Archives de catégorie : Longs métrages

Sirāt, d’Oliver Laxe

Mad Max x Le Salaire de la Peur

Film franco-espagnol de 2025. Une rave dans le désert marocain. Un père et son fils distribuent des flyers : ils cherchent leur fille et sœur, qui fréquente les free-parties et dont ils sont sans nouvelle depuis 5 mois. L’armée vient rapidement interrompre la rave. Sans être correctement préparés, les 2 protagonistes décident de suivre un petit groupe de teufeureuses qui veut rejoindre une autre fête tout au sud du pays, à la frontière avec la Mauritanie, où leur adelphe pourrait être. Pour cela, il va falloir traverser le désert, alors qu’à la radio l’annonce des débuts d’une potentielle guerre mondiale laisse entendre que le monde entier bascule dans des temps incertains. Le convoi de trois véhicules va rouler dans un désert magnifique mais où toutes les erreurs sont potentiellement mortelles…

Sirāt commence avec un objectif clair pour les personnages, mais rapidement cet objectif disparaît : les personnages roulent, ne semble plus croire eux-même à leur objectif, une hypothétique fête qui sonne comme la promesse du paradis de l’autre côté du purgatoire qu’est le désert. Le film est beau mais assez violent, et d’une violence qui prend les spectateurs par surprise : il n’y a pas une montée de la tension qui permet de voir arriver la violence, elle surgit juste d’un seul coup. Des gens qui roulent en voiture dans le désert alors que le monde sombre dans le chaos, impossible de ne pas penser à Mad Max, mais version quête existentielle propre au cinéma européen, où l’adversaire n’est pas des gangs de bikers mais les éléments et les raisons qu’on peut se trouver de vivre.

Recommandé avec un TW mort gratuite.

A Desert, de Joshua Erkman

Film étatsunien de 2024. Alex est photographe sur le retour. Muni d’un ancien appareil photo à soufflet, il photographie des lieux abandonnés dans l’Ouest américain. Lors d’une session d’exploration il fait la rencontre de Renny et Suzie Q, un couple de white trash qui n’ont pas l’air d’avoir ses meilleurs intérêts à cœur…

J’ai beaucoup aimé la première partie, la photographie est très belle (et y’a une bande son diégétique très chouette à base de jazz quand on dans la voiture d’Alex), que ce soit dans les lieux urbexés, dans le motel ou en extérieur. Moins fan de la seconde, où on comprend moins ce qui se passe et où le film présente de nouveaux enjeux de façon assez random.

In vitro, de Tom McKeith et Will Howarth

Orphan Black x God’s Own Country

Film australien de 2024. Layla vit avec son mari Jack sur une ferme isolée dans l’outback australien. Suite à un dysfonctionnement de l’installation, Layla découvre des éléments assez perturbants sur Jack.

Recommandé ! En étant un minimum genre-savvy vous voyez voir très rapidement les deux gros reveal du film, mais il n’empêche que le sujet est très bien traité : bien filmé (très beaux paysages, très chouette d’avoir un film de SF dans un contexte qui n’est pas une ville avec des beaux gratte-ciel futuristes), les acteurs sont très bons (notamment celui qui joue Jack, dont le passage de mari aimant à psychopathe est très réussi), la sororité instinctive de Layla est bien mise en scène

Ash, de Flying Lotus

Film étatsunien de 2025, SF horrifique. Une femme se réveille amnésique, dans un module d’habitation sur une planète extraterrestre. Tous les autres occupants du module sont morts. On frappe à la porte du module…

Les images sont jolies, mais le scénario est étique. On voit de fortes influences d’Alien et surtout de The Thing, mais en moins réussi et en très dérivatif. J’ai pensé que le twist allait être qu’on suivait le point de vue de the Thing mais qui n’avait pas conscience de l’être (parce qu’elle serait une copie trop parfaite), ce qui aurait pu faire de l’horreur existentielle assez intéressante (et un peu de body horror vue « de l’intérieur »), mais même pas, notre héroïne impeccablement maquillée est bien une gentille fille, les flashback où elle tue des gens c’est bien parce que les gens sont devenus méchants, she never did anything wrong in her life.

Donc bon, bof.

Salve Maria, de Mar Coll

Film catalan paru en 2024. María, écrivaine catalane, vient d’avoir un enfant, Eric. Son compagnon est chercheur, il promet sans cesse de prendre son congé paternité (il se dit féministe, après tout), mais il faut bien qu’il finisse de travailler sur l’article qu’il a en cours, il ne peut pas laisser son travail et ses collègues en plan. María est donc seule avec Eric, qui lui semble perpétuellement en train de pleurer ou de vomir, dans leur appartement un peu perrave. Un jour elle apprend par le JT qu’un infanticide a eu lieu dans un quartier de sa ville. Elle devient obsédée par le sujet, qui lui semble un matériau pour son prochain roman. Alors que María s’enfonce dans une dépression post-partum, elle décide de partir rencontrer l’autrice de l’infanticide.

Le film emprunte certain des codes de l’horreur, ce qui m’a un peu fait attendre un film d’horreur tout du long, alors que pas vraiment, j’ai interprété certains personnages ou comportement comme relevant des conventions de l’horreur (évidemment que l’héroïne est seule et que son mec est absent et ne comprend rien, la copine/fan un peu chelou qui insiste pour la voir a probablement un lourd secret…) alors que visiblement cette horreur n’est que dans la tête de l’héroïne. Mais du coup j’en suis sorti avec une vision assez différente des personnes avec qui j’étais allé le voir, qui étaient en mode « beaucoup trop réaliste sur les mecs absents lors de la naissance de l’enfant » et s’étaient plus focalisé sur la violence psychologique du personnage masculin (j’étais aussi la seule personne de genre masculin, mais sûrement ça n’a rien à voir avec le fait de moins percevoir des comportements qui servent le patriarcat, right ?)

Le film est aussi très bien filmé, avec des plans qui font largement usage des reflets (dans des flaques d’eau, des vitres, des rétroviseurs…), des scènes à la montagne et à la mer et de façon générale une photographie qui permet de faire passer les variations de l’état intérieur de l’héroïne d’une scène à l’autre.

Bonjour l’asile, de Judith Davis

Film français de 2025.

Jeanne, responsable d’une asso en banlieue parisienne, va pendant 3 jours rendre visite à Élisa, son amie qui est partie vivre à la campagne avec son mari et ses deux enfants. Jeanne est venu pour une session de travail, Élisa étant l’illustratrice des livres de l’asso, mais cette seconde est débordé par l’organisation de sa vie de famille, et elle n’a pas eu le temps de travailler en amont, ni n’arrive à dégager suffisamment de temps pendant le séjour de Jeanne. Jeanne le lui reproche et la tension monte entre les deux amies, chacune voyant en l’autre quelque chose elle a dû renoncer pour être là ou elle en est aujourd’hui. En parallèle, un agent immobilier tente d’acquérir l' »HP », un tiers lieux hébergé dans un ancien hôpital psychiatrique pas du tout aux normes, pour en faire une hôtellerie de prestige. Confronté aux refus répétés des occupant.es, il devient de plus en plus tendu et somatise, voyant cet échec potentiel comme ce qui le ferait choir de sa position dans les sommets bourgeois locaux, étant un transfuge de classe se sentant toujours en insécurité. Les quatre trajectoire (celles des deux amies, les occupants de l’HP et de l’agent immobilier vont converger au cœur de l’HP même.

C’était cool à regarder ! Même si c’est parfois un peu trop didactique parfois (notamment sur le mec benêt de Jeanne qui ne participe pas aux tâches ménagères tout en se disant déconstruit), la satire est réussie, les personnages aussi (notamment Élisa et son double masculin imaginaire, ainsi que tous les habitants de l’HP, même ceux qu’on voit juste en passant, notamment le groupe de parole masculin et évidemment Cindy)

Recommandé.

Le Rire et le Couteau, de Pedro Pinho

Film portugais de 2025, avec une modeste durée de 3h30. Sergio est un ingénieur environnemental. Recruté par une ONG, il débarque en Guinée Bissau pour évaluer l’impact environnemental d’un projet de route. Son rapport est attendu par le consortium chinois en charge de la construction, mais Sergio se perd dans la vie nocturne de Bissau, ses échanges avec les ouvriers qui construisent la route, les communautés sur le tracé qu’il va interviewer… Il se lie surtout d’amitié avec Guilherm, expatrié brésilien queer et Doria, guinéenne habitant Bissau. Entre eux, des soirées en clubs, un désir que Sergio (particulièrement mutique et suiveur dès qu’il s’agit d’exprimer une préférence) n’arrive pas à verbaliser mais qui est pour autant perçu et renvoyé par les deux autres.

J’ai bien aimé. Y’a un petit côté Alain Guiraudié (comme le remarque la critique de Libé) dans ce personnage de mec révélateur du désir des autres et du sien propre, mais avec en plus tout le côté déambulation dans différents univers et strates sociales de la Guinée Bissau.

Recommandé (si vous avez un créneau pour un film de 3h30)

Else, de Thibault Emin

Film fantastique français de 2025. Suite à l’annonce de l’apparition d’une nouvelle pandémie, le gouvernement annonce un confinement. Anx et Cass viennent de se rencontrer pendant une soirée, mais elle décide de venir se confiner chez lui. Malgré leurs tempéraments qui s’oppose sur pas mal de points, la romance entre eux se développe. Pendant ce temps, dehors, l’épidémie transmise par le regard continue de progresser : les gens fusionnent avec les éléments de leur entourage. La maladie finit par rentrer dans le cocon des deux amoureux : Cass est contaminée, elle commence à se fondre dans les draps de son lit, puis dans l’immeuble tout entier.

C’était original dans le traitement de l’image, avec pas mal de flou, un passage réussi en noir et blanc, des effets spéciaux analogiques (bon et des images en IA pas top dont on aurait pu se passer). Un petit côté Cronenberg dans la soudaine porosité des limites corporelles (et matérielles, les objets se mettant à fusionner entre eux, l’immeuble bourgeonnant, rendant plus étroit l’intérieur de l’appartement…) mais traité sur un mode plus poétique.

Dupont-Lajoie, d’Yves Boisset

Film français de 1975. Les Dupont-Lajoie, cafetiers parisiens, partent pour leurs traditionnelles vacances dans le Midi. Au camping du soleil, ils retrouvent leurs amis des années précédents, avec lesquels ils déroulent les mêmes platitudes que d’habitude.

Divulgâchage et TW ci-dessous

Rapidement il apparait que le père Lajoie est attiré par Brigitte, la fille des Colin. A l’occasion d’une promenade où il la surprend en train de bronzer seule, il la viole et accidentellement, la tue. Pour brouiller les pistes, il amène le corps près du baraquement où vivent les ouvriers algériens qui sont en train de construire de nouveaux logements. Le racisme ambiant va faire le reste : les hommes du camping organisent une ratonnade, pour « rendre justice à la petite », rajoutant un nouveau meurtre au premier…

C’était intense. C’est un film avec des personnages assez détestables, les trois couples au centre du film (surtout les hommes, les femmes parlant largement moins) représentent une petite bourgeoisie française sûre d’elle et de ses privilèges, sortant des horreurs racistes dans le plus grand calme (et projetant sur les étrangers ses propres comportements) avant de chercher des passe-droits à la première occasion. Le film est plutôt drôle dans sa première partie qui fait vraiment cliché de vacances où tout le monde part à la même heure et s’entasse sur les mêmes plages, et où on attend le présentateur d’Intervilles comme le messie. Puis il prend une tournure beaucoup plus tragique dans la seconde moitié. Le choix de faire du personnage principal, qui se présente comme un bon père de famille, le violeur qui s’en prend à une connaissance (plutôt d’avoir mis en scène une agression sexuelle par un étranger) est assez novateur pour l’époque je trouve (bon en même temps ça n’en fait pas un film féministe, les femmes ont trois à 5 répliques en tout, et l’histoire tourne autour de trope de la femme dans le frigo). Mais la dénonciation du racisme ambiant en France est assez forte.

Recommandé sous réserves d’être dans un bon état mental et de checker les TW.

The Florida Project, de Sean Baker

Film états-unien de 2017. On suit la vie de Moonee, gamine de 7-8 ans, qui vit dans un motel en bordure de Disney World, en Floride. Elle passe ses journées à faire les 400 coups avec ses amis, à explorer les hôtels abandonnés, à réclamer de l’argent aux touristes pour s’acheter des glaces, et à faire tourner les adultes en bourrique. Elle vit seule avec sa mère, Halley, qui galère à rassembler l’argent pour payer leur loyer, et vit de combines.

J’ai beaucoup aimé. C’est une chronique de la précarité à hauteur de regard d’enfant. C’est aussi une description de la vie dans les marges de l’Amérique, juste à côté d’une usine à rêve mais dans des conditions merdiques. Les acteurs jouent très bien notamment les enfants mais pas que. Il y a un petit côté Une affaire de famille ou les 400 Coups, mais avec les couleurs pastel de Disney World en toile de fond pour cacher la misère.