Archives de catégorie : Arbres morts ou encre électronique

Black & White, de Lewis Shiner

Roman américain sorti en 2008 et se déroulant sur deux époques : quelques semaines de 2004 et la vie des parents du héros principal, Michael Cooper. Michael revient pour les derniers jours de son père à Durham, en Caroline du Nord. En creusant le passé de son père et en s’impliquant dans la vie de la ville, il va découvrir progressivement que son histoire familiale est largement liée à l’évolution de la ville, et à l’éviction des quartiers noirs prospères pour laisser passer une autoroute dans les années 60 et 70.

J’avais récupéré ce bouquin parce que j’avais beaucoup aimé Fugues, du même auteur. On n’est pas du tout dans le même style, à part la question de la relation à la figure paternelle. Fugues avait un net côté fantastique, ici on est dans un roman essentiellement réaliste. L’œuvre parle du racisme du sud des États-Unis, de comment ce racisme est passé par certaines politiques publiques, et de sa perpétuation jusque dans les années 2000. Il parle beaucoup d’identité, d’attirance et de relation. C’était sympa à lire, surtout l’histoire du père de Michael – certains passage de celle de Michael lui-même sont un peu datés ou un peu trop rocambolesques.

Promise of Blood, de Brian McClellan

Roman de fantasy sorti en 2013. L’histoire se déroule dans un univers qui rappelle la fin du XVIIIe siècle européen. Le roman s’ouvre sur la chute d’une monarchie absolue suite à un coup d’État de l’armée, il y a un syndicat, des colonies, une artillerie. Mais il y a aussi de la magie, des dieux, des prophéties…

L’univers est original et très prenant, avec un système de magie intéressant. C’était fort sympa de sortir de la fantasy médiévale.
Par contre c’était un poil trop militariste à mon goût, puisqu’on suit deux mages-artilleurs et un inspecteur anciennement policier ; on n’est pas exactement dans la critique gauchiste des pouvoirs établis. Même s’il y a des personnages féminins intéressants, toute la narration est faite par les yeux de mecs et les femmes restent largement à l’arrière-plan (et beaucoup – mais pas toujours – comme des femmes de ou filles de).

C’est le premier tome d’une trilogie, je vais clairement aller lire les suivants, il reste plein de pistes ouvertes et j’espère que les défauts seront un peu rectifiés (ce serait assez facile à faire en variant les points de vue).

EDIT 13/02/20

J’ai lu les deux tomes suivants, donc tout le cycle (l’auteur a écrit une autre trilogie dans le même univers, mas qui se passe 10 ans plus tard et dans une autre partie du monde). Ça se lit de façon relativement prenante, mais c’est loin d’être inoubliable. Le tome 2 est clairement le plus faible du cycle, se concentrant vraiment trop sur les aspects militaires, là où le 3 ré-ouvre un peu l’intrigue sur des questions politiques et une enquête policière.

Globalement l’univers est très intéressant, mais ça manque d’un travail d’édition. Du point de vue de l’écriture en elle-même, où il y a de petites incohérences qui montrent un manque de relecture globale, et où trouve des lourdeurs et des répétitions (vu le nombre de fois où la consommation de poudre par les mages-artilleurs est décrite exactement de la même façon, ça devient rapidement ennuyant). Du point de vue du fond, des suggestions d’éditeur sur le développement de certains personnages ou de certaines relations entre elleux aurait été intéressant. Bon déjà sur 1200 pages, la trilogie ne passe pas le test de Bechdel, ce qui est dommage en soi, surtout qu’il y a pourtant de nombreux personnages féminins – même dans l’armée, totalement mixte, mais ces personnages sont finalement toujours isolés – pas non plus de personnages non-hétéros. La relation Taniel / Ka-Poel est franchement mal écrite, la seconde étant décrite à la fois comme une mage et une guerrière incroyablement puissante, et comme une petite chose fragile que Taniel doit protéger. Des problèmes aussi sur le côté assez similaire à 300 du conflit entre les nobles soldats d’Ardo compétents mais en petit nombre et l’armée d’un million d’hommes des Kez incompétents et fourbes ; c’est surtout présent dans le second tome (où l’armée d’Ardo doit tenir un défilé…), un peu rectifié dans le troisième.
Tbh, je pense que l’auteur est un peu de droite.

Dans les côtés positifs, le mélange entre les capacités magiques et la période temporelle est original, les différents types de magie aussi. Les mages-artilleurs sont intéressants, même si on les sent taillé.e.s sur mesure pour pouvoir raconter une histoire dans un cadre militaire (même remarque sur la géographie d’Adro d’ailleurs, un pays entouré de montagnes infranchissables – à trois points de passage stratégique près). L’auteur prend le temps de développer ses personnages, qui ont une épaisseur psychologique, un système de valeur interne, des doutes… même s’ils restent assez tropesques par moment.

À lire si vous voulez de la fantaisie avec des mousquets et un bon worldbuilding, à ne pas lire si vous voulez un truc conscientisé.

La Révolution des Damnés, de Melody Cisinski

Premier tome d’une bande dessinée sur une révolution russe incluant des éléments fantastiques. On suit Yuri, un membre des brigades anarchistes, qui infiltre le train blindé ou les russes blancs abritent la dernière héritière des Romanov dans l’espoir d’une restauration. En parallèle on voit le passé de Yuri, son adolescence dans son village, et le triangle amoureux qu’il formait avec Elena et Nikita, son camarade qui a obtenu un poste de commandement dans l’armée bolchevique et est en train de réveiller des puissances occultes.

Il y a des points intéressants dans l’histoire, mais on reste un peu sur sa faim avec juste ce premier tome ; typiquement le Kotchei réveillé par Nikita n’apparaît que relativement tard, on voudrait en avoir plus (surtout que c’est quand même lui qui fait la couverture). Mais je suis totalement motivé par une histoire qui mêle gros robots, révolution russe et légendes slaves.

Dans le fond comme dans la forme, il y a deux ruptures de ton qui m’ont un peu perturbées :

  • Sur la forme, le design des personnages est très toonesque, avec par contre des couleurs très sombre, une bonne partie de la BD est en nuance de gris avec seulement quelques éclats de couleur.
  • Sur le fond, on alterne des moments adultes ou sombres, avec des charniers, du sexe, et des moments plus légers ou le héros blague avec son cheval ou joue avec l’héritière Romanov.

Ça donne un peu l’impression que la BD oscille en fond comme en forme entre deux styles ; j’attends de voir ce que l’autrice veut en faire dans les tomes suivants, surtout que maintenant que tous les enjeux sont posés, le kotchei entré en scène et l’action lancée, on devrait arriver aux passages les plus intéressants.

La Scierie, texte anonyme

Texte anonyme rédigé dans les années 50 et publié dans les années 70 et décrivant les deux ans passés par l’auteur en tant que travailleur dans des scieries proches de Blois. L’auteur raconte un quotidien très dur, physiquement harassant, sans solidarité entre les travailleurs (dans sa première scierie, ça change un peu dans la suivante, où les rapports humains restent tendus, mais « moins pire »). C’est un témoignage direct des conditions de travail en tant qu’ouvrier rural non qualifié à cette époque. L’auteur montre sans complaisance comment les conditions de travail le rendent mauvais (et ses collègues avec), il se réjouit des accidents de ceux qu’il n’aime pas, il y a zéro solidarité. Le texte est écrit rétrospectivement et l’auteur regrette en partie la transformation morale que ce métier lui a fait subir, mais il estime aussi en avoir retiré des choses intéressantes et une compréhension de ce qu’est intrinsèquement le travail.

C’était très intéressant comme témoignage.

Mes classes vendangeuses, par mickaël andré

J’ai aussi lu dans le même style un fascicule de quelques pages décrivant des vendanges dans les années 2010, mais là avec un recul sur les rapports de classe et la division genrée du travail. On est dans le même type de travail non qualifié, mais à une époque différente, et avec un regard de l’auteur assez différent. Mais là aussi on retrouve des rapports difficiles entre les travailleureuses, instrumentalisés par le patron.

Notre-Dame du Nil, de Scholastique Mukasonga

Roman rwandais de 2012, décrivant la vie dans un pensionnat de jeunes filles de bonne famille dans le Rwanda des années 70s, alors que les tensions ethniques entre Hutus et Tutsis s’accentuent. Le livre raconte la vie de l’institution, le pélerinage annuel à la statue de Notre-Dame du Nil d’où le pensionnat tire son nom, une visite de la reine Fabiola, les jeux d’influences entre les pensionnaires qui reproduisent les positions de leurs familles respectives (dans l’armée, dans le gouvernement…), leur relation aux adultes (les Sœurs qui tiennent l’établissement, le prêtre lubrique, les professeurs belges, français ou rwandais, le sorcier du village proche, leur famille…), et la montée progressive des persécutions des Tutsis, jusqu’à l’irruption de miliciens au pensionnat, qui viennent chercher « les filles du quota ». C’était intéressant, je connaissais peu l’histoire rwandaise – et je prend rarement l’occasion de lire de la littérature écrite par des auteurices africain.e.s, c’était bienvenu.

Le Sermon sur la chute de Rome, de Jérome Ferrari

« Meeeec, et si on ouvrait un bar ? »

Prix Goncourt 2012. Le livre raconte l’histoire de plusieurs membres d’une famille corse. L’histoire s’ouvre sur la description d’une photo prise en 1918 avant le retour de la guerre du père de famille. Elle va s’étendre brièvement sur la vie du couple, avant de se concentrer sur la vie de leur arrière petit fils Matthieu, avec des passages sur la vie de leur plus jeune fils Marcel, son fils Jacques (très peu), et celle d’Aurélie, la sœur de Matthieu. Matthieu a été élevé sur le continent, et il considère pendant longtemps la Corse comme son paradis perdu. Persuadé que tout ce qui a trait à la Corse est merveilleux, il abandonne ses études pour reprendre un bar dans le village familial avec son meilleur ami. Si les choses se déroulent bien au début, le rêve de Matthieu va peu à peu s’effondrer.

C’était agréable et intéressant à lire. La narration fait des allers-retours entre les époques et les générations, révélant peu à peu les différentes péripéties de l’histoire familiale. Libero, le meilleur ami de Matthieu, a fait son mémoire de master sur Saint-Augustin, ce qui amène les parallèles entre leur situation (et l’effondrement de leur rêve de vie tranquille au pays) et le sermon de Saint-Augustin sur la chute de Rome, et donc le titre du livre.

Bouvard et Pécuchet, de Flaubert

Roman français de 1881. Les deux héros du roman se rencontrent par hasard à Paris et deviennent très amis. Les deux sont employés de bureau et insatisfaits de leur vie. Quand l’un des deux hérite, ils décident de partir vivre à la campagne, ayant acheté un manoir et une ferme qui leur assure une rente.
Ils se mettent à l’agriculture en amateurs, puis appliquent à la même (absence de) méthode à tous les domaines possibles (sciences, religion, archéologie, gymnastique, politique, éducation), allant de catastrophe en catastrophe et enchainant les pertes sèches d’argent sans jamais perdre confiance en eux-mêmes.

C’était plaisant à lire, ce qui n’est pas gagné d’avance avec du Flaubert. Le roman est inachevé, le dernier chapitre n’existe que sous forme de plan, mais ça ne gène pas la lecture.

L’Usine, d’Hiroko Oyamada

Livre japonais sur la vie de trois personnes travaillant sur un site industriel gigantesque. On suit trois employés, un ingénieur affecté au bureau de végétalisation des toits, une contractuelle qui s’occupe de la destruction des documents internes, et un intérimaire qui travaille à la correction de documents. Dans les trois cas, le but de leur travail reste relativement obscur, leur hiérarchie assez peu existante, et le cœur de métier de l’Usine à la fois loin de ce qu’iels font et mystérieux à appréhender. L’Usine semble avoir des dimensions et une occupation changeante, le temps s’y écoule différemment d’à l’extérieur, et elle contient une multitude de sous-services et d’annexes qui permettent de passer une vie entière en son sein sans jamais manquer de rien. Peu à peu, l’intrigue va se resserrer sur des animaux qui semble n’exister qu’au sein de l’Usine, et se multiplient de plus en plus.

C’était assez étrange comme lecture. Une espèce de fantastique corporate, avec les codes japonais de l’attachement à l’entreprise (mais réactualisés pour une époque où l’emploi à vie n’est plus qu’un lointain souvenir). Ça se lit vite et on se laisse prendre à l’histoire.

Dieu, le temps, les hommes et les anges, d’Olga Tokarczuk

Roman polonais de 1996. On suit sur un demi-siècle la vie dans le petit village polonais d’Antan. Il s’avère qu’Antan est l’axe du monde, et que tout ce qui s’y passe est d’une importance cruciale. Le livre est composé de court chapitres, variant à chaque fois le point de vue. Certains reviennent et sont des fils conducteurs, d’autres ne sont présentés qu’une fois. La majorité sont des points de vue d’humains, mais on a aussi ceux d’objets, d’animaux ou d’anges gardiens. On voit l’influence des deux guerres mondiales sur Antan ainsi que les évolutions propres au village, les mariages, les enfants. Deux éléments de fantastiques parcourent le roman sans être approfondis plus que ça : un des personnages explique à un moment que rien n’existe hors d’Antan et que les gens qui pensent en sortir restent paralysés à la frontière du village et forment de faux souvenirs ; un autre personnage reçoit un jeu qui est supposé représenter la totalité de l’univers et est composé de huit mondes enchâssés successivement créés par Dieu, avec Antan au centre.

C’était sympa à lire, sans être la révélation de l’année.

Exit le fantôme, de Philip Roth

Roman américain de 2007. Philip Roth reprend pour un dernier roman le personnage de Nathan Zuckerman, son alter ego fictif. Après 11 ans de retraite dans la campagne américaine, Zuckerman revient à New York pour une opération de la prostate. Se replongeant d’un coup dans l’agitation urbaine dans les jours qui entourent la réélection de Bush, il va renouer avec une vieille connaissance, se prendre le bec avec un jeune écrivain ambitieux, et être bien libidineux et craignos avec une jeune écrivaine.

C’était assez malaisant. On a un narrateur de 71 ans qui passe son temps à parler de son désir pour une femme de 28, et de sa volonté qu’on n’aille pas déterrer la relation incestueuse entre un écrivain qu’il admirait et mort depuis 30 ans et sa sœur. C’est dommage que ces thèmes principaux soient aussi craignos (mais je crois qu’il faut que je me résolve à ce que j’apprécie les livres de jeunesse de Roth mais qu’il a salement dérivé avec l’âge), parce qu’il y avait des éléments intéressants : le narrateur sent le poids des années et de sa condition physique qui se délabre, aussi bien en terme de trous de mémoire que de façon plus prosaïque par le fait de devoir gérer une incontinence. Deuxième point intéressant, le texte alterne entre des segments écrits à la façon d’un roman et d’autres à la façon d’une pièce de théâtre, qui sont des conversation imaginaires écrites par le narrateur pour remplacer ce qu’il n’a pas osé dire ou demander à des gens. Mais de façon générale, je ne recommande pas ce livre, lisez plutôt Le Complot contre l’Amérique ou Pastorale américaine du même auteur.