Archives de catégorie : Screens, thousands of them.

Per qualche dollaro in più, de Sergio Leone

Western italo-ibéro-allemand de 1965, le second de La Trilogie des Dollars. Clint Eastwood et Lee Van Cleef jouent Manco et le colonel Mortimer, deux chasseurs de primes que tout oppose. Pour abattre El Indio, bandit récemment évadé, ils font difficilement alliance. Le film va mettre en scène le braquage de la banque d’El Paso par la bande d’El Indio, l’infiltration de cette bande par les chasseurs de primes, de multiples retournements de situation et des fusillades dans tous les sens.

C’est un excellent western, Leone est très bon pour faire monter la tension à partir de n’importe quel élément. La bande son de Morricone est parfaite comme d’habitude. Bon par contre c’est un western au premier degré, donc c’est l’affrontement de deux surhommes nietzschéens, qui font comme bon leur semble, le reste du monde servant de toile de fond à leur existence et l’intérêt étant dans leur affrontement à eux trois. Le film met totalement en scène la puissance qui émane des trois personnages principaux, qui d’un regard obtiennent ce qu’ils veulent de tout les autres (jusqu’à rencontrer un autre surhomme et là y’a de la tension puis la reconnaissance d’une valeur mutuelle). Ça marche très bien en tant que film mais c’est pas forcément politiquement très enthousiasmant comme vision du monde.

Porco Rosso, d’Hayao Miyazaki

Film d’animation japonais des studios Ghibli, paru en 1992. Je l’ai déjà vu un certain nombre de fois mais je le revois avec plaisir et je constate que je ne l’ai toujours pas chroniqué ici.

L’action prend place sur les îles de la mer Adriatique et dans l’Italie de l’entre-deux guerres. Les fascistes sont arrivés au pouvoir mais leur influence ne se fait pas encore ressentir dans les îles. La vie y est globalement tranquille, baignée de soleil et éloignée de l’influence gouvernementale, permettant l’existence d’une piraterie en hydravion qui rançonne les paquebots de passagers, et de chasseurs de prime qui combattent les pirates. Marco est un de ces chasseurs de prime. Ancien héros de guerre transformé en cochon anthropomorphe dans des circonstances inexpliquées, il vit sur une île isolé, sortant pour combattre les pirates et rendre visite le soir à Gina de l’hôtel Adriano, la femme d’un de ses anciens camarades d’escadrille mort au combat. L’arrivée d’un pilote américain bravache et se mettant au service des pirates en tant que mercenaire va forcer les événements à s’accélérer, et Marco à commander un nouvel avion à une usine milanaise, lui faisant faire la rencontre de Fio, jeune ingénieure déterminée.

C’est un excellent film. L’ambiance « période de calme entre deux guerres » est très bien rendue, il y a plein de plans qui sont là juste pour montrer de jolis décors et ça marche très bien. Les personnages sont réussis, il y a un esprit « code de l’honneur chevaleresque » et « rien n’est jamais très grave, les méchants vindicatifs se calment si on leur parle un peu fermement » qui fait très hopepunk dans l’esprit.

Girlfriends, de Claudia Weill

Film étatsunien de 1978. On suit la vie de Susan Weinblatt, une photographe indépendante newyorkaise. Le film s’ouvre par le départ de sa colocataire, qui – alors qu’elles devaient aménager ensemble dans un nouvel appart – se marie et déménage en dehors de New York. Susan galère à trouver sa place dans la vie, entre un sentiment de solitude dans sa vie perso (elle flirte avec un mec un peu idiot à une soirée, elle a un début d’aventure avec un rabbin marié qu’elle fréquente pour son boulot), et des difficultés dans sa vie pro (elle tente de percer comme photographe en vendant des photos à des revues d’art, mais elle vit surtout de commandes alimentaires en photographiant des bar-mitzvah).

J’ai bien aimé. C’est un film « tranche de vie » assez réussi. On voit la vie de Susan, ses relations avec ses amies, la tension avec le style de vie plus installé de son ancienne coloc qui n’est pas très heureuse de ses choix non plus. Je recommande.

Parlement, de Noé Debré

Série humoristique sur le fonctionnement du Parlement Européen. C’est multilingue et plutôt bien filmé. La première partie est bien, elle réussit à être pédagogique sur l’UE sans être trop didactique et en restant drôle. La série n’hésite pas à taper sur les différents gouvernements et pays-membres de l’UE. Par contre la deuxième partie s’enlise dans les tentatives de séduction du héros sur une de ses collègues, ce qui ne fait une histoire ni très intéressante ni très originale, c’est dommage. Les épisodes 9 et 10 relèvent un peu le niveau, mais la série gâche trop de temps sur cette romance de façon globale.

Mentions spéciales au personnage d’Eamon, le fonctionnaire impassible fan de Sénèque, et à celui d’Ingeborg, l’opposante politique impitoyable.

Saison 2 :
J’ai trouvé cette seconde saison plus réussie que la première. Les intrigues amoureuses prennent moins de place, ce qui est bienvenu. Le personnage principal a plus d’expérience du fonctionnement des institutions donc on est moins dans le didactique, et j’ai l’impression que la série s’offre plus de fantaisie (mais il faudrait que je revoie la 1 pour comparer). Changer la député de référence du personnage principal pour une députée plus énergique que dans la saison 1 permet aussi d’avoir une histoire plus dynamique.

Everything Everywhere All at Once , de Daniel Scheinert et Daniel Kwan

Film états-unien de 2022. Une femme chinoise qui tient une laverie aux États-Unis découvre qu’elle est la seule personne à pouvoir affronter une menace qui met en péril l’ensemble du multivers. Elle se retrouve à devoir malgré elle affronter ce danger en plein milieu d’un audit de l’IRS, d’une procédure de divorce initiée par son mari et de la visite de son père en Amérique.

C’était sympa à regarder. Le changement de regard sur la figure de l’anti-héros, qui n’est pas pour une fois un mec de 25 ans cynique était bienvenu. Le côté « mis en scène avec des bouts de carton » du multivers était sympa aussi, bel hommage aux films de genre. Le mécanisme de devoir faire des actions improbables pour déclencher la connexion aux autres versions de soi-même et pouvoir utiliser leurs compétences était une belle trouvaille aussi.

J’ai trouvé la fin un peu faible néanmoins. Si le message sur l’importance de l’empathie et de la gentillesse me convient, j’ai quand même l’impression que la toute fin part en mode « soit content de ce que tu as même si c’est un peu merdique » : on retombe sur le trope du héros qui retourne à son quotidien après avoir sauvé un royaume magique, c’est un peu dommage.

Recommandé si vous voulez un film sans prétention mais qui change un peu la vision classique de l’élu qui sauve le multivers.

Gris, de Nomada Studio

Jeu-vidéo de 2018. Il s’agit d’un jeu de plateforme casuel. On joue une femme qui se déplace dans un environnement fait d’une architecture assez onirique. L’héroïne débloque des pouvoirs (double saut, nage, …) et des couleurs qui viennent se rajouter à l’environnement et le transformer. C’est très beau et poétique. Le jeu se finit vite, 6 heures pour moi, mais il est assez marquant par son univers et sa direction artistique. Je le recommande.

The Invisible Man, de Leigh Whannell

Film étatsunien de 2020. Elisabeth Moss (la Servante Écarlate) incarne Cecilia Kass, prisonnière d’un mariage avec Adrian Griffin, un ingénieur en optique génial mais manipulateur et sadique. Elle réussit à s’échapper et apprend avec soulagement le suicide de son ex-mari. Mais des événements inquiétants dans sa nouvelle vie vont lui faire réaliser qu’Adrian a mis en scène sa mort et a trouvé un moyen de devenir invisible. Elle va devoir se battre contre l’action de son ex-mari alors que son entourage pense qu’elle est en train de perdre la raison.

Je l’ai regardé essentiellement pour voir une fois de plus Elisabeth Moss porter toute la misère du monde sur ses épaules. C’est bien filmé et le twist patriarcal sur l’histoire originale de Wells est intéressant, mais c’est pas le film du siècle pour autant. L’usage de l’invisibilité comme technique au service du gaslighting est prometteuse et aurait valu le coup d’être plus développée : à la fois montrer d’autres formes de gaslighting, et entretenir plus l’ambiguïté sur si Cecilia hallucinait ou non et était elle-même la personne dangereuse. Là le spectateur sait trop vite que non (bon en même temps vu le titre du film l’effet de surprise était ruiné dans tous les cas), et la fin du film part un peu trop dans un trip « le mec est un psychopathe complet qui n’hésite pas à tuer dans tous les sens » et « woo, combat avec un gun contre un homme à demi-invisible ». Alors qu’il y avait quelque chose de plus intéressant à faire avec la tension psychologique induite par le côté « tu peux jamais savoir s’il est là où non vu qu’il est invisible. »

A regarder si vous aimez beaucoup Elisabeth Moss, dispensable sinon.

La Corde, de Dominique Rocher

Mini-série française en trois épisodes, sortie en 2022. On suit la vie d’un observatoire astronomique international isolé en Norvège. L’observatoire observe un phénomène astronomique, les répéteurs, et vient de décrocher in extremis un financement pour une nouvelle campagne de recherche. Alors que tout le monde se met en ordre de bataille pour organiser la campagne de récolte des données, un des membres de l’observatoire découvre une corde dans la forêt. Elle a l’air ordinaire, sauf qu’elle n’était pas là la veille, que l’observatoire est isolé, et qu’elle a l’air de serpenter sur des kilomètres et des kilomètres sans s’interrompre. Un petit groupe de personne décide de la suivre sur une journée pour voir jusqu’où elle va, alors qu’il serait plus prudent que tout le monde se focalise sur la récolte des données…

Le pitch est assez cool, mais la série ne résout pas grand chose. La ligne narrative de celleux qui suivent la corde et de celleux qui sont resté.es à l’observatoire ne se recroisent plus, on suit deux histoires en parallèle (reliées à la limite par le deuil que font celleux qui sont resté.es pour celleux qui sont parti.es). Les multiples raisons qui font que celleux qui sont parti.es ne font finalement jamais demi-tour alors qu’ils en parlent plusieurs fois ne sont pas très crédibles : ils devraient normalement avoir un sens des responsabilités, un attachement à celleux qu’iels ont laissé derrière, là rien. Même le fait d’être partis avec zéro matériel adapté ne les arrête pas. On comprend rapidement que la corde à une dimension métaphysique, mais ça ne mène pas à grand chose. A la limite la scène finale avec Joseph est intéressante, mais plus symbolique qu’autre chose.

Par contre c’est bien filmé et bien joué, les décors de l’observatoire et de la forêt sont beaux. Mais ça ne suffit pas vraiment, pour résumer il y a de belles ambitions mais non réalisée.

Severance, de Dan Erikson

Black Mirror x The Stanley Parable

Série télévisée produite par Apple TV, sortie en 2022. 20 minutes dans le futur, l’implantation d’une puce dans le cerveau permet de créer une nouvelle personnalité, consciente uniquement le temps de l’activation de la puce. Cette innovation est utilisée par Lumon, une entreprise mystérieuse et hégémonique, pour protéger les aspects confidentiels de ses opérations. La série suit les employés du département de Macro Data Refinement dans leur vie au cœur de Lumon, et l’un d’eux, Mark, dans sa vie privée.

J’ai beaucoup aimé, j’ai regardé toute la saison 1 en moins de 24h. Le rythme est un peu trop lent tbh, j’ai tout regardé en x1,6, mais à ce point près c’était très bien. La série est une allégorie pas très subtile mais efficace de l’aliénation au travail. Les personnalités qui ne sont activées que dans les locaux de l’entreprise- les innies – vivent perpétuellement sur leur lieu de travail : elles ressentent les effets sur leur physiologie de la vie de leurs outies, mais elle enchainent les journées de 8h sans percevoir l’extérieur ni le sommeil. L’entièreté de ce qu’elles connaissent leur est fourni par Lumon, qui les maintient ainsi dans une dépendance totale : pas de risque que les employés ne soient perturbés par leurs ressentis extérieurs ou qu’ils tentent de se syndiquer, quand ils ne connaissent rien d’autre que la Parole du fondateur de l’entreprise (et je mets une majuscule à Parole à dessein, parce que le fonctionnement interne de Lumon ressemble largement plus à celui d’une secte qu’à celui d’une entreprise). Si le monde extérieur à Lumon semble dans la série fonctionner selon les mêmes règles que le notre d’un point de vue des normes sociales et des grands enjeux, le monde interne de Lumon et donc l’entièreté de l’univers des innies semble largement plus perché : leur travail consiste à repérer les nombres « effrayants » sur des moniteurs qui affichent des rangées et des rangées de nombres. le système de valeurs, de récompenses, d’esthétique de Lumon semble sorti d’un manuel de management des années 70, avec des cocktails corporates à base de boules de melons ou d’œufs mimosa apportés sur des dessertes pour les quatre personnes du département de Macro Data Refinement qui ne se fréquentent qu’entre elles.

Par ailleurs, les pratiques de Lumon envers les innies sont très littéralement du fascisme : les innies n’existent qu’en relation à une superstructure omniprésente et omnipotente qui contrôle chaque aspect de leur existence. Les mots sont vidés de leur sens : la salle de punition des comportements déviants est renommée break room, il y a un sous entendu de violence toujours présent avec le chef de la sécurité, les déviations du protocole sont punies par une forme de torture mentale. Clairement on est au delà de l’aliénation « classique » par le travail ou même le néolibéralisme. Et pourtant même dans cette structure écrasante, les employés se révoltent, tentent de comprendre le sens global de ce qu’ils font et de ce qui leur est imposé, et tentent de s’échapper du système pour chercher une vie meilleure.

La série pose aussi la question de ce qu’est le soi et des questions éthiques afférentes à son McGuffin technologique : en acceptant la dissociation, les outies revendiquent de travailler sans s’en rappeler et potentiellement s’offrent un revenu sans avoir à subir les conséquences psychologiques du travail (enfin, ils perdent quand même 8h/jour + les temps de trajet, c’est pas rien), mais surtout ils créent un innie qui ne connaitra que le travail et n’a pas son mot à dire : si les innies peuvent poser leur démission, elle doit être acceptée par leur outie, qui s’il ne se considère pas la même personne, n’a aucun intérêt à le faire. La série est un peu dans la même veine que (les bons épisodes de) Black Mirror, qui explorent les conséquences sociales et morales d’une invention technologique.

Enfin, sur l’ambiance générale de la série, que ce soit l’environnement corporate mi-The Office mi-Stanley Parable de Lumon ou le monde extérieur, tout semble assez déprimant et aliénant : il y a peu de lumière ou alors des néons, il fait froid, tout est enneigé, les parkings sont immenses … Ca colle bien au propos mais c’est quand même pas mal déprimant. Les acteurs sont très bons dans leur rôles, les histoires de tous les personnages secondaires du département du héros sont attachantes et consistantes.

Globalement, bonne série, un peu lente mais beaucoup de bonnes idées, une esthétique réussi, des fils narratifs qui fonctionnent plutôt bien. La fin de la saison ne résout pas grand chose, on attend avec enthousiasme corporatiste la sortie de la S2. Je recommande.

Paradise Killer, du studio Kaizen Game Works.

Jeu d’enquête sorti en 2020. On joue une enquêtrice rappelée de son exil pour découvrir la vérité sur un multi-homicide sur une île dans un univers très perché.

Basiquement, c’est une murder (+ une dating simulation) : il y a plein de persos à interroger et de secrets à découvrir, certains liés à l’enquête principale, qui peuvent être des fausses pistes ou non, certains déconnecté de l’énigme mais qui rajoutent du lore et de l’épaisseur aux relations entre les persos. Un léger regret sur le fait que la meilleure strat est toujours d’épuiser toutes les options de conversation avec les persos : en soi, ne pas leur révéler ce qu’on a découvert sur eux pour éviter qu’ils construisent une défense avant le procès serait plus cohérent, mais probablement plus compliqué à implémenter. Par ailleurs, on se ballade dans l’univers façon monde ouvert : c’est réaliste pour une enquête mais perso je pense que j’aurai bénéficié d’un peu plus de contraintes pour aller inspecter la scène de meurtre et certains éléments clefs dès le début, par certains points j’ai l’impression d’avoir un peu pris les choses à l’envers (mais c’est un défaut assez mineur et assez lié à ma pratique du jeu plus qu’à sa construction).

L’univers est très original : basiquement, on travaille pour une secte qui œuvre au retour des Grands Anciens à la Lovecraft, sauf que l’esthétique est à l’opposé de Lovecraft : avec les pouvoirs conférés par un des Dieux, la secte s’est construit une retraite dans une dimension de poche, sous la forme d’une île paradisiaque pleine de bâtiments brutalistes, de néons et de couchers de soleils avec une esthétique 80’s (mais ils continuent à sacrifier des humains pour charger psychiquement les Dieux). Le lore est très dense, avec des persos très wtf, un univers qui a l’air de partir dans tous les sens mais a en fait une grosse cohérence interne : on peut le rapprocher de Disco Elysium, mais avec plus d’ecstasy et moins de politique.

Merci à MNL pour le cadeau !