Archives par mot-clé : roman US

A little life, de Hanya Yanagihara

Roman étatsunien paru en 2015. Willem, JB, Malcom et Jude sont cothurnes à l’Université. JB et Malcolm viennent de famille relativement aisées et aimantes, le passé de Willem et Jude est plus troublé. Après une première partie où le livre va décrire la vingtaine des trois premiers, leur caractère, leur relation, le livre va de plus en plus se focaliser sur la vie de Jude, de sa rencontre des trois autres à sa mort, avec des flashbacks sur son enfance. C’est bien écrit, c’est prenant (j’ai lu les 700 pages en anglais en moins de 5 soirs), mais c’est fucking dark. On comprend rapidement que l’enfance de Jude a été l’enfer sur Terre (et si au départ le livre l’évoque à mot couvert, on finit par en savoir beaucoup plus – sans que ce soit du tout graphique, mais on est mis dans la peau de Jude à cette époque), et que la perception qu’il a de lui-même, de ce qu’il peut attendre des relations avec les autres en a été a jamais affecté. Et même si sa vie adulte est globalement très confortable (même s’il y aura aussi des trucs atroces, parce que ce roman, l’ai-je mentionné, est super sombre), il est incapable de sortir de ses schémas de pensée. J’ai tendance à être émotionnellement impliqué dans mes lectures, mais j’ai lâché le bouquin plusieurs fois pour pleurer.

Au delà du sujet donc, le livre est globalement très bien, quelques faiblesses cependant : on voit venir l’outcome de la relation Harold/Jude d’assez loin (mais tout le reste du roman était largement moins prévisible), et globalement à l’âge adulte l’ensemble des personnages et des gens qu’iels fréquentent vivent quand même dans un monde enchanté où tout le monde est upper-class (ils ont lâché tous leurs potes pauvres ou quoi ?) et sans préjudice (ni racisme ni homophobie, alleluia), ce qui clashe un peu avec l’horreur du reste.

Bref, c’était un bon roman, mais du rare genre « bon mais jamais je recommande à personne de lire ça ».

Sukkwan Island, de David Vann

Roman états-unien publié en 2009. Roy et son père Jim s’installent pour un an dans une cabane sur une île de l’Alaska, pour y vivre en autarcie. Roy a 13 ans, mais il comprend rapidement que son père est dans un état mental assez désastreux, il pleure la nuit, il lui partage trop de choses, et il ne sait pas comment se préparer à l’hiver. Le projet ressemble rapidement à une terrible erreur.

Ça se lit rapidement, c’est un roman psychologique. Je n’ai pas été transporté par le style. Dans le style « descentes aux enfers en pleine nature » j’ai préféré La Rivière.

American elsewhere, de Robert Jackson Bennett

Roman fantastique US paru en 2013, par le même auteur que la trilogie de fantasy The Founders. Mona Bright découvre à la mort de ses parents que sa mère possédait une maison à Wink, petite ville du Nouveau Mexique qui n’apparait sur aucune carte. Wink se révèle une ville construite pour héberger les travailleurs du laboratoire Coburn, un laboratoire de physique expérimentale qui est désaffecté depuis de longues années. Mais les expériences du laboratoire ont été un succès : Wink n’est pas le foyer uniquement d’humain.es, mais aussi d’entités plus mystérieuses, qui ont passé un marché avec les humain.es : leur présence et leurs maniérismes sont acceptés, et en échange ils peuvent faire de Wink l’incarnation du rêve américain, où chacun a un pavillon et une pelouse parfaitement tondue.

Des éléments intéressants, mais le livre est trop long. Il y a tout un ventre mou de l’installation de Mona à Wink, qui aurait dû être réécrit et condensé. Le côté horreur cosmique est finalement seulement approché, les créatures d’outre-espace étant finalement pour la plupart bien disposées envers les humain.es. L’idée de rapprocher les idées d’American Dream et d’entités eldritch était un bon point de départ, mais n’est pas assez creusée. L’auteur s’approche un peu du sujet avec le fait que la compréhension des créatures fait qu’il est interdit de déroger à des règles qui incluent l’hétérosexualité et le sexe uniquement dans le cadre du mariage, mais s’en tire avec une pirouette sur les questions de race . Dommage, parce que ç’aurait été les thèmes les plus intéressants à creuser.

Pas désagréable, mais oubliable.

Cemetery Road, de Greg Iles

Roman policier étatsunien de 2019. Marshall McEwan, journaliste à la renommée nationale, revient pour la première fois de sa vie d’adulte dans sa ville natale du Mississippi, Bienville, pour s’occuper de son père mourant. Mais son père spirituel est assassiné alors qu’il tentait d’empêcher l’implantation d’une usine de papier sur un site archéologique majeur. Marshall décide alors de partir en croisade contre le poker club, le boys club informel qui décide dans l’ombre de toutes les grandes décisions économiques concernant la ville.

C’était assez dense, 880 pages avec des révélations à un rythme soutenu, sur le présent ou le passé de Bienville et de Marshall. L’intrigue fonctionne bien même si le côté « croisade d’un seul contre tous » est parfois un peu trop intense. Y’a aussi quelques scènes de sexe, que j’ai trouvée assez mal écrite. Sinon bon pageturner, je l’ai fini en quelques jours.

Les Aiguilles d’Or, de Michael McDowell

Roman étatsunien de 1980. Durant l’année 1882, on suit la lutte entre deux familles newyorkaises.
D’un côté d’influents républicains, les Stallworth, bien décidés à gagner encore en influence en mettant en scène leur croisade contre le crime et le vice.
De l’autre les Shanks, famille des bas-fonds qui vie de diverses combines criminelles (avortement, recel, vol à la tire…), se retrouve pointée du doigt par les Stallworth et organise leur contre-attaque.
C’est un bon pageturner, avec une très jolie couverture pour la VF, mais c’est loin d’être inoubliable, l’histoire d’affrontement et de manigances est assez classique, et l’écriture est blanche.

Replay de Ken Grimwood

Roman fantastique américain paru en 1986.
Jeffrey Winston, journaliste appartenant à la classe moyenne américaine, meurt d’une crise cardiaque à 43 ans, en 1988. Il se réveille en 1963, avec tous les souvenirs de sa vie. Profitant de sa connaissance des événements sportifs et des évolutions du marché, il bâtit un empire financier, change totalement les gens avec qui il vit, et fait surveiller extensivement son cœur à l’approche des 43 ans, sans éviter pour autant la crise cardiaque… et se réveiller en 1963.

J’ai bien aimé. C’est assez original pour une histoire de boucle temporelle au vu de la durée de la boucle qui s’étale sur 25 ans au lieu de une ou quelques journées habituellement. Après c’est assez marqué dans son époque ; notamment c’est assez orienté sur la sexualité (notamment avec le fait qu’il y ait la libération sexuelle au milieu et que donc les premières années de replay se fassent dans un environnement assez corseté même pour des personnages qui sont dans leurs années d’université) et – assez logiquement – il n’y a rien sur le changement climatique, quand le personnage tente dans un de ses replays d’améliorer le cours de l’histoire, il tente d’empêcher l’assassinat de Kennedy en pensant que ça améliorera automatiquement tout ce qui vient après. Je suis un peu sceptique sur la capacité de mémorisation des personnages sur une Histoire (et leur histoire personnelle) qui s’étend sur 25 ans par contre (surtout qu’à la fin ils ont vécu plus d’une centaine d’années de replay, avec des variations autour de motifs). La mécanique de la boucle qui commence de plus en plus tard à chaque fois, figeant les personnages dans les choix qu’ils avaient fait dans leur première vie est intéressante et permet d’explorer le rapport des personnages aux différentes personnes qu’ils ont connu dans leur vie.

Je recommande si vous aimez les boucles temporelles.

La Rivière, de Peter Heller

Roman étatsunien de 2019. Jack et Wynn se sont rencontrés à l’université. Tous deux amoureux de la nature, ils ont fait plusieurs randonnées et descentes de fleuve ensemble. Cet été, ils sont parti pour la descente au long cours d’un fleuve canadien. Déposé avec leur canoé et leurs provisions en amont, ils vont pagayer à leur rythme jusqu’à la baie d’Hudson. Ou plutôt, c’aurait été leur programme si un feu gigantesque ne s’était pas déclenché, se rapprochant de la rivière et transformant l’expédition en compte à rebours pour atteindre un endroit où le cour d’eau est suffisamment large pour offrir une protection. Et puis il y a ces autres pagayeurs croisés sur la rivière, notamment ce couple dont l’homme recroise leur chemin seul et ensanglanté. Wynn veut croire à un accident, Jack est plus pessimiste.

Alors avertissement, c’est un roman de dudes. Il y a un seul perso féminin, et il est inconscient la plupart du temps. Le livre est centré sur la relation entre Jack et Wynn, ce que le danger et les différences d’appréhension de la situation lui fait. On parle de deux mecs qui apprécient de partir en autonomie en pleine nature, biberonnés à Jack London et Thoreau. Perso ça me parle tout à fait, mais c’est clairement un point de vue situé.

J’ai beaucoup aimé le début du roman, les descriptions de la nature, de la relation entre les deux personnages. J’ai moins aimé la fin, qui je trouve rate un peu l’impact émotionnel qu’elle cherche à avoir. Il y a plusieurs moment où je trouve que l’urgence, l’absence de communication et la méfiance de Jack ne sont pas très crédibles et surtout là pour faire avancer l’intrigue, ce qui est fort dommage.

Dans le même genre mais un autre medium, je recommande Firewatch, qui je trouve a une structure vraiment similaire mais réussi mieux son crescendo émotionnel.

The Grace Year, de Kim Liggett

Dystopie US de 2019, assez décevante. On est dans un univers rural, où les femmes sont réputées développer des pouvoirs magiques à l’adolescence. Pour que ces pouvoirs ne détruisent pas la communauté, l’année de leur 16 ans (l’Année de Grâce du titre), toutes les adolescentes sont envoyées sur une île où elle vivront entre elles le temps que leur magie se manifeste puis s’épuise. Puis elle reviendront épouser un homme ou rejoindre une communauté de travailleuses. Cette question de l’année de Grâce et du mariage forcé ont toujours intrigué et révulsé Tiernay, l’héroïne, qui va chercher à comprendre ce que cachent ces rituels…

Sur le papier ça avait l’air cool, une dystopie féministe avec un côté Sa Majesté des Mouches/Yellowjackets/The Purge. Mais ça ne fonctionne pas bien, je pense par manque d’un sérieux travail d’édition. Il y a pas mal d’éléments intéressants dans le livre, mais il y a trop de trucs, trop d’éléments qui arrivent d’un coup, ne sont pas bien installés, bien explicités. La fin aurait dû arriver 40-50 pages plus tôt aussi. Soit il fallait couper des trucs, soit il fallait assumer d’en faire une trilogie et pas un seul roman où ça va à 4000 à l’heure. Là y’a un vrai problème d’écriture.

D’autant plus décevant qu’on voit le potentiel gâché. On a l’impression que l’idée de l’éditeur c’était que les dystopies féministes c’était bankable alors allons y sortons des trucs sans y regarder à deux fois. Mais The Handmaid’s Tale ça fonctionne parce que l’écriture et les personnages sont réussis.

The Summer that melted everything, de Tiffany McDaniel

Roman étatsunien publié en 2016 et dont l’action prend place en 1984, dans la petite ville de Breathed, Ohio. Le père du narrateur a mis une annonce dans le journal invitant le Diable à venir lui rendre visite. Bientôt, un enfant noir arrive en ville, déclarant être le Diable. Au même moment, une vague de chaleur qui durera trois mois s’abat sur la ville. Le narrateur raconte les différents incidents événements et incidents qui émaillent l’été et qui signèrent la fin de son enfance.

J’ai pas été très convaincu. C’est vite fait poétique dans les descriptions mais j’ai trouvé ça un peu forcé, et l’histoire n’est pas passionnante, avec une succession assez invraisemblable d’événements dont on a un peu l’impression qu’ils cochent les cases une à une « oh de l’homophobie », « oh du racisme », « oh un personnage quirky » (x40 parce que tout le monde est quirky, ça devient rapidement insupportable).

Delicious Foods, de James Hannaham

Roman étatsunien publié en 2015. On suit une mère – Darlene – et son fils – Eddie – sur plusieurs dizaines d’années avec de nombreuses ellipses temporelles. Le gros du roman se concentre sur le temps que Darlene et Eddie passent sous l’emprise de Delicious Foods, une compagnie agricole qui les « emploie » dans le cadre d’un système néo-esclavagiste. La compagnie recrute son personnel parmi des addicts au crack, auxquels elle fait signer un contrat bidon avant de les regrouper au milieu d’une immense propriété agricole sans moyen de transport, et en fournissant de la drogue pour les retenir sur place. Les « employés » touchent un salaire mais misérable et totalement modulable selon la volonté du contremaître, et ne peuvent acheter de la nourriture, un logement ou de la drogue qu’à la compagnie, à des tarifs prohibitifs, augmentant sans cesse leur dette envers celle-ci.

Le roman entremêle les points de vue de Darlene, d’Eddie et de Scotty, la personnification du crack, qui va parler à la place de Darlene tout le temps de son addiction. La jeunesse de Darlene et le point de vue d’Eddie sont écrits à la troisième personne, Scotty parle à la première (et en AAVE), et dans les derniers chapitres Darlene parlera aussi à la première personne une fois son addiction derrière elle. Le chapitre introductif du livre, qui raconte l’évasion d’Eddie de Delicious Foods puis sa vie ensuite, en laissant plein de zones d’ombres, est très fort et donne fortement envie de lire le reste du livre pour avoir le fin mot de l’histoire.

C’est dur mais j’ai beaucoup aimé et je recommande.