Archives de catégorie : Culture/Procrastination

Gris, de Nomada Studio

Jeu-vidéo de 2018. Il s’agit d’un jeu de plateforme casuel. On joue une femme qui se déplace dans un environnement fait d’une architecture assez onirique. L’héroïne débloque des pouvoirs (double saut, nage, …) et des couleurs qui viennent se rajouter à l’environnement et le transformer. C’est très beau et poétique. Le jeu se finit vite, 6 heures pour moi, mais il est assez marquant par son univers et sa direction artistique. Je le recommande.

The Invisible Man, de Leigh Whannell

Film étatsunien de 2020. Elisabeth Moss (la Servante Écarlate) incarne Cecilia Kass, prisonnière d’un mariage avec Adrian Griffin, un ingénieur en optique génial mais manipulateur et sadique. Elle réussit à s’échapper et apprend avec soulagement le suicide de son ex-mari. Mais des événements inquiétants dans sa nouvelle vie vont lui faire réaliser qu’Adrian a mis en scène sa mort et a trouvé un moyen de devenir invisible. Elle va devoir se battre contre l’action de son ex-mari alors que son entourage pense qu’elle est en train de perdre la raison.

Je l’ai regardé essentiellement pour voir une fois de plus Elisabeth Moss porter toute la misère du monde sur ses épaules. C’est bien filmé et le twist patriarcal sur l’histoire originale de Wells est intéressant, mais c’est pas le film du siècle pour autant. L’usage de l’invisibilité comme technique au service du gaslighting est prometteuse et aurait valu le coup d’être plus développée : à la fois montrer d’autres formes de gaslighting, et entretenir plus l’ambiguïté sur si Cecilia hallucinait ou non et était elle-même la personne dangereuse. Là le spectateur sait trop vite que non (bon en même temps vu le titre du film l’effet de surprise était ruiné dans tous les cas), et la fin du film part un peu trop dans un trip « le mec est un psychopathe complet qui n’hésite pas à tuer dans tous les sens » et « woo, combat avec un gun contre un homme à demi-invisible ». Alors qu’il y avait quelque chose de plus intéressant à faire avec la tension psychologique induite par le côté « tu peux jamais savoir s’il est là où non vu qu’il est invisible. »

A regarder si vous aimez beaucoup Elisabeth Moss, dispensable sinon.

La Corde, de Dominique Rocher

Mini-série française en trois épisodes, sortie en 2022. On suit la vie d’un observatoire astronomique international isolé en Norvège. L’observatoire observe un phénomène astronomique, les répéteurs, et vient de décrocher in extremis un financement pour une nouvelle campagne de recherche. Alors que tout le monde se met en ordre de bataille pour organiser la campagne de récolte des données, un des membres de l’observatoire découvre une corde dans la forêt. Elle a l’air ordinaire, sauf qu’elle n’était pas là la veille, que l’observatoire est isolé, et qu’elle a l’air de serpenter sur des kilomètres et des kilomètres sans s’interrompre. Un petit groupe de personne décide de la suivre sur une journée pour voir jusqu’où elle va, alors qu’il serait plus prudent que tout le monde se focalise sur la récolte des données…

Le pitch est assez cool, mais la série ne résout pas grand chose. La ligne narrative de celleux qui suivent la corde et de celleux qui sont resté.es à l’observatoire ne se recroisent plus, on suit deux histoires en parallèle (reliées à la limite par le deuil que font celleux qui sont resté.es pour celleux qui sont parti.es). Les multiples raisons qui font que celleux qui sont parti.es ne font finalement jamais demi-tour alors qu’ils en parlent plusieurs fois ne sont pas très crédibles : ils devraient normalement avoir un sens des responsabilités, un attachement à celleux qu’iels ont laissé derrière, là rien. Même le fait d’être partis avec zéro matériel adapté ne les arrête pas. On comprend rapidement que la corde à une dimension métaphysique, mais ça ne mène pas à grand chose. A la limite la scène finale avec Joseph est intéressante, mais plus symbolique qu’autre chose.

Par contre c’est bien filmé et bien joué, les décors de l’observatoire et de la forêt sont beaux. Mais ça ne suffit pas vraiment, pour résumer il y a de belles ambitions mais non réalisée.

Paradise Killer, du studio Kaizen Game Works.

Jeu d’enquête sorti en 2020. On joue une enquêtrice rappelée de son exil pour découvrir la vérité sur un multi-homicide sur une île dans un univers très perché.

Basiquement, c’est une murder (+ une dating simulation) : il y a plein de persos à interroger et de secrets à découvrir, certains liés à l’enquête principale, qui peuvent être des fausses pistes ou non, certains déconnecté de l’énigme mais qui rajoutent du lore et de l’épaisseur aux relations entre les persos. Un léger regret sur le fait que la meilleure strat est toujours d’épuiser toutes les options de conversation avec les persos : en soi, ne pas leur révéler ce qu’on a découvert sur eux pour éviter qu’ils construisent une défense avant le procès serait plus cohérent, mais probablement plus compliqué à implémenter. Par ailleurs, on se ballade dans l’univers façon monde ouvert : c’est réaliste pour une enquête mais perso je pense que j’aurai bénéficié d’un peu plus de contraintes pour aller inspecter la scène de meurtre et certains éléments clefs dès le début, par certains points j’ai l’impression d’avoir un peu pris les choses à l’envers (mais c’est un défaut assez mineur et assez lié à ma pratique du jeu plus qu’à sa construction).

L’univers est très original : basiquement, on travaille pour une secte qui œuvre au retour des Grands Anciens à la Lovecraft, sauf que l’esthétique est à l’opposé de Lovecraft : avec les pouvoirs conférés par un des Dieux, la secte s’est construit une retraite dans une dimension de poche, sous la forme d’une île paradisiaque pleine de bâtiments brutalistes, de néons et de couchers de soleils avec une esthétique 80’s (mais ils continuent à sacrifier des humains pour charger psychiquement les Dieux). Le lore est très dense, avec des persos très wtf, un univers qui a l’air de partir dans tous les sens mais a en fait une grosse cohérence interne : on peut le rapprocher de Disco Elysium, mais avec plus d’ecstasy et moins de politique.

Merci à MNL pour le cadeau !

Toxoplasma, de Sabrina Calvo

Roman de science-fiction/fantastique de 2016. Second roman de Calvo que je lis après Melmoth Furieux (mais qui est paru avant). On retrouve des thèmes similaires puisqu’on assiste là aussi aux derniers jours d’une Commune libertaire, ici celle de Montréal. Au milieu de la fin de l’existence de cette enclave assiégée par un pouvoir fasciste (l’autrice ne détaille pas, mais il est mention de guerres civiles dans plusieurs des Etats d’Amérique post-Trump, et d’une invasion partielle du Canada par son voisin du Sud pour le contrôle des nappes phréatiques), on suit en parallèle deux femmes :

  • Nikki, qui travaille dans un vidéoclub qui propose des VHS de films de genre (on sait pas trop pourquoi les VHS sont revenues, il y a visiblement une vague de nostalgie des 80’s mais là non plus ça n’est pas détaillé) et enquête sur les disparitions d’animaux dans son quartier.
  • Kim, hackeuse qui monte des infiltrations des réseaux corporate sur la Grille, le réseau qui a remplacé le Net à son effondrement.

Les deux femmes sortent ensemble au début du roman, mais elles vont se séparer et suivre chacune de leur côté un fil narratif à base d’événements mystérieux qui mêlent meurtres d’animaux, symboles occultes, magouille d’une corporation, passé colonial du Canada, et événements magiques qui brouillent la frontière entre réel, virtuel et onirique.

J’ai une fois de plus beaucoup aimé. L’histoire part moins dans le symbolique que dans Melmoth, même si les niveaux de réalité s’interpénètrent là aussi. L’univers est très intéressant, on ne sait pas les détails de ce qui a amené à la situation présente, mais la Commune semble réaliste, alors même que Calvo donne peu d’éléments, mais elle réussit à rendre le tout très évocateur. Le côté rétro des technologies avec la guerre VHS/Betamax et toute l’intrigue cyberpunk autour de l’infiltration des réseaux corporate est très sympa, le mix d’époque (en mêlant ça au retour trumpiste du fascisme) est réussi, et l’ajout du réalisme magique au tout fonctionne.

Bref, je recommande.

The Batman, de Matt Reeves

Film policier de 2022. Batman, année 2. Le super-héros masqué a commencé à rentrer dans une routine dans sa lutte contre le crime à Gotham. Il collabore avec le commissaire Gordon, peut se rendre sur des scènes de crime, est toléré par la police même si sa relation avec eux reste compliquée. Une série de meurtres vient bouleverser la ville. Un meurtrier qui se fait appeler le Riddler tue plusieurs figures publiques de Gotham, en commençant par le maire. Simultanément aux meurtres, le Riddler publie des révélations sur la corruption de ses victimes et leur compromission avec des figures mafieuses…

Commençons par le gros point négatif : c’était trop long. 2h56, c’était 56 minutes de trop. Ou alors fallait faire une mini-série, mais là franchement ça faisait quelque chose de trop dense. Certaines scènes n’étaient pas très jolies ou pas très lisible, avec notamment une lumière pas très réussie (notamment les scènes à l’aube). Enfin, je n’ai pas été très convaincu par le personnage de Catwoman, qui sert de romance sans grand intérêt.

Ces éléments mis de côté, il y avait des choses qui valaient le détour : par rapport aux Batman précédents (ceux réalisés par Nolan), l’esthétique est plus intéressante, moins « gros buildings et militarisation » (moins Nolan, quoi). Le portrait de Bruce Wayne/Batman proposé est intéressant. Il est beaucoup plus humain qu’habituellement dans les films, il doute, il rate des trucs, il y a une vraie épaisseur du personnage plutôt que d’en faire un archétype (et même s’il est pas en train de prôner la justice sociale et le community building, il est aussi moins fasciste que dans les Nolan). Le fait d’être sur une enquête sur un serial killer plutôt que sur un gros film d’action (même s’il y a des courses poursuites et autres passages obligés du film d’action) est un changement d’angle bienvenu aussi, on a des adversaires avec une épaisseur, plus dans le côté « politique un peu poisseuse » et « liens avec la mafia » que « super-méchants qui empoisonnent les réserves d’eau » (même si on revient un peu là dessus lors du final, d’une façon qui jure un peu avec le reste du film). La mise en exergue du fait que la figure de Batman inspire d’autres personnes (le Riddler puis ses adeptes) à se masquer et à prétendre incarner leur propre forme de justice (et le fait que Batman lui-même le réalise et se dise que c’est pas top) était assez réussi et un point que l’on voit habituellement trop peu.

Globalement, un film intéressant pour le renouvellement de certains aspects de la figure de Batman, mais trop long (et mal éclairé).

Les Disparus de Bas-Vourlans, de Romain Weber

Fiction radiophonique diffusée sur France Culture. A la suite d’une sécheresse historique dans le Jura, le lac de Clairlieu est totalement asséché. Au fond, le village de Vourlans est accessible pour la première fois en 45 ans. Et dans une des maisons, deux squelettes sont retrouvés, enchaînés au mur…

Le concept initial est intéressant, mais je n’ai pas été fan de la réalisation. On voit venir la révélation finale de loin, je trouve, et pour le reste, ça manque un peu de dynamisme. Globalement tous les habitants du village sauf les plus jeunes connaissent l’histoire de ce qui s’est passé il y a 45 ans. Il n’y a pas vraiment d’action, on suit juste la découverte progressive des événements (et quelques conséquences modernes de la découverte des corps) par trois protagonistes. Il aurait été plus intéressant d’avoir un village plus divisé où la découverte des corps ferait plus remonter les anciennes fractures à la surface.

Après, je râle mais j’ai écouté tous les épisodes, c’est quand même intéressant, sans être au niveau de 57, rue de Varenne. Mention spéciale pour le personnage de Breuillard, l’élément perturbateur avec un petit accent chantant.

Infiniti, de Thierry Poiraud

Série française de 2022. Cosmodrome de Baïkonour. Un accident lors de l’arrimage d’un vaisseau cargo endommage gravement l’ISS, coupant toute communication entre la station et la Terre et mettant en péril son intégrité. Au même moment, dans la banlieue de la ville, la police locale récupère un cadavre décapité qui porte la puce d’identification d’un des cosmonautes censé être en orbite. L’enquête policière sur Terre et les tentatives de sauvetage des astronautes dans la station vont se croiser, avec au centre la question de savoir où sont réellement les astronautes : dans l’ISS ou sur Terre ?

J’ai beaucoup aimé les décors (la série a été tournée au Kazakhstan et en Ukraine), avec les installations spatiales vieillissantes de Baïkonour au milieu de steppes immenses. Ça donne une ambiance particulière, avec l’entrecroisement du programme spatial, des vestiges de l’URSS (les fresques de Lénine aussi bien que les sites d’essai des premières bombes nucléaires), des traditions religieuses du coin et de la déliquescence d’une ancienne république socialiste soviétique, avec ses relations compliquées à la Russie.
La série est tournée en trois langues – français, anglais et russe – avec des personnages qui passent de l’une à l’autre selon leurs interlocuteurs, ça illustre bien la complexité de la coopération internationale et des rapports entre les différents protagonistes et institutions. Les enjeux géopolitiques, justement, sont intéressants aussi : le cosmodrome est exploité par la Russie et donc non soumis à la juridiction kazakhe, qui n’est pas très jouasse de cette présence envahissante, mais qui reste inféodé à la puissance russe et doit bien composer avec. A l’intérieur du cosmodrome, il y a des enjeux de pouvoir entre les programmes spatiaux russes et français d’un côté, et américain et chinois de l’autre, ces derniers voulant accélérer le passage aux lanceurs privés et missions robotiques vers l’ISS, et arrêter les vols depuis Baïkonour.
Les personnages sont plutôt attachants même si parfois un peu clichés, et ils sont plutôt bien joués. Le scénario comporte par contre de grosses incohérences : c’est plaisant à regarder sur le moment, et les incohérences ne m’ont pas gâché plus que ça le visionnage, mais faut pas chercher à creuser plein de points. J’ai bien aimé que le scénario prenne son temps : pour une série qui tourne autour du programme spatial international, on a un départ pour l’espace seulement dans les dernières minutes de l’épisode 5 sur 6, après avoir bien pris le temps de décortiquer les enjeux au sol.

Globalement j’ai passé un bon moment devant, mais c’est plus une série qu’on regarde pour l’ambiance que pour le scénario.

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Connemara, de Nicolas Mathieu

Roman français paru en 2021. On suit en parallèle et dans le désordre la vie de deux Lorrain.es : Hélène, transfuge de classe qui est devenue cadre dans des cabinets de conseil et qui est revenue dans la région avec mari et enfants ; et Christophe, ancienne gloire de l’équipe de hockey qui est resté toute sa vie sur place, est commercial pour une boîte de nourriture pour animaux et se remet au hockey pour retrouver les sensations de liberté de son adolescence. Nicolas Mathieu déroule leurs enfances et adolescences parallèles, comment leurs trajectoires se croise avant de se perdre de vue, les choix, joies et renoncements qu’on vécu les deux. Puis à l’âge adulte ils se recroisent, et commencent une liaison, pendant que le récit dépeint leurs vies, le sens qu’ils y mettent, de quoi est fait leurs quotidiens.

J’y ai trouvé quelques longueurs et par moment des tournures de phrase un peu trop « oulala j’écris en mélangeant les registres de langue ». Ça ne m’avait pas du tout dérangé dans Leurs Enfants Après Eux, mais là c’est un peu trop flagrant par moment. Un peu trop de scènes de sexe à mon goût aussi.

Mais globalement le roman est réussi, la conclusion notamment rattrape beaucoup, il y a a de très bons passages. Ça tombe pile au bon moment dans toute la description des cabinets de conseil qui vendent du vent réorganisationnel aux administrations publiques, avec le scandale sur les milliards que leur a filé l’État dans la vraie vie. Les passages sur l’envie de retrouver des moments où le temps s’écoule lentement comme durant l’enfance ça me parle beaucoup aussi.

Je recommande.

Subtil Béton, des Aggloméré·es

Dystopie française. 2040qqch, dans une France dont l’histoire a divergé durant les années 2010. Une dictature écolofasciste est au pouvoir, le dernier grand mouvement social en 2037 a été largement réprimé, les collectifs et les réseaux d’entraide survivent dans une clandestinité toujours plus compliquée. On suit en parallèle les destins d’une petite dizaine de personnes qui participent de plus ou moins près à des actions et modes de vie de résistance.

Globalement, c’était un peu déprimant. L’histoire raconte la mise en place d’une nouvelle lutte, la complexité de se battre contre un État répressif avec une pléthore de moyens, les burn-out militants, la gestion des sentiments dans les groupes affinitaires… Ça finit bien, mais pour en arriver au happy end faut se fader toute la souffrance des personnages dans cet univers avant. Alors ça se voit que c’est issu de vrais questionnements dans le cadre de luttes, et l’écriture et les points de vue choraux sont intéressants, mais en ce moment les dystopies c’est pas forcément le truc dont on a besoin collectivement.

J’ai mis un peu de temps à rentrer dedans mais au bout d’un moment l’écriture et le récit sont prenants et je l’ai fini à pas d’heure.