Archives de catégorie : Longs métrages

Les Deux Alfred, de Bruno Podalydès

Film français de 2021. Alexandre, chômeur cinquantenaire, réussi à se faire embaucher dans une startup qui fait du conseil et de l’événementiel un peu bullshit. Mais la boîte a une stricte politique de n’avoir que des employés nullipares, pour plus facilement les pressurer. Alexandre doit donc cacher l’existence de ses deux enfants, alors même que son job 2.0, déconnecté, télétravaillé s’immisce de plus en plus dans ses espaces personnels. Il va heureusement pouvoir compter sur l’aide de son ami Arcimboldo, un auto-entrepreneur qui fait 4000 petits jobs payés à la tâche et sait jongler avec les failles du système.

J’ai beaucoup aimé. Le film montre sous la forme d’une comédie l’envers de tous les discours sur la startup-nation triomphante : la réalité c’est que tout le monde est exploité et que le travail devient de plus en plus présent, débordant sur les horaires et les lieux réservés à la vie privée. Les humains se plient en quatre pour s’adapter à la technologie qui devait leur simplifier la vie (la scène de la reconnaissance faciale), les procédures de travail de la startup n’ont aucun sens, les gens sont tout le temps mis en compétition – que ce soit les startups entre elles, les gens au sein de l’entreprise ou les travailleurs «  » »indépendants » » » comme Arcimboldo. Et comment les travailleurs peuvent échapper à tout cela ? Par l’action collective ! Le film ne prononce pas le mot « syndicat », mais c’est une excellente réclame pour cependant.

Au delà du côté militant, le film réussit très bien sa comédie à 20 secondes dans le futur. Ca manque un peu de rythme parfois, mais ça reste drôle, les deux personnages principaux sont réussis, les rôles secondaires aussi, l’univers est assez poétique.

Je recommande.

Place publique, d’Agnès Jaoui

Film français de 2018.

L’agente de Castro, un équivalent fictif d’Ardisson, organise une fête de personnes du milieu télévisuel français dans sa propriété à 35 minutes de Paris. On suit plusieurs points de vue et plusieurs types de relations entre invités : la famille et les relations proches de Castro qui se connaissent depuis longtemps, les autres vedettes de différents âges invitées là pour des questions de réseautage, les quelques habitants du village invités ou embauchés pour le service.

Y’a des scènes et des personnages réussis, mais le sujet global m’a un peu laissé froid. C’est un film sur des gens riches et pas très sympathiques qui font des trucs de gens riches pas très sympathiques. Mention spéciale cependant au personnage de la maire et de la comptable, des petits rôles mais très réussis. Les personnages de Pavel et de Vincent étaient attachants aussi, mais les rôles principaux, au premier rang desquels Castro sont de gros connards, même s’ils sont forts bien joués.

TeneT, de Christopher Nolan

Film d’action/SF sorti en 2020. Un agent secret est recruté par une agence encore plus secrète que d’habitude : des objets pour lesquels le temps s’écoulent de façon inversé ont commencé à apparaître à travers le monde. Ils seraient les traces d’une guerre future dont nous nous rapprochons progressivement.

Comme souvent avec Nolan j’ai été déçu : il y a un concept intéressant, la capacité d’inverser l’écoulement du temps en passant à travers une machine, qui donne d’ailleurs lieu à quelques belles séquences, mais c’est englué dans un film d’action avec la même esthétique froide et capitaliste que tous ses films, et y’a quatre milles trucs qui se passent à la seconde, qui laissent pas le temps de comprendre tranquillement le concept intéressant au fond. Ça sert d’ailleurs aussi à masquer un certain nombre de failles un peu béantes dans le scénario, ce qui est toujours un peu triste pour un film qui prétend mettre en scène un plan millimétré avec des bluffs et contre-bluffs. On voit d’ailleurs pas mal venir les plot-twists, et je dois dire que la corde émotionnelle n’a pas du tout marché sur moi parce que l’amitié virile de gars en treillis, bof.

Bref, du potentiel, mais gâché.

Deux, de Filippo Meneghetti

Film français de 2020. Nina et Madeleine vivent sur le même palier et sont en couple, mais Madeleine n’a jamais osé en parler à ses enfants. Alors que des tensions apparaissent dans leur couple, Madeleine fait un AVC qui la rend mutique. Nina se retrouve alors dans l’impossibilité vis à vis de la famille et de la loi de prendre en charge sa compagne, que ses enfants confient à une aide soignante.
Cantonnée à son appartement quasiment vide puisqu’elle passait tout son temps dans celui de Madeleine, elle va chercher par différents moyens de retrouver sa place dans la vie de sa compagne.

J’ai bien aimé globalement, mais j’ai trouvé que le film hésitait entre plusieurs genres. On a des tropes qui font très film d’horreur avec une voisine inquiétante qui s’immisce dans la vie d’une famille, ce que je trouve bizarre à mettre en scène dans le cadre d’une histoire d’amour (mais bon on peut aussi considérer que ce n’est pas une histoire d’amour, mais le récit d’un combat pour réussir à prendre sa juste place dans une famille, donc le fait d’avoir l’air inquiétante ou hostile dans le cadre d’un combat fait plus de sens). Le personnage de Nina est intéressant (celui de Madeleine est assez vite réduit à l’impuissance par son AVC, mais je pense qu’il aurait été intéressant de plus adopter son point de vue néanmoins), dans son côté prêt à se battre et à envoyer voler les conventions sociales pour retrouver son amoureuse.

Fantastic Mr. Fox, de Wes Anderson

Film d’animation sorti en 2009. Fox est un ancien voleur de poules rangé des bolides depuis la naissance de son fils. Lassé de sa vie monotone, il décide de commettre un nouveau casse : s’introduire chez les trois plus gros fermiers du pays pour se servir dans leurs stocks. Mais les fermiers n’entendent pas se laisser dévaliser et unissent leurs moyens considérables pour se lancer dans une gigantesque chasse au renard…

C’était très très bien. Le film mélange plusieurs niveaux de lectures et plusieurs inspirations : le roman source de Roal Dahl évidemment, mais aussi les films de braquages (donner la voix de George Clooney à Fox n’est pas anodin), les westerns (superbe scène de stand down dans un petit village anglais en animation), les films d’arts martiaux (un peu via le personnage de Kristofferson mais surtout via le personnage de Rat). Y’a un discours sur la vie de couple et paternité, sur la vie en communauté vs l’envie de n’en faire qu’à sa tête, sur le fait de jouer un personnage, sur la répression policière… Y’a évidemment des discours à la Wes Anderson (« you’re disloyal »), en bande son superbe (une musique originale d’Alexandre Desplat et des insertions de chansons très réussies).

Grosse recommandation.

Tatie Danielle, d’Étienne Chatiliez

Film français de 1990. Danielle Billard est une octogénaire acariâtre qui méprise tout le monde, et surtout les gens qui s’occupent d’elle : sa gouvernante d’abord, puis ses neveux et nièces, et enfin la jeune fille au pair qui doit la gérer pendant un été. Elle traumatise tout le monde autour d’elle à coup de petites remarques fielleuses et de gaslighting.

C’était sympa. Y’a un problème de rythme dans le film avec des parties qui sont un peu décousues, mais les personnages sont très réussis. Danielle forcément, mais aussi son entourage, que ce soit les gens bienveillants autour d’elle qui en prennent plein la figure (mention spéciale à sa belle-nièce) ou la jeune fille au pair qui va lui résister et lui dire d’aller se faire voir quand elle abuse. Ça donne des personnages féminins qu’on a pas trop l’habitude de voir à l’écran, aussi bien pour le côté âgé que pour le côté infernal.

Sans que ce soit le film du siècle, j’ai passé un bon moment devant.

Mandibules, de Quentin Dupieux

Film français sorti en 2021. Deux amis un peu stupides trouvent une mouche géante et décident de la dresser à leur rapporter des objets, tout en se démerdant pour vivre au jour le jour en récupérant de la bouffe et un logement par diverses combines.

Comme toujours chez Dupieux c’est fort absurde. Les deux personnages principaux sont très réussis dans leur amitié entre mecs pas très dégourdis, l’animation de la mouche géante est très bien faite. On reconnait bien la côte d’Azur pleine de fric avec un arrière pays beaucoup plus pauvre comme décor (mention spéciale à Roméo Elvis en fils de bourge insupportable).

Un bémol cependant, pas très convaincu par le personnage d’Agnès, assez rapidement insupportable, et qui se fait accuser à tort dans le scénario : faire un personnage de femme handicapée, le rendre relou pour le spectateur puis la faire disparaître pour un truc qu’elle n’a pas commis, c’est un peu malaisant (mais peut-être c’est pour qu’on s’interroge sur la complicité qu’on a avec les personnages que ça arrange qu’elle disparaisse ?)

Pour un Dupieux c’était quand même curieusement linéaire, avec un petit fond de critique sociale(en plissant les yeux). Je recommande.

Tout simplement noir, de Jean-Pascal Zadi et John Wax

Ouvrir la voix x Dix pour cent.

Film français sorti en 2020. Jean-Pascal Zadi joue son propre rôle, celui d’un acteur noir qui galère à se faire une place dans le cinéma français. Il décide de se faire connaître en lançant une grande marche « pour les Noirs » qu’il publicise avec des vidéos humoristiques dénonçant la situation des Noirs en France. Au fil du film, il va rencontrer une palette de personnalités publiques noires pour tenter de les motiver à faire de la publicité à la Marche, avec des résultats plus que mitigés.

Le sujet était assez casse-gueule mais le résultat est très réussi. Il y a un côté « et si Ouvrir la voix avait été une comédie ? » : le film parle de la place des Noir·es dans l’espace public en France, en présentant différents points de vue internes à la communauté, notamment ceux de célébrités de différents domaines qui jouent leurs propres rôles. Après je pense que le film est très ancré dans son époque et va mal vieillir : les blagues sur Case Départ et Première étoile c’est pas ultra intemporel. Mais le casting est assez fou et le principe de la fiction où tout le monde joue son propre rôle tout en interagissant avec un personnage principal bras cassé marche très bien.

Dirty Dancing, d’Emile Ardolino

Film américain de 1987. Dans les années 60, une famille bourgeoise passe trois semaines dans un village-vacances. La pension est soigneusement organisée pour permettre une endogamie de classe : tous les pensionnaires sont bourgeois, et les serveurs sont recrutés en tant que job d’été parmi les étudiants qui vont aller dans les colleges prestigieux. Les deux filles de la famille sont d’ailleurs immédiatement entreprises par un étudiant en médecine et le fils du propriétaire de la pension. Mais la plus jeune, que tout le monde surnomme Bébé, n’est pas du tout attirée par ce mode de vie. Elle se rapproche des autres employés de la pension, qui viennent d’un milieu bien plus prolétaire et travaillent en tant que saisonniers. Parmi eux, elle est surtout séduite par Johnny Castle, le professeur de danse de la pension.

C’était très bien. Le film épouse le point de vue de Bébé, on voit son désir à elle pour Johnny, c’est son corps à lui qui est objectifié et mis en scène. Excellente scène d’ouverture qui pose les enjeux à travers une exposition en voiceover par Bébé (« That was the summer of 1963, when everybody called me « Baby » and it didn’t occur to me to mind.« ). Le film pose dès sa première phrase qu’il va nous parler d’agency, what’s not to like?
Et effectivement le film parle des choix de Bébé : le choix de s’éloigner des rituels de sa classe sociale et des tentatives de la jeter dans les bras d’un héritier insipide, le choix de passer du temps avec les prolétaires et leur façon de danser comme à peu près tout le monde danse actuellement, ie collé serré et sans le formalisme des danses de salon. Le choix surtout de s’accrocher à son idéalisme et de vouloir changer le monde y compris et essayant de résoudre les problèmes des gens qui ne sont pas ses pairs sociaux. Et évidemment le choix d’assumer son désir puis son amour pour Johnny, même si sa famille et sa classe sont contre. Les enjeux sociaux du film sont de façon générale très réussis : les prolos ont tort par défaut, Johnny peut être accusé de vol avec zéro preuve et viré, aucun souci. De façon générale iels sont considérés comme des gigolos et des filles faciles par les bourgeois, qui peuvent aller prendre du bon temps avec eux tant que c’est en toute discrétion : c’est très clairement explicité dans le cas de Johnny. Par contre Bébé devrait évidemment en tant que fille de bonne famille rester vierge et pure, et Johnny est vu comme un prédateur et un irresponsable. Mais le film n’est pas non plus manichéen sur ce point : Johnny a pour premier réflexe de mettre une raclée à Benny qui insulte sa pote, le père de Bébé est montré comme une personne droite, qui est capable de dépasser ses a priori de classe (même s’il faut lui expliquer longtemps. Par ailleurs le film le montre aussi comme un mec typique, qui regarde fixement l’horizon quand il n’est pas content et que sa fille essaie de communiquer avec lui). Plus intéressant, on voit surtout le complexe de Johnny, frustré de ne pas avoir pu aider Penny, qui se compare aux compétences de médecin du père de Bébé. (Mention spéciale aussi au personnage de la mère qui est largement insignifiante tout au long du film mais se révèle en deux répliques lors de la scène finale).

Le film parle aussi – logiquement – de danse. Mais de la danse comme un travail : on voit les scènes où Johnny et Penny dansent sans efforts, mais on voit surtout tout le travail de Bébé pour apprendre à reproduire la chorégraphie du mambo, comment ça lui demande des efforts pour apprendre des techniques et des gestes précis. La danse comme un travail qui permet à Johnny de faire autre chose que le travail que son père lui propose – peintre plâtrier. On voit aussi la danse comme marqueur social avec les danses de salon de la classe bourgeoise vs les danses plus libres et sexualisées du staff.

Film social où les enjeux de la lutte des classes et du désir féminin sont révélés par la suspension des conventions permise par le cadre d’un village vacances, Dirty Dancing porte un discours sans concession sur le rapport bourgeois au corps et sur les mécanismes de l’endogamie de classe, le tout porté par une bande-son magnifique. Je recommande fortement.

The Prom, de Ryan Murphy

Streep saves a saccharin-soaked script and steals the scenes, ou une ethnologie des rites de passage nords-américains.

Dee Dee (Meryl Streep ♥) et Barry, deux vedettes de comédies musicales, voient leurs espoirs d’un Tony Award s’évanouir quand leur nouvelle comédie fait un flop le soir de sa première. À la recherche d’un peu de mise en valeur facile, ils décident d’aider Emma, une jeune lesbienne de l’Indiana à pouvoir aller à son bal de fin d’année, que l’association de parents d’élèves veut garder hétéro. Bien intentionnés malgré leurs arrières pensées, ils vont débarquer dans la vie d’Emma et bouleverser la vie de la petite ville de l’Indiana non sans elleux-mêmes apprendre quelques leçons sur les valeurs de l’amour.

Ça commençait bien, mais c’est quand même très mièvre. C’est vraiment la tolérance et l’inclusivité à la sauce major hollywoodienne et néolibéralisme. Tout le monde est beau, les couleurs sont vives, les problèmes économiques n’existent pas, l’inclusivité est juste one tap dance number away. Mais bon y’a Meryl Streep qui porte le film, et les personnages d’Emma et Barry sont plutôt réussis aussi (excepté le fil narratif de la famille de Barry). Les autres personnages secondaires sont assez anecdotiques.

Idoine pour les soirs de petite forme émotionnelle.