Archives de catégorie : Screens, thousands of them

Megalopolis, de Francis Ford Coppola

Film paru en 2024. Nous sommes à New Rome, capitale économique des États-Unis. La ville connait une crise économique et démocratique. Deux visions de l’avenir de la ville (ou de la Ville, comme allégorie de la Civilisation, c’est un film avec beaucoup de Majuscules) s’affrontent : celle du maire, Frank Cicero, partisan du status quo et de réformes progressives, et celle de Cesar Catilina, dirigeant de la commission d’urbanisme (qui dépend visiblement du niveau fédéral ou étatique, en tous cas il est totalement indépendant de la Mairie, au grand dam de Cicero), architecte visionnaire qui veut totalement changer l’architecture de la ville (mais plutôt genre Haussmann que révolution prolétarienne). Les deux visions sont franchement assez creuses : le maire reproche à Catilina son idéalisme mais ne propose rien en face – et le reproche d’idéalisme est fondé, Catilina dispose de pouvoirs et matériaux magiques (because why not), mais il fait surtout des Discours avec des Majuscules et détruit des quartiers d’habitation pour mettre toute la ville en chantier pour faire advenir son Utopie d’un seul coup.

S’ajoutant au débat d’idées, on a des relations familiales : Catalina est soutenu par son oncle Crassus, le banquier le plus riche du monde – et envié par son cousin Claudio, qui voudrait bien être l’enfant prodige de la famille à la place du calife. Catalina est hanté par la mort de sa femme dont il a été accusé (mais il n’est qu’indirectement responsable à cause de son workaholism), et adulé par deux femmes : la reporter Wow Platinum, aux dents très longues, et Julia, la fille du maire, ce qui va donner une coloration Capulet/Montaigu. On va parler dès maintenant des rôles féminins : ils sont nuls. C’est vraiment un quadrat muse/maman/putain/vierge. Les rôles des deux mères de familles sont rigolos mais ont droit à 30 secondes chacune environ. Audrey Plaza donne tout ce qu’elle a en Wow Platinum, mais elle doit se coltiner un scénario où elle est passionée par Catilina sans que ce soit justifié une seule seconde. En 2024, c’est quand même très dommage.

Ah, et les effets spéciaux numériques sont très laids, et y’a plein de bouts d’intrigues qui disparaissent en plein milieu ! Mais du coup, qu’y a-t-il à sauver dans ce film ?

Eh bien quand même pas mal de choses. C’est clairement pas le film de l’année ni le joyau de la carrière de Coppola, mais c’est un film qui ose plein de trucs. Y’a le côté collage de genre et d’époques : c’est Rome, c’est New York, c’est le trumpisme et les catilinaires (avec des citations in extenso du vrai Cicéron, notamment « jusqu’à quand, Catilina, abuseras-tu de notre patience »), c’est des décors Art Déco, avec des voitures qui font film noir/Métropolis, une vision du créateur démiurgique qui rappelle dans un style très différent Le Garçon et le Héron (mais on est sur des films testaments dans les deux cas), des costumes magnifiques (je pense que les costumes sont la partie la plus réussie du film), des splitscreens, une rupture du 4e mur, des passages où y’a juste des dessins projetés sur l’écran. C’est 15 000 trucs cités, autant testés, et y’en a qui resteront. Il y a quelques passages un peu long, mais c’est un film durant lequel il est difficile de s’ennuyer.

Aucune idée de si je le recommande.

We’re all going to the world’s fair, de Jane Schoenbrun

Film paru en 2021, le premier de la réalisatrice (avant I saw the TV glow). Ça commence comme un film d’horreur : Casey, une ado isolée se lance dans un challenge internet qui implique de répéter trois fois une phrase et mettre un peu de son sang sur l’écran, puis regarder une vidéo. Elle fait des vidéos pour documenter la « transformation » qu’est supposée apporter le challenge, elle est contacté par un autre participant, un mec plus âgé qui dit s’inquiéter pour elle et le chemin sur lequel l’emmène le challenge.

Sauf que ce n’est pas un film d’horreur : Casey est tout à fait consciente qu’elle participe à un jeu en ligne, les propos qu’elle tient dans ses vidéos sont un rôle. Et si le mec qui lui parle est un peu creepy, ce n’est pas dans une veine horrifique, ni même visiblement dans une veine de groomer, il a juste l’air très seul aussi et pas très bon pour construire des récits à plusieurs. Globalement c’est un film sur le fait de grandir seul, avec internet comme principale source d’interaction, un peu en périphérie de communautés en ligne.

On retrouve des éléments communs entre les théories autour de la World Fair et le monde de I saw the TV glow : deux mondes, un réel et un maléfique, le passage entre les deux mondes via un planétarium. Mais dans We’re all going, le monde montrée est le monde réel (et le monde maléfique est imaginaire), dans I saw c’est le monde factice (et le monde réel est présenté comme une délusion pour que les personnages ne s’échappent pas). C’est un film à petit budget, on ne voit vraiment que deux acteurs, et c’est tournée dans la périphérie d’une ville nord-américaine, avec visiblement une ou deux caméras (+ des webcams).

X, de Ti West

Slasher paru en 2022. En 1979, une équipe de tournage débarque sur une ferme du Texas profond pour tourner un film pornographique. Mais il s’avère que le couple de propriétaires grabataires ont quelques squelettes dans le placard et vont éliminer l’équipe de tournage, sauf une final girl qui va réussir à les tuer et s’enfuir.

C’était bien tourné et bien référencé (c’est avant tout un film qui parle de cinéastes, donc on sent qu’ils ont fait leurs devoirs : il y a de belles références à Psycho notamment), mais ça reste un slasher classique, et donc – je trouve – pas vraiment un genre de film d’horreur passionnant.

Lilo and Stitch, des studios Disney

Film d’animation sorti en 2002. Stitch est une créature bioingéniéré en laboratoire pour être une machine de destruction. Déféré devant la Fédération Galactique, il est condamné (alors que c’est pas exactement de sa faute) à l’exil sur un astéroïde. Il réussit à détourner le vaisseau, et le crashe sur Terre, plus précisément à Hawaï. Ses instincts lui disent de trouver une grande ville à détruire, mais Hawaï en est malheureusement dépourvu. Poursuivi par son créateur et un agent de la Fédération, il se dissimule en se faisant adopter comme animal de compagnie par Lilo, gamine turbulente élevée par sa sœur. Vont s’ensuivre moult quiproquos et situations chaotiques, les deux personnages ayant tendance à faire rapidement – volontairement ou non – escalader toute situation.

C’était sympa. Je le voyais pour la première fois, j’ai trouvé le dessin assez beau (à part quelques passages en 3D pour les vaisseaux spatiaux qui sont assez visiblement datés), l’animation est fluide et les persos attachants. J’ai trouvé que la fin était un peu ratée avec des enjeux qui remontent, redescendent, des nouveaux antagonistes, d’anciens antagonistes qui deviennent des alliés… Et globalement Stitch sert un peu trop de couteau suisse, entre créature chaotique, puis mignonne, puis impulsive, puis intelligente… Notamment les passages où il parle ça marche assez mal.

Mais globalement, recommandé.

Isn’t it romantic, de Todd Strauss-Schulson

Comédie romantique parue en 2019, sans grand intérêt. Nathalie (jouée par Rebel Wilson) déteste les comédies romantiques. Suite à un trauma crânien, elle se retrouve dans un univers alternatif qui fonctionne selon tous les clichés des romcoms gnangnans. Elle est genre-savvy et veut en sortir, elle va donc faire en sorte de trouver qui doit lui déclarer son amour pour arriver au happy ending et donc à la fin du film. Le concept était rigolo, mais la réalisation ne réussit pas vraiment à déconstruire la romcom, ça reste au milieu du gué entre dénoncer et embrasser les clichés. Le fait d’avoir voulu faire un film PG-13 y joue probablement, il aurait fallu que l’héroïne puisse davantage casser les conventions du genre pour que ça donne un film intéressant.

Picnic at Hanging Rock, de Peter Weir

Film australien de 1975. Lors d’une sortie scolaire dans le bush australien en 1900, trois pensionnaires et une enseignante d’un pensionnat pour jeunes filles disparaissent. On va suivre l’impact de cette disparition sur le pensionnat et la petite ville à proximité, entre rumeurs sur ce qui a pu se passer, fausses pistes, et évolutions immédiates pour le pensionnat (turns out que les parents, même quand ils sont anglais et distants, n’aiment pas que l’on égare les enfants qu’ils vous ont confiées).

Étrangement ça m’a un peu fait penser à Gone Girl pour un point très spécifique : j’ai l’impression que y’a des espèces de sauts dans l’évolution des personnages, de leur relation, qu’on a un peu du mal à suivre, et qui je pense font dans les deux cas plus sens dans le livre dont le film est adapté, avec des possibilités de narration interne (ou juste d’y passer plus de temps).

Sinon, j’aime bien l’ambiance outback australien et formation géologique random (+ pensionnat du tournant du siècle avec des décos anglaises très moches) et un peu onirique (visiblement pendant le tournage l’équipe mettait des voiles sur la caméra pour avoir ce rendu d’image un peu adouci/flouté, l’origine des filtres instagram enfin révélée). Dans la première partie du film (jusqu’à la disparition) tout le monde a l’air d’être sous drogue (mais c’est peut être juste le fait d’être des anglais.es réprimé.es et cuit.es par le soleil). Après ça se perd un peu je trouve, trop de trucs en parallèle (l’enquête des deux mecs, les conséquences dans le pensionnat, la battue de la ville) mais rien qui n’est exploré à fond (notamment le mystère de ce qui se passe avec le rocher, qui s’il n’a pas besoin d’être résolu, n’a en l’occurence l’air d’inquiéter personne plus que ça. Le côté ça devient un événement médiatique et les gens se font prendre en photo en souvenir de la battue par contre, très intéressant (et on retrouve des parallèles avec Gone Girl et le traitement médiatique des disparitions sensationnelles).

Kaos, de Charlie Covell

Série télé sortie en 2024. L’histoire se passe dans un monde où les dieux de l’Olympe existent, et sont toujours vénérés de nos jours. L’histoire, racontée par Prométhée qui est à la fois protagoniste et narrateur omniscient, met en scène le début de la révolte des Humains contre ce panthéon, et particulièrement contre Zeus, dont la paranoïa le conduit à vouloir faire s’abattre des catastrophes naturelles sur l’Humanité pour les forcer à l’adoration.

Ca commence très bien, le côté mythologie modernisée fonctionne, Jeff Goldblum est très bon en tant que tyran domestiques aux capacités divines, mais ça s’essouffle un peu à partir de la moitié de la série. L’Olympe fait quand même très vide, avec une famille divine réduite à 6 personnes – même si les autres dieux et déesses sont évoqués on ne les voit jamais – et à part Zeus, ceux qu’on voit ne font pas grand chose de divin… De la même façon, le monde se réduit à la Crète, et même à sa capitale d’Heraklion, le reste n’est jamais évoqué. Il aurait fallu plus de dieux, moins de scènes filler dans les Enfers, et une ligne narrative + inspirante que celle d’Orphée (même si le twist dessus est intéressant). Ah et un point tout à fait mineur mais qui m’a personnellement agacé, c’est les petits bouts de latin. Oui ça fait antique, mais il s’avère que la langue grecque existe ? Et que c’est plus cohérent avec le panthéon grec et une histoire située en Crète ?

Bref, un gros potentiel pas totalement réalisé (+ une saison qui n’est que la moitié d’une histoire qui devrait se continuer dans la saison 2), mais si vous aimez de base la mythologie (et/ou Jeff Goldblum), vous apprécierez la série.

Jusant, du studio Don’t Nod

Jeu vidéo sorti en 2023. Un.e jeune muet traverse un désert parsemé de carcasses de bateaux et arrive au pied d’une tour gigantesque. Au fur et à mesure de son ascension de la tour, iel va découvrir l’histoire de ses ancien.nes habitant.es. Ça pourrait être Chants of Sennaar, c’est Jusant. Pas d’énigmes sur la construction du langage, mais de l’escalade pour arriver au sommet de la tour, en parcourant des zones avec des cultures/écologies distinctes.

C’était joli, l’univers est sympa, par contre c’est vraiment un walking simulator. Il n’y a pas de difficulté dans les énigmes, ni dans l’escalade. Si c’est intéressant d’avoir un mécanisme bras droit/bras gauche, pour le reste ça n’a pas du tout un rendu d’escalade. Pas de grimpe avec les jambes, pas de vraie gestion de la fatigue (pourquoi on ne peut pas se reposer sur ses pitons ? Ça m’a grandement perturbé). Si les mouvements du corps du perso sont assez réalistes en termes d’escalade (en imaginant qu’iel soit surmusclé.e et fort.e en technique), par contre point de vue contrôle on n’a jamais de variations.

Sympa pour l’univers et pour faire un jeu détente, mais manque d’un vrai rapport à l’escalade – en d’enjeux qui ne soient pas juste ce qu’on lit dans des éléments ramassés dans le paysage.

Inside, de Bo Burnham

Film sorti en 2021. Il s’agit d’un seul en scène, tourné pendant la pandémie de covid. Pour le background, Bo Burnham était une star d’internet qui a commencé à faire des spectacles sur scène, puis des crises de panique pendant ces spectacles. Du coup il a quitté la scène, suivi une thérapie, puis il s’est dit en janvier 2020 que c’était le moment de revenir sur scène, ce qui était Pas Le Meilleur Timing™. (Ce contexte n’est pas du tout nécessaire à avoir avant de lancer le film – perso je ne l’avais pas, il rajoute une couche au tout, mais c’est de toute façon évoqué pendant le spectacle). Du coup, il décide de tourner ce « comedy special » entièrement dans la (grande) chambre d’amis de sa maison. Il a masse matos et masse technique de son passé en tant que youTubeur, et il les exploite très bien.

Le spectacle est fait de pas mal de non-sequitur et de petites séquences séparées, Bo Burnham parle de son rapport à la mise en scène de soi, à la pertinence de faire des blagues quand le monde s’effondre, aux trucs merdiques qu’il a pu faire plus jeune (des blagues racistes, au hasard), de sa santé mentale… C’est pas mal méta, techniquement impressionnant, assez inclassable, et plus ou moins la seule œuvre (à l’exception de la saison 2 de Work in progress) qui donne un sentiment réaliste de ce que ça a été de vivre le confinement et ses conséquences.

Je recommande.

Arcane, du studio Fortiche

Série d’animation dont la première saison est sortie en 2021, et prenant place dans l’univers de League of Legends. On suit l’enfance puis la fin de l’adolescence de deux sœurs, Violet et Powder, dans les villes jumelles de Zaun et Piltover. Nées à Zaun, cité pauvre et souterraine aux pieds de la riche Piltover, les deux sœurs ont été témoins de la mort de leur parents lors d’une tentative de révolte des zaunites contre l’autorité de Piltover. Recueillies par un des leaders de la révolte, elle grandissent à Zaun avant d’être séparées, et de se retrouver des deux côtés d’un conflit à la fois entre les deux cités et les différentes factions qui s’agitent au sein de chacune des deux, alors que l’invention de l’HexTech, une façon d’exploiter les énergies magiques, démultiplie la richesse de Piltover – et les appétits.

L’animation est très belle, avec des décors dans un style peinture à l’huile, et une esthétique steampunk/Belle Époque pour les deux villes, et des trucs un peu plus audacieux en termes de rendu sur la seconde partie de la série. Par contre j’ai trouvé l’ensemble des personnages assez clichés, on est énormément sur des archétypes, même pour les deux persos principales, y’a pas une grande profondeur psychologique.