Archives par mot-clé : recommandé

Le Spectacle de Merde, de la compagnie Chris Cadillac

Gala de Jérome Bel x Inside de Bo Burnham x mouvance autonome

Petit florilège de références croisées. J’ai vu ce spectacle dans le cadre du Festival des Arts de Rue de Ramonville. Un parking, quatre camions, une dizaine de performeureuses. C’est un spectacle assez difficile à décrire, parce qu’il se passe plein de trucs, très différents. Y’a la lecture d’une note d’intention bordélique au début, des numéros avec les camions, des déguisements pour les camions, des chansons (collectives ou individuelles, originales ou plagiées), des poèmes, de la magie, du standup, des cascades, des interludes, des récits de vie, un défilé de mode.

Le côté variété des formes et épuisement d’un dispositif m’a fait penser à Inside (ce qui montre surtout que je manque de références de spectacle et notamment d’art de rue, je pense), le côté numéros de qualité variable mais avec des performeureuses qui se lancent à Gala, et l’aspect punk/anar well à des punks et des anars, que je réduis très rapidement aux totos pour la punchine de sous-titre.

C’était un très bon spectacle, on ne vois pas passer les 3h, même sans consommer de la Perlembourg à prix libre.

Inside, de Bo Burnham

Film sorti en 2021. Il s’agit d’un seul en scène, tourné pendant la pandémie de covid. Pour le background, Bo Burnham était une star d’internet qui a commencé à faire des spectacles sur scène, puis des crises de panique pendant ces spectacles. Du coup il a quitté la scène, suivi une thérapie, puis il s’est dit en janvier 2020 que c’était le moment de revenir sur scène, ce qui était Pas Le Meilleur Timing™. (Ce contexte n’est pas du tout nécessaire à avoir avant de lancer le film – perso je ne l’avais pas, il rajoute une couche au tout, mais c’est de toute façon évoqué pendant le spectacle). Du coup, il décide de tourner ce « comedy special » entièrement dans la (grande) chambre d’amis de sa maison. Il a masse matos et masse technique de son passé en tant que youTubeur, et il les exploite très bien.

Le spectacle est fait de pas mal de non-sequitur et de petites séquences séparées, Bo Burnham parle de son rapport à la mise en scène de soi, à la pertinence de faire des blagues quand le monde s’effondre, aux trucs merdiques qu’il a pu faire plus jeune (des blagues racistes, au hasard), de sa santé mentale… C’est pas mal méta, techniquement impressionnant, assez inclassable, et plus ou moins la seule œuvre (à l’exception de la saison 2 de Work in progress) qui donne un sentiment réaliste de ce que ça a été de vivre le confinement et ses conséquences.

Je recommande.

Paresse pour tous, d’Hadrien Klent

Je n’avais pas été fan de La Grande Panne, du même auteur, mais j’ai bien aimé ce livre-ci. En 2020, alors que la France se déconfine, Émilien Long, prix Nobel d’économie, publie un ouvrage intitulé Le Droit à la paresse au XXIe (toute ressemblance avec un titre de Piketty est volontaire), démontrant qu’il serait possible de passer à une semaine de travail de 15h sans perdre en niveau de vie, en mettant en œuvre un programme de redistribution de la plus-value du travail plutôt que de la laisser capter par le Capital.

Émilien va fédérer une équipe atypique autour de lui, qui va construire sa campagne présidentielle pour porter cette thématique révolutionnaire à l’élection de 2022. Mais se lancer dans une campagne présidentielle, c’est travailler bien plus que 3h par jour, et si le thème l’enthousiasme, Émilien n’est pas sûr de vouloir s’engouffrer dans une aventure aussi prenante…

Ça se lit vite, et la forme romancée marche bien pour faire avancer la thèse de l’auteur. Il n’y a pas de grande démonstration chiffrée de la réalité de la possibilité d’arriver à ce chiffre de 15h précisément, mais on sent que la proposition d’une réduction massive du temps de travail n’est pas faite dans le vide non plus. L’ancrage dans la vie politique réelle fonctionne bien. Elisabeth Crayeville en ministre de l’économie macroniste, fusion de plusieurs macronistes réel.les est assez réussie. Le roman retranscrit bien le côté peace de l’équipe de campagne et de son héros, on a envie d’y croire (bon, ça fait un peu l’impasse sur le paysage médiatique français d’extrême-droite les médias ici c’est Le Monde, YouTube et un présentateur de JT d’une grande chaine hertzienne qui s’est installé à la campagne, c’est plutôt bienveillant (les plus pugnaces à la limite c’est l’interview improbable par un quatuor CQFD/Lundi Matin/Pièces et Mains d’Oeuvre/Panthère Première).

Recommandé pour un truc politico-peace.

Lecture facile, de Cristina Morales

Roman espagnol de 2018. Nati, Angèls, Patricia et Gari sont quatre barcelonaises qui vivent dans le même appartement. Elles ne sont pas exactement colocs : déclarées handicapées mentales par le gouvernement, elles sont dans une résidence normalisée, après avoir passé une certaine partie de leur vie en centre fermé. On suit leurs quatre points de vue sur quelques événements : la gestion de l’appartement, la fuite de Gari pour aller vivre dans une maison squattée, les cours et le spectacle de danse de Nati…

C’était original dans la forme et le sujet, et intéressant. C’est rare qu’il y ait dans des romans des descriptions crédibles de réunions autogestionnaires. La version chorale de l’histoire, avec les formats différents donnés à la narration de chaque femme (narration intérieure pour Nati ; roman en lecture facile pour Angèls, qui raconte l’évolution passée de la vidéo du groupe jusqu’à l’arrivée dans l’appartement ; minutes d’audition judiciaire pour Patricia, CR de réunions de squats pour Gari) est réussi et permet à la fois de voir leurs divergences, leur agency et les différents aspects de leur vie et de leur rapport aux institutions ou groupes qui ont une influence sur leurs vies.

Je recommande.

Four weddings and a funeral, de Mike Newell

Comédie romantique anglaise parue en 1994. On assiste – comme le titre l’indique à quatre mariage et un enterrement, auxquels on retrouve la même bande d’ami•es qui appartiennent de plus ou moins loin à l’aristocratie britannique, dont Charles (Hugh Grant), le protagoniste, qui va tomber amoureux d’une américaine (Andie McDowell) rencontrée aux différents mariages. On suit l’évolution de leur relation alors qu’iels ne se voient que de loin en loin.

Le film est resté assez moderne : on a le regard cynique du groupe d’amis sur les mariages friqués où ils vont, les rôles genrés sont ok (la cohorte d’ex de Charles sont un peu clichés, mais c’est pour l’effet comique), c’est Charles qui tombe raide dingue de Carrie qui est plus distanciée, c’est lui qui prend un gros risque pour être avec elle (et un risque qui n’est pas prestigieux socialement). Les dialogues avec beaucoup d’humour anglais et de bitching sur le reste de l’assistance sont très réussis.

Je recommande.

Inside out, des studios Pixar

Film d’animation sorti en 2015. Les aventures des émotions dans la tête d’une fille de 11 ans. C’est un film pour enfants théoriquement, mais qui fait passer un message assez complexe sur l’importance des sentiments négatifs pour grandir, la perte, la maturité…

Au niveau des techniques de cinéma c’est comme toujours avec Pixar très bien animé, ça reste assez classique dans la facture (il y a un passage cool où les personnages rentrent dans une zone d’abstraction et se retrouvent en 2D, mais ça ne dure pas longtemps), le message et la réalisation sont réussis.

Je recommande.

Inside out 2

Un second volet, paru en 2024. On retrouve Riley et ses émotions deux ans plus tard, à l’orée de son adolescence. Sa puberté vient de commencer, et avec elle de nouvelles émotions sont apparues : Anxiété, Ennui, Envie et Embarassement. Joie et les autres émotions originelles vont se retrouver évincées par Anxiété et sa gestion prévisionnelle de Riley, qui va jusqu’à mettre en péril son sense of self. C’était joliment animé, mais j’ai trouvé ça beaucoup moins profonds que le premier, l’intrigue est quand même assez cousue de fil blanc.

I saw the TV glow, de Jane Schoenbrun

Film étatsunien de 2024. En 1996, Owen, 12 ans, est fasciné par les bande-annonce pour la série The Pink Opaque, qui passe après son heure de coucher. Il rencontre dans son collège Maddy, une fille de quelques années de plus qui est passionnée de l’émission aussi, et ment à ses parents pour aller regarder l’émission chez elle. Elle va ensuite lui enregistrer tous les épisodes sur cassette, jusqu’à sa mystérieuse disparition. Owen re-rencontre Maddy 10 ans plus tard, qui lui déclare qu’ils appartiennent à l’univers de The Pink Opaque et que ce monde est une illusion faite pour les retenir loin de leur réalité…

C’était assez cool. Le côté « fascination pour une série télé dans laquelle on trouve des trucs auxquels s’identifier qu’on n’a pas dans sa vie de tout les jours » est bien rendu – ainsi que la série télé des années 90 avec des monsters of the week avec des costumes en papier maché. L’ambivalence (et le côté bad trip) de « est-ce qui me semble être ma réalité n’est pas qu’une illusion élaborée »/ »est-ce que ce que je prends comme la seule chose possible n’est pas des limitations que je me suis mis tout.e seul.e » aussi. Le personnage d’Owen est assez déchirant du coup, dans son acceptation d’une situation qui le tue (que ce soit littéralement ou métaphoriquement). (La scène où il déclare face caméra avoir une famille qui est tout pour lui – mais qu’on ne voit jamais est très grinçante aussi).

Le film est une métaphore sur la transidentité – c’est d’ailleurs exactement la même métaphore que Matrix, donc c’est assez visible. Y’a un beau travail sur les lumières, et une esthétique « film d’horreur à petit budget » qui fonctionne bien (même si c’est pas à proprement parler un film d’horreur, y’a des éléments qui s’en rapprochent mais c’est pas exactement ça).

Je recommande (si vous aimez les métaphores sur la transidentité et les films d’horreur à petit budget).

Kiki la petite sorcière, du studio Ghibli

Dessin animé japonais, paru en 1989. A 13 ans, comme il est traditionnel pour les sorcières, Kiki quitte son foyer pour s’installer en tant que sorcière indépendante dans une nouvelle ville. Déterminée à voir l’océan, elle trouve une cité sur la côte. N’ayant pas appris à faire des potions ou des sorts, son talent principal est sa capacité à voler sur son balai. Elle va donc ouvrir un service de livraison, qui va lui permettre de rencontrer plein de gens. Mais rapidement, le fait d’être éloignée de sa famille, et de transformer le plaisir du vol en une source de revenu l’épuise, et elle en vient à questionner ce qu’elle fait, ce qui conduit à l’affaiblissement de ses pouvoirs.

C’était bien, comme la plupart des Ghibli. Les personnages sont assez réussis, que ce soit Kiki elle-même ou tous les gens qu’elle rencontre : le couple de boulangers, Ursula la peintre, la vieille dame, Tombo… Le côté épuisement du travail (surtout à 13 ans, purée) est bien rendu.

Je recommande.

Serpico, de Sidney Lumet

Film étatsunien de 1973. Frank Serpico est un policier idéaliste travaillant à New York. Il rejoint les unités travaillant en vêtements civils pour mieux se fondre dans la population et pousse pour porter de réels vêtements civils plutôt que le costume « civil » traditionnel repéré par tous les criminels. Il découvre rapidement que les unités en civil sont le centre d’un vaste réseau d’extorsion, où les criminels et les commerces payent pour ne pas être inquiétés par la police. Il va tenter de dénoncer la corruption qu’il constate, mais va se heurter à l’inertie d’une hiérarchie qui ne veut pas de vagues. Après avoir menacé d’en parler à l’extérieur de l’institution, une commission d’enquête va finalement être mise en place mais sans moyens…

Le film est inspiré de la vraie vie de Frank Serpico, dont les agissements ont mené à la mise en place de l’équivalent de l’IGPN pour l’État de New York. Al Pacino joue très bien le rôle titre, qui tourne en rond dans une institution aveugle à ses propres dysfonctionnements. En même temps il n’est pas montré comme un chevalier blanc : s’il est intègre dans son métier il se laisse totalement dévorer par son obsession de réussir à exposer la corruption, est insupportable avec son entourage et notamment ses compagnes qui finissent par le quitter. Il est aussi totalement isolé, ses collègues le détestant pour ne pas couvrir leurs agissements.

Je recommande.

The once and future witches, d’Alix E. Harrow

One witch you can laugh at. Three, you can burn. But a hundred?

Roman de fantasy étatsunien publié en 2020. L’action se déroule en 1893. Agnès, June et Bella Eastwood sont trois sœurs qui sont arrivées à la Nouvelle Salem depuis leur county provincial. Leur grand-mère était une sorcière qui leur a appris quelques sorts, mais la magie n’est plus ce qu’elle était, depuis que durant les temps médiévaux l’Inquisition à brûlé la majorité des sorcières et leur savoir avec elles. Mais pourtant, en ces temps de progrès, les sœurs Eastwood vont tomber sur un sortilège qui promet de faire advenir un Second Âge de la Sorcellerie. Et il est clair que les Eastwood ne sont pas les seules femmes du Nouveau Monde qui accueilleraient avec enthousiasme un peu plus de pouvoir que ce que le patriarcat veut bien leur accorder…

C’était fort chouette. Il y a quelques répétitions ici et là qui auraient pu être retiré par un passage éditorial de plus, mais à part ce léger défaut c’est une histoire originale, bien construite, qui alterne entre les points de vue des trois sœurs et qui crée tout un univers alternatif crédible. J’ai beaucoup aimé le genderbending de certains contes et des folkloristes (Charlotte Perrault et les sœurs Grimm ♥ ), la façon dont le roman rappelle qu’il s’agit d’une histoire occidentale (la magie des autres cultures fonctionne différemment, il y a toujours de la sorcellerie ailleurs, le combat initial pour le droit de vote est mené de façon séparé par les organisations de femmes noires et blanches). La façon dont les enjeux ne cessent de s’amplifier jusqu’à la bataille finale est bien écrite, les thèmes féministes fonctionnent bien (clairement y’a du Caliban et la sorcière dans les inspirations de l’autrice), peut-être les personnages masculins sont un tout petit peu trop caricaturaux mais c’est un défaut très très mineur).

Je recommande si vous voulez de la fantasy féministe/si vous avez aimé La Scholomance.