Archives de catégorie : Culture/Procrastination

1899, de Baran bo Odar

Série à mystères de 2022, par les créateurs de Dark. En 1899, le Kerberos traverse l’Atlantique de l’Europe aux États-Unis, emportant avec lui des passagers de plein de nationalités et classes sociales différentes. Au milieu de l’océan, ils reçoivent un signal de détresse du Prometheus, un navire de la même compagnie disparu en mer depuis 4 mois, et à partir de là, les événements mystérieux vont s’enchaîner…

Sur le papier, il y avait beaucoup d’éléments pour me plaire. J’avais aimé Dark, j’aime beaucoup les histoires qui se passent sur des bateaux (The Terror saison 1 : <3), le plurilinguisme, le côté « grande énigme conceptuelle ». Mais … non. On sent qu’il y a des moyens, de l’ambition, et c’est d’autant plus frustrant de faire un truc qui tombe à plat comme ça.

Le scénario, pour commencer. Dès le début, on sait qu’il y plus que les apparences : on a des flash-back de la vie des personnages, l’héroïne accuse son père de cacher quelque choses sur les bateaux, une voix murmure « Wake up » à la fin de chaque flash-back avant que les gens ne se réveillent sur le bateau. La musique est électronique, il y a des espèces de glitchs (volontaires) dans l’image. Tout nous oriente vers le fait que c’est pas un bateau normal, les transitions en glitchs indiquent que le niveau technologique de l’univers mis en scène par la série n’est pas celui d’un paquebot de la fin du XIXe siècle. C’est un peu dommage d’orienter les choses si tôt sur un mystère technologique alors qu’on aurait pu pencher vers du surnaturel, mais ok.
Sauf que le fait d’orienter tout vers « il y a quelque chose de plus que les apparences » sert visiblement de prétexte pour ne pas du tout développer correctement les histoires des personnages sur le bateau. Entre le couple français malheureux, la mère maquerelle, le couple gay qui fait semblant d’être des frères, c’est le festival du cliché (où est la finesse d’écriture des premières saisons de Dark ?).

Les dialogues sont ineptes, et le plurilinguisme est utilisé totalement à contre-emploi. Pour moi, il aurait fallu avoir des enjeux de compréhension entre les personnages, des questions de ponts entre deux groupes de personnes ne parlant pas la même langue, avec la question de la confiance que l’on peut accorder au traducteur. A la place, on a des personnages qui monologuent devant d’autres gens qui ne peuvent clairement pas les comprendre mais les laissent parler seuls pendant trois plombes, et des éléments de compréhension qui passent sans qu’on sache pourquoi. Aussi, les sous-titres ne sont absolument pas fidèles à ce que disent les personnages, c’est assez nul.

On a des tropes tout pétés : explorons ces corridors plongés dans l’obscurité avec juste une petite lanterne, et faisons donc deux groupes de deux, puis deux groupes de un ! Please. Trouvons une backstory tragique à cette meuf : oh, un viol random ! FFS.
On a aussi plein d’éléments qui sont là pour faire comprendre au spectateur qu’il y a un mystère global, sans être perçus par les persos dans l’univers : pourquoi le symbole de la compagnie maritime se retrouve sur un kimono, sur des boucles d’oreilles et un peigne à cheveux ? Pourquoi les blessures au visage d’un des marins ne se referment jamais ? Osef, c’est mystérieux.

Dans le genre « détail qui a l’air d’avoir été décidé par un comité exécutif plutôt que par des scénaristes », on a aussi le fait que chaque épisode finisse sur une chanson de rock plutôt connue. De la façon dont c’est fait, ça donne vraiment l’impression que c’est « bon, ça a marché en termes d’impacts dans d’autres shows, donc faut le faire dans celui-là ». Ça n’accompagne pas correctement les événements, ça fait pas un thème qui revient mais juste un one-shot de « on a les droits pour ce hit, on le place ».

Bon, que reste-t-il quand même dans ce naufrage ? Les acteurs principaux jouent bien, dans la limite de ce que leur permet le script. L’histoire globale aborde des thèmes intéressants (mémoire, simulation, souvenirs implantés, gestion du trauma (évoqué plus qu’abordé pour ce dernier). Les décors sont beaux, avec de jolies idées (le cimetière de bateaux notamment). Quand le scénario arrête de vouloir se focaliser sur des personnages et leur passé sans que ça n’ait d’influence sur le déroulement global de l’histoire (après 6,5 épisodes sur 8 environ) et qu’on se consacre vraiment à avoir des révélations sur ce que ça cache, ça devient un peu cool. On a la phrase « he hacked into the mainframe! » qui personnellement m’a fait beaucoup rire (même si bon, au moment où elle arrive t’es là « attends mais il pouvait faire ça depuis le début ? parce que ça résout en fait absolument tout… »)

La fin est clairement là pour laisser arriver une saison 2, mais je vois pas trop ce qu’ils vont en faire : les backstories des personnages pas encore révélées, on s’en fout un peu maintenant que l’on sait que c’est fictionnel, et il va falloir un changement radical de ton au vu les dernières révélations. En soi pourquoi pas, mais je suis plus que dubitatif sur le fait que ça réussisse, vu déjà l’échec de la première saison.

Globalement, c’est une série qui veut faire du Westworld mais en retardant largement trop ses révélations, ce qui laisse le spectateur le cul entre deux chaises. Je ne recommande pas, d’autant plus que le potentiel que l’on voit être gâché est particulièrement frustrant.

Far from the Light of Heaven, de Tade Thompson

Au sortir d’un voyage interstellaire en animation suspendue, la capitaine du Ragtime découvre que l’IA de bord ne fonctionne plus et que 30 passagers ont été tués. La planète qu’elle orbite envoie un duo d’enquêteurs résoudre l’affaire.

Sur le papier ça avait l’air cool, mais ça souffre fortement du problème de l’auteur d’un autre genre que la SF qui se dit qu’il va révolutionner le genre parce qu’ils sont gentils avec leurs petits mickeys, et qui finit surtout par réinventer les poncifs. Autant j’avais beaucoup aimé la suite de novellas Molly Southbourne du même auteur, autant là c’était sans grand intérêt. Ça aligne les grands concepts – aliens ! trous de vers ! IA ! mégacorporations ! terraformation ! – sans en faire grand chose, y’a beaucoup trop de personnages qui sont introduits et mal développés, le côté chambre close fonctionne pas du tout… Bref c’est foutraque, et y’a pas eu de travail d’édition.

Citizen Sleeper, du Studio A Jump Over the Age

Jeu vidéo narratif sorti en 2022. Nouvel arrivant dans une station spatiale et en rupture de contrat avec une corporation déterminée à nous récupérer, on tente de trouver notre place parmi les différentes factions gérant la station, de récupérer un peu d’argent pour acheter de la nourriture et le produit chimique qui évite à notre corps robotique de tomber en déliquescence. Au fur et à mesure de notre vie sur la station, on va interagir avec plein d’habitants et choisir parmi plusieurs options celle qui nous convient le plus pour reconstruire une vie ici ou sur un vaisseau en partance.

J’ai pas mal aimé l’ambiance ; le côté station spatiale désormais auto-gérée, avec des conflits de gestion, des idéologies et des structures de pouvoir différentes qui s’affrontent était bien fait, le côté « les corpos sont toujours en embuscade pour tenter de rerécupérer la station » marche bien aussi. Les multiples fils narratifs des différents habitants avec lesquels on interagit sont globalement bien écrits. Par contre le jeu consiste essentiellement à cliquer pour voir des choses se dérouler. Souvent les choix multiples de dialogue n’ont pas vraiment d’impacts sur l’histoire. On peut rallier toutes les factions à la fois sans se fermer de portes. Un peu dommage au vu des thèmes abordés de ne pas avoir fait plus de choix qui ont un réel impact sur le déroulé de l’histoire.

Demain, le jour, de Salomon de Izarra

Roman fantastique paru en 2022. Trois survivants d’un accident de train se retrouvent dans un village isolé des Vosges, en 1936. Ils vont découvrir que la population en a été décimé par deux monstres qui hantent le village à la nuit tombé, et tenter de les affronter. On suit en parallèle les points de vue des trois personnages tels que relatés dans leurs journaux intimes, qui détaillent à la fois leur vie depuis l’accident de train et leur passé.

Globalement j’ai bien aimé l’écriture, la triple narration et les effets permis par le fait que les persos racontent des événements passés mais détaillent aussi ce qui se passe au moment de l’écriture étaient intéressants (le fait que l’on apprenne au début du livre que Paul rédige depuis une cellule mais qu’il faille ensuite les 2/3 du livre pour que l’on ait les événements qui y ont mené). Par contre l’intrigue principale avait l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette. Il y a des monstres, ok, mais le pourquoi de leur existence est assez random, les interactions entre les personnages sont assez stéréotypées. Les passages les plus intéressants sont ceux qui détaillent le passé de Paul, la partie « fantastique du roman est finalement assez superflue.

Nickel Boys, de Colson Whitehead

Roman états-unien publié en 2019, inspiré de faits réels. On suit la vie d’Elwood Curtis durant son enfance à Tallahassee (Floride), durant son incarcération à la maison de redressement Nickel et durant sa vie d’adulte à New York des années plus tard. Nickel est un endroit atroce, où les enfants sont battus, et inspiré d’une maison de redressement réelle, Dozier. Le roman est court mais prenant (et secouant).

Je le rapproche de Delicious Foods pour le sujet traité, mais ce n’est pas la même période temporelle – et pas le même style d’écriture.

House of Suns, d’Alastair Reynolds

Space opera de 2008, qui n’a pas peur des gros concepts. Des millions d’années dans le futur, l’Humanité s’est répandue dans la Voie Lactée, où elle est la seule espèce biologique intelligente. De nombreux empires spatiaux ont émergé puis se sont effondrés. Les traversant et les appuyant, les Lignées sont un agent de stabilité dans la galaxie. Il s’agit de plusieurs groupes de clones d’humains ayant vécu dans le Système solaire originel. Chaque Lignée comportait à l’origine 1000 clones, qui voyagent à des vitesses quasi-luminiques et ont donc vécu des millions d’années en temps absolu, quelques centaines en temps subjectif. On suit Purslane et Campion, deux clones de la Lignée Gentienne qui se rendent au rassemblement de la Lignée. Mais le rassemblement a été attaqué et la Lignée ne compte plus que quelques dizaines de membres, qui doivent impérativement qui est derrière cette attaque et quels en sont les motifs.

J’ai bien aimé les concepts (des vies étendues sur des millions d’années ! Des vaisseaux spatiaux qui mesurent des dizaines de kilomètres ! Des intelligences qui se sont éloignées totalement de l’esprit humain originel !), mais les personnages sont un peu ratés. Les relations entre les membres de la lignée notamment sont pas du tout intéressantes alors qu’on parle de gens qui partagent des souvenirs communs et remélangent régulièrement leurs souvenirs : là iels ont juste des relations tout à fait classique de collègues de travail. Toute la partie dans la réalité virtuelle est aussi sans intérêt (surtout qu’elle se conclut sans vraiment apporter quelque chose à l’histoire plus large). Bref, de belles idées de SF qui marchent bien pour un space opera mais un besoin d’édition globale du bouquin pour mieux faire fonctionner le tout.

A Cosmology of Monsters, de Shaun Hamill

Roman de réalisme horrifique états-unien de 2019. On suit Noah Turner et quelques autres membres de sa famille qui vivent dans une petite ville texane. Noah est ami avec un monstre, une espèce de loup-garou que visiblement lui seul peut voir. Il travaille dans la maison hantée familiale, une attraction dans laquelle il joue le monstre qui poursuit les visiteurs, et a basé son costume sur l’apparence du monstre qu’il voit. On va découvrir au fil du livre la relation entre la famille de Noah et le monstre.

J’ai pas mal aimé, c’est assez original dans l’horrifique. On suit la famille Turner sur deux générations, le point de vue de la narration étant toujours celui de Noah qui raconte la vie de ses parents et parle de ses sœurs. Le côté éléments fantastiques se marrie bien avec la vie quotidienne des Turner, la passion du père pour les romans de Lovecraft et autres écrivains du genre, la difficulté de trouver une activité qui rapporte des revenus sans être un travail insupportable. Les explications du côté fantastique des choses restent seulement esquissées, mais ça fonctionne bien comme ça.

Je recommande si vous aimez le genre (rien de très gore dans le livre, c’est plus dans le style mystères inexpliqués, forces maléfiques, hantage).

The Murders of Molly Southbourne, de Tade Thompson

Série de trois courts livres de science fiction, The Murders of Molly Southbourne étant suivi de The Survival of Molly Southbourne et de The Legacy of Molly Southbourne. On suit donc Molly Southbourne, une femme dont le sang a la propriété de générer des doubles d’elle-même : si une goutte de son sang tombe à terre, elle va absorber la matière tout autour d’elle même pour créer une nouvelle Molly, du même âge que la Molly originelle au moment du saignement. Petit problème : tous ces doubles tentent d’assassiner la Molly originelle. L’histoire du premier tome est racontée par Molly a un de ses doubles, revenant sur sa vie depuis son enfance. Les tomes deux et trois vont étendre un peu l’univers, détaillant l’origine du pouvoir de Molly, l’existence de d’autres personnes avec la même capacité et les relations de Molly au reste du monde. Le tout dans une uchronie discrète puisque toute l’action se passe dans des années 90’s où la fertilité humaine a drastiquement chuté depuis bientôt dix ans.

Sans être révolutionnaire c’était sympa à lire, le format suite de novella était cool. Le premier peut se lire en standalone et fait une centaines de pages, c’est pas mal pour savoir si on aime bien le style de l’auteur.

Sonate d’automne, d’Ingmar Bergman

Film suédois de 1978. On suit les échanges entre deux femmes, Eva et sa mère Charlotte. Après la mort d’un ami proche de Charlotte, Eva lui propose devenir la rejoindre dans le presbytère où elle habite avec son mari. Si l’invitation est proposée de bonne foi, Eva se rend compte à l’arrivée de Charlotte qu’elle lui en veut toujours énormément de ne pas avoir été présente pendant son enfance et d’avoir sacrifié sa famille à sa carrière de pianiste. Les deux femmes vont échanger pendant toute une nuit sur leur perception des années passées, avant que Charlotte ne reparte.

C’est un film assez lent. L’action est principalement composée des dialogues entre Charlotte et Eva, avec quelques personnages secondaires – le mari d’Eva, sa sœur, différents personnages dans les flashbacks. La tension monte progressivement entre les deux protagonistes jusqu’à des scènes qui si elles en reste à un affrontement purement verbal, pourrait avoir leur place dans un film d’horreur en terme de tension. Globalement j’ai bien aimé, mais faut être serein sur les relations interpersonnelles intenses et pas très fonctionnelles.

Le Génie Lesbien, d’Alice Coffin

Essai politique sur le féminisme, le lesbianisme militant et le journalisme situé, dans le contexte de la France contemporaine.

Je n’ai pas appris grand chose dans la première partie sur l’importance de la représentation et les questions de « neutralité journalistique » vs « point de vue situé », mais si vous ne connaissez rien au sujet je pense que c’est une bonne introduction.
Par contre j’ai été très intéressé par les éléments sur la participation des militantes lesbiennes dans plein de combats politiques qui les concernait parfois mais parfois pas – j’avais entendu parlé de certains points de loin et d’autres pas du tout, c’était intéressant d’avoir une synthèse du sujet.

Je recommande.