Archives de catégorie : Screens, thousands of them.

Julie & Julia, de Nora Ephron

Film états-unien de 2009. On suit en parallèle la vie de Julia Child, la femme d’un attaché diplomatique américain qui décide alors qu’elle vit à Paris dans les années 50 de prendre des cours de cuisine française et va rédiger un livre de cuisine qui va populariser la cuisine française aux USA, et en 2002 celle de Julie Powell, une new-yorkaise qui va réaliser en un an l’ensemble des 500 et quelques recettes du livre de Julia Child tout en tenant un blog sur le sujet.

Julia Child est jouée par Meryl Streep et c’est toujours sympa de voir Meryl Streep qui trippe dans un rôle d’américaine exubérante, et le parallèle entre les deux femmes et les époques étaient intéressantes. Après j’ai un peu de mal avec le côté « un récit de vie qui montre qu’avec de la volonté et de la motivation on peut réaliser ses rêves : Julia est clairement dans un milieu bourgeois, le film ne s’en cache pas, mais pour Julie elle est coincé dans un job administratif relou et la solution c’est de rédiger un blog parce que y’a pas de barrière d’entrée, et de se tenir à son projet : désolé mais les blogs ça n’existe pas dans le vide, même si le film ne le montre pas il y a dû y avoir tout un process de publicité du blog en question, elle n’a pas juste réussi à s’imposer à la force du poignet sur « the marketplace of ideas » ou whatever.

À part ce point qui m’a quand même fait pas mal râler, c’était sympa de voir le film, de voir la mise en scène de la nourriture (même si c’est un peu présenté comme un truc magique et enchanteur libéré des contingences matérielles, on a juste à un moment Julie qui remarque que la cuisine de son appart est pas du tout adapté pour faire les recettes du livre, j’aurais bien voulu voir cet aspect davantage creusé).

The French Dispatch, de Wes Anderson

Film états-unien de 2021. Le film présente cinq histoires, reprenant les cinq articles publiés dans le dernier numéro du magazine fictif The French Dispatch, le supplément sur la France et rédigé en France d’un journal du Kansas. Wes Anderson déploie dans les différentes histoires des visions d’une France correspondant à ses grands clichés, entre cuisine, film noir, révolte étudiante et artistes fous.

Le côté film à vignettes avec des variations de cadrage, de médium, de colorisation m’a un peu fait penser à Kill Bill, dont l’histoire ne part bien sûr pas du tout dans les mêmes directions, mais qui a un peu ce même côté « grosse variabilité du medium ». Il se passe beaucoup de chose dans le film, ça parle beaucoup, les tableaux sont denses avec beaucoup de détails, il demande un effort de concentration à voir. C’était sympa mais le côté vignettes m’a un peu laissé sur ma fin, j’aurai préféré une histoire qui se déploie sur l’ensemble du film, et le côté France fantasmée m’a fait sourire mais sans m’emporter totalement : c’est rigolo d’avoir une espèce de territoire onirique qui est à la fois un charmant petit village et une version over the top du Paris des années 60/70 renommée Ennui-sur-Blasé, mais ça fait pas une histoire pour autant, à mon sens. Dans les influences, je trouve aussi que le descriptif de la ville et toute l’enquête policière à base de nourriture ont un côté très Orphelins Baudelaire, aussi.

J’ai passé un bon moment devant, mais ce n’est pas mon Wes Anderson préféré pour autant.

Présidents, d’Anne Fontaine

Film français de 2021. Nicolas, ancien président de la République de 2007 à 2012, est incapable de se dire que ses années au pouvoir sont derrière lui, et inquiet de la montée en puissance du Rassemblement National. Pris d’une inspiration subite, il part en Corrèze chercher François, ancien président de 2012 à 2017, pour le persuader de fonder ensemble un nouveau mouvement transpartisan qui les remettrai en selle…

C’était assez étrange. Dans le pitch on dirait une fanfic, dans les moyens du film et dans le focus sur les sentiments des personnages plutôt que sur les grands événements aussi. Mais c’est une fanfic qui peut se permettre de débaucher Dujardin comme acteur principal, ce qui donne quelque chose d’étrange. L’imitation de Sarkozy part Dujardin est assez intéressante, mais elle fluctue largement d’un bout à l’autre du film, il ne tient pas du tout le personnage, la gestuelle et les intonations de langage en permanence, ce qui rajoute un peu au côté cheap de l’objet. Après c’était rigolo à regarder : la plus grande partie du film se déroule dans un petit village coupé de tout, on n’est pas du tout sur un commentaire sur les jeux de pouvoirs de la politique réelle, c’est les deux figures des anciens présidents comme deux archétypes de personnes, leurs doutes et leur envie de lumière. Tout se règle entre quelques personnes, les préoccupation du quotidien sont bien plus importantes que les enjeux de pouvoir : il y a des petites phrases et des évocations du passé (qui donne d’ailleurs de très bonnes blagues), mais pas de question sur le rapport de Sarkozy à la justice par exemple, le film est très lissé là dessus. Nicolas est préoccupé par la santé de son ratier de Prague, François joue du saxo à la fête du village, leurs compagnes sont pleine de naturelle et de préoccupations pour la vie des vraies gens, il n’y à pas d’enjeux d’argent ni de vraies questions politiques au delà de « s’unir contre le FN ».

Bref, c’était anecdotique mais agréable à regarder dans l’optique fanfic/étude de caractère, c’était ce que j’y cherchais donc je n’ai pas été déçu.

The Wicker Man, de Robin Hardy

Film britannique de 1973. Un policier débarque sur Summerisle, une petite île au large des côtes écossaises. Il a reçu une lettre anonyme annonçant la disparition d’une enfant sur l’île. Une fois sur place, il réalise rapidement que les habitants suivent une tradition païenne et que la disparue va probablement être sacrifiée aux dieux de la moisson.

J’ai beaucoup aimé. Le scénario a l’air assez basique, il l’est, et vu qu’il a inspiré un bon paquet de films similaires depuis, on pourrait craindre le manque d’intérêt du précurseur. Il n’en est rien, le film étant assez unique par sa manière de mettre en scène et de filmer son sujet. On suit le point de vue du policier, mais alors qu’il réalise rapidement qu’il y a quelque chose de pas très catholique qui se trame et qu’il est révulsé (lui est profondément chrétien), on reste dans une ambiance tranquille, il fait beau, les gens préparent le festival, tout le monde chante (dans le film ou en extradiégétique) – généralement des chansons avec un sous-texte sexuel. On a des petites explications sur les traditions du coin, la caméra s’attarde sur des détails du décor, c’est presque un documentaire. Et du coup même si on suit le policier, on n’est pas vraiment de son côté. C’est le mec relou et rigide qui vient s’indigner de tout, et expliquer aux gens que leur traditions n’ont aucun sens et qu’ils feraient mieux de croire à la résurrection et à la transsubstantiation, des choses raisonnables, elles. Par ailleurs il ne cesse de se réclamer de son autorité de policier alors qu’il est venu seul sur l’île, n’a pas de moyens de communication et dépend des habitants même pour retourner à son hydravion.

J’ai aussi été assez frappé de voir à quel point The Third Day, que j’ai regardé l’année dernière semble être un décalque du film en moins réussi. Il y a vraiment d’énormes similarités entre les deux œuvres, mais avec 45 ans de plus, The Third Day fait largement moins bien que son modèle.

Bref, y’a une ambiance assez unique qui se dégage du film, grosse recommandation.

The North Water, d’Andrew Haigh

Mini-série de 2021 en 5 épisodes d’une heure. dans les 1880’s, un chirurgien renvoyé de l’armée coloniale britannique embarque sur un baleinier qui part pêcher dans les eaux arctiques. L’expédition va mal tourner pour plusieurs raisons, et l’équipage va devoir affronter à la fois ses démons intérieurs et les conditions environnementales plus qu’hostiles.

J’ai beaucoup aimé les premiers épisodes – de façon générale j’aime beaucoup les séries sur des bateaux à voile, je pense (cf la saison 1 de The Terror). Moins la seconde partie, une fois que l’équipage a dû abandonner le navire. C’est vraiment le décor du bateau, le côté huis clos que ça permet que je trouve intéressant. Dans la seconde partie, il y a un peu trop de rebondissements dans tous les sens à mon goût, ce qui fait perdre un peu de la crédibilité de la série et des personnages.

Work in Progress, d’Abby McEnany et Tim Mason

Série télé qu’on a regardé en simultané avec OC, sortie en 2020 et se déroulant à Chicago. On suit la vie d’Abby, femme queer de 45 ans qui commence à sortir avec un mec trans de 22 ans.

C’était fort bien. Le dernier épisode est un peu déstabilisant parce qu’après avoir beaucoup épousé le point de vue d’Abby et fortement empathisé avec elle, on la voit soudain faire de la merde et depuis une perspective plus lointaine.

Je trouve intéressante la présentation d’Abby comme quelqu’un qui à la fois lutte pour gérer ses états mentaux – OCD, parler à la photo de sa psy, mentionner qu’elle est au bord de spiraler à plusieurs moments – et qui en même temps arrive à défoncer les gens qui la font chier, a des ami.e.s, un système de support, bref gère plein de trucs. Et je trouve aussi bien que ses difficultés mentales ne soient pas montrées comme « je rentre chez moi et là à l’abri des regards je fais une crise de panique » comme c’est souvent un cliché dans les films/séries.

De façon générale tous les persos sont très réussis je trouve. Mention spéciale pour sa némésis au boulot, un rôle mineur mais génial.

Saison 2 :

Abby n’est plus avec Chris, sa vie a été bouleversée par pas mal d’événements d’un coup : une promotion, la perte de ses journaux dans une inondation, une colocation avec son amie Campbell. Elle semble à la fois plus stable sur certains points, et en même temps en perte de pas mal de ses repères : un des fils rouges de la saison est constitué de ses tentatives de retrouver un psy qui lui convienne. En plus de ces événements perturbateurs initiaux, plusieurs autres vont arriver dans le cours de la saison, dont notamment l’impact du covid sur sa vie ; la série réussit très bien à mettre en scène l’impact de la pandémie – et je pense que c’est beaucoup lié au réalisme de la série par ailleurs : il est facile d’y intégrer l’impact réel du covid parce que les événements et les personnages montrés sont déjà particulièrement vraisemblables. La série parle toujours beaucoup de santé mentale et de communauté queer, et rajoute tout un pan sur l’enfance d’Abby et sa relation avec son père (là où la première saison parlait plus de sa relation avec sa mère).
On l’a regardé en une semaine avec OC, je pense que c’est une série que je recommande très fortement, qui réussit très bien à parler de sujets complexes et avec un point de vue original.

A Ghost story, de David Lowery

Film de 2017. Suite a un accident de voiture, un homme meurt. Il devient un fantôme qui reste dans la maison dans laquelle il vivait, et voit s’écouler l’histoire du lieu.

J’ai bien aimé. Le fantôme est représenté par un acteur recouvert d’un immense drap blanc avec deux trous noirs pour les yeux, c’est tout simple mais ça marche très bien. On le voit percevoir le temps différemment des humains, assistant à des scènes de la vie des différents occupants de la maison, se manifestant occasionnellement, discutant avec un autre fantôme. Le rythme du film retranscrit bien ça, avec des scènes qui s’étirent (pas mal de longs plans fixes), d’autres où les moments s’enchainent, le décor change, des ellipses temporelles surviennent. Le personnage avant sa mort n’est pas particulièrement sympathique, c’est intéressant de voir sa version fantôme devenir un personnage plus intéressant.

Je recommande.

Candyman, de Nia DaCosta

Film d’horreur états-unien de 2021, suite du film éponyme de 1992. Trente ans après les événements du premier film, Cabrini-Green est un quartier largement gentrifié, où les appartements spacieux sont vendus à des couples aisés. Parmi eux, Anthony – artiste prometteur mais en panne d’inspiration – et Brianna – directrice de la programmation artistique d’une galerie d’art. Anthony est inspiré par l’ambiance des dernières traces de l’ancien Cabrini-Green, et il apprend d’un des résidents la légende de Candyman. Il décide de l’incorporer dans ses nouvelles œuvres, provoquant une résurgence de l’esprit et de ses crimes…

Avis mitigé.
J’étais excité parce que Jordan Peele était au scénario et que j’ai beaucoup aimé ce qu’il a fait dans Get Out, mais si les thèmes sont là, la réalisation de Candyman n’est pas au niveau. Y’a un faux rythme que je trouve assez problématique pour un film d’horreur qui repose quand même beaucoup dans le principe sur la montée de la tension. La question de la gentrification est intéressante mais traitée de façon beaucoup trop didactique, c’est présenté dans les dialogues, pas dans la mise en scène du film.
Par ailleurs, il y a des choses très bien aussi. Quelques jolis plans (les gratte-ciels filmés à l’envers – mais c’est trop déconnecté du reste pour vraiment fonctionner, Anthony qui marche dans un tunnel de verre sur lequel il pleut), un éclairage réussi. Sur le plan du scénario, l’incarnation du Candyman dans plusieurs personnes racisées qui ont été victimes d’injustice qu’elles cherchent à venger marche plutôt bien, et la conclusion du film fonctionne très bien : le Candyman n’est plus un monstre mais un protecteur contre des injustices systémiques autrement plus flippantes qu’un mec armé d’un crochet. C’est un peu frustrant de voir qu’il y avait un vrai potentiel là dessus qui n’a pas assez été exploité le long du film.

Ça m’a donné envie de voir le film original du coup.

Squid Game, de Hwang Dong-hyeok

Série coréenne de 2021. Seong Gi-Hun, vit chez sa mère à quarante ans. Chômeur qui passe ses journées à jouer aux paris hippiques, il doit une fortune à la banque et à des prêteurs sur gages. Un jour, un inconnu lui propose de participer à une compétition de jeux d’enfants : Il peut y gagner une quantité d’argent phénoménale, mais risque la mort à chaque round.

Le scénario tel que présenté est d’un classicisme éprouvé : ça évoque pèle-mêle Battle Royale, Hunger Games et Liar’s Game. Mais Squid Game réussit à redonner une profondeur au concept. Déjà c’est très bien filmé, le jeu des acteurs est très bon. Ensuite, les différents participants sont bien caractérisés, on voit leur passé (sans que ce soit sous la forme de flash-back récurrents qui cassent le rythme à la Lost. Un épisode s’attache à nous montrer la vie à l’extérieur des jeux de tous ceux qu’on va suivre, et en soit c’est crédible : le monde capitaliste et compétitif dans lequel ils vivent – et la position qu’ils y ont – font que leur choix de participer à ce jeu n’est pas aberrant.) Les épisodes prennent leur temps pour montrer les jeux et s’attachent à l’impact psychologique sur les personnages. La série, sans vraiment explorer les motivations de l’organisation qui a mis en place les jeux en dehors de « des riches cruels avec trop de fric à dépenser », montre par contre les coulisses du fonctionnement quotidien, et comment derrière la façade efficace, des trafics prennent place parmi les gardes.

Quelques bémols cependant : des effets spéciaux assez raté sur l’épisode 7, un épisode final qui traîne en longueur pour rajouter des révélations clairement pas cruciales, et une ligne narrative – celle de l’inspecteur – qui s’interrompt sans conclusion satisfaisante. Mais sinon j’ai pas mal bingewatché les 9 épisodes, et je recommande (si la violence psychologique est votre tasse de thé).