Nous partîmes fringants et pleins d’espoir, le passeport en bandoulière, le visa s’étalant fièrement à la vue de tous. L’obtention avait été tumultueuse, mais nous étions en règle, prêt à laisser de coté toute tracasserie administrative pour se focaliser sur la Science et les voyages. De quelle naïveté ne faisions nous pas preuve !
Cette euphorie fut de courte durée. Sitôt arrivé, on nous signala, à demi-voix, l’existence du « Herrero », monstre mythique qui terrorisait le pays. Chaque nouvel arrivant devait se mesurer à lui et espérer en sortir indemne. Tel le Sphinx, le Herrero fonctionnait par énigmes. Il demandait au voyageur un tribut sous forme de parchemins difficiles à collecter, un certificat d’affiliation, une preuve de logement… Et refusait bien souvent des tributs pourtant conforme aux règles qu’il venait d’énoncer, son humeur changeante et capricieuse voulant désormais que tel parchemin soit présent deux fois ou signé de la main d’un vieux sage.
Je cheminai vers la tanière du monstre plein d’appréhension. En effet, mon visa était vicié : là où « IFP » devait s’afficher, une regrettable confusion à l’Ambassade avait laissé pour marque les mots « Alliance Française ». Le monstre n’eut que dédain pour mes tentatives de l’amadouer. Il me fallait une quittance de l’Alliance et non pas de l’IFP. « Mais je n’appartiens pas à l’Alliance », me débattais-je tel Alderaan face aux Siths. Le minotaure pondicherrien me laissa une ultime chance : Si je pouvais faire un duplicata de tous mes parchemins, alors il laisserait les parchemins accomplir une quête, une quête jusqu’à Chennai, cité mythique et lointaine, où ils subiraient l’ordalie d’un groupe de sages. La route jusqu’à Chennai était longue et semé d’embûches, et nul ne saurait si mes parchemins avaient péri en route. L’attente deviendrait mon credo, jusqu’à l’hypothétique appel qui me signalerait le retour sain et sauf de mon dossier. La mort dans l’âme, je regardais le Herrero sceller le destin et l’enveloppe de mon dossier.
Deux longs mois passèrent, un hiver de mon âme où je fus tel Pénélope. Et par un matin brûlant comme seul Pondy sait les créer, une sonnerie se fit entendre. La voix était ténue, couverte par les parasites, pourtant quelques mots firent sens, allant droit à mon cœur : « file… Chennai… back ». Il avait réussi le voyage ! Pour autant, l’ordalie avait-elle été un succès ?
Le lendemain, à l’heure où blanchissait la campagne, je partis. J’allais par Nehru Street, j’allais par le canal : je ne pouvais rester sans nouvelles plus longtemps. Dans la tanière du monstre pourtant, il me fallut patienter encore : trop tôt arrivé, la bête n’était point éveillée. Enfin j’aperçus mon dossier. Le Léviathan hésita, frémit, puis me tendit sa serre. De mes mains tremblantes s’échappèrent mon passeport, la bête me fis signe de revenir à la tombée du soleil, quand elle aurait fait agir sa magie.
Le soir donc je revins, et mon passeport me fus rendu, orné d’une rune proclamant que la bête m’accordait droit de cité.
Étais-ce la fin ? Il me plaît de l’espérer.
Et cependant, tel un cadeau empoisonné,
La bête a laissé une énigme à méditer :
Si je pose mon regard sur mon laisser-passer,
Et que je compte les jours qui me sont échoués,
Pour atteindre mon avion, il me manque une journée.