Archives de catégorie : Longs métrages

Coup de Torchon, de Bertrand Tavernier

All Colons Are Bastards.

Film français de 1981. Dans une petite ville d’Afrique Occidentale Française en 1938, Lucien Cordier est l’unique policier et représentant de l’ordre colonial. Ordinairement totalement amorphe, il décide un jour, poussé à bout par deux proxénètes et les moqueries de son supérieur de la grande ville, de faire le ménage dans les personnes qu’il considère comme mauvaises. Mais sa moralité est toute personnelle, et il va surtout éliminer celles et ceux qui le dérangent personnellement, sans remettre en question l’ordre en place quand il va dans son sens, tout en s’autopercevant comme une espèce de figure messianique.

J’ai bien aimé. C’est une ambiance assez particulière, un système colonial où l’on voit une petite notabilité blanche s’entredéchirer, sur fond de menace de guerre permanente et de délitement de toutes valeurs. L’espèce de croisade cheloue de Cordier peut faire un peu penser à un Apocalypse Now à la française – ou à un film sur un tueur en série, entrecoupé de scènes de séduction avec Isabelle Huppert.

Un ami à moi que nous nommerons Saul a aussi bien aimé. Il trouve que c’était « un peu comme un épisode de Rick & Morty », mais il n’a pas compris les scènes d’intro et de fin. « Ça illustrerait son passage en mode full nihilisme ? ». Une autre amie, Cénédicte , a trouvé ça un peu bizarre « mais a bien aimé Isabelle Huppert ».

Palm Springs, de Max Barbakow

Le Sens de la Fête x Groundhog Day

Film de boucle temporelle sorti en 2020. Nyles est à un mariage d’amis de sa femme. Et il est coincé dans une boucle temporelle. Lors d’une itération, il emporte accidentellement Sarah, la sœur de la mariée, dans la boucle. Ensemble, les deux vont tuer l’éternité comme il peuvent, s’entraînant dans une spirale nihiliste tout en profitant de la compagnie de la seule autre personne avec qui ils peuvent avoir une conversation originale.

C’était fort réussi. Une belle proposition sur le thème de la boucle temporelle, avec des personnages attachants et crédibles, terriblement imparfaits. J’ai beaucoup aimé la façon dont la boucle temporelle est finalement résolue. C’est pas un film particulièrement profond, mais il est réussi dans ce qu’il propose et joliment filmé tout en couleurs saturés

The Map of Tiny Perfect Things, de Ian Samuels

Film financé par Amazon et sorti en 2021. Variation sur le thème de la boucle temporelle : deux adolescent.es sont coincé.es dans une journée qui se répète en boucle de leur réveil à minuit pile. Ils vont se trouver puis trouver ensemble un moyen de sortir de la boucle, après avoir appris la valeur des bonheurs simples et des leçons sur l’inévitabilité du temps qui passe.

J’ai trouvé ça chiant. Y’a du mumbo jumbo scientifique sur le pourquoi de la boucle temporelle, les deux personnages sont ultra lisses et ne veulent que faire le bien autour d’elleux, la clef de la sortie de la boucle c’est évidemment l’amour, et les personnages sont poussés ensemble par le film. Tout est bien propre, bien léché rien qui dépasse. Regardez plutôt Palm Springs (dont je croyais avoir fait la revue mais visiblement non ; bientôt sur ce blog !)

J’ai toujours rêvé d’être un gangster, de Samuel Benchetrit

Film français de 2008. J’ai beaucoup aimé. Le film est tourné en noir et blanc avec de vieilles caméras qui donnent un grain à l’image, avec des plans fixes ou des travelings et zoom légers. L’histoire se passe en 2008, mais tous les lieux où elle prend place sont vieillots, ce qui fait que ça pourrait être la France des années 70s. On suit plusieurs séquences qui tourne autour des mêmes lieux ou de personnages qui s’entrecroisent et qui parlent toutes de criminalité, une criminalité idéalisée par ses protagonistes, qui sont essentiellement incompétents en tant que criminel (et du coup assez attachant) et qui zonent dans ces lieux un peu hors du temps en convoquant l’image des gangsters des 30 Glorieuses.

Le film met bien en scène les paysages routiers de l’Île de France, que ce soit la cafétéria ou prend place une grande part de l’action, les énormes lignes électriques à travers champs qui alimentent la capitale, les immeubles défraîchis des années 70 (totalement ma came en terme d’esthétique des zones urbaines un peu en déshérence). Les acteurs sont globalement très bons, surtout ceux qui jouent les cinq anciens vrais gangsters, ainsi que Mouglalis.

Dumbo, de Tim Burton

Film de 2019, remake du dessin animé de 1941 en film live-action. J’ai pas été subjugué. Il y a de l’argent pour les décors, y’a des choix intéressants sur la façon de rendre hommage au film originel tout en virant certaines parties bien datés (les blagues sur le fait de ne pas filer d’alcool à un bébé, et la scène des éléphants en bulles). Mais le film était trop long et les personnages sont pour beaucoup particulièrement insipides. Holt et ses deux enfants servent essentiellement à commenter l’action, la troupe du cirque ils ont chacun deux lignes, Colette idem. Et comme on a un point de vue humain, les animaux ne parlent pas. Le comportement de Dumbo d’ailleurs varie beaucoup d’un moment à l’autre du film, avec une anthropomorphisation de ce comportement qui s’adapte à ce dont le film a besoin à ce moment.

La partie vraiment intéressante pour moi était celle sur les questions de pouvoir et d’argent sous-jacentes au monde du spectacle. Les personnages les plus réussis sont donc Maximilian Medici et Vandemere (portés par leurs acteurs) et toutes les réflexions sur le prestige, la mise en scène du rêve, le concept de Dreamland (et les besoins d’inviter des banquiers) étaient cools. Mais bon, c’est une intrigue fortement parallèle à l’intrigue impliquant un éléphant avec des grandes oreilles, et mieux vaut voir The Greatest Showman qui traite de ces thèmes avec aussi une approche « film hollywoodien à gros budget » et sans se laisser parasiter par une seconde intrigue.

Alice et le maire, de Nicolas Pariser

Film français de 2019. Une jeune femme lettreuse est engagée dans le cabinet du maire de Lyon pour faire de la prospective. Le maire est socialiste à l’ancienne, pris dans les jeux de courant du Parti, et surtout déprimé. Alice va rapidement le remotiver en lui parlant un peu de fond, mais elle se rend compte que son poste a été envisagé comme un poste un peu bouche trou, elle est supposée distraire le maire mais ne pas aller trop loin dans la réflexion, et remplir des missions random pour la directrice de cabinet en parallèle. Mais son influence sur le maire fait qu’elle est rapidement débarrassé des côtés annexes, et en même temps vue comme une éminence grise qui a le maire sous son emprise. Sauf que de son côté elle est déprimée par l’univers de la politique, le maire lui annonce des trucs en privé avant de prendre le contre-pied en public, et elle sait pas trop ce qu’elle fait.

Je sais pas trop ce que j’en ai pensé. Le début est bien, ça parle beaucoup mais c’est le concept du film, de grandes réflexions sur la politique. Mais la dépression d’Alice arrive d’un seul coup puis disparaît aussitôt, les volte-faces du maire n’ont aucun impact sur sa relation avec Alice… le scénario n’est pas très réaliste de ce point de vue là, on sent qu’après avoir installé des trucs ils ne savent pas trop comment finir. J’ai aussi été un peu dérangé par la façon dont le scénario élude totalement les enjeux de relation asymétrique. On a un maire qui est un homme politique blanc et âgé, qui sait se montrer cassant avec certains subordonnés, il convoque la jeune héroïne dans son bureau à 22h et elle elle est tranquille, tout se passe bien tout le monde est sympathique ? Pour un film sorti en 2019 c’est ne pas se poser beaucoup de questions.

Bref, début sympa puis pas de conclusion.

Stowaway, de Joe Penna

Où Anna Kendrick joue Tintin dans On a marché sur la Lune.

Film germano-américain sorti en 2021. Un équipage de trois astronautes part pour un trajet de deux ans vers Mars. Ils vont rapidement découvrir qu’une quatrième personne a embarqué avec eux, posant rapidement un problème crucial : leur vaisseau ne recycle pas assez d’oxygène pour leur permettre à tous les quatre d’arriver jusqu’à Mars, et il n’ont pas assez de carburant pour pouvoir modifier leur trajectoire et retourner vers la Terre.

J’ai bien aimé le début : le décollage, les images de l’installation progressive des astronautes dans le vaisseau. Globalement tout ce qui est dans le vaisseau est joliment filmé, la tension due à la découverte du quatrième passager est bien rendue (mais on sent que le film aurait pu plus développer cette partie : les questions de 1/comment est-il arrivé là 2/a-t-il embarqué volontairement 3/est-il une menace pour l’équipage sont évacuées très rapidement (et carrément jamais résolue pour la 1). Du coup la tension est mise en place puis dissipée rapidement. Alors qu’il y avait des choses intéressantes à dire sur comment – quand tu t’es préparé.e à vivre 2 ans avec deux autres personnes avec qui tu t’es entraîné.e, que tu connais – tu gères l’arrivée inattendue d’un quatrième lascar dont tu ne connais rien et comment tu fais une place dans l’espace du vaisseau et dans l’organisation des journées à cette personne. Là tout semble se faire automatiquement.)
Le huis clos est bien mis en place, l’idée des communications avec la Terre dont le spectateur n’entend que les répliques des astronautes est très bien trouvée notamment, on ne voit vraiment que les quatre acteurs tout du long (et on entend juste une autre voix au décollage, ie les 5 premières minutes).

La répartition des rôles est intéressante aussi :
On a une commandante plus âgée et expérimentée – jouée par une femme mais dans un rôle que j’ai trouvé codé assez masculin – mais largement empêchée d’agir par un bras cassé, ce qui la force à accepter davantage ce que propose le reste de l’équipage. Toni Collette joue d’ailleurs comme d’habitude très bien.
Le personnage de David Kim est je trouve assez réussi aussi, dans la retenue et la frustration de voir ses expériences flinguées par les circonstances.
Le personnage joué par Anna Kendrick m’a moins enthousiasmé : perso féminin jeune et conventionnellement jolie, c’est celle qui exprime fortement ses émotions, est dans le care, et fait les blagues : elle est l’élément exubérant du groupe, d’ailleurs on la voit pas trop faire les expériences qu’elle est censée mener, elle est vraiment là pour faire avancer l’histoire.
Enfin le personnage de Michael Adams joue l’élément perturbateur : il n’a pas l’entrainement des autres, il est en position d’apprentissage ou d’impuissance, et sa présence est de base la source du problème. Les deux personnages masculins sont ceux qui font référence à une famille sur Terre quand les deux féminins ont l’air davantage sans attaches. Je suis par contre un peu dubitatif sur le fait d’avoir le seul personnage noir présenté tout du long comme l’outsider, au début comme une menace potentielle puis ensuite comme objet de débat entre les trois autres pour savoir s’il faut l’exécuter pour sauver la mission : les deux approches sont finalement écartées, mais poser ces sujets sans les lier explicitement à la race me semble dommage.

Enfin, la résolution du film. Là où ça pêche fortement pour moi. Le film m’avait été vendu comme un The Martian-like, où les personnages résolvent un challenge technique en détournant la technologie à leur disposition. Ce n’est pas l’enjeu du tout ici. Il y a une discussion morale sur le sacrifice de certains pour la survie du plus grand nombre mais qui est rapidement écartée, puis la solution trouvée ne présente pas de vrais challenges techniques : les obstacles sont très artificiels, au point que ça a causé une certaine suspension d’incrédulité chez moi : globalement le point clef est de grimper sur une corde, et pour ça ils ont un matos et des techniques qui sont particulièrement mal adaptés, alors que dans la vie réel l’ascension sur corde c’est un truc de base de l’escalade et de la spéléo : avoir deux points d’ancrage et du matériel auto-bloquant, pour le coup it’s not rocket science, et ça résout l’essentiel des difficultés de la fin du film. Perso je m’attendais à ce qu’ils aient davantage des problèmes de franchissement des panneaux solaires, qu’ils cassent une partie de l’alim électrique et que ça cause de nouveaux problèmes, mais finalement non pas du tout. Bref cette fin fait assez bâclée et je pense qu’elle souffre de la comparaison avec ce qu’on a pu avoir dans The Martian ou certaines séquences de la saison 1 de For All Mankind.

Globalement, de belles images, une prémisse (et des prémices) intéressante, mais un film qui n’en développe pas suffisamment les enjeux et conséquences jusqu’au bout en préférant s’offrir des facilités de scénario. Un bon jeu d’acteur et un sentiment de huis-clos très bien rendu cependant.

Fargo, des frères Coen

Film étatsunien de 1996. Un vendeur de voiture de Minneapolis financièrement dans la merde engage deux petites frappes de Fargo pour kidnapper sa femme : son riche beau-père paiera la rançon et il en récupérera la moitié. Sauf que les deux gangsters sont des psychopathes qui n’hésitent pas à se lancer dans un massacre dès qu’il y a un vague témoin, et que tout va dégénérer. On suit à la fois les deux psychopathes, le vendeur de voiture, et Marge, chef de la police dans la petite ville de Brainerd, où un triple homicide va la mettre sur la piste de deux tueurs.

C’était très bien. Y’a une ambiance particulière liée à l’environnement « film noir dans les flyover states, dans un climat glacial » : tout le monde est surhabillé, les décors sont assez laids : c’est que du préfabriqué moche, de la banlieue à perte de vue, ou alors des scènes extérieurs dans la neige mais pas du tout enjolivés par la caméra, on est dans le réel de la classe moyenne américaine. Les policiers sont laconiques et unimpressed, ils font leurs petites vies et se racontent leur weekend tout en investigant un triple homicide. Tous les personnages qui viennent d’un environnement rural ont un petit accent chantant et ponctuent leurs phrases d’un « oh yeah? ».

Grosse recommandation.

Raya and the last dragon, des studios Disney

L’Assassin royal : the Legend of Korra

Film d’animation des studios Disney sorti en 2021. Dans un monde d’inspiration asiatique, un pays qui vivait autrefois en harmonie est désormais déchiré en 5 nations depuis la disparition des dragons. Raya, princesse du royaume du Cœur, va retrouver la dernière dragonne et tenter de lui rendre ses pouvoirs pour vaincre la puissance maléfique qui accable le monde – tout en étant poursuivi par la princesse du royaume des Crocs.

Gros travail d’animation, de très belles séquences, les visuels des différentes nations sont très beaux. Les deux princesses sont très réussies en tant que personnages, les personnages secondaires un peu moins j’ai trouvé, ils ont tous une fonction de sidekick comic relief. Mention spéciale quand même au personnage de bébé vénère, étonnamment réussi vu le concept de base. Par contre le design des dragons est assez moche, c’est volontaire pour leur filer un aspect goofy, mais bon ça jure un peu avec le reste.

Le scénario est très classique avec une quête pour réunir des artefacts magiques répartis entre les cinq royaumes. Pour tout caser en 1h45 certains royaumes sont un peu rushés alors que vu la beauté des décors ils auraient tous mérités plus de temps d’écran. Jolies séquences de combat/poursuite aussi, très réussies

Bad Lieutenant, d’Abel Ferrara

Film US de 1992. On suit un policier corrompu et bourré d’addiction, qui tente en parallèle de mener une enquête sur le viol d’une religieuse et de trouver un moyen de rembourser ses dettes de pari sportif à la mafia. La scène d’ouverture où on le voit déposer ses gamins à l’école en père aimant avant de se faire une petite prise de cocaïne dès qu’ils sont hors de la voiture est très réussie. On le voit ensuite sombrer de plus en plus, consommer des quantités invraisemblables d’alcool et de drogue, accumuler les paris foireux, agresser sexuellement des femmes en abusant de sa position (scène aussi très réussie dans le genre dérangeant, avec un mec à la fois en position de pouvoir, visqueux, clairement sous substance qui s’impose à deux femmes – trigger warning de rigueur). La caméra de plus en plus nerveuse, bancale, retranscrit très bien l’état mental du protagoniste.

J’ai vu pas mal de critiques qui parlent de rédemption dans la conclusion du film, mais je suis assez peu d’accord : si le thème de la rédemption traverse le film et si le personnage y aspire probablement, je ne pense pas que c’est ce qui se passe. Il tente un truc selon ses termes mais je ne mettrai pas du tout le terme de rédemption dessus. Disons qu’il change de façon de faire de la merde.