Archives par mot-clé : roman français

Yoga, d’Emmanuel Carrère

Le dernier Carrère paru. E. Carrère y parle de sa pratique de la méditation, du yoga et du taichi, de son internement à Saint-Anne suite à un épisode de dépression particulièrement violent, de son séjour à Léros pour donner des cours dans un camp de réfugiés, et de son processus d’écriture et son rapport à ses éditeurs.

Le livre est écrit en chapitres relativement courts, souvent deux trois pages, ça fait presque une écriture fragmentaire. Son projet initial était de parler uniquement de yoga et méditation, projet avorté quand il doit quitter son stage de méditation à cause d’événements extérieurs, puis à cause de sa dépression. Il entremêle donc les thèmes, et le livre parle de comment son propre sujet a été détourné. C’est, comme tous ses bouquins, très autocentré, mais ça m’a plus gêné dans celui là que dans d’autres ; il se lit bien mais il n’est pas au niveau de Limonov ou D’autres vies que la mienne.

Le Continent de la douceur, d’Aurélien Bellanger

Aurélien Bellanger entremêle 5 fils narratifs avec pour point commun une principauté européenne imaginaire, un micro-État perdu sur la frontière austro-slovène, le Karst. On suit Jan, le prince héritier en exil depuis le passage du Karst sous régime communiste à la fin de la seconde guerre mondiale ; Ida, héritière de la seule entreprise industrielle du Karst et financière à Wall Street ; QPS, aventurier-philosophe français passionné par le conflit yougoslave (toute ressemblance est clairement voulue), son fils Olivier qui flirte avec l’extrême droite, et Flavio, mystérieux fils adoptif d’un couple de dourdannais sans histoire. Leurs histoires et l’histoire contemporaine du Karst s’entremêlent et permettent à Bellanger de discuter de l’histoire de l’Europe depuis la fin des guerres mondiales, de la montée du nationalisme, du conflit des Balkans, de la mathématisation de la finance et de la mondialisation des élites.

C’était sympa mais j’ai moins aimé que les premiers Bellanger (La Théorie de l’Information et Le Grand Paris). Y’a plein de trucs intéressants mais comme dans L’Aménagement du Territoire, il est plus en train de s’amuser avec une sorte d’histoire secrète qui au final ne marche pas si bien que ça. Tous les passages sur QPS sont très drôles à lire, mais c’est pas le plus intéressant que puisse faire Bellanger : c’est facile de se moquer de BHL, même si c’est toujours rigolo.

La partie sur les mathématiques (l’ouverture du livre sur les mathématiciens qui font de l’acrobranche est très bien) est intéressante, mais tant qu’à fantasmer une histoire secrète avec un programme spatial yougoslave et une industrie de pointe basé sur des calculateurs mécaniques décentralisés, autant y aller all the way et partir en uchronie, là au final il ne fait rien de son calculateur ultra perfectionné qui peut stocker un nombre secret qui peut casser les mathématiques. Il aurait fallu aller plus loin dans cette direction, et partir plus loin sur les descriptions techniques minutieuses, à mon sens.

Comédies françaises, d’Éric Reinhardt

Roman français de la rentrée littéraire 2020. On suit la vie d’un jeune journaliste qui enquête sur les prémices françaises d’Internet, l’invention du me dans les années 70 par Louis Pouzin, le réseau Cyclades, et comment ce projet a été torpillé en faveur du minitel et d’intérêts industriels privés. Cette partie était intéressante, mais on suit en parallèle la vie sentimentale du journaliste qui est obsédé par une femme (et obsédé tout court), ça c’était un peu relou.

Y’a pas mal de répétitions dans l’ecriture. L’histoire du datagramme était intéressante, mais j’ai un peu eu l’impression de lire du sous-Bellanger.

Article invité : Chavirer, de Lola Lafon

Sans grande originalité, j’ai énormément aimé.

Cléo, une collégienne passionnée de danse modern jazz, tombe entre les mains d’un réseau de « mécènes » pédophiles et y entraîne d’autres filles. Ce n’est « que » le début du roman, qui donne la voix à plusieurs personnages qui, au fil des années, gravitent autour de cette victime coupable, écoutent son histoire, partagent un moment plus ou moins long de sa vie et en construisent un portrait fragmenté, fragmentaire.

Le roman entremêle avec beaucoup de force et d’attention une multitude de thèmes difficiles. Des passages, des images me restent : les scènes de danse, de transformation physique avant et après le spectacle, et plus généralement les questions de maîtrise et de souffrance du corps féminin (empowerment vs aliénation) ; la violence de classe des militants de gauche face à Cléo devenue danseuse chez Drucker à laquelle fait écho le racisme qui empêche Betty de devenir danseuse classique ; la finesse de l’écriture des relations amicales, amoureuses, familiales, comme des rivalités (une pensée pour L’amie prodigieuse) et des mécanismes de manipulation.

Comme on dit sur ce blog : je recommande.

Broadway, de Fabrice Caro

Un peu déçu. C’était beaucoup une redite du Discours en terme d’humour et de situations, avec un personnage principal moins attachant, qui fait visiblement sa crise de la quarantaine en étant creepy avec une prof de son fils et en étant lâche sur tous les plans. Si c’était rigolo dans le cadre d’un monologue intérieur à l’échelle d’une soirée dans le Discours, érigé en philosophie de vie ça fait un personnage pas très sympa.

L’Art de Perdre, d’Alice Zeniter

Livre sur les conséquences de la guerre d’Algérie sur une famille algérienne. On suit trois générations, Ali, Hamid et Naïma. Ali est propriétaire terrien kabyle, forcé malgré lui de prendre parti. Hamid, son fils aîné, naît en Algérie, y vit ses premières années, mais grandit surtout en France, dans les camps de réfugiés puis dans une cité. Et enfin Naïma, l’aînée d’Hamid, réalise qu’elle ne sait rien de l’Algérie, que tout le monde la définit par des racines algériennes dans lesquelles elle ne se reconnaît pas, n’ayant jamais mis les pieds là-bas, ne parlant pas arabe…

C’est très bien écrit. Le récit commence par un prologue sur Naïma, avant de remonter les années jusqu’à la jeunesse d’Ali et de dérouler chronologiquement les faits, avec des petites incises pour expliquer de temps à autre ce que sauront les protagonistes suivants de ces événements, la difficulté de la transmission de la mémoire étant un des thèmes centraux du livre.
Le statut de la narratrice est mystérieux : elle est contemporaine de Naïma, elle utilise le « je » de temps à autre, mais en même temps elle est omnisciente. J’aime bien ce genre de narration, c’est un procédé intéressant de positionner le narrateur comme une personne réelle sans qu’iel soit pour autant caractérisé.e davantage ou partie prenante des événements.

Il était deux fois, de Franck Thilliez

Polar récent de Franck Thilliez, droit dans le style de l’auteur. Un policier enquête sur la disparition de sa fille, victime d’une amnésie, il doit remonter sa propre piste ces 12 dernières années, comprendre ce que sa vie a été et redécouvrir les éléments qu’il avait mis à jour une première fois.

L’écriture sonnait un peu fausse sur le premier chapitre, on rentre dedans après. Le duo d’enquêteurs alternant entre les chapitres permet de faire avancer l’histoire rapidement. La description de la petite ville morne de montagne de Sagas et les différents secrets gardés par les protagonistes sont intéressants, quand le roman quitte la ville je trouve qu’il devient moins intéressant, les antagonistes sont moins bien que dans d’autres Thilliez. Visiblement le roman est fortement lié à un autre roman de Thilliez que je n’ai pas lu, Le Manuscrit Inachevé. Ce second roman apparait dans IE2F, notamment son épilogue original qui était soi disant disparu (LMI était prétendument écrit par un romancier fictif qui c’était suicidé, avec l’épilogue écrit par son fils à partir des indices laissés par son père). Le procédé est intéressant, mais les énigmes par acrostiches sont fortement mises en avant et donc facilement repérables.

La Panthère des neiges de Sylvain Tesson

Je n’ai pas du tout aimé. Le livre raconte comment l’auteur est parti dans l’Himalaya avec un photographe animalier pour pister et voir des animaux sauvages, dont une panthère des neiges qu’ils réussiront à voir 3 fois. Ça pourrait être une belle histoire sur la rencontre Humain/Nature, comme il le dit au début, sauf qu’en fait il passe son temps à namedropper des philosophes sans que ça apporte rien, à étaler sa culture, à faire des remarques sexistes, racistes ou antisyndicalistes. Il est aussi en mode « oh la la regardez comme c’est simple de voir la beauté du monde » alors que rappelons-le, le mec a décidé pour faire ça d’aller dans l’Himalaya pendant plusieurs semaines, pas exactement ce que peut se permettre le/la français·e moyen·ne. Mention spéciale au passage « un chasseur m’a dit que de toute façon j’avais une position de citadin… » [là je me dis que je vais être d’accord avec lui] « … or je revenais justement d’un trek en Afghanistan, clairement c’est moi qui ait la plus grosse légitimité » Merci connard. Bref, je ne recommande pas. J’avais commencé Éloge de la plante en parallèle, je vais aller le finir, ça m’a l’air de pertiner carrément plus sur le rapport à la Nature.

La Vie intelligente, d’Aurélie William Levaux

Court livre avec des pages de textes entrecoupées de nombreuses pages de dessins, plus ou moins en rapport avec le texte. La narratrice, raconte des fragments de sa vie, qu’elle voudrait « intelligente » mais qui se fait rattraper par la gestion du quotidien.

Bref, la chronique d’une vie ordinaire sur laquelle celle qui la vit pose un regard un peu désabusé.

Cora dans la Spirale, de Vincent Message

Roman français de 2019 qui parle d’aliénation au travail. Il suit l’histoire de Cora Salme, qui travaille au service marketing d’une entreprise d’assurances françaises et qui avec les ajustements structurels progressifs de l’entreprise et quelques problèmes de sa vie personnelle, va se retrouver de plus en plus mise sous pression.

C’était pas très joyeux mais c’est intéressant d’avoir des fictions qui parle de ce genre de contexte. L’histoire est intéressante et l’auteur entremêle bien les différents fils narratifs, le point de vue de la narration est intéressant aussi, mais je n’ai pas toujours été enthousiasmé par le style par contre.