L’Amour sous algorithme, de Judith Duportail

Essai de 2019. L’autrice retrace son propre rapport à Tinder et expose des éléments sur le fonctionnement du site de rencontre, sa collecte de données, ses algorithmes de mise en relation des utilisateurices, et son impact sur le déroulement des relations romantiques qu’il médie.

C’était court, un peu plus subjectif que ce que je préfère comme style d’essai, mais assez intéressant. Duportail met en scène sa quête d’éléments supplémentaires sur la note de désirabilité que Tinder attribue aux profils et aux photos, et à comment l’entreprise met en relation des profils. Elle met en lumière une collecte massive de données pour la construction des profils, utilisées en interne pour construire des métriques, et évidemment aussi revendues aux annonceurs publicitaires. Elle révèle aussi comment les choix de fonctionnement de Tinder favorisent les mises en relation selon des schémas patriarcaux : femme plus jeune, moins riche et moins diplômée pour les couples hétéros. Le passage sur l’utilisation de points communs entre utilisateurs pour faire des matchs qui vont voir ce point commun comme « un signe du destin qu’ils étaient faits pour être ensemble » est assez édifiant, ainsi que les éléments sur la construction du modèle de présentation des profils selon un modèle de récompense aléatoire, un des modèle qui favorise l’addiction (et qu’on retrouve au coeur d’énormément d’applications désormais). Les éléments sur les comportements des utilisateurs et utilisatrices sur la plate-forme sont présents mais assez succincts.

Je recommande si le sujet vous intéresse de base.

The Host, de Bong Joon-ho

Film coréen de 2006. Suite à des rejets de produits chimiques dans une rivière, un poisson mute en un monstre mangeur d’hommes. Après une attaque du monstre sur les berges de la rivière, le gouvernement évacue la zone et place toutes les personnes en quarantaine, les États-Unis ayant noté sur un de leurs soldats présents que le monstre était porteur d’un virus dangereux. Une famille qui tenait un stand sur le bord de la rivière choisit de s’échapper de la quarantaine et de retourner dans la zone évacuée, pour chercher la fille de l’un d’entre eux, enlevé par le monstre.

J’ai bien aimé. Ça faisait longtemps que je voulais le voir, j’avais bien aimé plusieurs autre films du réalisateurs (Parasite, le Transperceneige, Memories of Murder), et la vidéo de Bolchegeek sur Squid Game m’a remotivé (oui cette phrase c’était la fête du lien).
Plusieurs thématiques qui m’ont plu dans le film : la mise en scène de l’incompétence des gouvernements dans la crise sanitaire : le gouvernement coréen s’aligne totalement sur ce que lui disent les États-Unis, la réponse passe essentiellement par la militarisation de la question, puis le déploiement d’une arme expérimentale avec d’énormes impacts sur la population. Ce que disent les gens sur place est ignoré, le gouvernement gère entre sachants (ça sonne familier ?, attendez la suite). Le problème principal posé par le monstre est qu’il serait porteur d’un virus respiratoire type SRAS (un coronavirus, donc), et on voit les gens porter des masques dans le film. Ça rend le tout très actuel.
A côté de l’incompétence gouvernemental, il y a le plan façon système D de la famille de protagonistes, pour tenter de retrouver la cadette. Ce qu’ils tentent foire assez généralement et assez largement, mais au moins ils tentent des trucs, ils se serrent les coudes. Le combat final contre la créature et les actions des différents membres de la famille, leur coordination qui réussit finalement à se mettre en place est notamment très réussi, sans que ce soit très chorégraphié, ça en fait un combat intéressant à voir. Le fait de montrer que leur victoire ne résout pas grand chose est intéressant aussi : les personnes mortes sont toujours mortes, le gouvernement déploie quand même son arme chimique. Mais ça reste une victoire malgré tout.

Enfin, un élément qui ne pouvait que me plaire, c’est quand c’est quand même Dessous de Ponts : le Film. Toutes les séquences où les héros tente de débusquer la créature, c’est des ballades sous les différents ponts de la rivière Han, l’exploration de tunnels de service, plein de dessous d’architectures industriels et de vides techniques. Ca fait de jolis décors pour les gens qui aiment les piliers en béton (=moi).

Vallée sauvage du Dadou

Randonnée par temps gris dans la vallée du Dadou. On n’a croisé personne, des coins très beaux le long du fleuve ou de ses affluents, avec des ponts de singe, des moulins, des coins de forêts très moussus. Chemin créé et entretenu par un particulier qui s’est motivé à démarcher ses voisins pour les droits de passage et qui fait le balisage et l’entretien. On a rajouté la boucle aux cascades d’Arifat que j’avais déjà faite y’a quelques semaines.

Sculpture de dragon
Cascade d’Arifat
Château d’Arifat
Le Dadou
balisage fait maison

Exhalation, de Ted Chiang

Recueil de nouvelles de science-fiction, écrites entre 2005 et 2019, de longueurs assez variables. J’aime bien l’écriture de Ted Chiang, je trouve qu’il fait des trucs très réussis et originaux sur des thèmes pourtant très classiques de la SF. Les formes les plus courtes (What’s Expected of us, Dacey’s Patent…, The Great Silence) étaient sympathiques mais manquait un peu de place pour poser des idées vraiment intéressantes. A l’inverse la plus longue, The Lifecycle of Software Objects était un peu trop longue par rapport à son fond j’ai trouvé, mais c’était raccord avec le projet de raconter l’évolution d’une relation sur 20 ans. J’ai beaucoup aimé Omphalos et Anxiety is the Dizziness of Freedom, qui traite de thème très différents l’une de l’autre, mais ont la même démarche de creuser loin les implications sur divers plan d’une découverte/invention, un genre de hard SF que j’aime beaucoup.

Je recommande le recueil.

Archive 81, de Rebecca Sonnenshine

Série paranormale de Netflix sortie en 2022, assez décevante.

Le setup était très bien : en 2021, un archiviste est engagé par un mystérieux donateur pour restaurer une série de cassettes vidéos tournées en 1994 qui ont subi un incendie. Les cassettes s’avèrent être les rushs de l’enquête que menait une doctorante en sociologie sur un immeuble new-yorkais semblant héberger une secte aux desseins énigmatiques. L’archiviste va progressivement ressentir une affinité pour la doctorante vidéaste et avoir l’impression que les cassettes elle-mêmes ont des capacités surnaturelles. On va aussi avoir directement le point de vue de la doctorante, au delà de ce que l’on peut voir via les scènes tournées.

Malheureusement, sur ce setup intéressant, et qui fonctionne bien sur les premiers épisodes, on a une exécution qui ne fonctionne pas du tout à mon sens : pas de montée progressive de la tension, des répétitions trop nombreuses et des scènes d’explications qui prennent le spectateur pour un débile, des trous béants dans le scénario, des éléments qui sont abandonnés en cours de route. Il y a une idée très intéressante sur la fin à base de non-linéarité de l’enregistrement sur les cassettes (ce qui fait que ce que l’on croyait séquentiel et causal au premier visionnage ne n’est en fait pas), mais elle est absolument sous-employée. La partie restauration des cassettes en elle-même est aussi complétement sous-exploitée : toutes les cassettes sont restaurables à la perfection, pas de complication, pas de pertes d’éléments, et dans la mise en scène de l’acte de restauration, on a toujours les deux mêmes plans plutôt que de prendre le temps de vraiment montrer une expertise.

Bref, dommage. Les deux acteurs principaux jouent très bien par contre.

Bolchoï Arena, d’Aseyn et Boulet

Premier tome d’une bande dessinée qui parle de monde virtuel. Marje est une nouvelle dans Bolchoï Arena, une simulation gigantesque qui représente plusieurs systèmes solaires, dont le notre, avec un niveau de détails hallucinant. Elle y est venu pour faire de l’exploration spatiale, son sujet de recherche dans le monde réel, mais elle s’avère incroyablement douée en combat virtuel, un atout appréciable dans un monde numérique qui brasse un argent gigantesque.

J’avais repéré la BD par hasard, parce qu’Aseyn a aussi dessiné dans le même style la réclame du Monde Diplomatique. Je suis content de cette sérépendité, le scénario est super bien (je n’ai lu que le premier tome so far donc rien n’est résolu), et le dessin est super.

Deuxième tome

Plus de questions, quelques révélations mais pas vraiment de réponses définitives en plus, mais l’histoire tient toujours la route. Vivement la suite !

Troisième tome

Je suis assez bluffé par la capacité des auteurs à étendre l’univers à chaque tome, tout en gardant une cohérence d’ensemble. Dans ce tome encore pas mal de nouvelles questions, une évolution intéressante et crédible des relations entre les personnages. Par contre j’ai l’impression que la question « qui a créé le Bolchoï ? » est assez centrale depuis le second tome, et que c’est un point qui reste pour le moment totalement ignoré par les protagonistes.

Illustration d’Aseyn pour le Diplo, sur leur twitter

Hamlet, mis en scène par la compagnie Vol Plané

Pièce vue à la scène nationale d’Albi. Hamlet est prince du Danemark. Le fantôme de son père lui révèle qu’il a été assassiné par son oncle, désormais roi. Hamlet décide de se consacrer entièrement à la vengeance, simule la folie, est odieux avec tout le monde autour de lui, et ça finit mal.

La mise en scène était très originale : les spectateurs étaient disposés à 360° autour de la scène, plusieurs acteurs jouaient Hamlet successivement, voir simultanément. Les acteurs prenaient parfois place dans le public, certains spectateurs étaient mis à contribution pour lire les lignes de personnages mineurs, et des drapeaux avaient été distribués dans le public représentant les nations mentionnées dans la pièce, que les spectateurs devaient agiter quand elles étaient mentionnées. Il y avait de la musique moderne et de la danse.

On pourrait craindre que toutes ces altérations fassent un peu gadget, et relèguent le texte au second plan, s’appuyant juste dessus pour des effets comiques qui marcheraient aussi bien avec une autre pièce. Je n’ai pas trouvé que ce soit le cas. Ce que ces modifications font, c’est mettre en lumière les conventions théâtrales, de façon réussie. Autant la n-ième répétition d’une pièce où les acteurs brisent soudain le quatrième mur pour aller se balader dans le public ça m’agace à force d’être suremployé, autant ici j’ai trouvé ça intéressant : le personnage d’Hamlet est marqué par un hoodie noir, indépendamment de l’acteur qui le porte, on distingue bien le personnage de l’acteur. Les changements d’acte sont annoncés par une voix off, ou directement par les acteurs. L’ensemble de l’espace de la salle est traité comme la scène, et le public comme des accessoires qui font pleinement partie de la pièce : le jeu avec les drapeaux marche notamment très bien : les drapeaux Danemark sont distribués massivement par rapport aux autres nations, illustrant les rapports de pouvoir politique dans la pièce et matérialisant aussi la cour du Danemark quand le roi et la reine s’assoient parmi eux : un tel effet serait difficile à réaliser sans rajouter une masse de figurants sur scène. Et si la troupe prend clairement plaisir à souligner les aspects comiques du texte, les passages tragiques ne sont pas relégués à l’arrière plan pour autant.

El laberinto del fauno, de Guillermo del Toro

Film fantastique espagnol de 2006. A la fin de la guerre civile espagnole, une femme enceinte et sa première fille vont rejoindre le nouveau mari de la mère dans la campagne espagnole. Le nouveau mari est est un officier franquiste qui traque les dernières colonnes républicaines. Le film suit principalement le point de vue d’Ofelia, la jeune fille, qui découvre dans la propriété un ancien labyrinthe, où une créature magique lui annonce qu’elle est la réincarnation de la princesse d’un royaume souterrain. Pour pouvoir y retourner, elle doit triompher de trois épreuves. Le film va montrer en parallèle les péripéties fantastiques d’Ofelia et la lutte des républicains contre le régime fasciste. Et la question du parallélisme est ici cruciale : le film ne dit pas clairement ni si Ofelia imagine ces péripéties ni si elle réussit finalement sa dernière épreuve, mais tout du long ce qu’elle vit fait écho au combat des républicains et notamment de Mercedes contre les soldats fascistes : on retrouve le motif de la clef, des stocks de nourriture, du refus d’obéir aux ordres. Une lecture du film est qu’Ofelia serait la part d’enfance de Mercedes, qui mentionne qu’elle « croyait aux fées petites mais plus maintenant ».
Mais si les rôles moraux sont bien distribués dans le monde réel ou l’opposition fascisme/républicains est claire, les choses sont beaucoup moins évidentes dans les épreuves d’Ofelia, où le rôle du faune qui la guide semble ambigu.

Si les images de synthèse sont un peu datées, le film reste très beau, très inventif sur le côté dark fantasy, sans que celui-ci ne prenne toute la place. Au contraire, c’est probablement plus l’intrigue réaliste qui a le plus de temps d’écran, et qui est aussi très bien filmée. Les personnages sont globalement réussis (peut-être moins les républicains, que l’on voit assez peu et qui sont plus archétypaux). Bref, je recommande si vous ne l’avez pas vu.