les trocs, dons et contre-dons… Le bouquin est composé du récit chronologique des deux séjours reconstitué depuis les notes de la chercheuse, de tableaux d’ethnocomptabilité et d’une partie qui tente de dégager des structures et des éléments généralisables depuis le terrain mené.

C’était très intéressant à lire, la première partie se lit vraiment comme un récit de vie, c’est très abordable pour des résultats de recherche. J’avoue avoir un peu survolé les tableaux (notamment parce qu’ils s’affichaient mal sur ma liseuse, une question de matérialité de l’exemplaire I guess), la troisième partie est aussi assez instructive sur la question de l’articulation luttes frontales/luttes feutrées (NDDL vs des collectifs qui rachètent des parcelles agricoles pour faire du bio pas de supermarché, vendre en circuit direct et vivre dans des yourtes, en gros), l’intrication des activités dans ce genre de mode de vie, la répartition genrée du travail (pas égalitaire, mais largement moins pire que dans d’autres configurations).

Recommandé.

All About Eve, de Joseph L. Mankiewicz

Film étatsunien de 1950. Margo est une actrice de théâtre au faîte de sa carrière, mais qui craint le passage du temps. Elle rencontre une de ses fans, Eve, qu’elle prend sous son aile. Mais Eve se révèle être une forme de coucou : elle manigance pour devenir la doublure de Margo, tente de séduire son fiancé de se faire attribuer le prochain rôle écrit pour Margot par son ami scénariste. Mais les manigances d’Eve vont se heurter à la solide amitié entre Margot et ses amis, et elle va finir par tomber sur plus fort qu’elle en la personne du critique de théâtre Addison de Witt qui est aussi le narrateur du film…

C’était très bien. En plus de l’intrigue principale et des rôles très bien joué par les actrices qui les porte il y a en arrière-plan une réflexion sur le monde du théâtre – et quelques piques envers Hollywood et le monde du film – et toute une réflexion sur le vieillissement des actrices et les rôles qui leur restent. Bette Davis est incroyable en Margo, diva du théâtre prête à faire des crises à tout le monde, le rôle d’Ève en jeune première aux dents incroyablement longues est très réussi aussi. En second rôle la gouvernante sassy de Margo est super aussi. Les rôles masculins sont un peu moins marquants, il sont un peu plus supporting cast sympathique, excepté Addison qui fait un excellent méchant presque Disneyien, la figure du critique à la plume trempée dans du poison a un petit côté Ratatouille, avec en plus des manigances en arrière plan à la Scar.

Recommandé si vous aimez le théâtre et les gens qui se disent ingénus mais qui ne sont pas du tout ingénus.

Verdens verste menneske (Julie en 12 chapitres), de Joachim Trier

Film norvégien de 2021. Julie est une femme qui n’arrive pas à savoir ce qu’elle veut. Elle change trois fois de cursus pendant ses études. Dans une soirée elle rencontre Aleks, 15 ans de plus qu’elle et dessinateur de BDs. Elle commence une relation avec lui, qui va se poursuivre pendant plusieurs années. Puis un jour elle le quitte pour un homme rencontré dans une soirée de mariage où elle s’est incrustée. Puis apprenant qu’Aleks a un cancer incurable, elle va reprendre contact avec lui, sur un mode amical. Pendant tout ce temps, elle vit d’un petit boulot dans une librairie sans réussir à se consacrer comme elle le souhaitait à sa carrière de photographe.

Le côté tranche de vie /portrait de relations humaines fait très cinéma scandinave. Mais j’ai trouvé que le film portait un regard très hétéro patriarcal sur son héroïne. On ne voit que les relations de Julie avec ses partenaires romantiques (masculins). Elle n’a pas de relations amicales, on ne voit ses relations familiales que par le prisme de ce qu’en pense ses compagnons. Je comprends bien que l’idée est de nous montrer une personne qui n’arrive pas à faire ses propres choix et se laisse porter par les choix des personnes importantes dans sa vie, mais ça pourrait être montré aussi via d’autres relations que des relations romantiques.

Mais sinon, c’est bien filmé, la scène de la rupture avec Aleks est très bien rendue, la scène où toute la ville est figée pendant qu’elle court retrouver Eivind est assez réussie aussi.

Jules et Jim, de François Truffaut

Film français paru en 1962. Jules et Jim sont deux amis. L’un est autrichien, l’autre français. Ils vivent à Paris avant la Grande Guerre. Ils rencontrent Catherine, qui part vivre avec Jules en Autriche. Lors de la guerre, les deux amis sont mobilisés chacun d’un côté du conflit. Après la guerre ils reprennent leurs échanges, et un triangle amoureux se met en place, de façon consensuelle. Mais Catherine n’est en définitive satisfaite de sa relation ni à Jules, ni à Jim.

J’ai bien aimé, le rythme du film est assez particulier, avec une voix off qui lit des extraits du roman dont il est adapté pour donner des informations supplémentaires, le ressenti des personnages. De jolis plans, notamment la séquence où iels vont se balader autour d’un lac dans la brume. Bon par contre l’histoire est un peu d’époque, même si ça représente une relation libre ça représente aussi une meuf assez névrotique.

Nobody wants this, d’Erin Foster

Comédie romantique parue en 2024. Joanne (Kirsten Bell) est une californienne qui gagne sa vie en enregistrant un podcast avec sa sœur, qui parle de sexualité. Noah est un jeune rabbin qui a mis fin à ses fiançailles. Les deux vont se rencontrer et avoir un coup de foudre l’un pour l’autre, par dessus leurs différences culturelles.

C’était une bonne série romantique. La chimie entre les deux persos fonctionne, il y a des rebondissements pas trop clichés, les persos secondaires (les losers siblings notamment, la relation aux parents) sont réussis. Pas une série inoubliable, mais une réussite pour une série de vacances.

EDIT S2 : Toujours aussi efficace. L’histoire avance peu (pour les 2 personnages principaux toute la saison tourne autour de la question de si Joanne va se convertir, ce qui était déjà pas mal le sujet de la S1, même si les intrigues des personnages secondaires avancent davantage). C’est pas évident de faire tenir une romcom dans la durée donc félicitation aux scénaristes pour ça, et en même temps je me faisais la réflexion que pour une série « réaliste » c’est vraiment le plus truc le plus dépolitisé possible (en tous cas dans les trucs que je regarde) : tout le monde est beau et vit dans la lumière dorée de Californie dans de jolies maisons, y’a pas un mot sur la politique (et franchement quand un des points clefs de l’histoire c’est des gens à la fois californiens et juifs, c’est assez étrange de ne parler ni de la politique US ni de celle d’Israël – même historiquement d’ailleurs, le judaïsme n’est abordé que par rapport aux traditions, pas un mot sur la Shoah, c’est vraiment le judaïsme version brightest timeline)